Revue de la presse de janvier 2024

Auteurs : Paul Bastelica, Alexandre Matet, Antoine Rousseau.
Coordination : Marc Labetoulle

Revues sélectionnées : Ophthalmology, JAMA Ophthalmology, IOVS, Progress in Retinal and Eye Research, Current Opinion in Ophthalmology, Survey of Ophthalmology, Journal of Cataract and Refractive Surgery, American Journal of Ophthalmology, British Journal of Ophthalmology, Retina, Cornea, Nature, Lancet, NEJM, Science.

 


Association Tabac – Glaucome : quelques dizaines de milliers de patients pour comprendre 

Le rôle du tabagisme dans la genèse de la neuropathie optique glaucomateuse est encore aujourd’hui mal compris, les résultats des études sur l’association entre les 2 étant équivoques et/ou peu convaincants. En revanche toutes ces études ont en commun d’avoir démontré que la pression intraoculaire (PIO) est plus élevée chez les fumeurs1. Une explication pourrait reposer sur les conséquences du tabac sur la biomécanique cornéenne. D’après une étude réalisée à la fin des années 90, l’exposition au tabac serait responsable d’une rigidification de la cornée, via une réticulation des fibres de collagène du stroma 2. Partant de cette hypothèse, les auteurs de cet article proposent d’identifier les liens entre la PIO, la présence d’un glaucome, les facteurs biomécaniques cornéens et l’exposition au tabagisme, à partir de deux grandes cohortes de sujets volontaires (canadienne et britannique), mises en place initialement comme bases de données médicales pluridisciplinaires destinées à la recherche sur les effets du vieillissement. Les sujets inclus, âgés de 37 à 85 ans, répondaient à de multiples questionnaires, et bénéficiaient d’un examen médical multi-spécialisé comprenant un examen ophtalmologique.  Les points analysés dans le cadre de cette étude comprenaient une auto-évaluation de la consommation de tabac, une mesure de la PIO à l’aplanation, et une évaluation des paramètres biomécaniques cornéens par l’ORA (Ocular Response Analyzer) avec mesure de l’hystérèse cornéenne (CH : corneal hysteresis), du facteur de rigidité cornéenne (CRF : corneal rigidity factor) et une évaluation de la PIO corrigée par l’hystérèse cornéenne. Le diagnostic de glaucome était basé sur la simple déclaration de la maladie par les patients. Tous les patients ayant des antécédents de chirurgie du segment antérieur de l’œil étaient exclus, afin de s’assurer de l’absence d’altérations secondaires des paramètres biomécaniques cornéens. 

Au total, plus de 90 000 patients ont été évalués (68738 pour la cohorte britannique, 22845 pour la cohorte canadienne). La PIO mesurée à l’aplanation était plus élevée chez les sujets fumeurs (cohorte britannique : + 0.25 mmHg ; p < 0.001 ; cohorte canadienne : +0.36 mmHg ; p < 0.001). Par ailleurs, les fumeurs actifs comme les fumeurs sevrés présentaient un CH et un CRF significativement plus élevés que les sujets non-fumeurs dans les deux cohortes, avec cependant moins de différence entre les fumeurs sevrés et les non-fumeurs qu’entre ces derniers et les fumeurs actifs. Une relation dose-effet était d’ailleurs identifiée, tant pour la durée que pour la fréquence du tabagisme dans les deux cohortes : plus la durée et la fréquence du tabagisme étaient élevés, plus le CH et le CRF étaient élevés. Après correction par ces paramètres biomécaniques cornéens,  la PIO calculée était plus faible chez les fumeurs actifs par rapport aux non-fumeurs (cohorte britannique : - 0.28 mmHg, p < 0.001 ; cohorte canadienne : - 0.32 mm Hg, p = 0.001). Il est toutefois peu probable que la PIO soit réellement plus basse chez les fumeurs, les auteurs suggèrent que cet effet « protecteur » sur le niveau de PIO corrigée soit lié à un biais de calcul par l’ORA.  Enfin, la consommation tabagique n'était pas associée au statut glaucomateux dans les deux cohortes. 

Les résultats de cette étude épidémiologique confirment donc les conclusions des travaux réalisés par le passé : la PIO parait effectivement plus élevée chez les fumeurs. Mais cette différence n’est qu’apparente, car elle semble être la conséquence des altérations de la biomécanique cornéenne consécutives à l’exposition tabagique, qui tend à rigidifier la cornée et ainsi induire une surestimation des mesures de la PIO. Ces changements cornéens liés au tabagisme entraînent donc une augmentation artéfactuelle des mesures de la PIO, ce qui pourrait expliquer l'absence d'association entre tabagisme et glaucome dans cette étude. L’auto-déclaration du diagnostic de glaucome constitue une des grandes limites de cette étude. L’absence d’association entre le tabagisme et le statut glaucomateux doit donc être interprétée avec prudence. D’autant que l’effet potentiel du tabagisme dans la pathogenèse du glaucome pourrait faire intervenir d’autres facteurs indépendants de la PIO. Les nombreux effets vasculaires du tabac pourraient en effet avoir un impact particulièrement néfaste sur la vascularisation du nerf optique et contribuer à la composante vasculaire ischémique de la neuropathie optique glaucomateuse.

 

Stuart KV, Madjedi KM, Luben RN, Biradar MI, Wagner SK, Warwick AN, Sun Z, Hysi PG, Simcoe MJ, Foster PJ, Khawaja AP. Modifiable Risk Factors for Glaucoma Collaboration and the UK Biobank Eye and Vision Consortium. Smoking, Corneal Biomechanics, and Glaucoma: Results From Two Large Population-Based Cohorts. Invest Ophthalmol Vis Sci. 2024 Jan 2;65(1):11. 


1 Yoshida M, Take S, Ishikawa M, et al. Association of smoking with intraocular pressure in middle-aged and older Japanese residents. Environ Health Prev Med. 2014;19(2):100–107.
2 Madhukumar E, Vijayammal PL. Influence of cigarette smoke on cross-linking of dermal collagen. Indian J Exp Biol. 1997;35(5):483–486.

 

Reviewer : Paul Bastelica, thématique : épidémiologie / cornée / glaucome


 

Effet du statut hormonal sur la surface oculaire des femmes

De nombreux travaux l’ont montré : les femmes sont plus sujettes aux maladies de la surface oculaire et présentent des sécheresses oculaires plus symptomatiques que les hommes 1. Il reste aujourd’hui difficile d’expliquer précisément tous les mécanismes pathogéniques impliqués ce phénomène, mais il est déjà reconnu que les facteurs hormonaux jouent un rôle majeur dans le déclenchement de ces troubles de la surface oculaire. Les auteurs de cette étude publiée dans le British Journal Of Ophthalmology ont tenté d’apporter quelques éléments de réponse supplémentaires, en comparant les symptômes et signes cliniques de maladies de la surface oculaire chez des patientes ménopausées et non ménopausées.

L’étude a porté sur la population de l’essai clinique DREAM, une étude américaine multicentrique (27 centres), prospective et randomisée, initialement destinée à évaluer l'efficacité et la sécurité d'une supplémentation orale en oméga-3 versus un traitement contrôle (huile d’olive) pour le traitement de la sécheresse oculaire, mais sans faire la part des différents composants de cette dernière (déficit aqueux, mucinique, lipidique ou mixte). Les patients inclus étaient majeurs et présentaient des symptômes de pathologies de la surface modérés à sévères selon le score OSDI (Ocular Surface Disease Index > 22). Une évaluation approfondie de la surface oculaire à l’inclusion et lors de deux consultations à 6 et 12 mois comprenait : un score de bien-être psychologique MCS (mental component summary), le score OSDI (Ocular Surface Disease Index), score BODI (Brief Ocular Discomfort Index), marquage conjonctival au vert de lissamine (coté de 0 à 6, selon une version modifiée du score recommandé par le National Eye Institute), marquage cornéen à la fluorescéine (côté de 0 à 15, selon les lignes directrices recommandées par le National Eye Institute), temps de rupture des larmes (TBUT-Tear Break-Up Time), test de Schirmer, mesure de l’osmolarité des larmes, dysfonctionnement des glandes de Meibomius (côté de 0 à 6). Un score composite de sévérité clinique, compris entre 0 (pas de signe de sécheresse oculaire) et 1 (signes de sécheresse oculaire sévères) était calculé en combinant ces éléments. Le traitement évalué dans l’essai clinique n’ayant pas été statistiquement efficace sur les critères évalués, les auteurs ont artificiellement augmenté la puissance de leurs résultats en incluant dans l’analyse les données des deux yeux de chaque patient lors des trois consultations (au total, un même patient comptait donc pour 6 données par critère). Les différents critères évalués ont ensuite été comparés entre les hommes et les femmes dans un premier temps, puis entre les femmes ménopausées et non ménopausées dans un second temps. 

Au total, 535 patients ont été inclus dans l’analyse, incluant 434 femmes et 101 hommes. En analyse multivariée (après ajustement sur l'âge, le tabagisme et plusieurs comorbidités dont l'étude DREAM avait montré qu'elles étaient associées à la gravité des symptômes et des signes de sécheresse oculaire), les femmes présentaient significativement, à des niveaux de score OSDI/BODI comparables : une quantité de larmes plus faible (Schirmer), un marquage cornéen plus sévère et un score composite de sévérité plus important. Par ailleurs, en comparaison aux femmes non ménopausées (59 patientes) et en analyse multivariée (ajustée sur les mêmes critères que dans l’analyse précédente), les femmes ménopausées (375 patientes) présentaient significativement un TBUT plus court, une osmolarité des larmes plus élevée, des marquages cornéen et conjonctival plus importants, une atteinte plus sévère des glandes de Meibomius, et un score composite de sévérité plus élevé.

Bien que ces résultats positifs aient pu être favorisés par l’augmentation artificielle des effectifs, cette étude confirme que les changements hormonaux chez les femmes jouent un rôle important dans l’installation des maladies de la surface oculaire. Des travaux plus anciens avaient d’ailleurs montré le potentiel rôle protecteur de la supplémentation hormonale chez les femmes ménopausées 2 et le rôle délétère de la ménopause 3. L’identification du traitement optimal de la maladie de sécheresse oculaire demeure complexe, tant les mécanismes et facteurs impliqués sont multiples et intriqués, et d’autres études seront nécessaires afin d’établir plus précisément l’impact des hormones sexuelles et les bénéfices d’un éventuel traitement hormonal sur la surface oculaire. 

 

Zhao M, Yu Y, Roy NS, Ying GS, Asbell P, Bunya VY. Sex-related differences and hormonal effects in the Dry Eye Assessment and Management (DREAM) study. Br J Ophthalmol. 2023 Dec 18;108(1):23-29. 


1 Vehof J, Sillevis Smitt-Kamminga N, Nibourg SA, et al. Sex differences in clinical characteristics of dry eye disease. Ocul Surf 2018; 16:242–8.
2 Jensen AA, Higginbotham EJ, Guzinski GM, et al. A survey of ocular complaints in postmenopausal women. J Assoc Acad Minor Phys 2000; 11:44–9.
3 Gagliano C, Caruso S, Napolitano G, et al. Low levels of 17-β-oestradiol, oestrone and testosterone correlate with severe evaporative dysfunctional tear syndrome in postmenopausal women: a case-control study. Br J Ophthalmol 2014;98:371–6.

 

Reviewer : Paul Bastelica , thématique : surface oculaire



Les résultats éloquents d’une expérience de télémédecine en Alabama

La France n’est pas le seul pays industrialisé concerné par les déserts médicaux : des millions de citoyens américains y sont également confrontés, avec une problématique supplémentaire de remboursement des soins. Une des solutions envisagées aux USA, comme ailleurs, est le recours à la télémédecine pour dépister les patients ayant besoin d’une consultation spécialisée, et ainsi limiter les conséquences des difficultés d’accès aux soins. 
Le problème est particulièrement critique dans l’état de l’Alabama, notamment dans la « black belt » (ainsi nommée pour ses terres noires et fertiles où étaient cultivées le coton au temps de l’esclavagisme), très touchée par la pauvreté et dont la population majoritairement afro-américaine est particulièrement à risque de glaucome. Cette région est l’une des 3 zones de déploiement du projet SIGHT (Screening and Interventions for Glaucoma and eye Health through Telemedicine), mené par le Center for Disease Control américain, visant à dépister et traiter le glaucome et les principales maladies ophtalmologiques à l’aide de la télémédecine. En pratique, le dépistage a lieu dans des centres de santé primaires habilités par l’état fédéral à fournir des soins avec des tarifs et des modalités de paiement adaptés aux ressources du patient. Le programme SIGHT s’adresse aux patients consultant au centre de santé, majeurs et volontaires, présentant un ou plusieurs facteurs de risque de pathologie oculaire : 
-  Afro-américain ou hispanique âgé de plus de 40 ans, 
-  caucasien âgé de plus de 50 ans
-  diabétique, quel que soit l’âge
- antécédent personnel ou familial de glaucome ou d’hypertonie oculaire, quel que soit l’âge. 
Ces patients remplissent un questionnaire médical, et bénéficient d’une évaluation ophtalmologique réalisée par un technicien comportant une acuité visuelle mesurée avec leur éventuelle correction optique, une mesure à l’auto-réfractomètre, une mesure de la PIO (tonomètre à rebond iCare), une photographie du fond d’œil, un OCT de la macula et de la papille, ainsi qu’un champ visuel automatisé. L’ensemble des données est transmis à un centre de référence qui statue sur la nécessité d’une consultation avec un ophtalmologiste et dans quel délai. 

Owsley et al. rapportent dans le numéro de janvier de l’American Journal of Ophthalmology les données des 500 premiers patients inclus dans le programme SIGHT en Alabama. Près de la moitié des patients étaient afro-américains, et 67% avaient entre 50 et 70 ans. L’analyse des données télétransmises faisaient suspecter un glaucome ou une hypertonie dans un tiers des cas, une rétinopathie diabétique dans 7%, une cataracte dans 37%, un trouble réfractif non ou mal corrigé dans 68%, et d’autres pathologies dans 10%. Au total, 47% des patients étaient adressés pour une consultation ophtalmologique. Près de la moitié des patients avaient une acuité visuelle inférieure à 6/10 sur au moins un œil. Une large majorité des patients étaient très satisfaits par le dépistage (86%) et 77% des consultations ophtalmologiques préconisées ont été honorées.

Les résultats de cette étude (en particulier les prévalences majeures de pathologies oculaires non traitées) sont éloquents et confirment l’ampleur des besoins de soin dans ces territoires mal couverts. On peut certes déplorer un biais de sélection (tous les patients inclus faisaient partie de la file active des centres de santé), mais il est difficile de savoir comment ce dernier influence les résultats. Une deuxième phase d’étude avec 500 nouveaux patients, recrutés en dehors des files actives des centres, via une incitation financière, est en cours.  

 

Owsley C, Swain TA, McGwin G Jr, Nghiem VTH, Register S, Asif IM, Fazio M, Antwi-Adjei EK, Girkin CA, Rhodes LA. Alabama screening and intervention for glaucoma and eye health through telemedicine (al-sight): baseline results. Am J Ophthalmol. 2024 Jan;257:66-75.

 

Reviewer: Antoine Rousseau, thématique : parcours de soin, épidémiologie.  



Modifications progressives de la chambre antérieure après iridotomie périphérique

Les glaucomes par fermeture de l’angle ont le plus souvent une évolution rapide et un mauvais pronostic en l’absence de traitement adapté. Ils sont causés par un contact irido-trabéculaire qui peut être causé par différents mécanismes parfois intriqués : bloc pupillaire (le plus fréquent), poussée cristallinienne antérieure (phakomorphisme), antéposition des corps ciliaires (iris plateau) ou encore épaississement de la racine irienne. L’iridotomie périphérique (IP) est le traitement de première intention de ce type de glaucome : elle permet surtout de lever la composante du bloc pupillaire, mais son efficacité est inconstante, ou bien peut diminuer au cours du suivi. C’est pour mieux comprendre les phénomènes physiopathologiques sous-jacents à cette « perte d’efficacité » qu’une équipe coréenne a étudié objectivement les modifications morphologiques du segment antérieur au cours du temps d’une importante série de patients atteints de différents stades de fermeture de l’angle. 
Les patients, qui avaient tous un examen clinique complet avec gonioscopie dynamique, étaient classés selon la terminologie internationale en : 
- « suspicion de fermeture primitive de l’angle (SFPA) » : trabéculum pigmenté non visible sans indentation sur plus de 180° sans HTO ni synéchies antérieures
- « fermeture primitive de l’angle (FPA) » : si des synéchies antérieures ou une PIO> 21mmHg complètent le tableau précédent 
- « glaucome primitif par fermeture de l’angle (GPFA) » : si une neuropathie optique glaucomateuse complique la FPA. 
Pour être inclus dans cette étude rétrospective, les patients devaient avoir été suivis pendant 4 ans et avoir bénéficié d’au moins 4 OCT de segment antérieur (OCT-SA) et d’une iridotomie périphérique au cours du suivi. 
Les OCT-SA étaient réalisés dans la pénombre, avec uniquement des coupes horizontales (angle nasal et temporal, et méridien 3h-9h), avec une analyse des paramètres suivants : 
- profondeur de la chambre antérieure (ACD pour anterior chamber depth), 
- épaisseur irienne, mesurée à 750 microns de l’éperon scléral),
- flèche cristallinienne (distance entre la ligne joignant les 2 éperons scléraux et l’apex antérieur du cristallin), 
- la distance d’ouverture de l’angle (AOD750 pour Angle opening distance 750, définie par la longueur du segment perpendiculaire à la cornée reliant cette dernière à un point de l’iris située à 750 microns de l’éperon scléral), 
- la surface d’ouverture de l’angle (ARA750 pour angle recess area, définie par le triangle entre l’AOD750, l’iris et la cornée). 
Enfin, le diamètre pupillaire était mesuré à chaque évaluation. 
Cent trois patients ont été inclus, et suivis en moyenne 6,5 ± 2,9 ans pendant lesquels 6,7 ± 1,7 OCT-SA ont été réalisés. Des analyses multivariées distinctes étaient construites pour expliquer les variations de chacun des paramètres évalués en OCT-SA, prenant comme référence soit la valeur pré-IP, soit la valeur post-IP immédiate.  
Pour résumer les nombreuses analyses exposées dans l’article, la réalisation de l’IP était, comme attendue, significativement associée à une augmentation précoce de l’ARA750 et de l’AOD750. En revanche, ces paramètres diminuaient avec le temps après l’IP, témoignant de la « diminution d’efficacité » de l’IP au cours du temps. De son côté, la flèche cristallinienne augmentait avec le temps (+34 μm par an), et était inversement associée à l’AOD750, l’ARA750 et au diamètre pupillaire. Ce dernier diminuait avec l’âge (-13 μm par an), de même que l’épaisseur irienne. Au total, après IP, la flèche cristallinienne augmente avec l’âge, contribuant à diminuer la profondeur de la CA et à rendre plus étroit l’angle irido-cornéen. De façon concomitante, une certaine constriction pupillaire et un amincissement irien permettent de compenser, au moins partiellement ces modifications. 
Ces données objectives confirment donc le caractère évolutif de la morphologie du segment antérieur, et ce malgré la présence d’une IP perméable. Les données recueillies nous éclairent sur les différents acteurs de ces évolutions, même si l’on regrette l’absence d’analyse de la position des corps ciliaires, qui n’est pas possible avec l’OCT-SA. Elles nous encouragent à répéter l’analyse de l’angle et démontrent une fois de plus que la prise en charge des angles étroits ne peut pas être uniforme, et doit être adaptée aux mécanisme(s) sous-jacent(s). 


Kwak J, Shon K, Lee Y, Sung KR. Progressive changes in the anterior segment and their impact on the anterior chamber angle in primary angle closure disease. Am J Ophthalmol. 2024 Jan ;257 :57-65.

Reviewer: Antoine Rousseau, thématique : glaucome. 



Panorama des urgences neuro-ophtalmologiques dans un centre expert.

La neuro-ophtalmologie est une surspécialité qui assure le diagnostic et la prise en charge de cas complexes, souvent urgents, et chez des patients présentant souvent des comorbidités lourdes, notamment neurologiques et neurochirurgicales.

Cet article part du constat d’une inadéquation entre le faible nombre de neuro-ophtalmologistes en exercice aux États-Unis, et la demande importante de consultations en urgence dans cette surspécialité. Les auteurs dressent le panorama des urgences et des avis intra-hospitaliers neuro-ophtalmologiques dans leur centre expert, l’Université Emory University à Atlanta, en termes de volume, modes de consultation, circuits d’adressage, symptômes, diagnostics et complexité des cas.

Sur l’année 2022, 494 consultations aux urgences et avis neuro-ophtalmologistes ont eu lieu dans ce centre de référence, soit entre 30 et 50 consultations ou avis par mois. 65% étaient des consultations en urgence, et 35% étaient des avis pour patients hospitalisés (que nous n’aborderons pas dans cette synthèse). Leur âge moyen était de 48 ans, avec une prédominance de femmes (64%). La majorité des consultations aux urgences ont eu lieu en dehors des heures de travail standard, avec 39% lors des nuits en semaine, et 22% le week-end. Les consultations en semaine étaient effectuées dans une consultation dédiée de neuro-ophtalmologie, tandis que les consultations de nuit et de week-end étaient réalisées aux urgences. 39% des patients se sont présentés d’eux-mêmes aux urgences, avec une augmentation de ce pourcentage pendant les week-ends. Concernant les patients adressés, ils l’étaient le plus souvent par un ophtalmologiste (38%) ou un optométriste (38%), et moins fréquemment par un autre service d’urgence (11%), un neurologue ou neurochirurgien (8%) ou par un médecin généraliste (5%).

De façon prévisible compte tenu de la complexité de certains diagnostics neuro-ophtalmologiques, 60% des patients avaient déjà consulté au moins un soignant (médecin, ophtalmologiste, optométriste) avant de se présenter aux urgences. 18% avaient été évalués dans d'autres hôpitaux, dont plus de la moitié (60%) avaient été renvoyés en consultation de ville sans diagnostic. Lors de ces premières consultations, des examens complémentaires (imagerie ou ponction lombaire notamment) avaient été réalisés plus fréquemment que des examens oculaires.
Les motifs de consultation aux urgences neuro-ophtalmologiques les plus fréquents étaient : perte de vision, troubles oculomoteurs, œdème papillaire sur hypertension intracrânienne avéré ou suspecté (« papilledema »), et autres causes d’œdèmes papillaires constatés au fond d’œil.

Après évaluation, les diagnostics les plus fréquemment posés étaient l'hypertension intracrânienne idiopathique (17%), la névrite optique rétrobulbaire (11%), la neuropathie optique ischémique antérieure non artéritique (7%), les paralysies oculomotrices isolées (7%), les hypertensions intracrâniennes secondaires (6%), les masses intracrâniennes (5%) et les accidents vasculaires cérébraux ischémiques transitoires ou constitués (5%). 44% des patients ayant consulté aux urgences neuro-ophtalmologiques ont nécessité une hospitalisation, principalement pour névrite optique.

La complexité des cas a été classés par les auteurs de 1 (très basse) à 4 (très haute).
57% des cas reçus en urgence ont reçu un diagnostic de très haute complexité. Il s’agissait de patients nécessitant une hospitalisation, présentant une menace vitale, souffrant de troubles cardiovasculaires sévères ou de cancer, ainsi que ceux atteints de troubles menaçant la vision en l’absence d’intervention rapide (comme une hypertension intracrânienne idiopathique fulminante, une artérite à cellules géantes, un trouble du spectre de la neuromyélite optique/maladie de Devic, ou des tumeurs cérébrales).
Enfin, chez 11% des patients adressés en urgence, une atteinte neuro-ophtalmologique a été exclue.

Au total, cette étude souligne le besoin croissant de consultations en neuro-ophtalmologie, en particulier dans les services d’urgences ophtalmologiques et en dehors des heures ouvrables. Il a été précédemment démontré une augmentation du nombre de patients adressés aux urgences pour symptômes neuro-ophtalmologiques, et du nombre de prescriptions d’imagerie cérébrale, dans un contexte de contraintes légales croissantes sur la pratique médicale.1 Parallèlement, plusieurs études ont confirmé que les erreurs diagnostiques en neuro-ophtalmologie sont plus fréquentes chez des patients qui ne sont pas évalués par des neuro-ophtalmologistes.2

Cela met en lumière le défi posé par le manque de neuro-ophtalmologistes formés. Les auteurs suggèrent des solutions potentielles comme l'augmentation du nombre de spécialistes via une meilleure formation et une attractivité accrue de la surspécialité, le recours à la télémédecine pour les zones les plus éloignées d’un centre expert, et les progrès des techniques diagnostiques, notamment de l’imagerie.

 

1 Poostchi A, Awad M, Wilde C, et al. Spike in neuroimaging requests following the conviction of the optometrist Honey Rose. Eye. 2018
2 Stunkel L, Sharma RA, Mackay DD, et al. Patient harm due to diagnostic error of neuro-ophthalmologic conditions. Ophthalmology. 2021 


Neuro-ophthalmology Emergency Department and Inpatient Consultations at a Large Academic Referral Center.
AL Okrent Smolar, HJ Ray, M Dattilo, …, V Biousse. Ophthalmology. Dec 2023

Reviewer : Alexandre Matet ; thématiques : neuro-ophtalmologie, épidémiologie



Pollution atmosphérique aux particules fines : un facteur causal majeur de cancer.

A l’heure de l’urgence climatique, la SFO participe à la mobilisation du milieu médical sur les sujets environnementaux, notamment par des communications et sessions dédiées lors de notre congrès annuel.
Ce début d’année 2024 est l’occasion de nous tourner vers un des articles marquants de 2023, qui révèle l’impact majeur de l’environnement sur la santé humaine. Cet article, publié dans Nature par un consortium international dirigé par Charles Swanton, du Francis Crick Institute de Londres, a démontré de façon extrêmement convaincante le rôle de la pollution atmosphérique aux particules fines dans la survenue de cancers du poumon, notamment chez les non-fumeurs.

L’adénocarcinome pulmonaire tue chaque année 250 000 personnes dans le monde. Si le rôle du tabac est bien connu via la toxicité directe sur l’ADN des sous-produits de la combustion, et les mécanismes de mutagénèses qu’elle induit, il est surprenant que ces cancers surviennent également chez des non-fumeurs ou des fumeurs légers. Les auteurs ont exploré le rôle de la pollution aux particules fines, émises principalement par les moteurs à énergie fossile, les centrales à charbons, et les feux de bois. Ces particules mesurent moins de 2.5 μm (PM2.5), soit un dixième de grain de pollen. 

Le développement d’une tumeur résulte d’un mécanisme en 2 étapes : une étape initiatrice marquée par la survenue de mutations dans l’ADN de cellules saines, et une étape déclenchante qui induit leur multiplication. Suivant ce modèle, les auteurs ont émis l’hypothèse que les particules fines sont le déclencheur et agissent sur quelques cellules porteuses de mutations préexistantes, au sein du tissu pulmonaire sain.
Partant du constat que les cancers du poumon chez les non-fumeurs présentent une sur-proportion de mutations du récepteur EGFR, par rapport aux fumeurs, les auteurs ont concentré leurs analyses sur ce sous-type de cancer. Ayant collecté sur une décennie plus de 32 000 cas de cancer du poumon EGFR+, ils ont retrouvé une corrélation entre l’incidence de ces cancers et le taux de particules fines PM2.5 dans 4 cohortes au Royaume-Uni, Corée du Sud, Taïwan et Canada.

Les auteurs ont ensuite tenté de décortiquer les mécanismes expliquant cette plus forte incidence de cancers EGFR+ dans les zones polluées. Des modèles animaux murins exposés aux particules fines dans l’air ont révélé que ces polluants provoquent une infiltration de macrophages dans le tissu pulmonaire, et la libération d'interleukine-1β. Ce processus inflammatoire conduit les cellules épithéliales des alvéoles pulmonaires à régresser vers l’état de progéniteur, mais cet effet n’était observé que sur les cellules porteuses de mutations du gène EGFR. Dans cet état de progéniteur, les cellules ont une tendance à se multiplier, ce qui déclenche ainsi la tumorigenèse.

Afin d’identifier si une population cellulaire à risque préexiste au sein du poumon, une analyse génétique par « profilage mutationnel ultra-profond » a été mené sur des tissus pulmonaires histologiquement normaux de 295 individus, et a révélé la présence de mutations oncogènes du gène EGFR dans une très faible proportion de cellules, sur 18 % des échantillons. Cette observation apporte donc la preuve de cet état prédisposant dans un petit nombre de cellules dans un tissu d’apparence « sain ». Enfin, les auteurs ont exposé à des niveaux élevés de particules fines des souris mutées EGFR+ au niveau pulmonaire, et ont observé après 10 semaines un nombre accru de tumeurs pulmonaires pré-néoplasiques et malignes, apportant la preuve biologique de leur hypothèse.

Cette découverte confirme donc que les particules atmosphériques de type PM2.5 jouent un rôle dans la promotion tumorale, non pas par une action directement mutagène sur l’ADN mais via un mécanisme inflammatoire sur des cellules prédisposées. Ces résultats devraient inciter à des initiatives de politiques publique visant à lutter contre la pollution de l'air. 

D’un point de vue médical, il est intéressant de noter que 2 cibles thérapeutiques se dégagent de cette étude, le récepteur EGFR, cible moléculaire de plusieurs thérapies ciblées qui ont amélioré le pronostic de ces cancers, et une nouvelle cible, l’interleukine-1β, dont le blocage pourrait éviter le passage des cellules l’état pré-cancéreux.
Il faut souligner la force de ce type d’étude multidisciplinaire mêlant épidémiologie, études environnementales, toxicologie, immunologie, ainsi que biologie moléculaire et cellulaire. Ces résultats sont le fruit d’un programme international de recherche (le TRACERx Consortium) mené durant plus d’une décennie. 

 

Lung adenocarcinoma promotion by air pollutants.
W Hill, EL Lim, CE Weeden, …, TRACERx Consortium, C Swanton. Nature, 2023

 

Reviewer : Alexandre Matet ; thématiques : oncologie, santé publique