Les choristomes représentent entre 10 et 33 % des tumeurs conjonctivales de l'enfant. Ce sont des malformations congénitales bénignes constituées d'éléments tissulaires histologiquement matures normalement non présents dans l'organe concerné [1]. Cette malformation survient habituellement lors de la fermeture des fissures fœtales, ce qui explique leur localisation relativement semblable. On distingue les choristomes simples, constitués d'un seul type tissulaire, des choristomes complexes, constitués de plusieurs composants tissulaires. Les choristomes peuvent être uni- ou bilatéraux, uniques ou multiples.
Les choristomes les plus fréquents au niveau de la surface oculaire sont les dermoïdes du limbe et les dermolipomes. Ils peuvent apparaître isolément ou faire partie d'un syndrome malformatif congénital, en particulier le syndrome de Goldenhar, le syndrome de Franceschetti (ou syndrome de Treacher-Collins) et le nævus sébacé linéaire de Jadassohn (ou syndrome de Schimmelpenning-Feuerstein-Mims).
Dermoïdes du limbe
Les dermoïdes du limbe sont des choristomes simples constitués d'éléments cutanés (épiderme, poils, glandes sébacées). Ils se forment chez l'embryon entre la 5 e et 10 e semaine de gestation et sont dus à une transformation métaplasique du mésoblaste ou de reliquats lors de la fermeture des fissures fœtales. Ils se présentent comme une opacité surélevée en forme de dôme, ferme, blanc-jaunâtre, visible dès la naissance, et typiquement située à cheval sur le limbe, mais une localisation cornéenne, bulbaire ou caronculaire est possible. Dans l'étude de Nevares, 76 % sont situés en inférotemporal et 22 % en supérotemporal (fig. 10-1
Fig. 10-1a. Dermoïde du limbe et dermolipome. b. Dissection dans l'épaisseur cornéenne. c. Exérèse complète du dermoïde du limbe et du dermolipome. d. Pose d'une membrane amniotique pour la cicatrisation.
Leur taille est variable, de quelques millimètres à plus de 1 cm, ainsi que le retentissement fonctionnel (astigmatisme oblique aplatissant la cornée, amblyopie) et/ou esthétique.
Ils sont classés en trois grades [3] en tenant compte de la surface de cornée atteinte, de la forme et du volume ainsi que de l'atteinte conjonctivale. Les dermoïdes du limbe de grade 1 sont des lésions superficielles localisées au niveau du limbe et mesurant moins de 5 mm. Les dermoïdes du limbe de grade 2 représentent des lésions plus larges recouvrant la plupart de la cornée et avec une extension profonde au niveau du stroma, atteignant parfois jusqu'à la membrane de Descemet sans l'impliquer. Le grade 3 est le plus rare, avec des lésions très étendues de la cornée et pouvant atteindre jusqu'à l'épithélium pigmentaire de l'iris. Dans ce cas, toute la cornée peut être atteinte.
Les dermoïdes du limbe peuvent être associés à d'autres lésions oculaires (staphylomes scléraux, colobomes palpébraux, anomalies lacrymales, dysgénésies du segment antérieur, microphtalmie).
Chez l'enfant, la prise en charge est médico-chirurgicale. Elle a pour objectif une récupération fonctionnelle réfractive et une amélioration esthétique. La prise en charge médicale comporte la correction de l'astigmatisme induit et la rééducation de l'amblyopie. L'indication chirurgicale est discutée en fonction de la taille de la lésion, de l'importance de l'astigmatisme induit avec éventuelle amblyopie difficile à rééduquer, et en fonction de la gêne esthétique. Cette indication chirurgicale doit être discutée avec les parents en expliquant le risque potentiel de cicatrice.
Différentes techniques chirurgicales ont été décrites dans la littérature. Dans 50 à 68 % des cas, il est possible de se contenter d'une exérèse simple [4]. Mais, selon le grade de la lésion, une kératoplastie lamellaire ou transfixiante (fig. 10-2,
Fig. 10-2Dermoïde du limbe de petite taille avec dermolipome conjonctivo-orbitaire.
Fig. 10-4a-c. Aspects variés de tumeurs dermoïdes du limbe.Noter la présence possible de poils (a, b), et le relief variable de la lésion selon les cas.
), ou une reconstruction par greffe de membrane amniotique en mono- ou multicouches (fig. 10-5
Fig. 10-5Dermolipome localisé au limbe.
) [5 , 6] peuvent être nécessaires. Un bilan préopératoire par UBM ( ultrasound biomicroscopy ) est essentiel pour préciser la taille et la profondeur de la lésion, poser l'indication opératoire et choisir la technique chirurgicale. Certains cas extrêmes de grade 3, s'accompagnant de micro-ophtalmie, nécessitent une reconstruction du segment antérieur complexe, voire parfois une éviscération si le globe n'est pas fonctionnel.
Dermolipomes
Les dermolipomes sont constitués des mêmes éléments que les dermoïdes, mais avec une prédominance de tissu adipeux. Ils sont habituellement localisés au niveau du canthus latéral, à proximité de la glande lacrymale et du muscle droit latéral, et se présentent comme une masse molle, jaune pâle. L'exérèse chirurgicale, souvent pratiquée pour des raisons esthétiques, peut s'avérer délicate du fait des adhérences fréquentes aux tissus environnants, en particulier au muscle droit latéral et à la conjonctive.
Choristomes complexes
Les choristomes complexes sont constitués de plusieurs composants tissulaires (adipeux, cartilagineux, osseux, glande lacrymale, follicules pileux, muscle lisse, tissu nerveux). Ils sont souvent associés au nævus sébacé linéaire de Jadassohn (ou syndrome de Schimmelpenning-Feuerstein-Mims). La présentation clinique des choristomes complexes varie en fonction des tissus constituants (fig. 10-6
Fig. 10-6Dermolipome localisé au canthus latéral.
). La prise en charge chirurgicale des lésions volumineuses ou avec atteinte de l'axe visuel est complexe.
Syndromes associés
Syndrome de Goldenhar
Le syndrome auriculo-oculo-vertébral ou syndrome de Goldenhar est une anomalie de clivage au niveau du 1 er arc avec anomalie de migration des crêtes neurales. Il peut associer un dermoïde du limbe, un dermolipome, un colobome palpébral, des anomalies malformatives sévères du globe oculaire (microphtalmie, cryptophtalmie, etc.), des enchondromes prétragiens, des anomalies auriculaires et des anomalies vertébrales [7]. Il peut aussi s'agir d'un syndrome de Goldenhar plus quand des anomalies cardiaques ou pulmonaires sont associées.
Syndrome de Franceschetti ou de Treacher-Collins
Le syndrome de Franceschetti, ou Treacher-Collins pour les Anglo-Saxons, est de transmission autosomique dominante à expressivité variable [8]. Il se caractérise par une dysplasie otomandibulaire avec des fissures palpébrales antimongoloïdes, une hypoplasie malaire, une micrognathie, des anomalies de l'oreille et un colobome externe de la paupière inférieure. L'hypoplasie malaire et de la mandibule peut entraîner d'importantes difficultés respiratoires et d'alimentation.
Syndrome de Schimmelpenning-Feuerstein-Mims
Ce syndrome est aussi appelé nævus sébacé linéaire de Jadassohn ou organoid nevus syndrome de Solomon. Ce syndrome polymalformatif neurocutané est caractérisé par un nævus sébacé craniofacial avec des lignes cutanées de Blaschko et un retard mental [9 , 10]. Un ostéome choroïdien peut être associé de façon quasi pathognomonique. La mutation est une mutation en mosaïque des gènes NRAS , HRAS ou KRAS . Les dermoïdes ou choristomes complexes associés dans ce syndrome peuvent atteindre les tissus épiscléraux et cornéens. Une transformation maligne précoce du nævus sébacé est possible.
Bibliographie
[1]
Shields JA, Shields CL. Orbital cysts of childhood- -classification, clinical features, and management. Surv Ophthalmol 2004 ; 49(3) : 281-99.
Zhong J, Deng Y, Zhang P, et al. New grading system for limbal dermoid : a retrospective analysis of 261 cases over a 10-year period. Cornea 2018 ; 37(1) : 66-71.
[4]
Pirouzian A. Management of pediatric corneal limbal dermoids. Clin. Ophthalmol 2013 ; 7 : 607-14.
[5]
Burillon C, Duran L. Solid dermoids of the limbus and the cornea. Ophthalmologica 1997 ; 211 : 367-72.
D’Hermies F, Saragoussi JJ, Meyer A, et al. Dermoïde du limbe et syndrome de Goldenhar. J Fr Ophtalmol 2001 ; 24(8) : 893-6.
[8]
Shields JA, Shields CL, Eagle RC Jr, Arevalo F, De Potter P. Ophthalmic features of the organoid nevus syndrome. Trans Am Ophthalmol Soc 1996 ; 94 : 65-86.
[9]
Lena CP, Kondo RN, Nicolacópulos T. Do you know this syndrome ? Schimmelpenning-Feuerstein-Mims syndrome. An Bras Dermatol 2019 ; 94(2) : 227-9.
[10]
Katsanis SH, Jabs EW. Treacher Collins Syndrome. 2004. In : Adam MP, et al. (Eds). GeneReviews®. Seattle (WA) : University of Washington, Seattle ; 1993-2020.