Retour
Chapitre 11
Lésions inflammatoires ou dégénératives pouvant simuler une tumeur

D. Malaise, A. Matet, C. Levy-Gabriel

Introduction
La conjonctive peut être le siège de lésions inflammatoires ou dégénératives. Dans certains cas, ces lésions peuvent ressembler à une lésion tumorale. À l'inverse, des néoplasies de la surface oculaire peuvent mimer l'aspect de lésions non tumorales. Il est donc important de pouvoir les reconnaître. En cas de doute, une exérèse chirurgicale est réalisée selon les techniques recommandées pour les néoplasies de la surface oculaire et le diagnostic est affirmé par l'analyse histologique.
Pinguécula et ptérygion
Le ptérygion est une prolifération fibrovasculaire bénigne de la conjonctive, envahissant progressivement la cornée et favorisée par l'exposition répétée aux rayonnements ultraviolets, un environnement chaud et poussiéreux ou une irritation chronique de la surface oculaire. Un ptérygion peut provoquer une gêne esthétique, une irritation ou une sécheresse oculaire ainsi qu'un trouble visuel secondaire à un astigmatisme induit ou à l'envahissement de l'axe visuel.
Cliniquement, il a l'aspect d'une lésion fibrovasculaire localisée principalement sur la conjonctive bulbaire nasale, dans l'aire de la fente palpébrale et envahissant progressivement le limbe et la cornée (fig. 11-1
Fig. 11-1
Ptérygion.
et 11-2
Fig. 11-2
Ptérygion associé à de la mélanose ethnique.
). Il peut être bilatéral, asymétrique et le siège d'une inflammation périodique [1]. En histologie, on retrouve un stroma conjonctival épaissi et envahi par du tissu amorphe similaire à du collagène dégénéré.
Une pinguécula est une lésion dégénérative conjonctivale jaunâtre adjacente au limbe nasal ou temporal et qui n'envahit pas la cornée. Son origine et ses aspects histologiques sont similaires au ptérygion. En cas d'exérèse chirurgicale de la lésion, une autogreffe de conjonctive ou une greffe de membrane amniotique est souvent réalisée et parfois associée à une application d'agent antimitotique dans la zone d'exérèse (mitomycine ou 5-fluoro-uracile). Le risque de récidive est important [2]. Enfin, il convient de rester vigilant face aux présentations cliniques atypiques de ptérygion pouvant correspondre à une néoplasie de la surface oculaire. Dans ces cas, l'exérèse sous anesthésie locale avec (auto)greffe n'est pas recommandée.
Dépôts amyloïdes
La présence de dépôts amyloïdes au niveau conjonctival (de type AL, chaînes légères d'immunoglobulines) est une pathologie de l'adulte d'âge moyen, le plus souvent uniquement localisée à l'œil et occasionnellement associée à une amylose systémique de type AL (moins de 10 % des cas) [3-4-5]. Une exploration systémique exhaustive doit toujours être réalisée. Plus rarement, la présence de dépôts amyloïdes peut être secondaire à une inflammation locale chronique (trachome, chirurgie oculaire, maladie dysimmunitaire).
Cliniquement, les dépôts amyloïdes conjonctivaux correspondent à des masses conjonctivales de couleur jaune, crème ou rosée, localisées sous l'épithélium de la conjonctive palpébrale ou moins fréquemment bulbaire, uni- ou bilatérales et souvent vascularisées (fig. 11-3
Fig. 11-3
Dépôts amyloïdes sous-conjonctivaux.
). L'aspect peut mimer un lymphome conjonctival du MALT ( mucosa-associated lymphoid tissue ). Une infiltration des tissus palpébraux est souvent associée et ces lésions peuvent saigner spontanément [3 , 4]. En histologie, les dépôts amyloïdes sont caractérisés en coloration hématoxyline/éosine par la présence d'un matériel acellulaire homogène et légèrement éosinophile dans le derme. Ces dépôts ont une haute affinité pour la coloration rouge Congo et sont biréfringents en lumière polarisée. Le traitement consiste en l'exérèse chirurgicale des lésions importantes et symptomatiques, ce qui nécessite souvent une chirurgie large avec reconstruction conjonctivale, alors que l'épithélium conjonctival n'est pas atteint. Une cryothérapie peut être associée et des récidives sont possibles. Il n'y a pas de traitement curatif [3].
Kyste d'inclusion épithéliale
Un kyste d'inclusion épithéliale correspond à la présence, sous l'épithélium de la conjonctive, d'une lésion kystique de nature épithéliale, le plus souvent suite à la greffe de cellules épithéliales sous l'épithélium lors d'épisodes inflammatoires, d'un traumatisme ou d'une chirurgie oculaire.
À l'examen clinique, on observe une lésion kystique sous-épithéliale à la paroi fine et transparente, au contenu liquidien (fig. 11-4
Fig. 11-4
Kyste d'inclusion épithéliale.
). Des débris épithéliaux sont parfois présents dans la lumière du kyste, formant un aspect de pseudo-hypopion. Les kystes sont souvent asymptomatiques, mais les plus volumineux peuvent devenir gênants ou s'étendre vers l'orbite. Tant qu'ils sont asymptomatiques, ils peuvent être simplement observés et la lésion peut parfois régresser spontanément. En cas de lésion symptomatique ou de doute avec une lésion tumorale, une exérèse est recommandée. Une ponction du kyste est suivie de récidives [6 , 7].
Hyperplasie pseudo-carcinomateuse
L'hyperplasie pseudo-carcinomateuse, ou pseudo-épithéliomateuse, est une prolifération épithéliale bénigne inflammatoire et réactionnelle (contexte de ptérygion, pinguécula, conjonctivite chronique, d'ancien corps étranger), d'apparition récente et de croissance rapide. Elle est difficile à différencier d'une néoplasie épidermoïde de la conjonctive.
Cliniquement, on observe une masse en relief, parfois gélatineuse, avec une hyperkératose blanchâtre à sa surface [8]. En histologie, elle correspond à de l'acanthose, de l'hyperkératose et de la parakératose de l'épithélium conjonctival. Bien que des mitoses puissent être visualisées, il n'y a généralement pas d'atypies cellulaires [6]. Puisqu'elle est difficile à différencier d'une néoplasie, le traitement est le plus souvent une exérèse chirurgicale complète avec les mêmes précautions qu'en présence d'une néoplasie. Il n'y a pas de risque de transformation maligne d'une hyperplasie pseudo-épithéliomateuse.
Granulome pyogénique
Le granulome pyogénique représente environ 1 % des tumeurs de la conjonctive et est classé par certains auteurs parmi les tumeurs vasculaires bénignes de la conjonctive [7 , 9]. Sa terminologie exacte fait débat : la lésion n'étant de nature ni pyogénique ni granulomateuse, certains auteurs préfèrent utiliser le terme de « tissu de granulation exubérant de type granulome pyogénique » ou d'« hémangiome capillaire acquis de type granulome pyogénique ». Son origine est principalement réactionnelle, secondaire à une inflammation locale ou un traumatisme, chirurgical ou non. Un événement spécifique est donc fréquemment retrouvé : un chalazion, une plaie d'origine traumatique, une cicatrice de chirurgie oculaire pour chalazion, un strabisme, un ptérygion, une chirurgie rétinienne, une énucléation ou une blépharoplastie, ou des injections intravitréennes répétées d'anti-VEGF. Certains contextes peuvent favoriser sa survenue, notamment un syndrome sec, un trichiasis, le port de lentilles de contact, un trachome, des antécédents de brûlure oculaire chimique, l'utilisation répétée de collyres, ou une irradiation oculaire [7 , 9]. Dans de rares cas, un granulome pyogénique peut être d'origine primaire.
À l'examen clinique, on observe une masse tissulaire en relief, rosée, d'apparition récente et de croissance rapide, pédiculée et non indurée, implantée majoritairement sur la conjonctive bulbaire ou palpébrale, rarement sur la cornée, et fréquemment entourée d'un important appel vasculaire (fig. 11-5
Fig. 11-5
Granulome pyogénique limbique.
et 11-6
Fig. 11-6
Granulome pyogénique bulbaire chez un patient aux multiples antécédents de chirurgie de strabisme.
). Microscopiquement, la lésion est composée d'un tissu de granulation fibrovasculaire et prolifératif, avec lymphocytes, plasmocytes, neutrophiles et de nombreux vaisseaux de petit calibre. Un granulome pyogénique peut répondre à une corticothérapie topique, mais nécessite souvent une exérèse chirurgicale. L'équipe de Shields propose une exérèse en surface de la lésion, associée à une cautérisation et une cryoapplication [9]. Certains auteurs proposent un traitement par β-bloquants topiques [10]. Des lésions récidivantes nécessitent rarement une radiothérapie complémentaire, comme dans un cas ayant requis une curiethérapie à faible dose [11].
Bibliographie
[1]
Liu L, Wu J, Geng J, et al. Geographical prevalence and risk factors for pterygium : A systematic review and meta-analysis. BMJ Open 2013 ; 3(11) : e003787.
[2]
Frau E, Labétoulle M, Lautier-Frau M, et al. Corneo-conjunctival autograft transplantation for pterygium surgery. Acta Ophthalmol Scand 2004 ; 82(1) : 59-63.
[3]
Demirci H, Shields CL, Eagle RC, Shields JA. Conjunctival amyloidosis : report of six cases and review of the literature. Surv Ophthalmol 2006 ; 51(4) : 419-33.
[4]
Reynolds MM, Veverka KK, Gertz MA, et al. Ocular manifestations of systemic amyloidosis. Retina 2018 ; 38(7) : 1371-6.
[5]
Dammacco R, Merlini G, Lisch W, et al. Amyloidosis and ocular involvement : an overview. Semin Ophthalmol 2020 ; 35(1) : 7-26.
[6]
Shields CL, Shields JA. Tumors of the conjunctiva and cornea. Surv Ophthalmol 2004 ; 49(1) : 3-24.
[7]
Shields CL, Demirci H, Karatza E, Shields JA. Clinical survey of 1643 melanocytic and nonmelanocytic conjunctival tumors. Ophthalmology 2004 ; 111(9) : 1747-54.
[8]
Kaliki S, Maniar A, Jakati S, Mishra DK. Anterior segment optical coherence tomography features of pseudoepitheliomatous hyperplasia of the ocular surface : a study of 9 lesions. Int Ophthalmol 2021 ; 41(1) : 113-9.
[9]
Shields JA, Mashayekhi A, Kligman BE, et al. Vascular tumors of the conjunctiva in 140 cases. Ophthalmology 2011 ; 118(9) : 1747-53.
[10]
Demaria LN, Silverman NK, Shinder R. Ophthalmic pyogenic granulomas treated with topical timolol-clinical features of 17 cases. Ophthal Plast Reconstr Surg 2018 ; 34(6) : 579-82.
[11]
Gündüz K, Shields CL, Shields JA, Zhao DY. Plaque radiation therapy for recurrent conjunctival pyogenic granuloma. Arch Ophthalmol 1998 ; 116(4) : 538-9.