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Chapitre 9
Formulation et mise en forme des préparations ophtalmiques

M.-L. Brandely-Piat, M. Jobard, F. Chast

Contexte général de la préparation des formes ophtalmiques
Les formes ophtalmiques ont largement évolué pour faciliter l'administration et améliorer l'efficacité des traitements tout en diminuant le risque d'effets indésirables grâce notamment à la limitation de l'usage des conservateurs. Néanmoins, de nombreuses pistes d'innovation permettant d'améliorer la biodisponibilité des principes actifs au niveau des structures oculaires sont actuellement explorées.
Malgré le développement de spécialités pharmaceutiques par l'industrie, de nombreuses pathologies oculaires restent encore orphelines de traitement. La préparation de formes pharmaceutiques à l'hôpital peut permettre de répondre à ce besoin. En effet, de nombreuses pharmacies à usage intérieur préparent des formes ophtalmiques quand celles-ci ne sont pas disponibles ou que le médicament n'est pas commercialisé sous une forme adaptée à l'usage ophtalmique. Pour répondre à ce besoin, la connaissance des spécificités liées à la voie d'administration topique ou par injection dans les structures oculaires est indispensable.
Référentiels et textes réglementaires s'appliquant aux formes ophtalmiques
Les formes ophtalmiques sont décrites par la Pharmacopée européenne X e édition [1]. Plus particulièrement, la monographie portant sur les préparations ophtalmiques décrit les différentes formes pharmaceutiques et les méthodes de contrôle qui leur sont applicables. La monographie portant sur les préparations injectables s'applique dans le cas particulier des préparations destinées à être injectées dans l'œil.
Au niveau industriel, les bonnes pratiques de fabrication [ 2], et plus particulièrement la ligne directrice de préparation des médicaments stériles décrivent les conditions de fabrication des formes ophtalmiques. Les bonnes pratiques de préparation [3] constituent la déclinaison hospitalière de ce texte. Ce document référence, qui date de 2007, est, en 2022, en cours de révision; plus particulièrement, la ligne directrice relative à la préparation des médicaments stériles s'applique aux conditions de préparation au sein de la pharmacie à usage intérieur d'un établissement de santé.
Définition des préparations ophtalmiques et de leurs propriétés
Définition
Il s'agit de préparations liquides, semi-solides ou solides stériles destinées à être appliquées sur le globe oculaire et/ou les conjonctives, ou à être introduites dans le sac conjonctival [1]. La monographie de la Pharmacopée européenne définit les catégories suivantes : les collyres, les solutions pour usage ophtalmique, les poudres pour collyres et pour lavage ophtalmique, les préparations ophtalmiques semi-solides ainsi que les inserts ophtalmiques.
Les solutions intraoculaires destinées à l'administration dans l'œil, que ce soit par injection intravitréenne, sous-conjonctivale ou intracamérulaire, relèvent de la monographie des préparations injectables.
Voies d'administration
Plusieurs voies d'administration des médicaments dans l'œil sont possibles.
Voie locale ou topique
Cette voie est destinée à une action immédiate au niveau de la conjonctive et de la cornée. C'est la voie d'administration des formes collyres, pommades et inserts. Cette voie est la plus simple d'utilisation car peu invasive et utilisable par le patient lui-même. Mais elle présente le désavantage de ne permettre qu'un passage transcornéen limité des principes actifs. En effet, si les molécules liposolubles traversent bien l'épithélium cornéen, ce n'est pas le cas des molécules hydrosolubles. Néanmoins, celles-ci traversent plus facilement le stroma. Les molécules à la fois liposolubles et hydrosolubles (amphiphiles) sont celles les plus susceptibles de traverser la cornée et donc les mieux absorbées [ 4]. La principale cause de « perte de médicament» à l'occasion de l'administration topique est la diffusion dans la circulation sanguine. Cette diffusion est réalisée à travers les vaisseaux sanguins de la conjonctive, les capillaires épiscléraux, les vaisseaux intraoculaires et des muqueuses nasale et oropharyngée, après drainage par le système nasolacrymal. En raison de ces pertes de médicaments dans la circulation systémique, les médicaments administrés par voie topique ne pénètrent généralement pas à des concentrations utiles dans les structures oculaires postérieures et sont donc, le plus souvent, sans impact thérapeutique pour les maladies du segment postérieur.
Voie sous-conjonctivale pour une administration péri-oculaire
Les injections sous-conjonctivales offrent l'avantage pour certains médicaments, comme les antibiotiques de faible pénétration intraoculaire, d'offrir des concentrations locales élevées avec un minimum d'effets systémiques indésirables. Le traitement des ulcères infectieux de la cornée peut retirer un véritable avantage clinique à la voie sous-conjonctivale qui permet d'offrir dans la zone infectée une concentration élevée de principe actif. L'injection sous-conjonctivale consiste à faire passer l'aiguille entre la conjonctive antérieure et la capsule de Tenon.
Voie intraoculaire comprenant la voie intracamérulaire et intravitréenne
Ces deux dernières voies présentent l'avantage de délivrer le médicament au niveau des structures intraoculaires, mais sont invasives et peuvent être à l'origine d'effets indésirables comme des hémorragies ou des décollements de rétine [ 5] (fig. 9-1
Fig. 9-1
a. Coupe simplifiée de globe oculaire. b. Administration de molécules thérapeutiques dans l'œil : exemples de voies d'administration et de formes galéniques.
Source : Cyrille Martinet, d'après A. Bochot et al. [6].
).
Propriétés
Les points critiques de ces préparations sont les suivants : la qualité des matières premières, l'exigence de stérilité, la tolérance liée à la limpidité, le pH, l'isotonie, la viscosité et la tension superficielle, la stabilité, soit l'absence de précipitation et/ou de dégradation du ou des principes actifs.
Qualité des matières premières
La qualité des matières premières, substances actives comme excipients, revêt évidemment une importance capitale tant du point de vue de la qualité chimique (pureté, absence de contaminants) que de la qualité corpusculaire (microparticules, empoussièrement). Les spécifications d'une monographie de la Pharmacopée européenne, ou du formulaire national, voire d'une monographie interne, doivent être respectées et représentent des garanties qualitatives intangibles.
Stérilité
Les préparations ophtalmiques doivent être stériles et le demeurer pendant toute leur période d'utilisation. Cette exigence de stérilité nécessite la mise en œuvre de procédés de préparation spécifique ainsi que des contrôles associés qui s'assureront de l'efficacité des procédures choisies pour atteindre cet objectif. Les formes destinées à être injectées dans l'œil étant régies par la monographie des préparations injectables, l'exigence de stérilité s'applique également.
Tolérance oculaire
Absence de particules
Les formes ophtalmiques doivent être pratiquement exemptes de particules. En effet, la présence de particules peut être à l'origine d'un inconfort oculaire. Pour s'assurer de cette absence de particules, un mirage des conditionnements sera effectué. Cette étape, dont la mise en œuvre est décrite dans la Pharmacopée européenne et qui peut se faire manuellement ou automatiquement, permet de vérifier sur un conditionnement mis en rotation l'absence de particules. Celles-ci peuvent être d'origine variées : issues du procédé de préparation ou signe d'une instabilité physicochimique (phénomène de cristallisation ou de précipité).
Neutralité
Dans la mesure du possible, les formes ophtalmiques doivent présenter un pH proche de celui du liquide lacrymal, soit approximativement 7,4. Si le pH s'éloigne de cette valeur au-delà d'une trentaine de minutes, la tolérance oculaire sera moins bonne, ce qui peut être à l'origine de phénomènes tels qu'irritation et larmoiement réactionnel, et donc potentiellement nuire à l'observance. Néanmoins, compte tenu du pouvoir tampon des larmes, il est possible en pratique de s'éloigner de la neutralité, en particulier si le médicament est instable dans cette zone de pH. Les médicaments formulés dans une solution acide sont parfois plus stables que ceux qui sont dissous à pH neutre ou alcalin, en particulier lorsque le médicament est une base faible. L'utilisation d'un pH acide permet d'augmenter la protonation et d'éviter une dégradation rapide.
Isotonie
Les larmes ont la même osmolalité que le sang. Cependant, l'œil peut tolérer des osmolalités comprises entre 236 et 446 mOsm/kg. Il est donc possible de s'éloigner de l'osmolalité du liquide lacrymal mais, comme pour le pH, la tolérance en sera également affectée. La dissolution du principe actif dans un véhicule aqueux aboutit généralement à une formulation hypotonique (< 290 mOsm). C'est la raison pour laquelle il est possible de faire entrer dans la formule d'un collyre du chlorure de sodium, du glucose, ou un tampon pour ajuster l'osmolalité de la solution. Une solution de NaCl à 0,9 % possède une osmolalité de 309 mOsm, valeur cible recherchée. L'augmentation de la tonicité d'un collyre provoque une dilution immédiate par les mouvements de l'eau à partir des tissus oculaires.
Viscosité
La viscosité doit permettre un compromis entre la meilleure tolérance possible et un temps de résidence suffisant au niveau de la surface oculaire.
Stabilité
Aucun principe actif n'est indéfiniment stable en solution. La détermination de la stabilité du médicament est d'une importance majeure tant pour la mise sur le marché d'un médicament doté d'autorisation de mise sur le marché (AMM) que pour une préparation magistrale ou hospitalière réalisée dans un établissement de santé. Il est habituellement recommandé qu'au moins 90 % de la concentration théorique d'un médicament soit présente dans la forme pharmaceutique à l'issue de la durée de stabilité validée par l'industriel ou le pharmacien hospitalier. Dans certains cas, un médicament peut être fabriqué ou préparé avec une concentration équivalent à 110 % de la concentration indiquée sur l'étiquette, de sorte que 18 % du médicament peut se dégrader avant le minimum niveau acceptable. Tout flacon, une fois ouvert, expose son contenu à l'oxydation, et éventuellement à la lumière, à la chaleur et à une contamination microbienne. Les polypeptides, tels que les facteurs de croissance, qui intéressent aujourd'hui l'ophtalmologie, peuvent nécessiter un stockage alcalin. Dans l'œil, le pH normal est d'environ 7,4. Le pH des larmes peut rester altéré pendant plus de 30 minutes après l'ajout d'une solution fortement tamponnée. Un changement du pH des larmes peut provoquer une telle irritation et une telle stimulation du larmoiement que la pénétration du médicament en est diminuée. L'utilisation d'une faible concentration de tampon dans le véhicule du médicament peut permettre au système tampon oculaire de rétablir le pH normal du film lacrymal rapidement après l'instillation du médicament. Certaines formulations médicamenteuses ne sont pas stables en solution. Un problème de stabilité extrême est posé par l'acétylcholine, un médicament très utile lors de certaines interventions chirurgicales, telles que la cataracte, pour l'obtention d'un myosis rapide. Cet agent se dégrade en quelques minutes en solution. Par conséquent, un conditionnement innovant bicompartimental a été développé en utilisant une solution aqueuse stérile dans un compartiment et le médicament lyophilisé dans l'autre. Un piston déplace un bouchon entre les chambres, permettant le mélange juste avant utilisation. La détermination de la durée de stabilité va dépendre de la stabilité physicochimique du principe actif, de la formulation galénique (présence ou non de conservateurs) et du conditionnement, en particulier pour la stabilité microbiologique.
Formulation des préparations ophtalmiques
Formulation des collyres
L'objectif de la formulation galénique est d'apporter le principe actif à son lieu d'action. Dans le cas de solutions ophtalmiques, du fait du flux continu lacrymal, la majeure partie du liquide instillé est éliminée rapidement (2-3 minutes) par le canal lacrymal et seule une petite fraction pénètre dans l'œil [ 7]. Ainsi, pour prendre en charge certaines affections, des instillations répétées seront nécessaires ou l'utilisation d'une forme plus visqueuse comme une pommade ophtalmique ou un gel. Néanmoins, une pénétration même faible du principe actif peut être suffisante pour obtenir l'action thérapeutique. En outre, cette pénétration peut être augmentée si la cornée est lésée. Enfin, pour de nombreux principes actifs, seule une action de surface est attendue.
Formulation des préparations destinées à être injectées dans l'œil
Pour les préparations injectables, le choix de la voie d'injection permet d'apporter le principe actif à sa cible. Néanmoins, l'apport de principe actif au niveau de la rétine reste une gageure. En effet, l'humeur vitrée est un milieu hétérogène qui limite la diffusion du principe actif.
Optimisation de la formulation [8]
Choix du véhicule
Un véhicule ophtalmique est un agent autre que le principe actif médicament ou agent de conservation ajouté à une formulation pour fournir tonicité, tampon et viscosité appropriés afin de faciliter l'activité médicamenteuse. Le choix du solvant doit répondre à des critères galéniques et physiologiques. Concernant les critères galéniques, on peut citer le pouvoir solvant, la miscibilité à l'eau, la stabilité chimique. Les critères physiologiques prennent en compte la tolérance locale et générale. Parmi les solvants utilisés, on trouve les eaux purifiées (eau pour préparation injectable), les solutions isotoniques telles que le chlorure de sodium 0,9 % et le bicarbonate 4,2 %. En préparation hospitalière, le BSS® ainsi que les larmes artificielles peuvent être utilisés comme solvant pour leur compatibilité avec l'humeur aqueuse. Des solutions huileuses peuvent également être utilisées dans le cas de principes actifs insolubles dans l'eau : huile de ricin, huile de tournesol, huile de miglyol, huile de soja, etc. L'éventuel effet thérapeutique et/ou toxique de ces huiles doit être étudié. L'utilisation d'un ou de plusieurs polymères de haut poids moléculaire augmente la viscosité de la formulation, retardant le drainage du film lacrymal et permettant ainsi d'augmenter la biodisponibilité des médicaments. Les pommades assurent une rétention encore plus longue des médicaments à la surface cornéenne, mais gênent temporairement la vision.
Ajustement du pH
L'ajustement du pH vers la neutralité permet d'améliorer la tolérance et la biodisponibilité tissulaire; l'idéal consistant à ajuster le pH d'un collyre entre 7 et 7,5. À ce pH, une majorité de molécules médicamenteuses ont une faible polarité (la forme ionisée du médicament est très minoritaire, ce qui renforce sa capacité de traverser les barrières physiologiques). Néanmoins, la stabilité du principe actif (par exemple vancomycine instable à pH neutre ou alcalin) doit également être prise en compte lors de cette étape. Un milieu plus acide (pH < 7) améliore la stabilité de la solution médicamenteuse. Il est alors possible d'utiliser des solutions tampon comme la solution de bicarbonate de sodium 1,4 % pour augmenter le pH, ou un tampon phosphate ou acide borique/borate de sodium, ou encore acide citrique/citrate de sodium. Beaucoup de collyres antiglaucomateux utilisent cette propriété pour faciliter la pénétration du principe actif dans l'humeur aqueuse.
Ajustement de l'osmolarité
L'ajustement se fait le plus souvent avec du chlorure de sodium. Les mélanges de tampons (sels alcalins + acides correspondants) peuvent également être employés pour ajuster à la fois le pH et la pression osmotique. L'utilisation de tensioactifs permet d'augmenter l'osmolarité ainsi que d'augmenter la solubilité dans l'eau de principes actifs insuffisamment solubles. Les principaux tensioactifs utilisés sont les polysorbates ou l'huile de ricin polyoxyéthylénée (Cremophor®). Par ailleurs, ils sont susceptibles d'augmenter le passage transcornéen du principe actif en altérant le film lipidique qui protège la cornée.
Ajustement de la viscosité
Une viscosité plus élevée permet d'augmenter le temps de contact du principe actif avec la cornée et la conjonctive avant que les mécanismes de larmoiements et de drainage lacrymal n'éliminent le principe actif. Des solutions à base de dérivés de la cellulose (méthylcellulose, hydroxypropylméthylcellulose ou hydroxyéthylcellulose) ou de dérivés vinyliques comme l'alcool polyvinylique peuvent être utilisées pour augmenter la viscosité de la formulation. Elles sont utilisées à un faible pourcentage, de l'ordre de 1 à 3 % m/v. Ainsi, les véhicules des larmes artificielles peuvent être utilisés pour renforcer le pouvoir hydratant et lubrifiant du film lacrymal sur la cornée et la conjonctive, et prévenir la dessiccation des cellules épithéliales, ce qui accroît l'index thérapeutique des collyres, en particulier ceux dont le principe actif est absorbé dans la circulation sanguine, comme les β-bloquants.
Antioxydants
L'ajout de ce type d'excipients peut augmenter la stabilité des principes actifs dont le mécanisme de dégradation passe par une oxydation, ou quand un véhicule huileux oxydable est employé. Les anti-oxydants utilisés pour les collyres aqueux sont le métabisulfite de potassium ou l'acide ascorbique. L'EDTA, agent complexant, est largement utilisé pour diminuer l'effet catalytique des traces de métaux lourds présents dans la solution. En outre, l'EDTA concourrait à faciliter la pénétration transcornéenne des principes actifs. Néanmoins, l'utilisation chronique des formulations contenant de l'EDTA doit faire l'objet d'attention, car celui-ci peut être à l'origine de phénomènes d'irritation et d'accumulation au niveau des structures oculaires [9].
Conservateurs antimicrobiens
L'ajout de ce type d'excipients permet le maintien de la stérilité avant ouverture du flacon et prévient également la contamination microbiologique de la solution pendant la durée d'administration en cas de conditionnement multidoses. Le recours actuel à des conditionnements unidoses ou à des conditionnements multidoses avec maintien de la stérilité de la solution après ouverture du flacon par des systèmes mécaniques de filtration permet de s'affranchir dans la majorité des cas de la présence de conservateurs dont la toxicité cornéenne lors de l'administration chronique est bien connue [10-11-12]. Les collyres utilisés au cours d'interventions chirurgicales ne doivent pas contenir de conservateur antimicrobien [ 1]. Le principal conservateur antimicrobien utilisé est le chlorure de benzalkonium qui a l'avantage d'avoir un large spectre antibactérien et d'être efficace à faible dose dans une large plage de pH. Le chlorure de cétalkonium est également utilisé. Dans les deux cas, il s'agit d'ammoniums quaternaires possédant des propriétés tensio-actives. Le thiomersal, le phénylmercure, le parahydroxybenzoate de méthyle peuvent également être utilisés et sont présents dans un certain nombre de spécialités, même s'ils sont de moins en moins employés.
Autres excipients
Cyclodextrines
Les cyclodextrines sont des oligosaccharides cycliques caractérisés par une surface externe hydrophile de six à huit unités de glucose et une structure interne lipophile incorporant des médicaments liposolubles en leur centre [ 13]. En solution, les cyclodextrines permettent la formation de complexes avec des molécules lipophiles et augmentent la solubilité de ces molécules grâce à leur couche externe hydrophile. Cette complexation accroît la stabilité de diverses substances actives. En outre, les cyclodextrines augmentent la perméabilité de la cornée en déstabilisant sa structure épithéliale. Enfin, elles sont bien tolérées; c'est le cas notamment de la 2-hydroxypropyl-β-cyclodextrine (fig. 9-2
Fig. 9-2
Structure moléculaire de la 2-hydroxypropyl-β-cyclodextrine.
) présente dans plusieurs collyres commercialisés comme l'Indocollyre® 0,1 %.
Liposomes
Les liposomes sont des vecteurs colloïdaux de type vésiculaire à base de phospholipides dont le diamètre est inférieur au micromètre (fig. 9-3
Fig. 9-3
Structure du liposome.
Source : Cyrille Martinet.
). Ils sont biodégradables et biocompatibles, et peuvent être injectés car déformables. Les liposomes, qui baignent dans un milieu extérieur aqueux, sont constitués d'une bicouche (le plus souvent) phospholipidique, séparant le compartiment intérieur, également aqueux. Les liposomes peuvent retenir plusieurs types de composés, soit hydrosolubles (encapsulés dans la phase aqueuse), soit liposolubles ou amphiphiles (enserrés dans la bicouche lipidique). Le recours à des formes liposomales présente de nombreux avantages : la protection de molécules fragiles vis-à-vis de l'environnement, l'augmentation de leur demi-vie, la diminution de leur toxicité oculaire. Par ailleurs, les liposomes présentent une bonne tolérance intraoculaire au moins en cas d'injection unique [6], ce qui présente un grand intérêt pour la formulation de médicaments destinés à la voie intravitréenne. Aucun collyre commercialisé n'est disponible sous forme liposomale. En revanche, certaines pharmacies hospitalières préparent un collyre d'amphotéricine B liposomale, mieux toléré que les formes micellaires contenant du désoxycholate de sodium, mal toléré par les tissus de l'œil [ 14].
Éléments concernant la préparation des formes ophtalmiques
Une des propriétés cardinales de la préparation des formes ophtalmiques est liée à l'exigence de stérilité. Cette notion impose des obligations particulières en vue de réduire au minimum les risques de contamination microbienne, particulaire et pyrogène dans le cas des solutions injectables, mais aussi des collyres. Ce point va conditionner les locaux, équipements et techniques à mettre en œuvre pour leur production.
Locaux et équipements
La fabrication des médicaments stériles s'effectue dans des zones à atmosphère contrôlée dont le niveau de propreté est adapté aux opérations s'y déroulant. Pour cela, ces zones sont alimentées en air filtré et font l'objet d'une surveillance appropriée.
Pour diminuer le risque de contamination microbienne, il est possible de recourir à l'isotechnie, c'est-à-dire à l'utilisation d'isolateurs pour la fabrication de ces médicaments. Les isolateurs constituent des environnements clos et stériles. Ils disposent de systèmes de transfert qui peuvent être des portes simples, des doubles portes ou des systèmes entièrement hermétiques intégrant des techniques de stérilisation qui permettent de stériliser tout objet entrant dans l'isolateur. Quel que soit le système choisi, il doit faire l'objet d'une validation appropriée.
Étapes de préparation des formes ophtalmiques liquides
Les principales opérations sont la dissolution du principe actif et des excipients, la filtration de la solution et le remplissage des conditionnements. La technique de référence pour l'obtention de la stérilité est la stérilisation par la chaleur humide à l'autoclave du médicament dans son conditionnement final. Néanmoins, seuls les principes stables à la chaleur peuvent subir cette opération. Dans le cas des principes actifs thermosensibles, la préparation repose sur la répartition aseptique et la filtration stérilisante à l'aide de matériels stériles.
Assurance qualité
La production des formes ophtalmiques doit se faire dans le respect des bonnes pratiques de fabrication pour l'industrie pharmaceutique et les bonnes pratiques de préparation pour les pharmacies des établissements de santé. La qualité est assurée par le respect de méthodes validées et de procédures respectées qui s'appliquent tout au long de la chaîne de fabrication.
Conditionnement des formes ophtalmiques
Conditionnement des collyres
Le conditionnement des formes ophtalmiques a largement évolué ces dernières années. La mise à disposition de conditionnements multidoses permettant le maintien de la stérilité pendant l'utilisation ou de formes monodoses a permis de s'affranchir de la présence de conservateurs pour nombre de spécialités. Dans tous les cas, le conditionnement choisi doit permettre une administration aisée puisque, dans la majorité des cas, c'est le malade lui-même ou un membre de son entourage qui va administrer le collyre.
Formes multidoses avec ou sans conservateur
Les formes multidoses se présentent en flacons de formes variées de contenance allant de 2 ou 3 ml à une dizaine de millilitres. En fonction des caractéristiques du principe actif, notamment du risque d'interaction contenant-contenu, on peut utiliser du verre de qualité pharmaceutique ou du plastique comme le polyéthylène basse densité. Le dispositif d'administration est en matière plastique (essentiellement polyéthylène) et doit être prévu pour distribuer de manière reproductible des gouttes calibrées entre 30 et 50 μl. L'insert compte-goutte doit également être choisi selon la viscosité de la solution à distribuer. Ces dernières années, plusieurs sociétés ont proposé des flacons permettant un maintien de la stérilité de la solution pendant la durée d'administration du collyre. Différents procédés ont été développés, reposant sur l'intégration au flacon d'une membrane filtrante qui permet d'assurer une filtration stérilisante en sortie de flacon et d'éviter l'entrée d'air non stérile de l'extérieur en fin d'administration. On peut citer le système ABAK® et les flacons Novelia® qui assurent une filtration de l'air entrant en fin d'administration. Outre l'absence de conservateur, ces nouveaux conditionnements présentent également des avantages en termes de maniabilité et d'acceptabilité par les patients, et influent donc positivement sur l'observance [ 15].
Formes monodoses
Les unidoses sont plus particulièrement intéressantes pour les formes visqueuses ou les gels. Ce sont de petites ampoules en matière plastique, généralement du polyéthylène, dont la contenance est comprise entre 0,3 et 1 ml. Elles sont conçues pour une administration unique quand elles ne contiennent pas de conservateur.
Conditionnement des formes destinées à être injectées dans l'œil
Les préparations ophtalmiques destinées à être injectées dans les structures oculaires sont présentées sous forme de flacon dans lequel l'ophtalmologiste va venir prélever la quantité nécessaire à l'injection, ou directement en seringues. Dans ce dernier cas, les seringues sont soit en verre de qualité pharmaceutique, soit en polypropylène.
Dans le cas des préparations faites à l'hôpital, les médicaments sont conditionnés en flacon de verre de qualité pharmaceutique ou en seringue plastique (polyéthylène ou polypropylène). Un sur-remplissage est généralement prévu afin de permettre au praticien de purger l'aiguille d'injection avant administration.
En 2021, la société Becton Dickinson a alerté ses utilisateurs contre l'utilisation de ses seringues pour l'usage intraoculaire. Le risque mis en avant serait lié à la présence de silicone qui joue le rôle de lubrifiant pour permettre le déplacement du piston dans le corps de la seringue. Néanmoins, la Société française d'ophtalmologie (SFO) a rappelé à cette occasion que, malgré l'usage de ce type de seringues depuis de nombreuses années, la littérature n'a jamais rapporté la présence de corps flottants symptomatiques, même si ce risque théorique existe [16].
De la même façon, les aiguilles utilisées lors de l'injection contiennent un lubrifiant siliconé. Les experts de la SFO ont mis en avant que la présence de microparticules de silicone dans la cavité vitréenne était connue pour être bien tolérée et que l'étape de purge préalable de l'aiguille par la solution médicamenteuse avant l'injection contribuait à éliminer largement ce risque [16].
Contrôles des formes ophtalmiques
Contrôle de la qualité
Que ce soit en milieu industriel ou en milieu hospitalier, toute préparation pharmaceutique préparée dans le cadre d'un lot de fabrication doit faire l'objet d'un contrôle qui permet de valider (ou non) la libération du lot en vue de son usage clinique.
Les différents contrôles effectués doivent être représentatifs de l'ensemble du lot et sont donc effectués sur un échantillon de taille adaptée. Leur réalisation permet de s'assurer de la conformité de la préparation aux exigences réglementaires de stérilité et de tolérance, mais aussi du respect des spécifications retenues par le fabricant. Ils comprennent les contrôles des matières premières utilisées, des articles de conditionnement, du procédé de préparation et du produit fini. L'ensemble de ces données figure dans le dossier de lot de la préparation.
Contrôles physicochimiques
Essai de teneur
La teneur en principe actif est mesurée à l'aide d'une méthode analytique adaptée et validée. On peut citer la spectrophotométrie, l'électrophorèse capillaire, ou la chromatographie liquide haute performance.
Mesure du pH
Le pH des solutions est classiquement mesuré par potentiométrie.
Mesure de l'osmolarité
L'osmolarité est habituellement obtenue par la mesure de l'abaissement du point de congélation.
Recherche de particules visibles et invisibles
La pureté particulaire est une qualité recherchée pour les préparations ophtalmiques. Pour les collyres, seule la recherche des particules visibles est exigée par la pharmacopée. Elle s'effectue par évaluation visuelle à l'aide d'un poste d'observation qui possède un panneau noir et un panneau blanc anti-éblouissant ainsi qu'une rampe d'éclairage calibré. Un opérateur procède à l'inspection visuelle de chaque récipient et de son contenu pendant 5 secondes environ sur chacun des panneaux. Il existe également des systèmes automatisés qui permettent de standardiser cette procédure. Dans le cas des préparations destinées à être injectées dans l'œil, la contamination particulaire non visible doit également être contrôlée. La méthode la plus utilisée repose sur le comptage des particules par blocage de la lumière. Ces équipements fonctionnent sur le principe de l'interception d'un rayon lumineux qui va déterminer automatiquement la taille et le nombre des particules. La taille des particules recherchées est comprise entre 10 et 25 μm.
Recherche des endotoxines bactériennes
Cet essai s'applique aux préparations parentérales et ne concerne donc que les préparations ophtalmiques destinées à être injectées dans l'œil. Il est destiné à la détection ou la quantification des endotoxines produites par des bactéries à Gram négatif au moyen d'un lysat d'amœbocytes de limules selon différentes techniques : gélification, turbidimétrie ou colorimétrie.
Contrôles microbiologiques
Les contrôles microbiologiques permettent de s'assurer que le médicament préparé est effectivement stérile. Ces contrôles comprennent ceux réalisés sur l'environnement de préparation du médicament et sur le médicament préparé lui-même.
Les contrôles de l'environnement de préparation comprennent des recherches de contamination aérienne ainsi que des prélèvements de surface dans les zones à atmosphère contrôlée dans lesquelles sont effectuées les différentes étapes de la préparation des médicaments.
Le contrôle réalisé sur le médicament préparé est l'essai de stérilité. Cette procédure est décrite dans la Pharmacopée européenne et doit être réalisée sur un échantillon représentatif de chaque lot produit. Cet essai doit tenir compte de la présence éventuelle d'un conservateur antimicrobien dans la formulation ainsi que des éventuelles propriétés antimicrobiennes du ou des principes actifs (collyres antibiotiques, antifongiques, etc.). Il peut être réalisé par ensemencement direct du milieu de culture par la préparation à examiner ou par filtration sur membrane. Dans ce dernier cas, après filtration de la préparation sur une membrane de porosité inférieure ou égale à 0,45 μm, celle-ci est placée dans le milieu de culture et incubée pendant, au minimum, 14 jours.
Autres formes destinées à la voie ophtalmique
Solutions de lavage ophtalmique
Ces solutions aqueuses stériles sont destinées au rinçage ou au lavage des yeux. Elles ne se distinguent des collyres que par leur volume plus important, avec une limite de 200 ml. Elles peuvent être conditionnées en récipient multidose, auquel cas elles contiennent un conservateur antimicrobien, ou en récipient unidose sans conservateur, notamment quand elles sont utilisées au cours d'interventions chirurgicales. Leur formulation, leur préparation et leurs contrôles sont similaires à ceux des collyres.
Poudres pour collyres et poudres pour solution pour lavage ophtalmique
Ce sont des préparations sèches solides stériles à dissoudre ou disperser dans un liquide approprié au moment de l'administration. Cette technique peut permettre de résoudre les problèmes liés à l'instabilité fréquente de certains principes actifs en solution. Après dissolution ou mise en suspension, la préparation doit satisfaire aux exigences concernant les collyres ou les solutions pour lavage ophtalmique.
Préparations ophtalmiques semi-solides
Ces préparations se présentent sous forme de pommades, de crèmes ou de gels stériles destinés à être appliqués sur les conjonctives ou les paupières. Elles contiennent un ou plusieurs principes actifs dissous ou dispersés dans un excipient approprié. Elles peuvent être conditionnées sous forme multidose dans de petits tubes collabables contenant au maximum 10 g de préparation avec éventuellement une canule pour faciliter l'administration, ou en récipient unidose.
Pommades
Ce sont essentiellement des pommades hydrophobes constituées de mélanges de vaseline et d'huile de paraffine dans lesquelles sont incorporés des principes actifs liposolubles. Elles répondent aux mêmes principes de formulation et de fabrication que les pommades à usage cutané, avec en plus une exigence de stérilité. L'objectif principal est d'augmenter le temps de présence oculaire du principe actif. Cependant, les pommades présentent l'inconvénient de ne pas être transparentes et donc de gêner la vision. Par ailleurs, elles peuvent être difficiles à administrer.
Crèmes
Les crèmes sont des préparations composées d'une phase lipophile et d'une phase hydrophile. Ce sont des émulsions H/L (eau dans huile) ou L/H (huile dans eau) selon la solubilité du principe actif qui y est incorporé.
Gels
Les gels sont obtenus pas gélification d'un liquide à l'aide d'un agent épaississant. Un de leur principal avantage par rapport aux pommades et crèmes ophtalmiques est le fait qu'ils soient transparents. Pour la voie ophtalmique, on utilise des gels à base hydrophile appelés hydrogels. Un récent développement dans les systèmes d'administration de médicaments oculaires est l'utilisation de grosses molécules qui présentent des transitions de phase réversibles permettant à une goutte aqueuse déposée à la surface de l'œil de se gélifier de manière réversible au contact du film lacrymal précornéen. Ainsi, le maléate de timolol sous forme de gel (Geltim®) permet de n'administrer qu'une seule dose quotidienne et il est aussi efficace pour abaisser la pression intraoculaire que l'instillation biquotidienne de la solution.
Inserts ophtalmiques
Les inserts ophtalmiques sont des préparations solides ou semi-solides stériles d'une taille et d'une forme appropriées, destinées à être insérées dans le sac conjonctival en vue d'une action sur l'œil. Ils sont destinés à libérer la substance active pendant une durée déterminée et ainsi éviter les instillations répétées. De nombreux principes actifs sont candidats à une mise en forme pharmaceutique permettant une libération au long cours : anti-infectieux, corticoïdes, anti-VEGF, etc. Néanmoins, leur tolérance souvent médiocre (sensation de corps étranger) en limite l'utilisation.
Conclusion
Les préparations ophtalmiques constituent un domaine extrêmement innovant dans la recherche galénique car les besoins sont nombreux et en évolution. Il existe aussi des difficultés importantes liées à la spécificité de cette voie et à la fragilité des tissus oculaires. Que ce soit au niveau industriel ou hospitalier, les pistes de recherche et d'innovation sont nombreuses.
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Les références peuvent être consultées en ligne à l’adresse suivante : http://www.em-consulte.com/e-complement/477020.
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