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Chapitre 12
Formulations destinées au segment postérieur

F. Sauvage, A. Bochot

L'essentiel
  • Les maladies de la rétine sont les causes les plus fréquentes de baisse visuelle dans les pays industrialisés et le développement de thérapies administrées localement dans la cavité vitréenne a révolutionné la prise en charge d'une partie de ces maladies, incurables jusqu'alors.
  • Optimiser les injections intravitréennes en ciblant davantage les cellules atteintes, en réduisant les doses administrées et en prolongeant la durée d'activité des médicaments est le défi à relever.
  • Cibler les tissus du segment postérieur par d'autres voies moins invasives ou plus ciblées, avec des systèmes à libération prolongée ou de produits de thérapie génique, est en cours d'exploration.
  • Le ciblage des médicaments dans le segment postérieur reste un enjeu majeur de l'ophtalmologie.
Introduction
L'injection intravitréenne (IVT) est devenue un mode d'administration courant dans la prise en charge de nombreuses pathologies rétiniennes et plus particulièrement maculaires ou infectieuses. Contrairement aux voies péri-oculaires, la voie intravitréenne permet d'administrer, d'un geste rapide, des substances actives (SA) directement dans le segment postérieur de l'œil tout en réduisant de façon importante les effets secondaires systémiques et les pertes liées au franchissement de barrières (épisclère, sclère, choroïde et membrane de Bruch) pour atteindre la rétine [1].
En France, les médicaments injectés dans le vitré disposant d'une autorisation de mise sur le marché (AMM) ou d'une prescription compassionnelle sont peu nombreux. Ce sont très majoritairement des anti-VEGF (protéines en solution) indiqués dans le traitement de la dégénérescence maculaire liée à l'âge (DMLA) exsudative, de la rétinopathie diabétique ou des occlusions vasculaires rétiniennes : ranibizumab (Lucentis®), aflibercept (Eylea®), bévacizumab sous prescription compassionnelle (Avastin®), brolucizumab (Beovu®) et faricimab, actuellement en phase III. L'ocriplasmine (Jetrea®) est, quant à elle, indiquée chez l'adulte pour le traitement de la traction vitréomaculaire. Des médicaments hors AMM comme les antibiotiques, les antifongiques, les antiviraux, mais aussi les immunosuppresseurs sont plus rarement utilisés. Toutes les spécialités injectables ne sont pas adaptées aux IVT. C'est la raison pour laquelle les excipients présents dans la formulation doivent être évalués avec attention. Par exemple, les médicaments injectés en intraoculaire ne doivent pas contenir de conservateurs antimicrobiens [ 2]. Au début des années 2000, le Kenacort® retard, initialement développé pour des indications en rhumatologie et dermatologie, a été largement employé hors AMM en IVT. Des toxicités rétiniennes liées à la présence d'alcool benzylique dans la formulation ont été rapportées chez l'animal et en clinique [3 , 4]. Aux États-Unis, deux formulations sans conservateur contenant de l'acétonide de triamcinolone (Trivaris® et Triesence®) disposent d'une AMM pour une utilisation intraoculaire. Ces formulations sont des suspensions. Une fois injectées, les particules d'acétonide de triamcinolone ont tendance à sédimenter dans le vitré. Leur dissolution progressive assure une libération plus longue et donc une demi-vie dans le vitré plus élevée qu'après l'injection de molécules déjà en solution. La surface des particules et la forme cristalline de la SA jouent un rôle majeur sur la cinétique de dissolution et donc sur la durée d'action.
Après leur injection, les SA sont rapidement éliminées de l'œil. Cela nécessite de répéter les administrations et se traduit, pour le patient, par des visites répétées chez l'ophtalmologiste et un certain inconfort. Même s'ils sont rares, des risques graves de type endophtalmie, décollement de la rétine, uvéites antérieure et postérieure, hypertonie oculaire, hémorragie intraoculaire et hypotonie existent après une IVT [ 5 , 6].
Différentes approches galéniques ont été ou sont actuellement développées pour améliorer la prise en charge des patients et rendre les traitements plus efficaces. Elles visent à libérer les SA dans le segment postérieur de façon prolongée et/ou à cibler des tissus/cellules spécifiques.
Les défis à relever pour développer des systèmes répondant à ces objectifs sont nombreux et complexes :
  • limiter le nombre des administrations;
  • être facilement administrable et peu invasif;
  • avoir des dimensions adaptées aux contraintes du site d'administration ou d'implantation;
  • ne pas occasionner de gêne visuelle;
  • présenter d'excellentes tolérance et sécurité;
  • libérer la SA à des concentrations thérapeutiques sur une longue période;
  • augmenter l'index thérapeutique en ciblant les tissus/cellules à traiter;
  • pouvoir arrêter le traitement en cas d'intolérance, d'effets indésirables ou de toxicité;
  • être applicable à des molécules thérapeutiques variées (chimiques et biologiques);
  • être facilement industrialisable;
  • être stérilisable sans dégrader la SA, ni modifier les fonctionnalités du système.
Dans ce chapitre, différents systèmes implantés ou administrés dans le vitré (implants biodégradables ou non, microsphères, production in situ de protéines thérapeutiques et nanomédicaments) seront présentés ainsi que leurs avantages et limites.
Approches visant à prolonger la libération des substances actives
Implants
Les implants sont des préparations solides stériles, de taille et de forme appropriées au site d'implantation [2]. Fixés à la sclère ou injectés dans le vitré à l'aide d'un applicateur, ils assurent la libération de la ou des substance(s) active(s) sur une durée de 6 à 36 mois en fonction du ou des polymère(s) – biodégradable(s) ou non – les constituants (tableau 12-1
Tableau 12-1
Exemples d'implants biodégradables et non biodégradables commercialisés ou en essais cliniques [8–11].
ImplantDescriptionDurée d'action
Ozurdex®
Système matriciel biodégradable
AMM en France
Avec applicateur (22 G) pour IVT
700 μg de dexaméthasone
Bâtonnet d'acide poly-lactique-coglycolique (PGLA) (Ø = 0,46 mm, 6 mm)
Jusqu'à 6 mois
[Dexaméthasone] max vitréenne 2 mois après injection chez le singe
Passage plasmatique < 0,05 ng/ml
Iluvien®
Système réservoir non biodégradable
AMM en France
Avec applicateur et aiguille 25 G pour IVT
190 μg d'acétonide de fluocinolone
Tube en polyimide (≈ 3,5 mm × 0,37 mm) rempli d'une matrice d'alcool polyvinylique fermée à une extrémité par du silicone adhésif
Présence d'une membrane d'alcool polyvinylique à l'autre extrémité pour la diffusion
3 ans
Libération de 0,2 μg/jour
Passage plasmatique < 100 pg/ml
Retisert®
Système réservoir non biodégradable
Pas d'AMM en France
Implantation chirurgicale et suture dans la sclère
590 μg d'acétonide de fluocinolone
Comprimé (3 mm × 2 mm × 5 mm Ø = 1,5 mm) à base de cellulose microcristalline et de stéarate de magnésium
Membrane de diffusion en alcool polyvinylique
2,5 ans
Libération de 0,6 μg/jour le 1 er mois puis 0,3-0,4 μg/jour
Yutiq®
Système réservoir non biodégradable
Pas d'AMM en France
Avec applicateur pour IVT
180 μg d'acétonide de fluocinolone
Tube de polyimide 3,5 mm × 0,37 mm rempli d'alcool polyvinylique contenant la substance active
Membrane d'alcool polyvinylique pour la diffusion
Silicone
3 ans
Libération de 0,25 μg/jour
Port delivery system®
Système réservoir non biodégradable
Essai clinique de phase 3
Implantation chirurgicale et suture dans la sclère
Dispositif rechargeable en polysulfone de la taille d'un grain de riz rempli avec 0,1 ml d'une solution de ranibizumab à 100 mg/ml
Diffusion au travers d'une membrane semi-perméable en titane
4 à 6 mois
Technologie d'encapsulation cellulaire
Système réservoir non biodégradable
Début des essais cliniques de phase 3
Implantation chirurgicale et suture dans la sclère
Production de protéines thérapeutiques comme le facteur neurotrophique ciliaire par des cellules génétiquement modifiées en suspension dans un compartiment recouvert d'une membrane
Entrée des nutriments par une membrane semi-perméable qui laisse passer les protéines sécrétées par les cellules
2 ans
). Une fois libérée, la diffusion de la molécule dans le vitré et sa distribution dans les tissus sont similaires à celle d'une molécule injectée en solution.
La mise sur le marché du premier implant intraoculaire médicamenteux date des années 1990. Il s'agit du Vitrasert®, un implant non biodégradable renfermant du ganciclovir pour le traitement des rétinites à cytomégalovirus [ 7]. Retiré du marché en 2002, il a fallu attendre 2010 pour voir la commercialisation en France d'un implant biodégradable, Ozurdex®, puis plus récemment d'un implant non biodégradable, Iluvien®. Aux États-Unis, deux autres implants possèdent une AMM : Retisert® et Yutiq®. Tous contiennent des glucocorticoïdes (dexaméthasone ou acétonide de fluocinolone) destinés au traitement des uvéites ou des œdèmes maculaires (voir tableau 12-1
Tableau 12-1
Exemples d'implants biodégradables et non biodégradables commercialisés ou en essais cliniques [8–11].
ImplantDescriptionDurée d'action
Ozurdex®
Système matriciel biodégradable
AMM en France
Avec applicateur (22 G) pour IVT
700 μg de dexaméthasone
Bâtonnet d'acide poly-lactique-coglycolique (PGLA) (Ø = 0,46 mm, 6 mm)
Jusqu'à 6 mois
[Dexaméthasone] max vitréenne 2 mois après injection chez le singe
Passage plasmatique < 0,05 ng/ml
Iluvien®
Système réservoir non biodégradable
AMM en France
Avec applicateur et aiguille 25 G pour IVT
190 μg d'acétonide de fluocinolone
Tube en polyimide (≈ 3,5 mm × 0,37 mm) rempli d'une matrice d'alcool polyvinylique fermée à une extrémité par du silicone adhésif
Présence d'une membrane d'alcool polyvinylique à l'autre extrémité pour la diffusion
3 ans
Libération de 0,2 μg/jour
Passage plasmatique < 100 pg/ml
Retisert®
Système réservoir non biodégradable
Pas d'AMM en France
Implantation chirurgicale et suture dans la sclère
590 μg d'acétonide de fluocinolone
Comprimé (3 mm × 2 mm × 5 mm Ø = 1,5 mm) à base de cellulose microcristalline et de stéarate de magnésium
Membrane de diffusion en alcool polyvinylique
2,5 ans
Libération de 0,6 μg/jour le 1 er mois puis 0,3-0,4 μg/jour
Yutiq®
Système réservoir non biodégradable
Pas d'AMM en France
Avec applicateur pour IVT
180 μg d'acétonide de fluocinolone
Tube de polyimide 3,5 mm × 0,37 mm rempli d'alcool polyvinylique contenant la substance active
Membrane d'alcool polyvinylique pour la diffusion
Silicone
3 ans
Libération de 0,25 μg/jour
Port delivery system®
Système réservoir non biodégradable
Essai clinique de phase 3
Implantation chirurgicale et suture dans la sclère
Dispositif rechargeable en polysulfone de la taille d'un grain de riz rempli avec 0,1 ml d'une solution de ranibizumab à 100 mg/ml
Diffusion au travers d'une membrane semi-perméable en titane
4 à 6 mois
Technologie d'encapsulation cellulaire
Système réservoir non biodégradable
Début des essais cliniques de phase 3
Implantation chirurgicale et suture dans la sclère
Production de protéines thérapeutiques comme le facteur neurotrophique ciliaire par des cellules génétiquement modifiées en suspension dans un compartiment recouvert d'une membrane
Entrée des nutriments par une membrane semi-perméable qui laisse passer les protéines sécrétées par les cellules
2 ans
) [8 , 9].
Il existe deux types d'implants : les réservoirs et les matrices (voir tableau 12-1
Tableau 12-1
Exemples d'implants biodégradables et non biodégradables commercialisés ou en essais cliniques [8–11].
ImplantDescriptionDurée d'action
Ozurdex®
Système matriciel biodégradable
AMM en France
Avec applicateur (22 G) pour IVT
700 μg de dexaméthasone
Bâtonnet d'acide poly-lactique-coglycolique (PGLA) (Ø = 0,46 mm, 6 mm)
Jusqu'à 6 mois
[Dexaméthasone] max vitréenne 2 mois après injection chez le singe
Passage plasmatique < 0,05 ng/ml
Iluvien®
Système réservoir non biodégradable
AMM en France
Avec applicateur et aiguille 25 G pour IVT
190 μg d'acétonide de fluocinolone
Tube en polyimide (≈ 3,5 mm × 0,37 mm) rempli d'une matrice d'alcool polyvinylique fermée à une extrémité par du silicone adhésif
Présence d'une membrane d'alcool polyvinylique à l'autre extrémité pour la diffusion
3 ans
Libération de 0,2 μg/jour
Passage plasmatique < 100 pg/ml
Retisert®
Système réservoir non biodégradable
Pas d'AMM en France
Implantation chirurgicale et suture dans la sclère
590 μg d'acétonide de fluocinolone
Comprimé (3 mm × 2 mm × 5 mm Ø = 1,5 mm) à base de cellulose microcristalline et de stéarate de magnésium
Membrane de diffusion en alcool polyvinylique
2,5 ans
Libération de 0,6 μg/jour le 1 er mois puis 0,3-0,4 μg/jour
Yutiq®
Système réservoir non biodégradable
Pas d'AMM en France
Avec applicateur pour IVT
180 μg d'acétonide de fluocinolone
Tube de polyimide 3,5 mm × 0,37 mm rempli d'alcool polyvinylique contenant la substance active
Membrane d'alcool polyvinylique pour la diffusion
Silicone
3 ans
Libération de 0,25 μg/jour
Port delivery system®
Système réservoir non biodégradable
Essai clinique de phase 3
Implantation chirurgicale et suture dans la sclère
Dispositif rechargeable en polysulfone de la taille d'un grain de riz rempli avec 0,1 ml d'une solution de ranibizumab à 100 mg/ml
Diffusion au travers d'une membrane semi-perméable en titane
4 à 6 mois
Technologie d'encapsulation cellulaire
Système réservoir non biodégradable
Début des essais cliniques de phase 3
Implantation chirurgicale et suture dans la sclère
Production de protéines thérapeutiques comme le facteur neurotrophique ciliaire par des cellules génétiquement modifiées en suspension dans un compartiment recouvert d'une membrane
Entrée des nutriments par une membrane semi-perméable qui laisse passer les protéines sécrétées par les cellules
2 ans
). Les implants de type réservoir possèdent à leur surface une membrane semi-perméable qui contrôle la libération de la SA. Une fois l'implant injecté ou implanté, l'eau de l'humeur vitrée pénètre au travers de la membrane, puis au cœur (réservoir) du dispositif (comprimé ou matrice de polymère), dissout la molécule active qui traverse alors la membrane pour ensuite diffuser dans l'humeur vitrée. Tant que la concentration de la SA dans le réservoir est en équilibre constant avec la surface externe de la membrane, la cinétique de diffusion est constante et dite d'ordre zéro. Les caractéristiques de la membrane (surface, épaisseur et propriétés physicochimiques) contrôlent en grande partie la diffusion de la SA. Les cinétiques de libération sont bien contrôlées et peuvent atteindre plusieurs années. L'inconvénient majeur de ces implants est qu'ils sont fabriqués avec des polymères non biodégradables et doivent donc être explantés (Retisert®) ou laissés dans le vitré (Iluvien®, Yutiq®) lorsque le réservoir s'est vidé [ 9 , 12-13-14].
Injectés à l'aide d'un applicateur muni d'une aiguille, les implants de type matriciel (Ozurdex®, mais aussi le Brimonidine Drug Delivery System ® actuellement en phase 2), sont fabriqués avec des polymères biodégradables (voir tableau 12-1
Tableau 12-1
Exemples d'implants biodégradables et non biodégradables commercialisés ou en essais cliniques [8–11].
ImplantDescriptionDurée d'action
Ozurdex®
Système matriciel biodégradable
AMM en France
Avec applicateur (22 G) pour IVT
700 μg de dexaméthasone
Bâtonnet d'acide poly-lactique-coglycolique (PGLA) (Ø = 0,46 mm, 6 mm)
Jusqu'à 6 mois
[Dexaméthasone] max vitréenne 2 mois après injection chez le singe
Passage plasmatique < 0,05 ng/ml
Iluvien®
Système réservoir non biodégradable
AMM en France
Avec applicateur et aiguille 25 G pour IVT
190 μg d'acétonide de fluocinolone
Tube en polyimide (≈ 3,5 mm × 0,37 mm) rempli d'une matrice d'alcool polyvinylique fermée à une extrémité par du silicone adhésif
Présence d'une membrane d'alcool polyvinylique à l'autre extrémité pour la diffusion
3 ans
Libération de 0,2 μg/jour
Passage plasmatique < 100 pg/ml
Retisert®
Système réservoir non biodégradable
Pas d'AMM en France
Implantation chirurgicale et suture dans la sclère
590 μg d'acétonide de fluocinolone
Comprimé (3 mm × 2 mm × 5 mm Ø = 1,5 mm) à base de cellulose microcristalline et de stéarate de magnésium
Membrane de diffusion en alcool polyvinylique
2,5 ans
Libération de 0,6 μg/jour le 1 er mois puis 0,3-0,4 μg/jour
Yutiq®
Système réservoir non biodégradable
Pas d'AMM en France
Avec applicateur pour IVT
180 μg d'acétonide de fluocinolone
Tube de polyimide 3,5 mm × 0,37 mm rempli d'alcool polyvinylique contenant la substance active
Membrane d'alcool polyvinylique pour la diffusion
Silicone
3 ans
Libération de 0,25 μg/jour
Port delivery system®
Système réservoir non biodégradable
Essai clinique de phase 3
Implantation chirurgicale et suture dans la sclère
Dispositif rechargeable en polysulfone de la taille d'un grain de riz rempli avec 0,1 ml d'une solution de ranibizumab à 100 mg/ml
Diffusion au travers d'une membrane semi-perméable en titane
4 à 6 mois
Technologie d'encapsulation cellulaire
Système réservoir non biodégradable
Début des essais cliniques de phase 3
Implantation chirurgicale et suture dans la sclère
Production de protéines thérapeutiques comme le facteur neurotrophique ciliaire par des cellules génétiquement modifiées en suspension dans un compartiment recouvert d'une membrane
Entrée des nutriments par une membrane semi-perméable qui laisse passer les protéines sécrétées par les cellules
2 ans
). Ils présentent donc l'avantage de ne pas requérir de retrait à la fin de la libération, améliorant ainsi le confort des patients. Dans ces systèmes, la SA est dissoute ou dispersée de façon homogène dans un polymère ou copolymère constituant la matrice (fig. 12-1
Fig. 12-1
Libération d'une substance active à partir d'une matrice biodégradable.
Source : Cyrille Martinet.
). Celle-ci peut avoir des formes différentes. Une fois dissoute, la SA diffuse au sein de la matrice avant d'être libérée. La cinétique de libération n'est pas d'ordre zéro et dépend de la concentration en SA dans le système, de son affinité pour le polymère ou copolymère et des caractéristiques physicochimiques de ces derniers [ 9 , 14 , 15]. La libération est caractéristique d'un mécanisme de dissolution-diffusion pour lequel la vitesse de libération diminue avec le temps. Plus la concentration initiale de la SA est élevée dans la matrice, plus sa libération est importante. La libération dépend également de la surface et de l'épaisseur de l'implant. Une libération immédiate, appelée par les Anglo-Saxons « burst release» , est très souvent observée juste après l'administration. Cela se traduit par un relargage rapide de la SA localisée à la surface de la matrice qui est suivi d'une phase où la libération est prolongée et bien contrôlée. Enfin, la dégradation du polymère/copolymère participe également à la libération de la SA. Plus celle-ci est rapide, plus elle contribue à la libération de la molécule [9 , 12 , 14 , 15].
Les polymères biodégradables et biocompatibles les plus étudiés en ophtalmologie sont les copolymères de l'acide lactique-co-glycolique (PLGA), les acides polylactiques, les polyanhydrides et les polyorthoesters [ 1 , 9 , 13]. Les cinétiques de libération sont, au maximum, de quelques mois et moins bien maîtrisées que celles obtenues avec des implants non biodégradables (voir tableau 12-1
Tableau 12-1
Exemples d'implants biodégradables et non biodégradables commercialisés ou en essais cliniques [8–11].
ImplantDescriptionDurée d'action
Ozurdex®
Système matriciel biodégradable
AMM en France
Avec applicateur (22 G) pour IVT
700 μg de dexaméthasone
Bâtonnet d'acide poly-lactique-coglycolique (PGLA) (Ø = 0,46 mm, 6 mm)
Jusqu'à 6 mois
[Dexaméthasone] max vitréenne 2 mois après injection chez le singe
Passage plasmatique < 0,05 ng/ml
Iluvien®
Système réservoir non biodégradable
AMM en France
Avec applicateur et aiguille 25 G pour IVT
190 μg d'acétonide de fluocinolone
Tube en polyimide (≈ 3,5 mm × 0,37 mm) rempli d'une matrice d'alcool polyvinylique fermée à une extrémité par du silicone adhésif
Présence d'une membrane d'alcool polyvinylique à l'autre extrémité pour la diffusion
3 ans
Libération de 0,2 μg/jour
Passage plasmatique < 100 pg/ml
Retisert®
Système réservoir non biodégradable
Pas d'AMM en France
Implantation chirurgicale et suture dans la sclère
590 μg d'acétonide de fluocinolone
Comprimé (3 mm × 2 mm × 5 mm Ø = 1,5 mm) à base de cellulose microcristalline et de stéarate de magnésium
Membrane de diffusion en alcool polyvinylique
2,5 ans
Libération de 0,6 μg/jour le 1 er mois puis 0,3-0,4 μg/jour
Yutiq®
Système réservoir non biodégradable
Pas d'AMM en France
Avec applicateur pour IVT
180 μg d'acétonide de fluocinolone
Tube de polyimide 3,5 mm × 0,37 mm rempli d'alcool polyvinylique contenant la substance active
Membrane d'alcool polyvinylique pour la diffusion
Silicone
3 ans
Libération de 0,25 μg/jour
Port delivery system®
Système réservoir non biodégradable
Essai clinique de phase 3
Implantation chirurgicale et suture dans la sclère
Dispositif rechargeable en polysulfone de la taille d'un grain de riz rempli avec 0,1 ml d'une solution de ranibizumab à 100 mg/ml
Diffusion au travers d'une membrane semi-perméable en titane
4 à 6 mois
Technologie d'encapsulation cellulaire
Système réservoir non biodégradable
Début des essais cliniques de phase 3
Implantation chirurgicale et suture dans la sclère
Production de protéines thérapeutiques comme le facteur neurotrophique ciliaire par des cellules génétiquement modifiées en suspension dans un compartiment recouvert d'une membrane
Entrée des nutriments par une membrane semi-perméable qui laisse passer les protéines sécrétées par les cellules
2 ans
).
Le développement d'un implant est complexe, long et coûteux. En ophtalmologie, les dimensions des implants ne sont que de quelques millimètres pour ne pas gêner la vision. Cela limite fortement la concentration de charge, notamment des macromolécules, et influe donc sur leur cinétique et leur durée de libération. Par ailleurs, les méthodes de fabrication et de stérilisation des implants peuvent être délétères pour les molécules d'origine biologique particulièrement fragiles, ce qui explique, en partie, pourquoi seuls des implants intraoculaires contenant des molécules non biologiques sont actuellement commercialisées en ophtalmologie. Concernant le choix du polymère, des aspects toxicologiques, physicochimiques et réglementaires doivent être pris en compte [1 , 9 , 16 , 17]. Les matériaux constituant les implants doivent être biocompatibles, ne pas contenir d'impuretés (solvants), ni de résidus (monomères) provenant de leur fabrication, car la toxicité résulte souvent de la libération de ces substances en infimes quantités. Si le polymère est biodégradable, les produits de dégradation doivent également faire l'objet d'études approfondies apportant la preuve de leur absence de toxicité et de leur innocuité vis-à-vis de la molécule active. Les PLGA se dégradent progressivement en acide lactique et acide glycolique par simple hydrolyse, ce qui peut induire une dénaturation des SA par acidification locale du milieu ainsi qu'une réponse inflammatoire [ 1 , 9 , 16 , 17].
De nombreux polymères ayant montré des résultats prometteurs lors des études précliniques ne sont pas arrivés en clinique. L'affinité de la SA pour le polymère joue un rôle sur sa concentration de charge et le contrôle de sa libération. Enfin, le comportement physique et les propriétés mécaniques du polymère sont également pris en compte, car un échec d'implantation peut provenir d'une faible résistance mécanique du système.
À la différence des implants intraoculaires présents sur le marché, les implants actuellement en essais cliniques visent majoritairement à libérer des substances biologiques ou à les produire in situ.
Un implant rechargeable appelé Port Delivery System ® est développé par la société Genentech pour réduire le nombre d'injections de ranibizumab dans la DMLA exsudative (voir tableau 12-1
Tableau 12-1
Exemples d'implants biodégradables et non biodégradables commercialisés ou en essais cliniques [8–11].
ImplantDescriptionDurée d'action
Ozurdex®
Système matriciel biodégradable
AMM en France
Avec applicateur (22 G) pour IVT
700 μg de dexaméthasone
Bâtonnet d'acide poly-lactique-coglycolique (PGLA) (Ø = 0,46 mm, 6 mm)
Jusqu'à 6 mois
[Dexaméthasone] max vitréenne 2 mois après injection chez le singe
Passage plasmatique < 0,05 ng/ml
Iluvien®
Système réservoir non biodégradable
AMM en France
Avec applicateur et aiguille 25 G pour IVT
190 μg d'acétonide de fluocinolone
Tube en polyimide (≈ 3,5 mm × 0,37 mm) rempli d'une matrice d'alcool polyvinylique fermée à une extrémité par du silicone adhésif
Présence d'une membrane d'alcool polyvinylique à l'autre extrémité pour la diffusion
3 ans
Libération de 0,2 μg/jour
Passage plasmatique < 100 pg/ml
Retisert®
Système réservoir non biodégradable
Pas d'AMM en France
Implantation chirurgicale et suture dans la sclère
590 μg d'acétonide de fluocinolone
Comprimé (3 mm × 2 mm × 5 mm Ø = 1,5 mm) à base de cellulose microcristalline et de stéarate de magnésium
Membrane de diffusion en alcool polyvinylique
2,5 ans
Libération de 0,6 μg/jour le 1 er mois puis 0,3-0,4 μg/jour
Yutiq®
Système réservoir non biodégradable
Pas d'AMM en France
Avec applicateur pour IVT
180 μg d'acétonide de fluocinolone
Tube de polyimide 3,5 mm × 0,37 mm rempli d'alcool polyvinylique contenant la substance active
Membrane d'alcool polyvinylique pour la diffusion
Silicone
3 ans
Libération de 0,25 μg/jour
Port delivery system®
Système réservoir non biodégradable
Essai clinique de phase 3
Implantation chirurgicale et suture dans la sclère
Dispositif rechargeable en polysulfone de la taille d'un grain de riz rempli avec 0,1 ml d'une solution de ranibizumab à 100 mg/ml
Diffusion au travers d'une membrane semi-perméable en titane
4 à 6 mois
Technologie d'encapsulation cellulaire
Système réservoir non biodégradable
Début des essais cliniques de phase 3
Implantation chirurgicale et suture dans la sclère
Production de protéines thérapeutiques comme le facteur neurotrophique ciliaire par des cellules génétiquement modifiées en suspension dans un compartiment recouvert d'une membrane
Entrée des nutriments par une membrane semi-perméable qui laisse passer les protéines sécrétées par les cellules
2 ans
). Inséré dans le vitré et maintenu à l'aide d'une collerette à plat sur la sclère, il contient 0,1 ml de ranibizumab (100 mg/ml). Ce système réservoir libère le ranibizumab au travers d'une membrane semi-perméable en titane sur une durée de 6 mois avant de pouvoir être facilement rechargé par une simple injection au travers d'un septum. Ce dispositif est flexible quant aux substances actives pouvant être délivrées et la dose administrée peut facilement être modulée. Il pourrait donc être utilisé pour traiter d'autres pathologies chroniques. Le fait que la SA soit injectée dans le dispositif une fois celui-ci mis en place évite de nombreuses contraintes industrielles [11 , 18]. Toutefois, des effets indésirables sérieux ont été décrits et leur incidence semble supérieure à celle des IVT. De plus, le relargage en continu du ranibizumab pourrait exposer au risque d'accoutumance, voire favoriser la synthèse d'anticorps anti-ranibizumab, comme cela a pu être observé lors de l'administration répétée d'anti-VEGF.
Un implant de dernière génération (technologie d'encapsulation cellulaire) est développé par Neurotech Pharmaceuticals depuis de nombreuses années (voir tableau 12-1
Tableau 12-1
Exemples d'implants biodégradables et non biodégradables commercialisés ou en essais cliniques [8–11].
ImplantDescriptionDurée d'action
Ozurdex®
Système matriciel biodégradable
AMM en France
Avec applicateur (22 G) pour IVT
700 μg de dexaméthasone
Bâtonnet d'acide poly-lactique-coglycolique (PGLA) (Ø = 0,46 mm, 6 mm)
Jusqu'à 6 mois
[Dexaméthasone] max vitréenne 2 mois après injection chez le singe
Passage plasmatique < 0,05 ng/ml
Iluvien®
Système réservoir non biodégradable
AMM en France
Avec applicateur et aiguille 25 G pour IVT
190 μg d'acétonide de fluocinolone
Tube en polyimide (≈ 3,5 mm × 0,37 mm) rempli d'une matrice d'alcool polyvinylique fermée à une extrémité par du silicone adhésif
Présence d'une membrane d'alcool polyvinylique à l'autre extrémité pour la diffusion
3 ans
Libération de 0,2 μg/jour
Passage plasmatique < 100 pg/ml
Retisert®
Système réservoir non biodégradable
Pas d'AMM en France
Implantation chirurgicale et suture dans la sclère
590 μg d'acétonide de fluocinolone
Comprimé (3 mm × 2 mm × 5 mm Ø = 1,5 mm) à base de cellulose microcristalline et de stéarate de magnésium
Membrane de diffusion en alcool polyvinylique
2,5 ans
Libération de 0,6 μg/jour le 1 er mois puis 0,3-0,4 μg/jour
Yutiq®
Système réservoir non biodégradable
Pas d'AMM en France
Avec applicateur pour IVT
180 μg d'acétonide de fluocinolone
Tube de polyimide 3,5 mm × 0,37 mm rempli d'alcool polyvinylique contenant la substance active
Membrane d'alcool polyvinylique pour la diffusion
Silicone
3 ans
Libération de 0,25 μg/jour
Port delivery system®
Système réservoir non biodégradable
Essai clinique de phase 3
Implantation chirurgicale et suture dans la sclère
Dispositif rechargeable en polysulfone de la taille d'un grain de riz rempli avec 0,1 ml d'une solution de ranibizumab à 100 mg/ml
Diffusion au travers d'une membrane semi-perméable en titane
4 à 6 mois
Technologie d'encapsulation cellulaire
Système réservoir non biodégradable
Début des essais cliniques de phase 3
Implantation chirurgicale et suture dans la sclère
Production de protéines thérapeutiques comme le facteur neurotrophique ciliaire par des cellules génétiquement modifiées en suspension dans un compartiment recouvert d'une membrane
Entrée des nutriments par une membrane semi-perméable qui laisse passer les protéines sécrétées par les cellules
2 ans
). Il renferme des cellules génétiquement modifiées (lignée cellulaire de l'épithélium pigmentaire rétinien) emprisonnées dans un support physique ( scaffold ) inclus dans un réservoir. Une membrane semi-perméable assure à la fois l'entrée des nutriments nécessaires à la survie des cellules et la libération pendant au moins 2 ans des protéines thérapeutiques produites localement à l'intérieur du dispositif. Polyvalent, ce concept offre la perspective de pouvoir traiter toute une série de maladies oculaires (rétinite pigmentaire et DMLA par exemple) [9].
Microsphères
Les microsphères (MS) sont des particules sphériques, pleines (système matriciel) d'une taille pouvant aller de quelques micromètres à plusieurs centaines de micromètres, constituées d'un réseau continu de polymère le plus souvent biodégradable (gélatine, albumine, polyorthoesters, polyanhydrides, polyesters). De nombreuses études ont été conduites pour l'IVT de MS encapsulant des petites molécules (corticoïdes, anti-inflammatoires non stéroïdiens, sunitinib, etc.), mais aussi des peptides et protéines (anti-VEGF, facteur neurotrophique dérivé des cellules gliales, érythropoïétine, métalloprotéases matricielles, etc.) [ 19 , 20]. Les études in vivo réalisées sur différents modèles animaux rapportent des libérations entre 1 semaine et 4 mois [19]. Chez 9 patients souffrant d'œdème maculaire diabétique, l'IVT de MS contenant 1 mg d'acétonide de triamcinolone conduit à des résultats comparables à ceux d'une injection de 4 mg d'acétonide de triamcinolone en suspension après 1 et 3 mois [21]. S'il existe depuis plus de 30 ans des MS sur le marché pour le traitement du cancer de la prostate et plus récemment de la schizophrénie et de l'acromégalie, il n'y a pas, à ce jour, de MS ayant passé le cap des essais cliniques en ophtalmologie.
Production in situ de protéines thérapeutiques sans dispositif implanté
Une autre stratégie consiste à produire in situ des protéines thérapeutiques sans avoir recours à un dispositif implanté. EyeCET® est une plateforme innovante de thérapie génique non virale issue de la société franco-américaine Eyevensys. Cette technologie utilise l'électroporation pour administrer des plasmides d'ADN codant pour des protéines thérapeutiques dans le muscle ciliaire. Les cellules transfectées produisent alors en continu la protéine d'intérêt thérapeutique qui est capable d'atteindre la rétine et la choroïde. L'œil devient sa propre usine de production de protéines thérapeutiques. Cette approche apporte de nombreuses solutions à l'administration prolongée des protéines : technologie simple, peu invasive et bien tolérée, pas d'administrations répétées, large éventail de protéines pouvant être produites et donc d'indications thérapeutiques. La sécrétion simultanée de différentes protéines est également envisagée. La sécurité du dispositif médical développé a été démontrée. Des essais cliniques sont en cours pour le traitement de l'uvéite chronique non infectieuse, et d'autres vont être initiés pour la DMLA humide et la rétinite pigmentaire [22-23-24].
Approches visant à prolonger la libération des substances actives et/ou à modifier leur distribution tissulaire/cellulaire : les nanomédicaments
Généralités sur les nanomédicaments
Les nanomédicaments, aussi appelés nanovecteurs, sont des systèmes ayant une taille d'une dizaine à quelques centaines de nanomètres, permettant de transporter une SA dans l'organisme et dont l'objectif est d'en permettre la délivrance ciblée au tissu ou à la cellule malade [25]. Actuellement, plus d'une vingtaine de spécialités existent sous la forme de nanomédicaments, le plus souvent destinées à la cancérologie [26 , 27]. Récemment, des nanovecteurs lipidiques ont été commercialisés pour administrer des petits ARN interférents pour le traitement de l'amylose héréditaire à transthyrétine (Onpattro©), ou pour la vaccination par ARNm contre la Covid-19.
Les nanovecteurs peuvent être constitués de lipides, de polymères, de composés inorganiques ou encore d'hybrides organiques-inorganiques [ 25 , 27]. Il existe une multitude de systèmes décrits dans la littérature, mais les plus étudiés en ophtalmologie sont les nano-émulsions, les liposomes (vésicules le plus souvent constituées de lipides tels que des phospholipides formant des bicouches concentriques plus ou moins nombreuses séparant des espaces aqueux) et les nanoparticules de type nanosphères (système matriciel) à base de polymère ou de lipides (fig. 12-2
Fig. 12-2
Représentation des nanovecteurs Nanovecteur(s) Nanomédicament(s) les plus étudiés en ophtalmologie.
La substance active (SA) est représentée en violet.
Source : Cyrille Martinet.
).
Potentiel des nanomédicaments injectés dans le vitré
Le potentiel des nanovecteurs en ophtalmologie a tout d'abord été évalué pour le traitement d'affections superficielles par instillation [ 28]. Des liposomes (dispositif médical pour le traitement de l'œil sec, Vyséo®), des nano-émulsions cationiques (Cationorm®, Ikervis®) et des nanosphères (Eysuvis®) sont sur le marché. La vertéporfine est une molécule très peu soluble dans l'eau mais soluble dans les phospholipides de la bicouche de liposomes, ce qui rend possible son administration par voie intraveineuse (Visudyne®). Les travaux portant sur l'utilisation des nanovecteurs pour l'administration intravitréenne de molécules actives a démarré dans les années 1990 [8 , 28]. À ce jour, quelques nanomédicaments (liposomes, nanoparticules d'albumine et nanoparticules inorganiques) ont fait ou font l'objet d'études cliniques pour le traitement du mélanome intraoculaire, des rétinites pigmentaires ou à cytomégalovirus et de l'œdème maculaire. Même si ces nanomédicaments présentent un intérêt potentiel, ces études n'ont pas encore abouti à la commercialisation de ces systèmes.
Par leur petite taille, les nanomédicaments sont très facilement injectables. Chez l'homme, après l'IVT de liposomes, des petites opacités blanches ont été rapportées ainsi qu'une zone trouble pouvant gêner la vision pendant 2 semaines [ 29]. En raison de leur aptitude à diffuser la lumière, il est probable que ce phénomène s'observe avec les autres nanovecteurs.
Il est possible d'encapsuler à l'intérieur de ces systèmes des molécules hydrophiles, lipophiles et amphiphiles, chimiques ou biologiques. En fonction des caractéristiques physicochimiques de la SA, il est nécessaire de bien choisir le vecteur et d'adapter sa formulation pour optimiser la quantité encapsulée. En effet, celle-ci peut s'avérer insuffisante ou nécessiter des quantités de lipides ou de polymères trop importantes. Tout comme pour les implants biodégradables et les microsphères, la question de l'innocuité des produits de dégradation des nanosphères à base de polymères dans l'humeur vitrée doit être prise en compte. Bien que les nanoparticules soient diluées à l'échelle du vitré, la toxicité des polymères peut varier à l'échelle nanométrique, notamment par leurs interactions avec les cellules. Ainsi, des études de nanotoxicologie doivent être systématiquement menées lors du développement de nanomédicaments.
Encapsulées dans le vecteur, les molécules thérapeutiques sont isolées de l'humeur vitrée, ce qui est particulièrement intéressant pour les molécules fragiles telles que les peptides, protéines et acides nucléiques. Vingt-quatre heures après l'IVT de liposomes contenant le peptide intestinal vasoactif, la quantité de peptide intact dans les liquides oculaires est 15 fois plus élevée qu'après son injection en solution saline, démontrant le rôle protecteur des liposomes [ 30 , 31]. Une réduction significative de la toxicité locale de certaines molécules est rapportée lorsqu'elles sont encapsulées. Cela est dû à la diminution du nombre de molécules sous forme libre se trouvant au contact direct des tissus [30].
L'un des intérêts majeurs des nanomédicaments réside dans le fait que le devenir de la molécule encapsulée ne dépend plus de ses caractéristiques physicochimiques, mais de celles du vecteur auquel elle est associée [28]. Il devient alors possible de modifier la distribution tissulaire voire cellulaire de la molécule. Si le temps de résidence des SA dans le vitré est le plus souvent prolongé par rapport à celui des molécules sous forme libre, leur libération dépend de la stabilité du vecteur dans les milieux biologiques (vitré, cellules), de la concentration de charge et de la capacité du vecteur de jouer ou non un rôle de réservoir [8]. Les caractéristiques du vecteur (taille, nature et charge de surface) doivent être adaptées à l'effet recherché [8].
Si une libération prolongée est souhaitée, une persistance du nanovecteur dans le vitré est nécessaire. Pour cela, il faut sélectionner des particules de taille supérieure à 500 nm qui sont piégées dans les mailles du réseau de collagène vitréen (550–1000 nm) et ainsi immobilisées [ 8 , 32 , 33]. La charge électrique nette de l'humeur vitrée étant négative, les nanovecteurs chargés positivement s'agrègent après injection en interagissant avec le collagène et les glycosaminoglycanes vitréens, formant un dépôt qui se comporte comme un réservoir. Ces phénomènes d'agrégation peuvent gêner la vision. Ce type de vecteur doit alors être injecté hors de l'axe visuel, ce qui peut s'avérer compliqué à réaliser dans la pratique.
Si une modification de la distribution de la SA est recherchée, la mobilité des nanovecteurs et leur aptitude à franchir les barrières (vitré, membrane limitante interne [MLI]) sont nécessaires [8 , 32 , 33]. Les particules doivent avoir une surface hydrophile (chaînes de polyéthylèneglycol ou d'acide hyaluronique), être chargées négativement (diffusion dans le vitré) et avoir un diamètre d'environ 100 à 200 nm (diffusion dans le vitré et franchissement de la MLI) [32 , 33]. Toutefois, réduire la taille des nanovecteurs diminue la concentration de charge en SA, ce qui impacte la dose pouvant être administrée. Ces nanovecteurs sont retrouvés dans les cellules gliales de Müller et celles de l'épithélium pigmentaire, ce qui augmente localement la concentration en SA. Pour cibler un type cellulaire particulier, des ligands (anticorps, petites molécules ou aptamères, etc.) peuvent être greffés à la surface des nanovecteurs.
Limites des nanomédicaments
Bien que les nanomédicaments soient prometteurs en ophtalmologie, certains verrous demeurent. La quantité des molécules encapsulées (concentration de charge) est souvent un frein important au développement de ces systèmes. Les méthodes d'encapsulation peuvent requérir l'usage de solvants ou des conditions de fabrication qui peuvent dénaturer les molécules fragiles. En outre, la complexité de certains nanovecteurs peut entraver la transposition industrielle et ralentir voire empêcher leur progression en direction d'essais cliniques ou leur commercialisation.
Les durées de libération des molécules à partir des nanovecteurs sont plus courtes que celles obtenues avec des implants ou des microsphères en raison d'une surface d'échange plus importante avec l'humeur vitrée.
Même quand la molécule est déjà commercialisée, un nanovecteur est considéré comme une nouvelle entité, ce qui implique de nouvelles études cliniques complètes (toxicité, efficacité, pharmacocinétique), ce qui allonge considérablement les temps de développement [34].
Des études de nanotoxicologie permettant de connaître l'impact des nanovecteurs sur les structures oculaires après administration sont également nécessaires et permettraient d'optimiser le développement de nouveaux nanomédicaments. Pour les études précliniques, il existe un réel besoin de développer des modèles pathologiques plus proches de la réalité et qui permettent d'étudier l'effet (ou la toxicité) d'un nanomédicament au long terme.
La liquéfaction progressive de l'humeur vitrée avec l'âge et retrouvée de façon précoce chez les patients atteints de diabète et de myopie; elle peut affecter le temps de résidence et la distribution des nanomédicaments. Néanmoins, l'impact de ces phénomènes sur leur diffusion n'est pas bien établi. Des études fondamentales doivent être menées pour comprendre le comportement des nanovecteurs après IVT et choisir de façon pertinente leurs caractéristiques.
Conclusion
À ce jour, seuls les implants ont passé le cap des études cliniques pour délivrer des petites molécules de façon prolongée dans le segment postérieur de l'œil. Néanmoins, des technologies innovantes telles que le Port Delivery System ®, technologie d'encapsulation cellulaire, et EyeCET® sont à l'étude chez l'homme pour la libération de substances biologiques. Pour les nanomédicaments, les études fondamentales doivent être poursuivies car de nombreuses questions demeurent. La délivrance de substance active dans le segment postérieur de l'œil reste un défi.
À ce jour, aucun des systèmes décrits dans ce chapitre ne permet de relever tous les défis mentionnés en introduction pour une délivrance de tout type de molécules dans le segment postérieur de l'œil (tableau 12-2
Tableau 12-2
Systèmes de délivrance de substance active (SA) face aux défis à relever pour améliorer la prise en charge thérapeutique des patients atteints de pathologies du segment postérieur de l'œil.
ImplantDispositif rechargeableProduction
in situ
MicrosphèreNanomédicament
BiodégradableNon biodégradable
Mode d'administrationInjectionInjection ou implantationCollerette à platÉlectroporation ou implantationInjectionInjection
Gêne visuelleNonNonNonNonPossibleOui
Arrêt du traitement possible en cas d'intolérance, d'effets secondaires ou de toxicité NonOuiOuiNonNonNon
Applicable à des substances chimiquesOuiOuiOuiNonOuiOui
Applicable à des substances biologiquesOuiOuiOuiOuiOuiOui
Durée de libérationJusqu'à 6 mois Plusieurs annéesEn continu
(si rechargé)
En continuPlusieurs moisQuelques jours à plusieurs semaines
Modification de la distribution de la SA : ciblage des tissus/cellules à traiter NonNonNonNonNonOui
).
Bibliographie
Les références peuvent être consultées en ligne à l’adresse suivante : http://www.em-consulte.com/e-complement/477020.
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