La formation d'un caillot sanguin se déroule en trois phases, initiation, extension et stabilisation :
initiation : l'activation des plaquettes par l'altération des parois vasculaires induit leur adhésion sur la paroi. Cette interaction est médiée par le facteur von Willebrand et le collagène exposé sur la paroi du vaisseau endommagé, qui se lient à la surface des plaquettes;
extension : la première couche de plaquettes activées libère des substances qui attirent et activent d'autres plaquettes (thrombine, sérotonine, thromboxane-A2, adénosine diphosphate [ADP], etc.). La thrombine est générée par les protéines de coagulation du plasma à la surface des plaquettes activées;
stabilisation : elle fait intervenir des substances procoagulantes qui lient le fibrinogène (dont le facteur von Willebrand) et activent la thrombine. La thrombine transforme le fibrinogène en une maille de fibrine qui stabilise le thrombus. Enfin, le facteur XIII, sécrété par les plaquettes activées, réticule le réseau de fibrine, solidifiant ainsi le caillot (fig. 29-1
Fig. 29-1Schéma de la coagulation et de la fibrinolyse.Les flèches vertes indiquent les activités fibrinolytiques et les flèches rouges les activités antifibrinolytiques.
).
La fibrine, composé central du caillot sanguin, est formée à partir du fibrinogène, glycoprotéine homodimérique de 340 kDa constituée de chaînes polypeptidiques 2Aα, 2Bβ et 2γ reliées par 29 ponts disulfures qui forment des complexes hexamériques (Aα/Bβ/γ)2. Le fibrinogène, produit par le foie circule dans le plasma à des concentrations élevées (2-5 mg/ml), qui augmentent rapidement en cas d'inflammation. La formation, la structure et la stabilité du caillot sont fortement influencées par les conditions de formation de la fibrine. Celles-ci comprennent les concentrations de substances procoagulantes, d'anticoagulants, de protéines et de molécules liant la fibrine, d'ions métalliques, ainsi que la contribution des cellules sanguines et vasculaires, en particulier des microvésicules dérivées des cellules, et la présence d'un flux (contrainte mécanique). La concentration en thrombine influence la robustesse du maillage de fibrine. Si cette concentration est élevée, le caillot est peu sensible à la fibrinolyse.
L'héparine et ses dérivés, utilisés pour prévenir la thrombose, réduisent l'activité de la thrombine en plus de modifier directement la structure de la fibrine. C'est l'un de ses mécanismes d'action.
À tous les niveaux, de nombreux systèmes régulent négativement la formation du caillot.
La lyse du maillage de fibrine est assurée par la plasmine, issue de l'activation du plasminogène, produit principalement dans le foie, mais aussi par les tissus oculaires. Les activateurs du plasminogène ( plasminogen activator [PA]) sont des sérine-protéases qui convertissent le plasminogène en plasmine. Deux types d'activateurs sont produits par deux gènes distincts, u-PA (type urokinase) et t-PA (activateur tissulaire). Bien qu'ils partagent des activités catalytiques similaires, l' u-PA et le t-PA diffèrent par leur poids moléculaire, leur réactivité immunologique et leurs interactions avec d'autres protéines, comme les composants de la matrice extracellulaire et les sites de liaison à la surface des cellules.
L' u-PA , qui est produit et sécrété par les monocytes/macrophages, les cellules épithéliales, en particulier les cellules de l'épithélium pigmentaire, contribue au remodelage de la matrice extracellulaire et à la migration cellulaire.
Le t-PA , sécrété par l'endothélium vasculaire lésé, existe sous forme de monomère qui peut être clivé en deux, les deux formes ayant la même activité fibrinolytique. L'activateur tissulaire du plasminogène est inhibé en fin de fibrinolyse par les inhibiteurs de l'activateur du plasminogène (PAI-1 et PAI-2) (voir fig. 29-1
Fig. 29-1Schéma de la coagulation et de la fibrinolyse.Les flèches vertes indiquent les activités fibrinolytiques et les flèches rouges les activités antifibrinolytiques.
).
Altéplase, activateur tissulaire du plasminogène recombinant
L'altéplase (Actilyse®) est une forme recombinante de l'activateur tissulaire du plasminogène de 70 kDa, utilisé comme médicament thrombolytique, injecté par voie veineuse lors d'une embolie pulmonaire, d'un infarctus du myocarde ou d'un accident vasculaire cérébral (AVC) ischémique.
L'altéplase a démontré son efficacité dans la réduction des déficits neurologiques secondaires à des AVC causés par des thrombus de 39 % contre 26 % chez les patients traités par placebo quand l'injection intraveineuse (0,4 mg/kg) est réalisée dans les trois premières heures [1]. De nouvelles molécules optimisées (comme la ténecteplase, Métalyse®) ont été développées, mais n'ont pas démontré de supériorité par rapport à l'altéplase dans des essais de phase 3 [2]. En cas d'infarctus du myocarde, les protocoles de traitements avec l'altéplase en association avec des anticoagulants montrent des résultats différents selon le mode d'administration (rapidité de la perfusion), et les risques hémorragiques restent élevés [3].
L'altéplase (Actilyse®) existe sous la forme d'une poudre avec un solvant dans des flacons de 10 ou 20 mg correspondant respectivement à 5800000 UI et 11600000 UI.
Indications hors AMM de l'altéplase intraoculaire
L'altéplase a été proposée hors autorisation de mise sur le marché (AMM) en ophtalmologie pour favoriser la lyse de caillots sanguins formés dans la chambre antérieure de l'œil, suite à des hémorragies d'origine traumatique le plus souvent, ou plus fréquemment pour favoriser la dissolution et/ou le déplacement des hémorragies sous-maculaires (HSM). L'HSM est une complication rare mais dévastatrice de la dégénérescence maculaire liée à l'âge (DMLA) néovasculaire. L'incidence annuelle globale de l'HSM chez les patients atteints de DMLA exsudative a été estimée à 0,14 %. L'HSM peut également compliquer la rupture de macro-anévrismes, la rétinopathie diabétique proliférante, les choroïdopathies pseudopolypoïdales ou les traumatismes du globe oculaire. La fibrine et le fer [4] contenus dans l'hématome, les risques liés à la rétraction du caillot et la fibrose sous-rétinienne secondaire, l'obstacle mécanique au transport entre l'épithélium pigmentaire et la neurorétine, exposent à une perte visuelle définitive, justifiant la tentative de lyse du caillot et du déplacement du sang en dehors de la région maculaire.
L'altéplase (Actilyse®) est l'agent actuellement utilisé hors AMM pour réaliser une fibrinolyse dans les cas d'HSM. L'Actilyse® est administrée par injection intravitréenne ou sous-rétinienne, en association avec un tamponnement par gaz ou air destiné à déplacer la collection de sang dissous, à distance de la zone maculaire. Les deux voies d'administration intravitréenne ou sous-rétinienne ont montré une efficacité similaire, même si théoriquement l'altéplase, du fait de son poids moléculaire (70 kDa), ne diffuserait que modérément à travers la membrane limitante interne [5 , 6]. Il n'existe pas de consensus concernant la dose appropriée de rt-PA administrée, qui varie de 10 à 100 μg/0,1 ml. À ces doses, le rt-PA n'a pas montré de toxicité dans différents modèles animaux. Habituellement, une dose de 50 μg est préconisée [7], ce qui impose de diluer la solution reconstituée dans le solvant prévu à cet effet, avec du BSS®, afin de disposer de 50 μg dans le volume qui sera injecté.
Il n'existe pas de résultats de larges études randomisées qui permettent de préciser le bénéfice de cette procédure avec certitude, ni la supériorité d'une procédure chirurgicale particulière, car l'HSM est un événement rare et sa forme anatomique (sous-rétinienne, sous-épithéliale ou mixte) conditionne le résultat fonctionnel [8]. Un bilan par imagerie multimodale permet de localiser l'hématome avec précision, d'en évaluer la dimension et la localisation par rapport à la fovéa et, enfin, d'en déterminer l'origine. Un traitement étiologique par anti-VEGF en cas de DMLA doit être entrepris dans le même temps et poursuivi de façon rigoureuse. Il réduit les risques de récidives et améliore le pronostic fonctionnel de ces patients. La décision opératoire doit être prise en mesurant les bénéfices possibles, en particulier le délai d'intervention et la présence d'un autre œil fonctionnel.
Si une procédure de fibrinolyse est proposée, elle doit être entreprise le plus rapidement possible et dans les 3 à 5 jours au plus tard après la survenue de l'HSM [9].
Techniques d'injection de l'altéplase pour le traitement de l'hématome sous-rétinien
Vitrectomie complète, rt-PA et injection intravitréenne d'anti-VEGF
La procédure comprend une vitrectomie transconjonctivale sans suture, une injection de rt-PA (50 μg dans 50 ou 100 μl) sous la rétine à l'aide d'une canule 41 G, associée ou non à une injection sous-rétinienne d'air qui peut aider à la mobilisation de l'hématome [10]. Un échange fluide/air associé ou non à une injection d'hexafluorure de soufre (SF 6) ou d'octofluoropropane (C 3 F 8) dilué (non expansif) sont réalisés. Une injection d'anti-VEGF doit être réalisée dans le même temps opératoire. Il convient de positionner le patient à plat dos pendant une heure immédiatement après l'intervention, puis d'indiquer le maintien d'une position face vers le sol pendant au moins 5 jours. L'hématome est alors déplacé de la fovéa dans 86 à 100 % des cas avec une amélioration ou une stabilisation de la vision dans 82 à 90 % des cas (fig. 29-2
Fig. 29-2Cas d'une patiente opérée d'hématome sous-rétinien (HSM).Une patiente de 82 ans, monophtalme œil gauche, l'œil droit ayant été fonctionnellement perdu par une neuropathie optique ischémique antérieure (NOIA), se présente avec une baisse d'acuité visuelle et un scotome central de l'œil gauche. La patiente était connue pour avoir une DMLA avec des drusen non compliqués de néovaisseaux. L'examen du fond d'œil montre la présence d'un HSM (a). La patiente est opérée dans les 24 heures avec réalisation d'une vitrectomie à 25 G, injection sous-rétinienne de 50 μl d'altéplase associée à une injection de 100 μl d'air sous-rétinien. Une injection intravitréenne d'anti-VEGF est réalisée dans le même temps. Un tamponnement par air est choisi car la patiente est monophtalme. À 8 jours, l'air s'est résorbé et l'HSM est déplacé (b). L'OCT montre un défect épithélial persistant vascularisé et un reliquat inférieur d'hémorragie avec une lame de fibrine rétrofovéolaire. À 3 mois et après 2 injections intravitréennes d'anti-VEGF, l'acuité visuelle est à 8/10es, P3, et l'OCT montre une restauration de l'anatomie maculaire (c) qui reste stable à un an avec des injection d'anti-VEGF bimensuelles.
Source : Pr Behar-Cohen.
) [5 , 7-8-9-10-11]. Une étude récente ayant inclus 37 yeux de patients atteints d'hématome sous-maculaire d'origines diverses rapporte un gain de plus de 3 lignes d'acuité visuelle chez 42 % des patients quelle que soit l'étiologie de l'hématome [11]. Les risques d'hémorragie vitréenne, de décollement de rétine et d'infections sont rares, mais doivent être discutés avec le patient avant de poser l'indication opératoire.
Injection intravitréenne d'altéplase
Une procédure simplifiée consiste en l'injection intravitréenne d'altéplase (50 μg dans 50 μl), associée à un tamponnement par gaz pur. Les risques d'hémorragie intravitréenne secondaire sont non négligeables, pouvant atteindre 30 %, en particulier chez les patients fumeurs [12].
Autres utilisation hors AMM de l'altéplase en injection intraoculaire
L'injection intracamérulaire d'altéplase (50 μg/100 μl) a été proposée dans les cas de réaction fibrineuse avec bouchon de fibrine secondairement à une chirurgie de la cataracte [13]. Cette injection semble efficace, avec un risque d'œdème cornéen transitoire dans environ 15 % des cas [14]. D'autres cas ont été rapportés de l'injection d'altéplase dans la chambre antérieure afin de maintenir l'efficacité d'une iridotomie ou de la filtration après chirurgie du glaucome. Il s'agit d'utilisations exceptionnelles.
Conclusion
L'indication la plus usuelle et reconnue de l'altéplase en ophtalmologie est l'injection sous-rétinienne dans le traitement des hématomes maculaires. Il s'agit d'une utilisation hors AMM qui nécessite une dilution de la solution reconstituée, au bloc opératoire, dans une solution de BSS®. Une dose maximale de 50 μg ne semble pas entraîner de risques toxiques. L'injection intravitréenne peut être proposée en association avec un tamponnement gazeux. Une étude randomisée contrôlée devrait préciser la technique d'injection la plus efficace. Dans tous les cas, le traitement étiologique est essentiel afin d'optimiser les résultats fonctionnels et d'éviter la récidive hémorragique.
Bibliographie
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