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Chapitre 31
Toxine botulique en ophtalmologie

X. Morel

Introduction
Chaque année, des millions de patients reçoivent une injection de l'un des poisons les plus puissants connus. Il s'agit de la toxine botulique (TXB), neurotoxine sécrétée par diverses bactéries anaérobies dont le Clostridium botulinum , la bactérie responsable du botulisme, dont la DL 50 (dose causant la mort de 50 % d'une population animale) est de 1 à 2 ng/kg, soit 1 million de fois supérieure à celle du cyanure. Bien sûr, les doses injectées (par exemple 50 U pour le traitement d'un blépharospasme) sont nettement inférieures à la dose toxique, autour de 2500 U en injection intramusculaire (IM) pour un patient de 70 kg. Ainsi, il est assez paradoxal d'observer la fréquence relativement faible d'effets indésirables et l'excellente tolérance de la TXB pour l'ensemble de ses indications médicales. En l'occurrence, aucun effet toxique sévère à long terme, ni décès, ni choc allergique n'a été jusqu'à maintenant rapporté.
Comme souvent, c'est la recherche militaire qui a été pionnière et, dans les années 1930, l'unité 731 (unité japonaise de guerre biologique) cultivait le C. botulinum pour en étudier les effets sur des prisonniers de la guerre de Mandchourie. Pendant la Deuxième Guerre mondiale, les États-Unis produisirent des milliers de bombes à TXB et à anthrax (nommées respectivement agent X et agent N) qui devaient être larguées sur six grandes villes allemandes, projet qui a avorté avec le débarquement de Normandie [ 1].
C'est sur la suggestion d'Alfred Maumenee, ophtalmologiste américain qui avait travaillé après la Deuxième Guerre mondiale au Wilmer Eye Institute de l'Université Johns Hopkins, qu'Alan Scott, ophtalmologiste également, évalua l'intérêt de l'injection de TXB pour le traitement du strabisme [2]. C'est lui l'initiateur de cette véritable saga médicale. Il publia en 1980 le succès obtenu sur 19 cas de strabismes [3]. Il fonda la société Oculinum et commercialisa la toxine. En 1989, le produit fut autorisé par la Food and Drug Administration (FDA) pour le traitement du strabisme et du blépharospasme, sous le nom de Botox® [ 2]. Du botulus , saucisse dont les Latins présumaient déjà l'origine d'empoisonnements alimentaires à l'explosion dans les années 2000 des injections à visée esthétique, en passant par le traitement très efficace de plus d'une centaine de pathologies essentiellement spastiques, quelle formidable épopée que le développement de la TXB à usage thérapeutique!
Botulisme
La TXB est une exotoxine produite par le C. botulinum , un organisme anaérobie sporulé à Gram positif.
Ce germe est à l'origine d'une toxi-infection potentiellement mortelle, le botulisme, le plus souvent d'origine alimentaire, généralement inoculé par des produits mal conservés (salaisons, conserves), mais aussi par blessure, ou par ingestion de spores chez l'enfant. En effet, chez ce dernier, l'acidité gastrique et le microbiote sont insuffisants pour détruire les spores qui vont coloniser l'intestin et produire la TXB dans un deuxième temps.
Cette pathologie est maintenant rare; en France, entre 2013 et 2016, on dénombrait une incidence annuelle entre 11 et 22 cas; 75 % ont été hospitalisés en réanimation, deux décès sont survenus [4].
Pharmacologie
Sérotypes, structure
Les TXB sont produites par les bactéries anaérobies sporulées C. botulinum , mais aussi C. butyricum , C. baratii et C. argentinense .
Il y a sept sérotypes de toxine botulique de A à G. Les types A, B, E, F peuvent causer le botulisme chez l'homme et l'animal, les types C et D chez les animaux domestiques; le type G a été isolé dans le sol, mais n'aurait jamais été à l'origine de botulisme. Les TXB sont composées de deux chaînes peptidiques, une légère et une lourde, liées par un pont disulfite; c'est ce qu'on appelle la neurotoxine. La chaîne légère est responsable de l'activité pharmacologique, catalytique, de la toxine; elle mesure 50 kDa. La chaîne lourde mesure 100 kDa. Elle est composée de deux parties :
  • l'extrémité N-terminale (Hn) est reliée à la chaîne légère; sa configuration change en milieu acide et par translocation se libère de la chaîne légère;
  • l'extrémité C-terminale (Hc) sert à la liaison aux polygangliosides de la membrane cellulaire.
La neurotoxine est entourée et stabilisée par un complexe protéique d'environ 700 kDa. Il joue un rôle protecteur notamment vis-à-vis de l'acidité gastrique et des protéases du système digestif. Pour devenir active, la neurotoxine doit être scindée en deux au niveau du pont disulfure par une protéase sécrétée par la bactérie [5-6-7] (fig. 31-1
Fig. 31-1
Structure de la toxine botulique.
).
Mécanisme d'action
La TXB agit au niveau de la plaque motrice c'est-à-dire la jonction entre l'extrémité axonale d'un nerf et une fibre musculaire. L'acétylcholine (ACh) y est normalement libérée sous l'effet du potentiel d'action nerveux. Elle se lie alors à un récepteur nicotinique cholinergique de la fibre musculaire, dépolarise la membrane post-synaptique, entraînant la contraction musculaire (fig. 31-2
Fig. 31-2
Mécanisme d'action de l'acétylcholine.
Source : Cyrille Martinet.
).
Lors de l'intoxication alimentaire, après ingestion, la TXB, protégée de l'acidité gastrique par les protéines non toxiques du complexe, traverse la barrière intestinale pour gagner le système sanguin ou lymphatique et rejoindre les motoneurones cholinergiques où elle se fixe au niveau de la région terminale dépourvue en myéline.
La TXB agit donc sur les terminaisons nerveuses cholinergiques en bloquant la libération dans la jonction neuromusculaire des vésicules d'ACh.
Le mécanisme d'action de la TXB est le suivant [5-6-7] :
  • fixation rapide et irréversible à la membrane synaptique du bouton préneural sur les récepteurs présynaptiques par l'extrémité Hc de la chaîne lourde de la neurotoxine qui se lie aux récepteurs polysialogangliosidiques de la surface membranaire;
  • internalisation de la neurotoxine dans la terminaison nerveuse par endocytose sous la forme de vésicules (endosomes), par liaison à des récepteurs membranaires (synaptotagmine ou SV2 glycosylé);
  • acidification de ces vésicules sous l'afflux d'ion H + par des pompes à protons vésiculaires;
  • baisse du pH qui permet : l'importation de l'ACh cytoplasmique dans des vésicules par l'intermédiaire de transporteurs protéiniques membranaires; la formation des pores cationiques à travers la membrane de l'endosome; à l'extrémité Hn de la chaîne lourde de créer un canal facilitant le passage de la chaîne légère dans le cytoplasme. On parle de translocation;
  • libération complète de la chaîne légère du reste de la toxine par les enzymes heat shock protein (HPS 90) et thioredoxin reductase-thioredoxin system (TrxR-Trx) vont. La toxine est donc libre et active dans le cytoplasme.
La chaîne légère agit en tant que métalloprotéase du fait de la présence en son sein d'un atome de zinc. Elle clive et désactive des protéines du SNARE ( soluble N-ethylmaleimide-sensitive fusion attachment protein receptor ) qui constituent un complexe protéique nécessaire à l'exocytose dans la fente synaptique des vésicules d'ACh. Le SNARE est composé d'au moins cinq protéines; deux d'entre elles sont situées au niveau de la membrane présynaptique, la protéine SNAP-25 et la syntaxine. Une autre est enchâssée dans la membrane vésiculaire, la protéine VAMP. L'assemblage de ces trois protéines permet le rapprochement de la membrane de la vésicule d'ACH de celle neurone et ainsi leur fusion. Les neurotoxines botuliques A et E hydrolysent la SNAP-25; les neurotoxines B, D, F et G bloquent la VAMP; et la C, la syntaxine et la SNAP-25.
La TXB agit donc sur le blocage de l'exocytose des vésicules d'ACh, mais aussi sur le stockage et le transport de celles-ci dans le cytoplasme. Un groupe d'enzymes appelées transglutaminases, activées par la chaîne légère de la toxine, créent des liaisons covalentes entre une protéine de la membrane des vésicules d'exocytose, la synapsine et les protéines du cytosquelette, bloquant ainsi la circulation des vésicules au sein du bouton préneural (fig. 31-3
Fig. 31-3
Mécanisme d'action de la toxine botulique.
Source : Cyrille Martinet.
).
Outre la paralysie transitoire des muscles striés, la TXB agit aussi au niveau des ganglions du système nerveux autonome parasympathique, avec notamment l'inhibition des glandes sudoripares et salivaires [5-6-7].
Réversibilité d'action de la toxine botulique
L'inhibition de l'exocytose des vésicules d'ACh est temporaire et la neurotransmission est progressivement restaurée. Les mécanismes de récupération fonctionnelle ne sont pas complètement élucidés et sont multifactoriels :
  • apparition de récepteurs à l'ACh extrajonctionnels, avec développement de nouvelles plaques motrices à distance (maximum en 5 à 10 semaines). En pratique, la régénérescence axonale démarre déjà quelques jours après action de la toxine;
  • régénération des protéines du SNARE dans le corps cellulaire et migration dans les terminaisons nerveuses [ 5].
Toxines botuliques à usage thérapeutique
Présentation des spécialités
Actuellement, plusieurs spécialités à base de TXB disposent d'une autorisation de mise sur le marché (AMM) en France, toutes à base de toxine de type A (voir aussi tableau 31-1
Tableau 31-1
Spécialités à base de toxine botulique disposant d'une autorisation de mise sur le marché (AMM) en France.
NomDosageLaboratoireDCIIndications ophtalmologiques (AMM)
Azzalure®125 Unités SpeywoodGaldermaAbobotulinum toxine A Esthétique
Bocouture®50, 100 Unités MerzIncobotulinum toxine A Esthétique
Botox®50, 100, 200 Unités Allergan AllerganOnabotulinum toxine A Blépharospasme (BL), spasme hémifacial (SHF), trouble de l'oculomotricité
Dysport®300, 500 Unités Speywood IpsenAbobotulinum toxine A BL, SHF
Letybo®50 Unités Croma-PharmaAbobotulinum toxine A Esthétique
Vistabel®50,100 Unités Allergan AllerganOnabotulinum toxine A Esthétique
Xeomin®50, 100, 200 Unités MerzIncobotulinum toxine A BL, SHF
) :
  • Alluzience®, 200 unités Speywood/ml, solution injectable;
  • Azzalure®, 125 unités Speywood, poudre pour solution injectable;
  • Bocouture®, 50 et 100 unités, poudre pour solution injectable;
  • Botox®, 50, 100, 200 Unités Allergan, poudre pour solution injectable;
  • Dysport®, 300, 500 Unités Speywood, poudre pour solution injectable;
  • Letybo®, 50 unités, poudre pour solution injectable;
  • Vistabel®, 4 Unités Allergan/0,1 ml, poudre pour solution injectable;
  • Xeomin®, 50, 100, 200 unités, poudre pour solution injectable.
À noter que Neurobloc®, seule toxine de type B, n'est plus commercialisée en France.
Il s'agit donc de médicaments myorelaxants, bloquant la libération d'ACh au niveau de la jonction neuromusculaire avec paralysie musculaire locale. La régénération axonale induit néanmoins une diminution, puis une abolition de l'efficacité du produit nécessitant la répétition des injections.
Prescription et autorisations en France
Les TXB appartiennent à la liste 1 des substances vénéneuses et font partie des médicaments à prescription restreinte, tant par les prescripteurs autorisés que par les utilisateurs habilités à les manipuler. Botox®, Dysport® et Xeomin®, d'usage thérapeutique, sont réservés à l'usage hospitalier; leur délivrance se fait par l'intermédiaire d'une pharmacie à usage intérieur, au sein d'un établissement public ou privé. Vistabel®, Azzalure®, Bocouture® et Letybo® ont seulement des indications en médecine esthétique; ils peuvent être utilisés en dehors d'une structure hospitalière. Seuls les médecins spécialistes en dermatologie, ophtalmologie, chirurgie plastique reconstructrice et esthétique, chirurgie de la face et du cou, et chirurgie maxillofaciale sont habilités à les administrer.
Toute délivrance de TXB directement au patient ou à un médecin non habilité est interdite.
Composition
La TXB est présentée dans la plupart des cas sous la forme du complexe protéique la protégeant au moment de sa sécrétion par C. botulinum (tableau 31-2
Tableau 31-2
Caractéristiques des spécialités de toxine botulique d'usage thérapeutique.
NomPoids moléculaireExcipientPrésentationStabilisationConservation
Botox®900 kDa Albumine humaine 500 μg, chlorure de sodium PoudreSéchage sous videEntre 2 et 8 °C
Dysport®500 kDa Albumine humaine 125 μg, lactose monohydraté PoudreLyophilisationEntre 2 et 8 °C
Xeomin®150 kDa Albumine humaine 1 μg, saccharose PoudreLyophilisationInférieur à 25 °C
). Celui-ci associe donc la neurotoxine aux protéines hémagglutinantes ce qui garantit une résistance au pH acide et une meilleure stabilité dans l'organisme. Néanmoins, ces protéines hémagglutinantes peuvent être à l'origine de réactions immunitaires, et le laboratoire Merz (Xeomin®, Bocouture®) propose désormais un produit purifié sans protéines complexantes.
L'albumine humaine est le principal excipient des TXB thérapeutiques; elle agit en tant qu'agent vecteur stabilisant et cryoprotecteur lors des phases de lyophilisation. Elle est normalement très bien tolérée.
Préparation, dosage
L'effet biologique de la TXB s'exprime en termes d'unités (U). Ces unités ne correspondent pas à un poids ou à un volume de protéine. Une unité correspond en fait à la quantité de toxine létale pour 50 % d'un groupe de souris femelle « Swiss Webster» après injection intrapéritonéale; c'est ce qu'on appelle la « mouse unit» (mU). Pour le Botox®, une unité mU correspond à 0,05 ng de du complexe protéinique neurotoxique.
On différencie les unités Allergan spécifiques au Botox® et au Vistabel® des unités Speywood (du nom du premier laboratoire à commercialiser le Dysport®) spécifiques au Dysport® et à l'Azzalure®. Les unités Xeomin® sont équivalentes aux unités Allergan. Cette différence est due aux disparités entre les tests d'évaluation de l'activité biologique dans chaque laboratoire; on parle de « bio-inéquivalence» entre les unités de TXB. On comprendra ainsi aisément la nécessité impérieuse de respecter la posologie de chaque produit et de faire preuve d'une extrême prudence lorsqu'on souhaite passer d'une spécialité à une autre. En pratique, les schémas d'injection doivent mentionner le nombre d'unités injectées.
La TXB A se présente sous forme de poudre à diluer dans du NaCl 0,9 % pour préparation injectable. À noter que les ampoules de chlorure de sodium isotonique pour lavage oculaire ou nasal ne sont pas utilisables. De la quantité totale de solution de NaCl 0,9% injectée dans le flacon de toxine dépend le nombre d'unités de toxine injectées pour 0,1 ml.
  • Soit Q la quantité en ml de solution de NaCl 0,9% injectée dans l'ampoule de TBX.
  • Soit D le dosage de la toxine thérapeutique (par exemple 100 pour Botox® 100 ou 300 pour Dysport® 300).
  • Soit x le nombre d'unités de toxine injectée en intramusculaire pour 0,1 ml.
Alors x = D/(Q × 10).
Exemples :
  • Botox® 100 dilué dans 2 ml : x = 100/(2 × 10) = 5 unités Allergan pour 0,1 ml;
  • Dysport® 300 dilué dans 2 ml : x = 300/(2 × 10) = 15 unités Speywood pour 0,1 ml.
Inversement, si on cherche à savoir quelle dilution Q pour obtenir x unités de toxine pour 0,1 ml injectés en intramusculaire, alors Q = D/( x × 10).
Exemples :
  • Xeomin® 50, obtenir 5 U pour 0,1 ml injecté : dilution Q = 50/(5 × 10) = 1 ml;
  • Dysport® 300, obtenir 20 U pour 0,1 ml injecté : dilution Q = 300/(20 × 10) = 1,5 ml.
En pratique, en ophtalmologie, pour le blépharospasme ou le spasme hémifacial, les doses injectées sont de 5 U par site d'injection; pour les problèmes de strabisme, entre 2,5 et 5 U par site.
Les correspondances sont résumées dans les tableau 31-3,
Tableau 31-3
Pour le Botox® et le Xeomin®, nombre d'unités injectées pour 0,1 ml.
1 ml 2 ml 4 ml
Botox® 50
Xeomin® 50
5 U 2,5 U 1,25 U
Botox® 100
Xeomin® 100
10 U 5 U 2,5 U
Botox® 200
Xeomin® 200
20 U 10 U 5 U
tableau 31-4,
Tableau 31-4
Pour le Dysport® 300, nombre d'unités injectées pour 0,1 ml.
0,6 ml 1,5 ml 3 ml
Dysport® 30050 Us 20 Us 10 Us
tableau 31-5
Tableau 31-5
Pour le Dysport® 500, nombre d'unités injectées pour 0,1 ml.
1 ml 2,5 ml 5 ml
Dysport® 50050 Us 20 Us 10 Us
.
Les TXB thérapeutiques sont conservées à une température comprise entre 2 et 8 °C. Font exception Xeomin® et Bocouture® qui peuvent être conservées à température ambiante (entre 15 °C et 25 °C). Après reconstitution, toutes les solutions restent stables 24 heures au réfrigérateur, mais doivent idéalement être immédiatement utilisées.
L'injection se fait au moyen de seringues à insuline ou à tuberculine de 1 ml avec des graduations de 0,1 ml et des aiguilles de 30 G.
Diffusion
La diffusion du produit est proportionnelle à sa dilution.
  • 10 U de Botox® dans 0,1 ml diffusent sur une zone de 1 cm de diamètre.
  • 10 U de Botox® dans 0,2 ml diffusent sur une zone de 2,5 cm de diamètre [ 8 , 9].
Durée d'action
L'efficacité clinique démarre entre 1 et 3 jours après l'injection, avec un bénéfice complet obtenu entre le 7 e et le 10 e jour. Il n'est néanmoins pas rare que celui-ci soit retardé de 1 à 3 semaines. Le traitement est en général efficace pendant 3 à 4 mois avec une variabilité de quelques semaines à plus de 6 mois [5].
Effets indésirables
Effets indésirables locorégionaux
En ophtalmologie, la diffusion de la toxine aux muscles voisins peut se traduire, en fonction du site d'injection, par un ptosis ou une diplopie en cas de diffusion à un muscle oculomoteur (droit supérieur, oblique inférieur). On retrouve :
  • des kératites d'exposition par malocclusion, un œil rond, voire un ectropion;
  • des effets liés à l'injection en elle-même : douleurs, ecchymoses, petits saignements, œdème, gonflement, érythèmes.
Toxicité générale
Aucun cas de décès ou choc par réaction allergique n'a été rapporté dans le cadre d'une utilisation conforme à l'AMM [ 8]. La dose létale pour une adulte de 70 kg est comprise entre 2500 et 3000 U pour le Botox® (entre 6500 U et 9000 U pour le Dysport®), très loin des 300 U (1000 pour le Dysport®) maximales autorisées par séance. Aucun effet toxique à long terme n'a été rapporté.
Résistance à la toxine, production d'anticorps antitoxine
La TXB, du fait de sa grande taille et de son origine bactérienne, est hautement immunogène. Sont à risque de production d'anticorps antitoxine et donc de résistance au traitement :
  • les doses injectées élevées > 250 U (unités Allergan) par session;
  • des doses cumulées importantes;
  • des injections rapprochées à moins de 3 mois d'intervalle (la fréquence élevée des injections serait plus à risque que les deux facteurs de risque précédents).
L'incobotulinumtoxin A (Xeomin®) serait moins immunogène du fait de l'absence du complexe protéique adjuvant et d'une concentration d'albumine plus faible [10]. A contrario, des doses inférieures à 100 U par session espacées de plus de 3 mois exposent à un moindre risque de développement d'anticorps bloquants. Les anticorps sont produits contre plusieurs fragments du complexe protéique de la TXB, mais peu sont neutralisants. Ils interagissent avec la chaîne lourde de la toxine, empêchant la liaison de celle-ci à la membrane neuronale. Il y a possibilité de les doser par test ELISA. À ce jour, il n'y a pas eu d'observation de réaction croisée connue entre les différents sérotypes; ainsi, un patient résistant à la toxine de type A peut répondre dans une certaine mesure à la toxine de type B et vice versa. Chez les patients développant des anticorps bloquants dans de faibles proportions mais avec une réponse partielle au traitement, une restauration de l'efficacité peut être atteinte en augmentant les doses injectées [ 11]. En cas de résistance complète, l'arrêt des injections au long cours peut faire diminuer la quantité d'anticorps circulants au bout de 2 à 8 ans. Le traitement peut alors bénéfiquement être réinitié [ 12]. Au total, la production d'anticorps antitoxine surviendrait dans 3 à 10 % des cas, et ceux-ci ne seraient présents que chez 44,5 % des patients résistants. Il n'y a pas de corrélation entre la concentration globale d'anticorps et l'absence de réponse clinique, car seuls les anticorps dirigés contre la fraction de la toxine ayant un effet clinique ont un retentissement sur l'efficacité du médicament [9].
Interactions médicamenteuses et contre-indications
Les contre-indications sont les suivantes :
  • maladies neuromusculaires : sclérose latérale amyotrophique;
  • maladies de la jonction neuromusculaire : myasthénie, syndrome de Lambert-Eaton;
  • infection ou inflammation du site d'injection concerné;
  • grossesse, allaitement (injection déconseillée à contre-indiquée).
Les associations médicamenteuses déconseillées sont :
  • les curares;
  • les aminosides : à fortes doses, ils peuvent diminuer la libération d'ACh au niveau des plaques motrices et potentialiser ainsi l'effet de la toxine.
On déconseille aussi l'usage concomitant de tout médicament ayant des effets anticholinergiques (par exemple amitriptyline, hydroxyzine, oxybutynine, etc.).
Globalement, tout médicament agissant potentiellement sur la jonction neuromusculaire doit être pris en considération lors de l'utilisation de la TXB.
Principales indications en ophtalmologie
Blépharospasme et autres dystonies de la face et des paupières
Les différentes formes cliniques
On retrouve :
  • le blépharospasme essentiel : dystonie focale des paupières et des muscles du front;
  • la dystonie oromandibulaire : elle affecte les muscles de la partie inférieure du visage;
  • le syndrome de Meige : blépharospasme essentiel et dystonie oromandibulaire;
  • le spasme hémifacial : spasmes unilatéraux des muscles innervés par la septième paire crânienne. Dans 85 à 90 % des cas, il s'agit d'un conflit artérionerveux au niveau de l'émergence du nerf facial, sans indication chirurgicale [ 5];
  • la dystonie cervicale;
  • l'apraxie d'ouverture des yeux.
Points d'injection
Les points d'injection sont indiqués à la figure 31-4
Fig. 31-4
Points d'injection pour le blépharospasme et le spasme facial.
Source : Cyrille Martinet.
.
Modalités d'injection
Les doses injectées sont d'environ 25 U par œil pour le Botox® et le Xeomin®, 60 U pour le Dysport®. L'injection est effectuée de façon centrifuge par rapport à la fente palpébrale; elle doit être superficielle par rapport au plan de l'orbiculaire. Un retour veineux est effectué avant l'injection. Idéalement, le patient doit garder l'orthostatisme pendant 8 heures pour éviter une éventuelle diffusion vers les structures profondes.
Cas particulier de l'apraxie d'ouverture des yeux
L'apraxie est définie comme l'impossibilité d'effectuer des mouvements appris complexes en l'absence de paralysie, d'atteinte sensitive ou de perturbation de la coordination. Il s'agit ici de l'impossibilité non paralytique d'élever la paupière supérieure sans pathologie du muscle releveur, ni contraction du muscle orbiculaire. L'entité est mal connue. Elle serait due à un défaut du contrôle moteur central. Elle peut être isolée ou associée à d'autres pathologies comme la maladie de Parkinson ou la paralysie supranucléaire progressive. Un sous-type peut être associé à des contractions du muscle orbiculaire prétarsal qui persistent après le clignement; il ne s'agit pas stricto sensu d'apraxie, mais plutôt d'une dystonie, une « apraxie blépharospastique». Cette entité peut bénéficier avec succès d'injections de toxine dans l'orbiculaire prétarsal, près du bord libre de la paupière supérieure [13].
Strabismes et paralysies oculomotrices
Indications
  • Strabisme convergent de l'enfant : la toxine a un intérêt si elle est injectée avant l'âge de 2 ans. L'injection dans les deux droits médiaux permet de diminuer la déviation et de temporiser en attendant une éventuelle chirurgie.
  • Strabismes de l'adulte : chez l'adulte, la chirurgie est privilégiée, mais la toxine peut être utilisée en cas de contre-indication à l'anesthésie générale.
  • Traitement de strabismes résiduels après chirurgie initiale [14- 15- 16- 17- 18].
  • Paralysie du nerf abducens (VI) : l'injection de toxine dans le droit médial pourrait permettre de passer un cap en attendant la régression spontanée, ou la chirurgie dans le cas contraire. Néanmoins, dans une série prospective de Lee et al. de 54 patients, randomisés en deux groupes, toxine et pas de traitement, la récupération à terme était identique entre les deux groupes [19].
Injection
Les doses varient de 2,5 à 5 U Allergan. À noter que seul le Botox® dispose, en France, de l'AMM pour le traitement du strabisme. L'injection peut être effectuée sous anesthésie topique chez l'adulte, sous anesthésie générale chez l'enfant. Elle est réalisée au travers d'une boutonnière conjonctivale à 5,5 mm en arrière du limbe à l'aide d'une aiguille de 30 G dans le corps musculaire à environ 5 mm de son insertion.
Entropion
En cas de contre-indication à la chirurgie, l'injection de TXB (5 à 10 unités en deux ou trois sites) dans le muscle orbiculaire prétarsal ou préseptal de la paupière inférieure peut être efficace sur une durée de 3 à 4 mois [20].
Hypersécrétion lacrymale (hors AMM)
Le syndrome des larmes de crocodile après régénération aberrante post-paralysie de la septième paire crânienne peut être amélioré par l'injection transconjonctivale de 2,5 à 5 U Allergan dans le lobe palpébral de la glande lacrymale [21].
Par extension, toute cause d'hyperlarmoiement (y compris les obstructions des voies lacrymales d'excrétion de traitement chirurgical complexe ou impossible) est susceptible de trouver une issue bénéfique avec le même protocole. La réduction de la symptomatologie serait ainsi atteinte dans à peu près 75 % des cas [ 22 , 23].
Le risque de diplopie et/ou de ptosis post-injection n'est pas négligeable et est évalué suivant les séries entre 10 et 25 % des cas. Il est plus important dans les cas où le lobe palpébral est très postérieur et difficile d'accès [ 23].
Sécheresse oculaire chronique (hors AMM)
L'injection de TXB dans la partie interne des paupières inférieures et supérieures diminuerait l'action de la pompe lacrymale, entraînant une stagnation des larmes dans le fornix. Sahlin et al. décrivent une amélioration des symptômes de sécheresse oculaire dans 70 % des cas [24].
Rétraction palpébrale (hors AMM)
La rétraction palpébrale supérieure d'origine dysthyroïdienne est une bonne indication d'injection de TXB. Celle-ci permet de temporiser en attendant un geste chirurgical une fois l'orbitopathie stabilisée [ 25 , 26].
L'injection de 5 à 10 U Allergan dans le muscle releveur de la paupière supérieure par voie transcutanée ou transconjonctivale permettrait d'abaisser la paupière supérieure de 2 à 3 mm pour une durée de 8 à 14 semaines.
Il y a néanmoins un risque de surcorrection avec ptosis dans 5 à 10 % des cas et 10 % de risque de diplopie [ 25 , 26].
Induction d'un ptosis (hors AMM)
L'induction d'une paralysie du muscle releveur avec ptosis peut être bénéfique pour traiter les problèmes d'exposition cornéenne dans la lagophtalmie de la paralysie faciale, les ulcères neurotrophiques, etc. Elle peut ainsi permettre d'éviter une tarsorraphie. Naik et al., sur une série de 10 patients, observaient une réduction de 50 % de la hauteur de la fente palpébrale pour 90 % d'entre eux [ 27].
Esthétique
La toxine botulique peut être injectée entre autres dans la glabelle, les rides du front et la patte d'oie (fig. 31-5
Fig. 31-5
Schéma d'injection en esthétique.
Points d'injection en unités Allergan ou Xeomin (Vistabel® et Boccouture®). La toxine botulique peut être injectée entre autres dans la glabelle, les rides du front et la patte d'oie.
Source : Cyrille Martinet.
).
Bibliographie
Les références peuvent être consultées en ligne à l’adresse suivante : http://www.em-consulte.com/e-complement/477020 .
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