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Chapitre 38
Conseils d'utilisation d'un collyre

R. Batista, S. Charles-Weber, F. Chast

Introduction
La qualité des soins en ophtalmologie, notamment pour la prise en charge à long terme des affections oculaires chroniques (glaucome, œil sec, etc.), dépend de l'adhésion du patient au traitement. Cela implique, pour le patient, une « éducation» à la bonne utilisation des médicaments qui lui sont prescrits; et pour le prescripteur, une attitude pédagogique en direction de son patient. Les meilleures intentions et les plus grands efforts de la part des cliniciens en matière de thérapeutique sont voués à l'échec si le dispositif pharmacothérapeutique arrêté n'est ni adapté, ni utilisable pour chaque patient particulier.
L'éducation du patient peut avoir un impact sur la capacité ou la volonté des patients d'utiliser les médicaments prescrits. Un exposé clair et franc sur les modalités d'utilisation, notamment sur les éventuels effets indésirables des médicaments prescrits, renforce l'adhésion du patient et l'observance de son traitement.
L'ophtalmologiste doit formuler des instructions au moyen d'un support écrit parfaitement lisible comprenant des conseils aux patients sur l'utilisation appropriée des médicaments prescrits. La notice incluse dans le conditionnement des médicaments est, certes, un support d'information, mais elle est souvent inquiétante, et sa lisibilité est limitée, le niveau de compréhension de la terminologie médicale étant limité dans la population générale.
La voie d'administration du médicament est l'une des décisions les plus importantes à prendre lors de la mise en place d'un traitement oculaire. Dans la plupart des cas, c'est un collyre qui est prescrit. Si l'usage de ce dernier est simple, encore faut-il clairement informer le patient des modalités d'utilisation de ce type de présentation.
Le « terrain» – contexte clinique de la prescription
Antécédents médicaux
Un historique médical et médicamenteux minutieux est essentiel. Il faut identifier les médicaments qui peuvent être contre-indiqués en raison d'une maladie sous-jacente. Les médicaments oculaires administrés localement, comme les bêta-bloquants, dont le passage dans la circulation systémique est important, peuvent impacter la fonction cardiovasculaire. Cependant, d'une manière générale, il faudrait éviter de prescrire un collyre de bêta-bloquant chez les patients prenant déjà un bêta-bloquant par voie orale.
Maladies rénale et hépatique
Les anti-inflammatoires administrés par voie systémique sont néphrotoxiques, en particulier chez le sujet âgé, et doivent être utilisés avec prudence chez les patients atteints d'insuffisance rénale. Les patients atteints d'une maladie hépatique peuvent ne pas être en mesure de métaboliser certains médicaments administrés par voie systémique.
Maladie cardiovasculaire
Les patients souffrant d'hypertension artérielle, d'artériosclérose et d'autres maladies cardiovasculaires peuvent être « à risque» lorsque des agonistes adrénergiques tels que la phényléphrine sont utilisés à une posologie élevée. De même, les bêta-bloquants doivent être évités ou utilisés avec prudence chez les patients atteints d'insuffisance cardiaque, de bradycardie sévère ou de bloc auriculoventriculaire de grade élevé. En revanche, les collyres de bêta-bloquants peuvent être utilisés en toute sécurité chez les patients porteurs de stimulateurs cardiaques.
Troubles respiratoires
Les collyres de bêta-bloquants peuvent induire une crise d'asthme ou une dyspnée chez les patients atteints de bronchopneumopathie chronique obstructive, ce qui mérite un bref examen du contexte, par exemple tabagique, avant d'entamer un traitement du glaucome avec des bêta-bloquants.
Maladie thyroïdienne
Une hypertension artérielle ou d'autres effets cardiovasculaires indésirables peuvent survenir lorsque des patients atteints de la maladie de Basedow reçoivent des agonistes adrénergiques (activité vasopressive), en raison de l'augmentation de l'activité catécholaminergique associée à l'hyperthyroïdie. Il faut alors éviter l'emploi de la phényléphrine pour la dilatation pupillaire ou l'utiliser avec prudence.
Diabète sucré
L'administration systémique de certains agents hyperosmotiques (traitement du glaucome aigu à angle fermé par la glycérine orale) peut provoquer une hyperglycémie chez les patients diabétiques. Les corticoïdes systémiques peuvent présenter un risque important chez les patients diabétiques en raison de l'hyperglycémie induite. Une dilatation adéquate de la pupille chez les patients diabétiques peut être difficile à obtenir lors de l'utilisation de mydriatiques. Enfin, les collyres de bêta-bloquants peuvent masquer les signes associés à une hypoglycémie chez un diabétique.
Troubles du système nerveux central
Les cliniciens doivent être prudents lors de l'utilisation de stimulants du système nerveux central tels que le cyclopentolate. Des concentrations élevées de ces médicaments peuvent entraîner des troubles nerveux transitoires, en particulier chez l'enfant. L'utilisation de collyres de bêta-bloquants pour le traitement du glaucome a été associée à divers effets secondaires comme la dépression, la fatigue, la confusion, des pertes de mémoire, des maux de tête et de l'anxiété.
Grossesse
Les médicaments systémiques doivent, en règle générale, être évités pendant la grossesse, sauf si le besoin thérapeutique de la future mère ou de l'enfant à naître est impératif.
Historique médicamenteux
Un historique complet des médicaments doit être réalisé et pris en compte. Les patients peuvent, en effet, prendre des médicaments systémiques ayant un potentiel élevé d'interactions avec la prescription ophtalmologique. De telles interactions peuvent jouer un rôle important dans le renforcement des effets des médicaments et peuvent exacerber les effets indésirables, comme cela peut être le cas pour les antiglaucomateux (tableau 38-1
Tableau 38-1
Interactions entre médicaments antiglaucomateux et médicaments systémiques
Médicament systémiqueMédicament oculaireEffet indésirable
Glycosides cardiaquesBêta-bloquantsDépression cardiaque
QuinidineBêta-bloquantsDépression cardiaque
XanthinesBêta-bloquantsBronchospasme
Agonistes bêta-adrénergiquesBêta-bloquantsDépression cardiaque
SuccinylcholineInhibiteurs de cholinestéraseArrêt respiratoire prolongé (apnée)
).
Les patients atteints de maladies cardiaques et traités avec des agents inotropes comme la dopamine ou la dobutamine ne doivent pas recevoir de collyre de bêta-bloquant.
Bien que le risque de réactions anaphylactiques associé à des médicaments administrés par voie ophtalmique soit extrêmement faible, il est utile de s'enquérir des allergies médicamenteuses. L'hypersensibilité au thiomersal ou au chlorure de benzalkonium n'est pas rare chez les patients portant des lentilles de contact. S'enquérir d'une allergie (pénicilline, sulfamides, anesthésiques locaux) est aussi nécessaire lors de l'instauration d'un traitement.
Cas de l'enfant
Il convient de garder en tête que les enfants ne sont pas des adultes de petite taille. Les calculs de dose ne sont pas seulement des fractions de posologies adultes. Un dosage seulement fondé sur l'âge et le poids peut en fait sous-estimer la dose requise. Le dosage pédiatrique nécessite une connaissance individuelle du patient et de nombreuses données spécifiques des patients, en particulier les données pharmacocinétiques. Les défis de la détermination de la posologie pédiatrique comprennent la nécessité d'une mesure et d'une administration précises des médicaments systémiques ainsi que le manque de formes et de concentrations adaptées aux enfants [1]. De plus, le dosage individualisé doit être calculé en fonction de l'âge du patient (règle de Young), du poids du patient (règle de Clark), ou de la surface corporelle de l'enfant.
Le calcul de la posologie, selon la règle de Young est le suivant :
Le calcul de la règle de Clark est le suivant :
En raison de la présence fréquente d'une maladie systémique, d'anomalies des fonctions rénale et hépatique, et de traitements médicamenteux multiples, les patients gériatriques sont plus « à risque» d'effets indésirables médicamenteux.
Une mauvaise observance des schémas posologiques de collyre est fréquente dans la population gériatrique. Des difficultés cognitives (accidents vasculaires cérébraux, maladie d'Alzheimer) renforcent le risque de mauvaise interprétation et d'incompréhension; les difficultés de mémorisation des instructions concernant l'administration du médicament doivent aussi être prises en compte. Il faut également tenir compte de l'impact cognitif de médicaments ophtalmiques tels que les bêta-bloquants et les inhibiteurs de l'anhydrase carbonique.
L'arthrose (scapulo-humérale), les tremblements et d'autres contextes cliniques tels que la polyarthrite rhumatoïde peuvent altérer la motricité fine et empêcher l'auto-administration appropriée d'un collyre.
Patients présentant un déficit visuel majeur
Une perte importante de la fonction visuelle peut limiter le bon usage des traitements topiques ou systémiques. Si les patients avec déficit visuel sont capables de reconnaître leurs médicaments ophtalmiques, il leur est souvent difficile d'être sûrs qu'une goutte administrée a bien atteint l'œil visé. Un stockage au réfrigérateur permet de conférer la sensation d'une température suffisamment froide pour que les patients ressentent bien la goutte quand elle est instillée. Les patients atteints d'altérations de l'acuité visuelle sont en difficulté pour lire les notices de médicaments, les instructions imprimées et les ordonnances si les caractères sont de dimension inférieure à « Arial 20» [ 2]. Il faut donc en tenir compte.
Précautions à prendre avant l'emploi d'un collyre
  • S'assurer d'avoir dans les mains le bon collyre .
  • S'assurer que le flacon n'est ni endommagé, ni périmé, ni ouvert depuis plus de 15 jours (ou 28 jours pour certains collyres).
  • Agiter doucement le flacon pour bien mélanger le médicament.
  • Noter la date à laquelle le flacon de collyre a été ouvert et/ou « reconstitué».
  • Poser le bouchon sur le côté et sur une surface propre.
  • Manipuler le flacon sans jamais toucher son embout avec les doigts.
Règles à suivre en cas de traitements multiples
  • Si le patient doit s'administrer deux collyres différents dans un même œil, il lui faut respecter un délai d'une dizaine de minutes entre les deux applications.
  • Si une pommade ou un gel ophtalmique ont également été prescrits, le patient ne doit les appliquer qu'une dizaine de minutes après l'administration du collyre.
  • Selon les cas, il peut y avoir un ordre à respecter :
    • le collyre le plus visqueux doit être instillé en dernier;
    • une pommade ou un gel ophtalmique doivent être appliqués après les collyres;
    • un collyre vasoconstricteur doit être instillé en dernier.
Les bons gestes pour s'administrer un collyre
Pour une utilisation efficace, il faut procéder selon les étapes suivantes.
  • Si les yeux présentent des sécrétions épaisses (pus, croûtes), le patient doit les nettoyer à l'aide d'une compresse humidifiée d'eau, en particulier le coin interne de l'œil, du côté du nez. Celui-ci doit être propre et débarrassé de toute sécrétion pour que le collyre puisse pénétrer.
  • Le patient doit incliner légèrement la tête vers l'arrière.
  • Avec l'index, il abaisse la paupière inférieure de l'œil à traiter et il regarde vers le haut.
  • Le patient doit approcher l'embout du flacon de son œil et déposer dans le cul-de-sac conjonctival une goutte de collyre. Pour éviter de contaminer la bouteille avec un germe présent dans l'environnement oculaire, le patient doit veiller à ce que l'embout du flacon ne touche pas son œil.
  • Une fois la ou les gouttes déposée(s), le patient doit relâcher sa paupière et fermer l'œil.
  • Il convient d'appuyer légèrement avec le doigt sur le coin interne de l'œil (proche du nez) pendant une quinzaine de secondes, ce qui permet de boucher l'orifice du canal lacrymal qui évacue les larmes et d'éviter que le collyre ne s'écoule trop vite par cette voie d'excrétion. Ce geste permet d'améliorer l'absorption du principe actif contenu dans le collyre.
  • Il convient de répéter ces étapes pour l'autre œil, si nécessaire, et autant de fois que nécessaire, chaque jour, en fonction des exigences de la prescription.
Points particuliers
  • Il convient de ne jamais mettre plus de gouttes ophtalmiques que ce qui est convenu – le traitement ne sera pas plus efficace.
  • Les délais d'application doivent être respectés si plusieurs gouttes de collyre doivent être appliquées.
  • Si une goutte de collyre tombe en partie à côté de l'œil ou coule sur la joue, il convient d'en appliquer une autre.
  • En cas de doute, mieux vaut instiller plusieurs fois la goutte que l'inverse. Dans tous les cas, si la goutte a été correctement déposée, le volume de la deuxième va induire un phénomène de « trop-plein» dans le cul-de-sac conjonctival et le collyre en excès va ruisseler sur la joue. Il n'y a donc pas de risque de surdosage.
Les bons gestes pour administrer un collyre à un enfant
Pour être efficace, un collyre doit être bien administré, ce qui n'est pas toujours facile chez un enfant. Voici quelques conseils à prodiguer aux parents ou aux proches.
  • Installez confortablement votre enfant assis ou mieux allongé. Inclinez sa tête vers l'arrière et demandez-lui de regarder le plafond.
  • Pour qu'il ne bouge pas la tête pendant l'administration du collyre, tenez bien le front de votre enfant avec une main.
  • Soulevez la paupière supérieure de l'œil avec le pouce de la même main.
  • Utilisez l'autre main pour tenir le flacon entre le pouce et le majeur.
  • Placez le flacon au-dessus de l'œil de votre enfant.
  • Avec l'auriculaire (petit doigt) de la main qui tient la bouteille, tirez délicatement sur la paupière inférieure pour former une petite poche sous l'œil.
  • Faites couler le nombre de gouttes prescrit dans cette petite poche de l'œil.
  • Relâchez doucement la paupière inférieure, puis la paupière supérieure.
  • Avec l'auriculaire de la main sur le front de votre enfant, appliquez une pression légère pendant 10 secondes sur le coin intérieur de l'œil, à côté de l'arête du nez. Cela permet d'éviter que les gouttes s'échappent par le canal lacrymal (des larmes) et qu'elles soient absorbées uniquement par l'œil. Ainsi, cela évitera tout risque de toxicité par passage systémique [ 3].
  • Si votre enfant est assez grand pour le faire, demandez-lui de fermer doucement les yeux et de regarder vers le haut, les paupières fermées. Cela permet au médicament de mieux agir.
  • Avant de relâcher le front de votre enfant, essuyez avec un mouchoir propre la partie de collyre administré qui s'écoule sur sa joue afin d'éviter tout risque d'ingestion par la bouche ou de passage à travers la peau.
Les bons gestes pour administrer un collyre à un nourrisson
  • Procédez de la même façon que ci-dessus.
  • Pour que l'enfant ne bouge pas (trop) pendant l'application, faites-vous aider par une tierce personne qui lui tiendra les bras, ou enveloppez-le dans un drap de bain pour éviter qu'il ne bouge pas pendant que vous mettez les gouttes.
Que faut-il faire après administration d'un collyre?
Les conseils suivants doivent être respectés, une fois le collyre administré :
  • refermer le flacon et le conserver selon les indications de la notice (il faut garder celle-ci jusqu'à la fin du traitement);
  • de nouveau, se laver les mains avec de l'eau et du savon, et les sécher;
  • ne pas partager son flacon avec quelqu'un d'autre;
  • le tenir hors de portée des enfants (notamment pour éviter qu'ils avalent le produit);
  • jeter le flacon à la fin du traitement;
  • s'il n'est que partiellement utilisé, le rapporter chez le pharmacien afin qu'il suive le bon circuit d'élimination des déchets;
  • en cas de traitement par unidoses (dosettes à usage unique), ne jamais garder une dose après ouverture, et ne l'utiliser qu'une seule fois.
Bibliographie
Les références peuvent être consultées en ligne à l’adresse suivante : http://www.em-consulte.com/e-complement/477020.
Bibliographie
[1]
Watson PD, Getschman S, Koren G. Principles of drug prescribing in infants and children, a practical guide. Drugs 1993 ; 46 : 281-8.
[2]
Drummond SR, Drummond RS, Dutton GN. Visual acuity and the ability of the visually impaired to read medication instructions, Br J Ophthalmol 2004 ; 88 : 1541-2.
[3]
Shell JW. Pharmacokinetics of topically applied ophtalmic drugs. Surv Ophthalmol 1982 ; 26 : 207-18.