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Aspects réglementaires particuliers de certains médicaments ophtalmologiques

R. Batista, S. Charles-Weber, F. Chast

Spécialité pharmaceutique avec AMM
La spécialité pharmaceutique est un médicament produit industriellement par un laboratoire pharmaceutique, caractérisé par un nom (commercial) et un conditionnement particulier, et qui doit obtenir une autorisation de mise sur le marché ou AMM (sauf dérogation) pour être délivré en pharmacie d'officine ou à l'hôpital.
Médicaments sans AMM
La réforme des accès dérogatoires, permettant aux patients en situation d'impasse thérapeutique, notamment atteints d'une maladie grave rare ou invalidante, de disposer de médicaments qui ne sont pas autorisés en France, est entrée en vigueur le 1 er juillet 2021 pour un accès plus simple et plus rapide.
Autorisation d'accès précoce (AAP)
Le nouvel article L. 5121-12 du projet de loi définit l'accès « précoce» comme « l'utilisation, à titre exceptionnel, de certains médicaments, dans des indications thérapeutiques précises, destinés à traiter des maladies, rares ou invalidantes». Le médicament doit être présumé innovant, notamment au regard d'un éventuel comparateur cliniquement pertinent.
L'accès à l'AAP est réservé aux médicaments ne disposant pas encore d'AMM dans une indication considérée, mais dont la demande d'AMM a déjà été déposée par le laboratoire.
Il concerne également les médicaments qui disposent déjà d'une AMM pour une indication particulière, mais qui ne bénéficient pas de l'inscription sur la liste des spécialités remboursables pour cette indication.
Dans ce nouveau régime (nouveau IV de l'article L. 5121-12 du Code de la santé publique [CSP]), l'AAP est conditionnée au respect, par le laboratoire, d'un protocole d'utilisation thérapeutique et de collecte de données de vie réelle du médicament. Ce régime remplace les anciens régimes d'autorisation temporaire d'utilisation (ATU) de cohorte et de post-ATU.
En 2022, un seul médicament dédié à l'ophtalmologie bénéficie d'une AAP : Ciclograft® 20 mg/ml, collyre unidoses (ciclosporine) pour la prévention du rejet de greffe de cornée.
Autorisation d'accès compassionnel (AAC)
Le nouvel article L. 5121-12-1 du CSP introduit pour la première fois la possibilité d'une « utilisation exceptionnelle, au titre de l'accès compassionnel, de certains médicaments», lorsqu'il n'existe aucun traitement approprié dans l'indication considérée et lorsque le médicament voit son efficacité et sa sécurité présumées bonnes, et ne fait pas l'objet d'une recherche impliquant la personne humaine.
L'accès compassionnel concerne les médicaments non nécessairement innovants, qui ne sont pas destinés à obtenir une AMM dans l'indication concernée, mais qui répondent de façon satisfaisante à un besoin thérapeutique (ex-ATU nominative et ex-RTU ou recommandation temporaire d'utilisation).
L'AAC peut alors être attribuée selon deux modalités de demande :
  • demande par le médecin prescripteur pour un patient donné : autorisation nominative par l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) via l'application e-Saturne (ex-ATU nominative). Ce cadre concerne des médicaments non autorisés et non disponibles en France. Seul un médecin hospitalier peut en faire la demande;
  • demande de l'ANSM ou du ministère de la Santé : cadre de prescription compassionnelle (ex-RTU). Ce cadre permet, à l'initiative de l'ANSM, d'encadrer une pratique de prescription hors-AMM d'un médicament disponible en France.
Liste des médicaments dédiés à l'ophtalmologie qui, en 2021, bénéficient d'une ATU nominative ou AAC
Liste des médicaments dédiés à l'ophtalmologie qui, en 2021, bénéficient d'une ATU nominative ou AAC
SpécialitéDCIIndicationParticularité
Alphagan® P 0,15 %, collyre en solution Brimonidine tartrateGlaucome primitif à angle ouvert nécessitant un traitement par antagoniste des récepteurs adrénergique alpha-2 Chez les patients allergiques au chlorure de benzalkonium
Brolène® 0,10 %, collyre en solution Propamidine (iséthionate)Abcès ou kératite amibienne avérés avec caractérisation
Ou abcès cornéen avec suspicion d'amibes
En cas de suspicion : fournir la date de mise en culture et le délai d'obtention des résultats
GS 101® 0,86 mg/ml, collyre en récipient unidose AganirsenNéovascularisation cornéenneJoindre la fiche du protocole d'utilisation thérapeutique et de recueil d'informations
Prescription réservée aux ophtalmologistes
Mitosol® 0,2 mg/ml, poudre et solvant pour solution à usage ophtalmique MitomycineAdjuvant dans la chirurgie du glaucome, en l'absence d'alternative à cette chirurgie
1 application topique oculaire, unique lors de l'intervention chirurgicale
Guide d'instruction vidéo
Prescription réservée aux ophtalmologistes
Natacyn® 5 %, collyre en suspension NatamycineKératite fongique
Ou abcès cornéen fongique
OueEndophtalmie fongique
Avec caractérisation : Candida, Aspergillus, Cephalosporium, Fusarium, Penicillium
En cas de suspicion sans caractérisation, fournir la date de mise en culture et le délai d'obtention des résultats
Kedrion Human Plasminogen®
1 mg/ml collyre
Plasminogène humainConjonctivite ligneuse sur déficit en plasminogène
Predforte® 1 % Collyre PrednisoloneKératoconjonctivite ou kératite
Restasis® 0,05 %, collyre en solution CiclosporineKératite sévère chez des patients adultes présentant une sécheresse oculaire et qui ne s'améliorent pas malgré l'instillation de substituts lacrymaux et en cas d'intolérance caractérisée à Ikervis® (qui dispose d'une AMM)
Talymus® 1 mg/ml, collyre en suspensionTacrolimusConjonctivite ou kératoconjonctivite sévère due à une sécheresse oculaire dans la GVH oculaire
Conjonctivite ou kératoconjonctivite sèche sévère due à syndrome de Gougerot-Sjögren, avec : résistance aux traitements non pharmacologiques (bouchons méatiques), résistance aux substituts lacrymaux, résistance à la ciclosporine en collyre
Médicament ophtalmologique bénéficiant du cadre de prescription compassionnel (CPC)
Il s'agit du bévacizumab, pour le traitement de la dégénérescence maculaire liée à l'âge (DMLA) néovasculaire.
RTU d'Avastin® dans le traitement de la DMLA
La RTU d'Avastin® dans le traitement de la DMLA a été particulièrement commentée : « Traitement de la dégénérescence maculaire liée à l'âge dans sa forme néovasculaire». Le protocole de suivi définit les critères de prescription, de dispensation et d'administration du médicament, ainsi que les modalités de surveillance des patients traités. Il décrit également les modalités de recueil des données issues de cette surveillance, notamment les données d'efficacité, de sécurité d'emploi et les conditions réelles d'utilisation du médicament. L'ensemble des données collectées par les prescripteurs seront recueillies et analysées par le laboratoire concerné et transmises périodiquement à l'ANSM. Les résumés des rapports correspondants, validés par l'ANSM sont publiés sur le site Internet de l'ANSM. En 2018, « le Collège de la HAS rappelle que la commission de la transparence a émis un avis recommandant l'utilisation en première intention des anti-VEGF dans la DMLA exsudative rétrofovéolaire, à savoir Avastin® (dans le cadre d'une RTU), Eylea® et Lucentis® (dans le cadre de leur AMM). Il s'étonne que la spécialité Avastin® doive toujours faire l'objet d'une RTU et ne fasse pas l'objet d'une prescription aussi simple que celle en vigueur pour les médicaments ayant une AMM dans cette indication».
Demandes d'ATU/AAC en situation d'urgence vitale
Dorénavant, en dehors des heures ouvrées, les pharmacies à usage intérieur (PUI) ne sont plus tenues d'appeler l'astreinte de l'ANSM si la demande d'ATU est jugée conforme aux critères d'octroi, par le prescripteur et le pharmacien de la PUI. L'accord oral de l'ANSM n'est pas requis dans ces situations. La régularisation de cet accord s'effectue a posteriori via l'application e-Saturne.
Protocole d'utilisation thérapeutique (PUT)
Les autorisations d'accès précoce sont soumises au respect d'un protocole d'utilisation thérapeutique et de recueil d'informations (PUT) défini par la HAS.
Médicaments à caractère particulier
Médicaments réservés à l'usage hospitalier
Le classement dans la catégorie des médicaments réservés à l'usage hospitalier ne peut intervenir que si les restrictions apportées à la prescription, à la délivrance et à l'administration du médicament sont justifiées par des contraintes techniques d'utilisation ou par des raisons de sécurité d'utilisation, nécessitant que le traitement s'effectue sous hospitalisation.
Médicaments à prescription hospitalière
Sont classés dans cette catégorie les médicaments dont les restrictions de prescription sont justifiées par la nécessité d'effectuer, dans des établissements disposant de moyens adaptés, le diagnostic et le suivi des maladies pour le traitement desquelles le médicament est habituellement utilisé ou par ses caractéristiques pharmacologiques, son degré d'innovation, ou un autre motif de santé publique. On peut citer Cystadrops® 3,8 mg/ml Coll Sol 5 ml FL/1.
Médicaments à prescription initiale hospitalière
Le classement dans la catégorie des médicaments à prescription initiale hospitalière ne peut intervenir que si les restrictions apportées à la prescription du médicament sont justifiées par la nécessité d'effectuer dans des établissements disposant de moyens adaptés le diagnostic des maladies pour le traitement desquelles le médicament est habituellement utilisé ( https://www.meddispar.fr/#nav-buttons).
Médicaments à prescription réservée à certains spécialistes
Le classement dans la catégorie des médicaments à prescription réservée à certains médecins spécialistes ne peut intervenir que si les restrictions apportées à la prescription du médicament sont justifiées par les contraintes de mise en œuvre du traitement, eu égard à la spécificité de la pathologie et aux caractéristiques pharmacologiques du médicament, à son degré d'innovation, ou à un autre motif de santé publique. On peut citer, dans le cadre de l'usage ophtalmologique :
  • Eylea® 40 mg/ml Sol Inj Flacon B/1;
  • Humira® 100 mg/ ml Sol Inj;
  • Hyrimoz® 40 mg Sol Inj Ser Pre 0,8 ml B/2;
  • Imraldi® 40 mg/0,8 ml Sol Inj;
  • Lucentis® 10 mg/ml Sol Inj;
  • Luxturna 5 × 1012 génomes de vecteur/ml, solution à diluer injectable;
  • Ozurdex® 700 μg Implant Intravitr;
  • Visudyne® 15 mg PDR Sol Perf.
Médicaments nécessitant une surveillance particulière
L'ANSM a mis en place un système permettant la surveillance des cas d'abus et de dépendance liés à la prise de substances ou plantes ayant un effet psychoactif ainsi que de tout médicament ou autre produit en contenant.
Suite à la mise en évidence de cas de détournement, notamment par injection chez des usagers d'opioïdes, les conditions de prescription et de délivrance de la spécialité Mydriaticum® 0,5 %, collyre, flacon de 10 ml (tropicamide) sont modifiées depuis janvier 2019. La prescription du Mydriaticum® 0,5 %, collyre en flacon de 10 ml sera réservée aux spécialistes en ophtalmologie pour un usage professionnel. La spécialité Mydriaticum® 0,5 %, collyre en flacon de 10 ml ne devra plus être dispensée aux patients. En revanche, les conditions de prescription et de délivrance de Mydriaticum® 2 mg/0,4 ml, collyre en récipient unidose sont inchangées (prescription médicale obligatoire (liste I) et délivrance possible aux patients.
Médicaments de thérapie génique et médicaments dérivés du sang
Voir les chapitres dédiés à ces médicaments et aux biothérapies dans le Rapport.
Préparations hospitalières
Les préparations hospitalières sont :
  • réalisées à l'avance, en petite séries en l'absence de spécialité pharmaceutique disponible et adaptée mise à disposition dans le cadre d'une AMM, ou d'une ATU, ou d'une autorisation d'importation;
  • dispensées sur prescription médicale à un ou plusieurs patients d'un établissement de santé;
  • élaborées en conformité avec des référentiels scientifiques et de bonnes pratiques par une PUI ou par un établissement pharmaceutique géré par un établissement public de santé (EP/ES), ou par un établissement pharmaceutique autorisé à fabriquer des médicaments dans le cadre de la sous-traitance.
En 2010, l'ANSM a publié un rapport au sein duquel elle définissait le caractère indispensable de certaines préparations hospitalières destinées à l'ophtalmologie : ciclosporine (collyre); cystéamine chlorhydrate (poudre et solvant pour collyre en solution). Ce rapport précisait les indications « remontées» des pharmacies hospitalières pour les préparations de ciclosporine collyre, 0,05 %, 0,1 %, 0,5 %,1 %, 2 % :
  • prévention et traitement du rejet de greffe de cornée chez le sujet à risque, du GVH et des kératoconjonctivites vernales (2 %);
  • prévention et traitement du rejet de greffe de cornée quand le collyre à 2 % ne peut pas être utilisé (dosage trop élevé, mauvaise tolérance, enfant) (0,5 %);
  • traitement des maladies auto-immunes du globe oculaire et de ses annexes (0,5 %);
  • traitement des sécheresses oculaires sévères, d'origine immunologique ou non, rebelles aux thérapeutiques classiques actuellement commercialisés (0,1 %).
Préparations magistrales
Selon le CSP : « On entend par préparation magistrale, tout médicament préparé selon une prescription médicale destinée à un malade déterminé en raison de l'absence de spécialité pharmaceutique disponible disposant d'une autorisation de mise sur le marché, de l'une des autorisations mentionnées aux articles L. 5121-9-1 et L. 5121-12, d'une autorisation d'importation parallèle ou d'une autorisation d'importation délivrée à un établissement pharmaceutique dans le cadre d'une rupture de stock d'un médicament, soit extemporanément en pharmacie, soit dans les conditions prévues à l'article L. 5125-1 ou à l'article L. 5126-6». Préparations hospitalières et préparations magistrales de collyres – exemple de l'hôpital Cochin, 2021.
Préparations hospitalières et préparations magistrales de collyres – exemple de l'hôpital Cochin, 2021.
Préparations hospitalièresPréparations magistrales
Amikacine 3 %
Amphotéricine B liposomale 0,5 %
Atropine 0,01 % et 0,05 %
Ciclosporine 2 %
Ciclosporine 1 %
Ciclosporine 0,5 %
Ciclosporine 0,05 %
EDTA 2,2 %
Mitomycine C 0,02 %
Mitomycine C 0,04 %
PHMB 0,02 %
Ticarcilline 0,66 %
Vancomycine 5 %
Voriconazole 1 %
Chlorure de sodium 5 %
Cocaïne 5 %
Colistine 106 UI/ml
Érythromycine 0,5 %
Fluorouracile 50 mg/ml
Glycérine collyre