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Chapitre 6
Diagnostic microbiologique d'une infection de la surface oculaire (hors virologie)

L. Merabet, A. Kobal, F. Brignole-Baudouin

Introduction
Une atteinte infectieuse de la conjonctive, mais surtout de la cornée, peut mettre en jeu le pronostic visuel. L'atteinte des tissus mous comme les cellulites représentent également des urgences thérapeutiques. Ainsi, il est important, d'une part, que le microbiologiste soit familiarisé avec ces pathologies et avec les termes anatomiques qui s'y rattachent et, d'autre part, que l'ophtalmologiste prenne en compte les contraintes du laboratoire en termes de respect des conditions préanalytiques, par exemple celles concernant les modalités de prélèvements et de transport. Tous deux, microbiologiste et ophtalmologiste, doivent avoir des connaissances sur l'épidémiologie, les circonstances d'apparition et les pathogènes pouvant être impliqués. Ainsi, la coopération entre eux sera facilitée et permettra un gain de temps indéniable pour la mise en œuvre de la meilleure stratégie d'exploration microbiologique à adopter, d'autant plus que les échantillons prélevés sont de petite taille ou de faible volume, et sont souvent difficiles à réitérer.
Les étapes préanalytiques : la feuille de demande et les conditions de transport
Feuille de demande
Il est toujours souhaitable que l'ophtalmologiste puisse informer le microbiologiste de vive voix, mais il doit, de toute façon, toujours veiller à renseigner de manière scrupuleuse la feuille de demande qui aura été établie au préalable de manière conjointe entre les différents partenaires. Le clinicien doit y mentionner, outre la date et l'heure du prélèvement, la description précise des circonstances de survenue, les symptômes et les signes, si possible en s'aidant d'un schéma de la localisation et de l'aspect de la lésion, notamment en cas de kératite. Enfin, il doit proposer une priorisation initiale des tests à engager en fonction de tous ces éléments et des résultats de son examen clinique ainsi que ceux des examens d'imagerie (microscopie confocale in vivo par exemple).
Conditions de prélèvements
Les prélèvements de la surface oculaire à visée microbiologique, essentiellement écouvillonnages et grattages, sont présentés dans le tableau 6-1
Tableau 6-1
Les différents prélèvements de la surface oculaire.
MaladieSites de prélèvements Méthodes de prélèvement
(gants obligatoires)
Modes de transport
BlépharitePaupières 1,2 Cils (recherche d'ectoparasites, Demodex, poux, lentes, etc.) Grattage des squames à l’aide d’un écouvillon sec ou d’un écouvillon type eSwab®
À l’aide d’une pince, prélever 4 cils par paupières, au moins. Prélèvement plutôt fait au laboratoire
Écouvillons secs acheminés dans leur tube primaire ou écouvillon type eSwab® avec milieu de transport entre lame et lamelle dans une goutte de NaCl à 0,9 %
ConjonctiviteConjonctive palpébrale 1,2Recueil des sécrétions à l'aide de 2 écouvillons secs, ou d'un écouvillon type eSwab® (voir fig. 6-1)
Pour la recherche de Chlamydiae, écouvillonnage à l'aide d'un kit dédié
Écouvillons secs acheminés dans leur tube primaire ou écouvillon type eSwab® avec milieu de transport
Parasitose conjonctivale (filaire)Conjonctive
  • - À la pince
  • - Prévoir un tube de sang sur EDTA pour quantification de la microfilarémie
  • - Dans un pot avec 2-3 gouttes de NaCl 0,9 %
  • - Transport du tube de sang à température ambiante
Canaliculite, dacryoscystite, Cellulite préseptaleTissus mous périoculaires
  • - De préférence par ponction à la seringue
  • - Ou écouvillonnage du pus à l'aide d'un écouvillon sec, ou type eSwab®
  • - Seringue acheminée directement
  • - Ou écouvillon mis dans un tube stérile sec ou écouvillon type eSwab® avec milieu de transport
KératiteCornée 3
Se référer à la procédure de grattage cornéen
Selon l'orientation clinique et/ou l'aspect de la lésion, différents outils sont utilisés : lame(s) de bistouri T15 inoxydable, écouvillon(s) sec(s), écouvillon(s) type eSwab®
  • - Lames cerclées acheminées dans un porte-lame
  • - Lame de bistouri mise en tube stérile
  • - Écouvillons secs acheminés dans leur tube primaire
  • - Écouvillons type eSwab® contenant un milieu de transport
1Ni toilette faciale ni maquillage (consignes au patient).2Pas de rinçage avant le prélèvement.3Rinçage préalable avec NaCl 0,9 %.
. En fonction de la pathologie, les sites de prélèvements, les méthodes de prélèvements et les modalités de transport y sont détaillés. Ces prélèvements doivent, dans la mesure du possible, être réalisés avant toute antibiothérapie et imposent le port de gants non poudrés [1]. La confection d'un kit de prélèvement préparé à l'avance est conseillée pour simplifier et standardiser les procédures (fig. 6-1
Fig. 6-1
Kit et modalités de prélèvements cornéens pour examens microbiologiques – atteintes cornéennes.
Le kit contient tout le matériel utile aux différentes analyses microbiologiques sélectionnées en fonction de l'orientation clinique, à la recherche de bactéries, de champignons, de parasites et de virus si nécessaire [2]. Les numéros indiquent l'ordre des prélèvements à privilégier.
Dessin de Cyrille Martinet (d'après la figure originale des auteurs).
) [2].
Les prélèvements de cornée doivent bénéficier au préalable d'un rinçage de la surface oculaire à l'aide d'une solution de NaCl 0,9 % stérile afin d'éliminer toute trace de fluorescéine et d'anesthésiant qui interféreraient avec les performances analytiques (comme l'inhibition des PCR ou polymerase chain reaction ) [3]. Les grattages de cornée sont effectués par l'ophtalmologiste, sous contrôle de l'épaisseur cornéenne à la lampe à fente. Pour la recherche bactériologique, l'ordre des prélèvements dépend de l'aspect de la lésion cornéenne. En effet, en cas d'ulcère ou d'abcès, on commencera par un prélèvement à l'eSwab®; en revanche, en présence d'un infiltrat sous-épithélial, il est préférable de débuter par un grattage à la lame de bistouri 15T, étalé ensuite en couche mince sur les deux lames cerclées. Il est recommandé de gratter la lésion cornéenne en partant du centre vers les berges, en veillant à éviter tout contact avec les tissus environnants, conjonctive ou paupières [2]. Aucune toilette du visage et des yeux, a fortiori aucun maquillage, ne doit être effectuée avant des prélèvements conjonctivaux.
Modalités de transport des prélèvements
Tout prélèvement doit parvenir au laboratoire le plus rapidement possible accompagné de sa feuille de demande dûment remplie. Tout délai doit être anticipé, et il est de la responsabilité du biologiste de définir les conditions de transport et de conservation adéquates. Les écouvillons sont transportés à température ambiante, à sec dans leur dispositif initial de transport ou dans des milieux de transport liquides pour les écouvillons de type eSwab®. L'ensemencement des écouvillonnages se fait au laboratoire. La lame de bistouri, destinée à la recherche d' Acanthamoeba par PCR, est transportée en tube stérile ( DNA free ) (voir tableau 6-1
Tableau 6-1
Les différents prélèvements de la surface oculaire.
MaladieSites de prélèvements Méthodes de prélèvement
(gants obligatoires)
Modes de transport
BlépharitePaupières 1,2 Cils (recherche d'ectoparasites, Demodex, poux, lentes, etc.) Grattage des squames à l’aide d’un écouvillon sec ou d’un écouvillon type eSwab®
À l’aide d’une pince, prélever 4 cils par paupières, au moins. Prélèvement plutôt fait au laboratoire
Écouvillons secs acheminés dans leur tube primaire ou écouvillon type eSwab® avec milieu de transport entre lame et lamelle dans une goutte de NaCl à 0,9 %
ConjonctiviteConjonctive palpébrale 1,2Recueil des sécrétions à l'aide de 2 écouvillons secs, ou d'un écouvillon type eSwab® (voir fig. 6-1)
Pour la recherche de Chlamydiae, écouvillonnage à l'aide d'un kit dédié
Écouvillons secs acheminés dans leur tube primaire ou écouvillon type eSwab® avec milieu de transport
Parasitose conjonctivale (filaire)Conjonctive
  • - À la pince
  • - Prévoir un tube de sang sur EDTA pour quantification de la microfilarémie
  • - Dans un pot avec 2-3 gouttes de NaCl 0,9 %
  • - Transport du tube de sang à température ambiante
Canaliculite, dacryoscystite, Cellulite préseptaleTissus mous périoculaires
  • - De préférence par ponction à la seringue
  • - Ou écouvillonnage du pus à l'aide d'un écouvillon sec, ou type eSwab®
  • - Seringue acheminée directement
  • - Ou écouvillon mis dans un tube stérile sec ou écouvillon type eSwab® avec milieu de transport
KératiteCornée 3
Se référer à la procédure de grattage cornéen
Selon l'orientation clinique et/ou l'aspect de la lésion, différents outils sont utilisés : lame(s) de bistouri T15 inoxydable, écouvillon(s) sec(s), écouvillon(s) type eSwab®
  • - Lames cerclées acheminées dans un porte-lame
  • - Lame de bistouri mise en tube stérile
  • - Écouvillons secs acheminés dans leur tube primaire
  • - Écouvillons type eSwab® contenant un milieu de transport
1Ni toilette faciale ni maquillage (consignes au patient).2Pas de rinçage avant le prélèvement.3Rinçage préalable avec NaCl 0,9 %.
). Des étalements en couches minces du grattage cornéen sur deux lames en verre cerclées sont réalisés par l'ophtalmologiste. Ces lames seront transportées dans un porte-lame. Les prélèvements liquides, comme les ponctions à l'aiguille montée sur une seringue, sont envoyés au laboratoire directement dans la seringue dont l'aiguille aura été préalablement enlevée. En outre, il est important de savoir respecter les conditions d'anaérobiose si le prélèvement doit arriver au-delà de 2 heures en utilisant un dispositif de transport adapté [ 1 , 4]. Les biopsies, ainsi que les lentilles de contact, d'éventuels corps étrangers, cils, parasites (filaires) sont acheminés dans un tube stérile contenant un peu de solution saline isotonique stérile.
Examen microbiologique d'un prélèvement
L'examen microbiologique d'un prélèvement peut être décomposé en quatre étapes. Les trois premières concernent la recherche et l'identification du pathogène, la dernière concerne le traitement avec le test de la sensibilité aux antimicrobiens.
Examen direct après coloration des lames
Les étalements du prélèvement sont effectués soit par le clinicien dans le cadre de la kératite, soit au laboratoire (conjonctivites, collections et pus) et sont ensuite colorés pour une recherche et une orientation rapide du ou des pathogène(s). La première coloration utilisée pour la recherche de pathogènes est la coloration de May-Grünwald-Giemsa (MGG) (tableau 6-2
Tableau 6-2
Méthodes classiques de coloration pour l'identification des micro-organismes.
BactériesChampignonsAcanthamibesMycobactériesMicrosporidiesChlamydiae
May Grünwald GiemsaXXXXXX
GramXXXXX
Ziehl-NeelsenXXX
Gomori-GrocottXX

Bact. : bactéries; Champ. : champignons; Acanth. : acanthamibes; Mycobact. : mycobactéries; Microspor. : microsporidies; Chlamyd. : chlamydiae.


). Le temps dans le Giemsa est volontiers prolongé à 25 minutes et on parle alors de MGG lent, pour permettre la coloration des kystes d' Acanthamoeba et des filaments mycéliens (fig. 6-2A, B
Fig. 6-2
Photographie de grattages cornéens colorés au May-Grünwald Giemsa.
a. Un kyste d'Acanthamoeba (flèche) en lisière d'un amas de cellules épithéliales (grossissement ×400). b. Des filaments mycéliens (flèche, grossissement ×400). c. De nombreux polynucléaires neutrophiles (*), des cellules épithéliales (**) et de rares hématies (x) (grossissement ×200).
). Compte tenu de l'hétérogénéité des étalements, il est recommandé de colorer d'emblée les deux lames de grattage cornéen au MGG. Ensuite, d'autres colorations sont envisagées, Gram, Ziehl, Gomori-Grocott (voir tableau 6-2
Tableau 6-2
Méthodes classiques de coloration pour l'identification des micro-organismes.
BactériesChampignonsAcanthamibesMycobactériesMicrosporidiesChlamydiae
May Grünwald GiemsaXXXXXX
GramXXXXX
Ziehl-NeelsenXXX
Gomori-GrocottXX

Bact. : bactéries; Champ. : champignons; Acanth. : acanthamibes; Mycobact. : mycobactéries; Microspor. : microsporidies; Chlamyd. : chlamydiae.


) en fonction des orientations issues de ce premier examen, soit sur la deuxième lame, soit sur une lame précédemment colorée au MGG après décoloration de celle-ci à l'alcool à 70°.
Lecture des lames
La lecture des lames est réalisée au microscope optique au faible grossissement (×100) pour évaluer la richesse du prélèvement en cellules, et observer la présence de kystes et/ou de trophozoïtes d'amibes libres ou de champignons, puis au fort grossissement (×1000) afin de pouvoir caractériser les bactéries.
Interprétation de l'examen direct à la coloration MGG
Différentes cellules sont observables en parallèle des micro-organismes [5] (fig. 6-2C
Fig. 6-2
Photographie de grattages cornéens colorés au May-Grünwald Giemsa.
a. Un kyste d'Acanthamoeba (flèche) en lisière d'un amas de cellules épithéliales (grossissement ×400). b. Des filaments mycéliens (flèche, grossissement ×400). c. De nombreux polynucléaires neutrophiles (*), des cellules épithéliales (**) et de rares hématies (x) (grossissement ×200).
) : des cellules immunitaires témoins d'une inflammation pouvant être associée ou non à une infection (polynucléaires neutrophiles, lymphocytes, macrophages); des cellules épithéliales, avec parfois des altérations dues aux effets de l'infection ou d'une inflammation non infectieuse ou toxique (allergie, médicaments, etc.). Dans ces cellules épithéliales, doivent être recherchées attentivement des inclusions basophiles périnucléaires témoins de la présence de bactéries intracellulaires comme les Chlamydiae . La présence de polynucléaires éosinophiles peut indiquer une réaction immuno-allergique soit préexistante à l'infection, soit induite par un principe actif ou un excipient (conservateur) des collyres utilisés. Des lymphocytes, rares en principe dans les infections bactériennes, à l'inverse des infections virales, peuvent aussi se rencontrer en présence de bactéries intracellulaires ou lors d'un effet iatrogène local.
Culture microbienne
Les prélèvements doivent être ensemencés au laboratoire le plus rapidement possible, en tenant compte à la fois de la clinique et des pathogènes les plus fréquemment rencontrés dans les infections de la surface oculaire (hors virus) (tableau 6-3
Tableau 6-3
Agents infectieux (hors virus) les plus fréquemment rencontrés selon la pathologie infectieuse (hors virus).
BactériesChampignonsParasites
ConjonctivitesS. pneumoniae
H. influenzae, N. gonorrhoeae
S. aureus,
Streptocoque bêta-hémolytique (S. pyogenes )
Moraxella spp.
C. trachomatis
Bartonella (diagnostic sérologique)
Microfilariae
Microsporidia
KératitesP. aeruginosa
S. aureus
Moraxella spp.
S. pneumoniae
Streptocoque du groupe viridans
Streptocoque bêta-hémolytique
H. influenzae
Bacillus
Entérobactéries (S. marcescens, Citrobacter , etc.)
Mycobacteries atypiques
Fusarium spp.
Aspergillus spp.
Scedosporium spp.
C. albicans
Acanthamoeba
Microsporidia
BlépharitesS. aureus
C. acnes
MalasseziaDemodex folliculorum

Pthirus pubis
CanaliculitesS. aureus
S. pneumoniae
H. influenzae
Actinomyces spp.
Anaérobies (Fusobacterium)
DacryocystitesS. aureus
S. pyogenes
S. pneumoniae
Actinomyces spp.
P. aeruginosa
H. influenzae
Anaérobies (Fusobacterium)
C. albicans
Cellulites préseptalesS. aureus
Streptocoque beta-hémolytique
H. influenzae
S. pneumoniae
Anaérobies (Fusobacterium)
). Ainsi, ils sont ensemencés sur des milieux gélosés ou liquides/bouillons riches, tels qu'une gélose chocolat Polyvitex® permettant la culture de bactéries exigeantes et à croissance lente ( Neisseria gonorrhoeae, Haemophilus influenzae , etc.) ainsi que de champignons, une gélose au sang, un bouillon liquide type Schaedler désoxygéné pour l'isolement de bactéries anaérobies, un milieu Lowenstein-Jensen si une mycobactérie est suspectée, et un milieu Sabouraud avec antibiotiques pour isoler les levures et les champignons filamenteux [5].
Les différents milieux de culture ensemencés sont incubés à différentes températures et atmosphères pendant une durée de 7 jours pour les bactéries classiques, voire de 30 jours en cas de suspicion de mycobactéries atypiques et de champignons. Les cultures doivent être observées quotidiennement pendant la durée d'incubation. Au-delà de ces délais, sans prolifération, la culture est considérée comme négative. À l'inverse, en présence d'une culture positive, confrontée à l'examen microscopique et aux données cliniques, il est procédé à une identification bactérienne et à des tests de sensibilité aux antibiotiques.
Dans le cas de kératite sur port de lentilles de contact, une recherche complémentaire d' Acanthamoeba est possible à partir des lentilles de contact ainsi que du liquide contenu dans le boîtier de lentilles, après centrifugation. La culture d' Acanthamoeba est techniquement complexe et n'est pas couramment effectuée dans les laboratoires. Elle est faite en flasques dans du NaCl à 0,9 % enrichi d'une suspension d' Escherichia coli morts [6] en atmosphère humide à 30 °C de 10 à 21 jours, examinée quotidiennement au microscope inversé. Enfin, après 2 ou 3 jours, les amibes forment généralement des kystes visibles [7].
Identification phénotypique des micro-organismes
Spectrométrie de masse de type MALDI-TOF
La spectrométrie de masse de type MALDI-TOF ( matrix-assisted laser desorption/ionization time of flight ) est une technique analytique dans laquelle les échantillons microbiens sont déposés sur une plaque en métal au contact d'une matrice puis, une fois secs et cristallisés, ils sont introduits dans l'appareil et soumis à un rayon laser qui les vaporise et ionise positivement les protéines. Les protéines ionisées sont séparées selon leur rapport masse sur charge (m/z), et mesurées en déterminant le temps que les ions mettent pour atteindre le détecteur situé à l'extrémité d'un tube, dit « de vol». On obtient des spectres avec, en abscisses, les valeurs du ratio masse/charge qui dépendent de la vitesse à laquelle les ions volent vers le détecteur d'ions et, en ordonnées, l'intensité du signal, liée à l'abondance des protéines. Ces spectres sont ensuite analysés à l'aide de bases de données de spectres d'organismes connus, constamment enrichies [ 8].
Cette nouvelle technologie est devenue la technique de référence, rapide, précise, sensible et à haut débit, pour l'identification des bactéries, levures et champignons filamenteux isolés des cultures ainsi que des mycobactéries atypiques, grâce à des banques de données de milliers de spectres de référence. En outre, elle permet l'identification des pathogènes jusqu'au niveau de l'espèce, parfois même de sous-espèce, et aujourd'hui permet également de déterminer des profils de résistance aux antibiotiques En cas de doute sur certaines espèces rares (notamment fongiques), parfois absentes de ces bases de données, il faudra recourir à d'autres techniques comme le séquençage de l'ADN à partir de la culture [1 , 9].
Polymerase chain reaction (PCR)
La PCR est la deuxième méthode de choix, rapide, sensible et spécifique, d'identification des micro-organismes par l'analyse de fragments d'ADN spécifiques du pathogène. Elle est fondée sur une phase d'extraction de l'ADN suivie d'une succession de réplications grâce à une enzyme, ADN polymérase, conduisant à une amplification exponentielle. Il s'agit d'une PCR quantitative (dite aussi « en temps réel»), les amplicons étant détectés en continu grâce à des sondes fluorescentes. Elle peut être ciblée, en utilisant des amorces d'ADN spécifiques, courtes séquences d'ADN simple brin, ou non ciblée quand elle détecte la présence de bactéries ou de champignons, sans les identifier, grâce à des amorces ciblant un gène conservé par de nombreux pathogènes (PCR eubactérienne sur la base de l'ARN ribosomique [ARNr] 16S, ou eufongique sur l'ARNr 18S ou 28S) [10]. Ensuite, si le résultat est positif, il est procédé à une identification par séquençage [11 , 12]. Une très faible quantité d'ADN peut suffire pour être contributive, justifiant la grande sensibilité de cette technique. À partir d'étalements de grattages cornéens, il est donc théoriquement possible d'extraire l'ADN pour pratiquer une recherche en PCR, mais à condition qu'aucun montage des lames en milieu d'inclusion sous lamelle n'ait été pratiqué [ 1].
La PCR permet de trouver un pathogène même sous traitement antibiotique et d'identifier des gènes de résistances aux antibiotiques [ 13]. Des PCR multiplexes, capables d'amplifier plusieurs séquences d'ADN en même temps, ont été développées notamment pour des approches syndromiques [10 , 13]. Outre les virus, la PCR est couramment utilisée pour la recherche d' Acanthamoeba spp.
Génomique et métagénomique
En parallèle de ces deux approches moléculaires, les techniques de génomique permettent d'analyser les gènes des micro-organismes, et de connaître leur structure, leur évolution, leurs fonctions et leur régulation, à partir d'une culture pure et de déterminer la virulence, la pathogénicité ou la résistance de la souche en cause [ 14]. En l'absence de culture pure, et afin d'étudier une communauté bactérienne dans son ensemble, il convient de faire appel à la métagénomique qui permet le séquençage de l'ADN de toutes les bactéries présentes dans un échantillon. Ces nouvelles technologies devraient peu à peu être utilisées largement pour le diagnostic des infections oculaires les plus sévères, comme les endophtalmies et les ulcères de cornée, notamment en cas d'échec des tests de microbiologie actuels. Pour les ulcères cornéens, en particulier, elles se heurtent aux difficultés classiques rencontrées avec ces échantillons à faible charge bactérienne, de faible volume et à risque de contamination.
Tests de sensibilité aux antibiotiques et aux antifongiques
Les pathogènes isolés en culture (bactéries, levures ou champignons filamenteux) font l'objet d'une étude phénotypique en testant une gamme d'antibiotiques ou d'antifongiques pour déterminer leur profil de sensibilité permettant une réadaptation du traitement anti-infectieux initial. Différentes méthodes existent utilisant soit la diffusion en milieux gélosés d'antibiotique à partir de disques ou de bandelettes « E-test» imprégnés, soit la détermination en milieux liquides par microdilution, selon les recommandations des sociétés savantes EUCAST-CA SFM (European Committee on Antimicrobial Susceptibility Testing-Comité de l'antibiogramme de la Société française de microbiologie) ou CLSI (Clinical and Laboratory Standards Institute).
Sans attendre les résultats de ces tests de sensibilité, un traitement empirique à large spectre, fondé sur des données épidémiologiques, est débuté immédiatement après que les prélèvements ont été faits. Ce traitement de première ligne est amené à être modifié en fonction des résultats des analyses microbiologiques incluant les tests de sensibilité. Cette réadaptation permet d'utiliser des molécules à spectre moins large, ce qui réduit le risque d'apparition de résistance, en même temps qu'elle permet un ajustement des concentrations efficaces à moindre toxicité. Les voies d'administration de ces traitements des infections de la surface oculaire sont le plus souvent topiques, plus rarement systémiques pour les cas les plus graves. Les agents topiques sont instillés directement sur la conjonctive et la surface cornéenne et sont ainsi immédiatement disponibles, mais ils sont rapidement dilués par les larmes et drainés par le système lacrymal. Des formulations concentrées en agents anti-infectieux (antibiotiques et antifongiques) ou « collyres fortifiés» fabriqués en pharmacie hospitalière sont parfois nécessaires.
Conclusion
L'analyse microbiologique d'un prélèvement de la surface oculaire requiert une étroite collaboration entre cliniciens et microbiologistes pour l'optimisation de la mise en œuvre d'une importante batterie de tests souvent longs, complexes et sophistiqués, allant pour les plus classiques de 24 à 72 heures jusqu'à 1 à 2 heures pour les plus modernes comme les PCR, alors que les échantillons à analyser sont pauvres. Tous ces tests s'inscrivent dans une stratégie diagnostique globale alliant la clinique et l'imagerie pour une application thérapeutique ciblée la plus précoce possible. L'arrivée des séquençages de nouvelle génération et des plateformes d'intelligence artificielle devrait permettre une augmentation du rendement des méthodes classiques, renforçant encore davantage l'optimisation des traitements anti-infectieux de première intention, et réduisant, de ce fait, le risque de résistances bactériennes [ 15].
Points à retenir
  • L'importance du dialogue entre ophtalmologistes et microbiologistes.
  • Les circonstances de survenue, éléments de grande valeur pour l'orientation étiologique et la priorisation des tests à effectuer.
  • La spécificité des échantillons de la surface oculaire, pauvres, fragiles, difficiles à réaliser et à réitérer.
  • Les modalités de prélèvements et de transport, capitales pour préserver la qualité des échantillons.
  • La formation des différents intervenants, ophtalmologistes et microbiologistes pour les familiariser à leurs contraintes mutuelles et faciliter les échanges.
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