A. Bourdin, A. Gounou Motchofo, Y.R. Chung, B. Bodaghi
Introduction
Depuis l'invention du premier vaccin contre la variole par Edward Jenner à la fin du XVIII e siècle, en passant par Pasteur au XIX e siècle, la vaccination permet d'éviter la survenue de maladies ou d'en atténuer les manifestations cliniques grâce à une réponse immunitaire spécifique. Le nombre de vaccins disponibles augmente régulièrement et le calendrier vaccinal en France impose 11 vaccins obligatoires [1] : diphtérie, tétanos et poliomyélite (DTP) , coqueluche , infections invasives à Haemophilus influenzae de type B , hépatite B, infections invasives à pneumocoque, méningocoque de sérogroupe C, rougeole, oreillons et rubéole (ROR) . Comme pour tout médicament, de rares effets secondaires ont été imputés aux vaccins : principalement des réactions conjonctivales et des paupières, des neuropathies optiques , des uvéites et des inflammations rétiniennes [2]. L'utilisation des immunosuppresseurs et immunomodulateurs est souvent associée à des vaccinations préventives, comme celles contre la grippe ou la pneumonie, sans oublier la Covid-19 .
Les différents types de vaccins
Il existe deux grands types de vaccins : les vaccins vivants atténués et les vaccins inertes .
Les vaccins vivants atténués sont dérivés des agents pathogènes et rendus moins virulents (tels que le ROR, le bacille de Calmette et Guérin [BCG]), la varicelle et le zona, la fièvre jaune, la dengue et le vaccin nasal contre la grippe saisonnière). Ils sont tous contre-indiqués en cas d'immunodépression.
Les vaccins inertes sont composés d'agents infectieux inactivés ou de composants isolés (protéines ou polysaccharides), avec notamment les récents vaccins à ARN messager contre la Covid-19. Ils regroupent les vaccins entiers (grippe, poliomyélite, hépatite A, rage), les vaccins sous-unitaires (protéines recombinantes : hépatite B, papillomavirus [HPV]; toxines inactivées : diphtérie, tétanos; polysaccharides : pneumocoque, méningocoque C, A-C-Y-W, Haemophilus influenza de type B; protéines : coqueluche acellulaire, méningocoque B).
Effets secondaires et imputabilité
L'imputabilité d'un médicament dans un effet secondaire observé peut parfois être difficile à démontrer. Elle repose sur une relation temporelle cohérente et une plausibilité biologique. Les études épidémiologiques analytiques sont limitées du fait de la rareté des événements et la littérature repose donc souvent sur des cas rapportés, dont la causalité est parfois difficile à démontrer. Néanmoins, la relation causale entre un médicament et un effet secondaire observé peut être classée grâce à l'algorithme de Naranjo en « certaine», « probable», « possible» ou « douteuse» [3]. C'est cette terminologie qui sera utilisée dans ce chapitre.
Bacille de Calmette et Guérin (BCG)
Le BCG est utilisé comme vaccin contre la tuberculose, mais aussi plus récemment comme traitement adjuvant en intravésical du carcinome urinaire [4]. Les effets secondaires certains rapportés sont des uvéites et inflammations conjonctivales [5]. De probables syndromes de Reiter et, de manière moins certaine, des neuropathies optiques et rétinopathies sont également suspectés.
Rage
Le vaccin contre la rage est associé de façon certaine à des réactions inflammatoires des paupières et à de la conjonctive ainsi qu'à de possibles neuropathies optiques, syndrome des taches blanches évanescentes et multiples ( multiple evanescent white dot syndrome [MEWDS]) [6], diplopie et photophobie.
Variole
Le vaccin contre la variole peut entraîner de manière rare mais certaine des réaction blépharoconjonctivales avec des vésicules, pustules et cicatrices, ainsi que des atteintes cornéennes [7]. Des cas d'occlusions d'artères rétiniennes ont aussi été décrits.
Hépatite B
Les principaux effets secondaires possibles du vaccin contre l'hépatite B sont les réactions conjonctivales et orbitaires, ainsi que des uvéites aiguës, diplopies, strabismes transitoires et de rares cas de neuropathies optiques [ 8]. Des cas d'épithéliopathie en plaques , un cas de MEWDS et des cas d'occlusion du tronc de la veine centrale de la rétine ont également été décrits.
Grippe
Le vaccin contre la grippe saisonnière a été relié de façon certaine à des syndromes oculorespiratoires avec des conjonctivites bilatérales [ 9]. De probables rejets de greffe cornéenne ont été décrits, ainsi que des possibles neuropathies optiques, paralysie faciales, vasculites rétiniennes, uvéites, APMPPE ( acute posterior multifocal placoid pigment epitheliopathy ), MEWDS et choriorétinopéthies séreuses centrales.
Rougeole, oreillons, rubéole (ROR)
Le vaccin ROR a été associé de façon probable à des uvéites antérieures, panuvéites ou neuropathies optiques bilatérales [ 4 , 10].
Varicelle et zona
Les vaccins contre la varicelle et le zona sont tous deux composés d'une souche de virus atténué. Les principaux effets secondaires possibles sont une inflammation palpébrale et orbitaire, conjonctivale, des paralysies, uvéites, kérato-uvéites et réactivations de kératites zostériennes [9]. Des cas de nécrose rétinienne aiguë ( acute retinal necrosis [ARN]) ont été décrits chez l'immunodéprimé et l'immunocompétent, avec des prélèvements vitréens positifs à la souche virale du vaccin [ 11].
Coronavirus disease 2019 (Covid-19)
La pandémie de Covid-19 a provoqué la première mise sur le marché de vaccins à ARN messager en 2020 (Pfizer/BioNTech et Moderna), puis de vaccins reposant sur un adénovirus (AstraZeneca et Janssen). Depuis, plus de 13 milliards de doses ont été administrées, soit 70 % de la population mondiale [12]. Une attention particulière a été portée aux potentiels effets secondaires de ces nouveaux vaccins, qui se sont avérés extrêmement rares. Ont été principalement rapportées des uvéites (fig. 15-1
Fig. 15-1Vasculites rétiniennes occlusives bilatérales sévères avec ischémie majeure chez un patient de 50 ans sans antécédents particulier, apparues 15 jours après une vaccination anti-Covid19. a, b. Rétinophotographies de l'œil droit et de l'œil gauche montrant l'importance de l'occlusion vasculaire. c, d. Angio-OCT (Plex®Elite, 12×12) mettant en évidence l'importance de la raréfaction vasculaire bilatérale majeure.
), avec moins de 0,9 cas par million de dose [13] (27 cas publiés; entre autres, 20 uvéites antérieures, deux MEWDS , une uvéite intermédiaire, une choroïdite multifocale et une panuvéite), avec une évolution favorable pour la majorité d'entre elles. D'autres manifestations plus rares ont été décrites : la récidive de maladie de Vogt-Koyanagi-Harada (VKH), des sclérites, des épisclérites, des rejets de greffe de cornée, une neurorétinopathie maculaire aiguë, des neuropathies optiques, des thromboses de la veine ophtalmique supérieure (dans un contexte de thrombocytopénie immunitaire thrombotique), des paralysies faciales ainsi que des épisodes de zona ou d'herpès ophtalmiques.
Autres vaccins
Quelques cas de possibles réactions conjonctivales et palpébrales ont été décrits avec le vaccin DTP, ainsi que des neuropathies optiques ou des paralysies de l'accommodation de façon incertaine [4]. Le vaccin contre l'hépatite A ne présente que de rares possibles cas d'effets secondaires rapportés, notamment des neuropathies optiques. Les vaccins contre les infections à papillomavirus humain (HPV) peuvent induire des uvéites touchant tous les segments de l'œil, généralement modérées. De possibles cas de papillite, rétinites et d'uvéites VKH- like ont été décrits. Avec le vaccin contre la fièvre jaune, de possibles cas de MEWDS et d'uvéites ont été décrits [ 4].
Conclusion
La perception du risque d'effets secondaires des vaccins est différente des thérapeutiques traditionnelles, car l'administration se fait en masse et chez des individus sains. Le rapport bénéfice/risque reste néanmoins largement favorable au vu de la rareté des événements secondaires, et de l'efficacité de la protection, tant individuelle que collective.
Jain M, Vadboncoeur J, Garg SJ, Biswas J. Bacille Calmette-Guérin : an ophthalmic perspective. Surv Ophthalmol 2022 ; 67 : 307-20.
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