Retour
Chapitre 26
Épisclérites et sclérites infectieuses

S. Gabison, E. Gabison

Introduction
La sclérite est une maladie inflammatoire douloureuse et destructrice de la sclère qui peut être associée à une maladie systémique ou à une infection. La prévalence annuelle des sclérites dans le monde occidental est de 5,2 pour 100000 personnes. Diverses études occidentales font état de 5 % à 10 % d'origine infectieuse [1 , 2].
La présentation clinique initiale des sclérites infectieuses est souvent similaire à celle des sclérites auto-immunes, ce qui rend le diagnostic délicat [ 3]. Les sclérites infectieuses peuvent être séparées en deux entités de physiopathologies différentes, selon que l'infection sclérale est exogène (post-traumatique, postopératoire, ou par contiguïté d'une kératite infectieuse) ou endogène (sclérite dans le cadre d'une infection systémique).
Physiopathologie
Il existe différents phénomènes dans le développement des sclérites infectieuses : d'une part, l'invasion avec un effet direct cytopathogène de l'agent infectieux dans la sclère (par contamination extérieure, propagation par voie sanguine ou nerveuse), d'autre part, la réaction immunitaire déclenchée par ce même pathogène.
Les principaux facteurs de risque des infections sclérales à rechercher sont les traumatismes oculaires, les infections oculaires (principalement les kératites microbiennes, endophtalmie), une chirurgie oculaire récente (notamment de ptérygion avec l'utilisation d'antimétabolites tels que la mitomycine C), une radiothérapie , une immunosuppression systémique (VIH, diabète, etc.) ou locale (utilisation chronique de corticoïdes topiques). L'existence d'une maladie oculaire connue à virus herpes simplex (HSV) ou à virus varicelle-zona (VZV) doit évoquer l'implication de ces virus. La distinction entre épisclérite et sclérite infectieuse est essentielle pour évaluer la sévérité de l'atteinte du globe oculaire, mais elle n'est pas associée aux mêmes spécificités étiologiques qu'au cours des atteintes liées aux vascularites inflammatoires.
Caractéristiques cliniques
Les symptômes et signes cliniques dépendent du pathogène en cause et de la réponse immunitaire du patient (interaction hôte-pathogène). Le symptôme caractéristique de la sclérite est la douleur. Celle-ci peut apparaître de manière insidieuse, mais elle est le plus souvent décrite comme d'une grande intensité, lancinante, profonde et qui provoque des réveils nocturnes. Elle résiste classiquement aux analgésiques communs. La douleur peut irradier vers l'hémiface homolatérale, et elle peut également être déclenchée par la palpation et/ou la mobilisation du globe. Les patients atteints de sclérite nécrosante se présentent souvent dans un état d'inconfort extrême.
Les signes cliniques de la sclérite antérieure sont des vaisseaux épiscléraux profonds dilatés, avec une rougeur oculaire ne disparaissant pas lors du test à la phényléphrine (10 %). Les épisclérites infectieuses sont plus superficielles, non douloureuses et la rougeur disparaît rapidement à l'instillation d'un vasoconstricteur, les signes étant cependant moins flagrants que dans les sclérites inflammatoires.
La sclérite postérieure peut être plus difficile à diagnostiquer si elle n'est pas accompagnée de signes antérieurs d'inflammation. Les patients peuvent se plaindre d'une baisse d'acuité visuelle, d'une douleur ou d'une diplopie. Le segment postérieur se caractérise par un œdème papillaire , un décollement séreux rétinien , un œdème maculaire ; on peut retrouver un décollement ciliochoroïdien annulaire et/ou une masse et des plis choroïdiens .
Mode d'apparition
Dans le cas de la sclérite infectieuse exogène, la cause est souvent évidente, par exemple une kératite concomitante, un traumatisme oculaire récent ayant exposé à des matières organiques, une chirurgie oculaire antérieure. La période de latence entre l'événement causal et l'apparition de signes inflammatoires est variable : en général quelques jours après un traumatisme, mais parfois plusieurs mois dans les formes post-chirurgicales, ce qui motive l'adage que toute sclérite dans un contexte postopératoire est infectieuse jusqu'à preuve du contraire. Le geste chirurgical le plus fréquemment en cause est celui du ptérygion, notamment en cas de cautérisation et/ou de dissection sclérale extensive et/ou d'utilisation d'antimétabolites tels que la mitomycine C.
La sclérite infectieuse postopératoire doit être différenciée de la sclérite nécrosante d'origine chirurgicale, qui est quant à elle une sclérite nécrosante non infectieuse. L'utilisation d'antimitotiques ou le terrain de vascularite systémique le plus souvent connu permettra de redresser le diagnostic.
Examen clinique
La sclérite nécrosante est la présentation la plus courante de la sclérite infectieuse. La lésion initiale caractéristique est un nodule jaunâtre ou rougeâtre en lien avec une suppuration sous-jacente. Ces nodules sont observés à environ 4 à 5 mm du limbe, de manière circonférentielle. La conjonctive sus-jacente peut être intacte ou ulcérée. Dans les cas les moins évidents, on observe un nodule scléral à progression lente ne répondant pas à la corticothérapie. Ces abcès sous-conjonctivaux sont à rechercher. Leur forme peut varier de petites lésions conjonctivales à de grandes lésions avec écoulement mucopurulent. Une uvéite et/ou une kératite concomitante, par inflammation de contiguïté, peuvent apparaître. La kératite peut à l'inverse être la lésion initiale.
Parfois, une large nécrose sclérale peut être la conséquence de la coalescence de multiples nodules de sclérite infectieuse. L'extension des lésions aux structures contiguës oriente vers une cause infectieuse, de même que la présence d'un hypopion.
La symptomatologie clinique des sclérites infectieuses est souvent masquée par l'usage des corticoïdes et des traitements immunosuppresseurs. L'amélioration clinique initiale suivie d'une aggravation sous corticothérapie doit alerter le clinicien et doit faire suspecter une étiologie infectieuse (encadré 26-1
Encadré 26-1
Caractéristiques cliniques orientant vers une cause infectieuse
  • Sclérite purulente (simples points de pus visibles par transparence allant jusqu'à de véritables abcès scléraux)

  • Ulcération conjonctivale avec mucosités

  • Association avec un hypopion ou des précipités rétrodescemétiques

  • Réponse partielle ou transitoire aux corticoïdes ou immunosuppresseurs

).
Quand un aspect de sclérite cache une maladie cancéreuse (masquerade syndrome)
Bien que rares, les tumeurs malignes peuvent mimer une sclérite, et s'il ne s'agit pas du diagnostic différentiel le plus fréquent. Une sclérite nécrosante dont le bilan étiologique est négatif et résistante au traitement doit faire suspecter une pathologie maligne mimant un aspect de sclérite [4]. Ainsi, un mélanome choroïdien peut se manifester initialement sous la forme de sclérite; de même, chez un patient immunodéprimé, une forme nodulo-ulcéreuse de néoplasie malpighienne de la surface oculaire peut imiter une sclérite nécrosante ou un pseudo-Mooren.
Pour éviter un retard diagnostique avec son risque d'augmenter la morbidité oculaire, voire la mortalité, un prélèvement tissulaire s'impose en cas de forme atypique de sclérite nécrosante et de non-réponse aux traitements conventionnels.
Étiologies des sclérites infectieuses
Les étiologies sont résumées dans le tableau 26-1
Tableau 26-1
Agents pathogènes fréquemment retrouvés dans les sclérites infectieuses [3].
Bactéries Cocci à Gram positif (staphylocoque, streptocoque)
Bacile à Gram négatif (Pseudomonas)
Mycobactérie
Spirochètes (Treponema pallidum, Borrelia burgdorferi)
Actinomycètes (Nocardia)
Champignons Filamenteux, spores
Virus Virus herpès simplex (HSV)
Virus varicelle-zona (VZV)
Cytomégalovirus (CMV)
Virus d'Epstein-Barr (EBV)
Parasites Acanthamoeba, toxoplasmose, toxocarose
.
Sclérites virales
Les virus de la famille de l'herpès, dont le VZV et le HSV de type 1 (HSV-1), sont les plus fréquemment retrouvés [ 5]. D'autres virus tels que le cytomégalovirus (CMV) et le virus d'Epstein-Barr (EBV) sont plus rarement impliqués. Des méthodes de détection du virus sur biopsie sclérale telles que la coloration de Giemsa, l'immunofluorescence, la microscopie électronique et les cultures du tissu ont été tentées, mais elles sont peu sensibles.
La sclérite herpétique est la cause la plus fréquente de sclérite infectieuse. Une kératite et/ou une uvéite antérieure aiguë sont souvent associées, mais leur absence n'exclut pas le diagnostic (fig. 26-1
Fig. 26-1
a-c. Sclérite nodulaire à VZV compliquée d'ulcère marginal mimant le tableau de pseudo-Mooren. d-g. Sclérite antérieure associée à une lésion cornéenne marginale ulcérée traité comme un herpès (polychondrite atrophiante).
). La sclérite herpétique est une manifestation à médiation immunitaire d'origine virale. Le diagnostic de la sclérite antérieure à HSV est difficile à établir, car cette affection imite la sclérite nodulaire à médiation immunitaire et peut survenir sans atteinte cornéenne. L'absence d'amélioration avec les immunosuppresseurs, l'amélioration lors de l'introduction d'un traitement antiviral, la présence de cicatrices cornéennes sont des indicateurs cliniques de l'étiologie virale.
La sclérite zostérienne se présente sous la forme de nodules douloureux, persistants, circonscrits pouvant évoluer vers une forme nécrosante. Un interrogatoire minutieux est indispensable pour rechercher un zona dans les semaines précédentes, voire très exceptionnellement une varicelle. L'examen du visage et du cuir chevelu à la recherche de cicatrices pigmentées aide pour confirmer l'étiologie zostérienne. Une diminution de la sensibilité cornéenne dans la zone touchée et une atrophie sectorielle irienne sont d'autres éléments cliniques évocateurs. Néanmoins, il existe des formes de sclérites à VZV sans antécédent de zona ( zona sine herpete ).
Sclérites bactériennes
Pseudomonas aeruginosa est la bactérie la plus fréquemment retrouvée dans les sclérites bactériennes [6]. Il s'agit souvent de l'extension sclérale d'une infection cornéenne primaire, chez un hôte immunodéprimé, dans les suites d'une chirurgie oculaire antérieure telle qu'une opération de ptérygion (fig. 26-2
Fig. 26-2
a-d. Sclérite nécrosante à Pseudomonas aeruginosa dans les suites d'un grattage de plaque sclérale hyaline. On peut observer ici une nécrose sclérale et conjonctivale. e. Sclérite nécrosante dans le cadre d'une granulomatose avec polyangiite pouvant mimer une forme infectieuse.
et fig. 26-3
Fig. 26-3
a, b. Sclérite à Pseudomonas aeruginosa en postopératoire d'une chirurgie de strabisme.
).
La sclérite à Streptococcus pneumoniae a également été décrite dans les sclérites compliquant une infection cornéenne ou les sclérites après l'ablation d'un ptérygion avec usage de mitomycine C [7].
Dans la chirurgie du décollement de rétine avec cerclage, outre l'infection à Pseudomonas , l'implication du Staphylococcus aureus résistant à la méthicilline a également été décrite [8].
Nocardia est une bactérie à Gram positif à l'origine d'infections opportunistes, en particulier chez les patients immunodéprimés ou après un traumatisme oculaire. La présentation clinique classique est une sclérite chronique diffuse avec des nodules et/ou des abcès nécrotiques [ 9]. Dans les cas suspects, un frottis direct montre des filaments à Gram positif, fins, perlés et ramifiés. L'organisme se développe également sur gélose au sang et sur milieu de Löwenstein-Jensen.
Une sclérite diffuse et plus rarement une sclérite nécrosante peuvent traduire une phase secondaire de la syphilis [10], tandis qu'une sclérite nodulaire peut survenir en phase tertiaire.
Une sclérite nodulaire antérieure est fréquente dans la lèpre lépromateuse, généralement par médiation immunitaire, mais beaucoup moins dans la forme tuberculoïde de cette maladie (fig. 26-4
Fig. 26-4
a, b. Sclérite nodulaire lors d'une lèpre lépromateuse.
).
Sclérites mycobactériennes
Sclérites mycobactériennes non tuberculeuses
Ces sclérites sont plus fréquentes chez les personnes immunodéprimées [11]. Mycobacterium chelonae , une mycobactérie à croissance rapide, peut être associée à une sclérite dans les suites d'interventions ophtalmologiques mineures (injection intravitréenne), ou à des abcès consécutifs à des injections à distance chez des patients immunodéprimés.
M. marinum est une mycobactérie à croissance lente, qui est souvent associée à des maladies de la peau ou des blessures oculaires associées à de l'eau contaminée.
Ces mycobactéries sont difficiles à isoler par les techniques de laboratoire conventionnelles. La coloration de Ziehl-Neelsen et la culture sur milieu Löwenstein-Jensen de biopsies sclérales peuvent montrer la présence de bacilles acido-alcoolo-résistants.
Sclérites tuberculeuses
Bien que l'incidence de la tuberculose pulmonaire et extrapulmonaire ait diminué dans les pays développés, l'infection par Mycobactrium tuberculosis reste un problème médical majeur dans certains pays parmi les moins avancés. Dans une étude multicentrique de Lane et al., la tuberculose oculaire présumée représentait 75 % des sclérites infectieuses en Inde [ 12].
Les sclérites tuberculeuses peuvent être le résultat d'une invasion directe de la sclère par M. tuberculosis , mais elles sont plus souvent causées par un processus à médiation immunitaire.
Le diagnostic de sclérite tuberculeuse nécessite une biopsie sclérale qui peut montrer des granulomes caséeux avec des cellules géantes multinucléées et des bacilles acido-alcoolo-résistants caractéristiques. La détection des bacilles à la coloration de Gram et à la coloration acido-alcoolique des échantillons de tissu scléral permet de confirmer le diagnostic. Compte tenu de la nature paucibacillaire de l'infection, le résultat anatomopathologique peut retrouver des cellules géantes de Langerhans avec une nécrose caséeuse, sans germe caractéristique.
Le patient doit faire l'objet d'un examen approfondi à la recherche d'une atteinte systémique (foyer primaire), avec notamment un examen des expectorations (BK crachats) et une tomodensitométrie thoracique.
Pour les sclérites tuberculeuses dites « à médiation immunitaire», on considère qu'il s'agit d'une réaction immunitaire de l'hôte (réaction d'hypersensibilité de type IV) aux composants de la paroi cellulaire des protéines de M. tuberculosis . Elles sont associées parfois à une kératite phlycténulaire, une kératoconjonctivite phlycténulaire et/ou une épisclérite.
Bien qu'il n'y ait pas d'invasion mycobactérienne directe de la sclère, la sclérite tuberculeuse à médiation immunitaire survient souvent lors d'une maladie systémique active. Histologiquement, les prélèvements scléraux montrent une réaction granulomateuse sans bacilles acido-alcoolo-résistants.
Sclérites fongiques
La sclérite fongique est l'une des sclérites infectieuses les plus dévastatrices en raison de la difficulté à contrôler l'infection [ 13]. L'infection peut provenir d'une contamination exogène à la suite d'un traumatisme ou d'une chirurgie oculaire, être transmise de manière endogène chez les patients immunodéprimés ou par l'utilisation de drogues par voie intraveineuse. L'utilisation de lentilles de contact et l'utilisation chronique de corticoïdes topiques augmentent également le risque d'infection fongique.
Les champignons les plus fréquemment retrouvés sont les champignons filamenteux.
Dans tous les cas de suspicion de sclérite fongique, un prélèvement doit être effectué avant de commencer le traitement, car d'autres pathogènes (mycobactéries, amibes ou certaines bactéries anaérobies) peuvent provoquer une sclérite indolente ou une sclérite-kératite avec un tableau clinique similaire à l'étiologie fongique. Il peut en outre exister des infections de nature mixte, mêlant notamment bactéries et champignons. Les agents antifongiques ne doivent donc pas être utilisés de manière empirique, ni probabiliste, sous peine de méconnaître l'origine réelle de l'infection. Plusieurs biopsies sclérales et plusieurs mois de traitement antifongique sont souvent nécessaires pour parvenir au diagnostic et tenter de maîtriser l'infection.
Le pronostic visuel de la sclérite fongique est souvent médiocre en raison d'un diagnostic tardif, d'une faible pénétration dans la sclère des agents antifongiques disponibles. Le voriconazole et la caspofungine intraveineuse ainsi que le débridement chirurgical répété des abcès scléraux ont été utiles dans certains cas.
Les corticoïdes topiques sont contre-indiqués dans la sclérite fongique en raison de l'augmentation potentielle de la croissance fongique [ 14].
Sclérites à protozoaire
Les infections de la sclère par Acanthamoeba et Toxoplasma sont rares. La plupart des cas de sclérite à Acanthamoeba correspondent à une réponse inflammatoire à la kératite primaire [ 15]. Une inflammation granulomateuse avec présence de l'organisme a néanmoins été observée dans certaines biopsies sclérales.
Le cas particulier des sclérites postérieures infectieuses
Les sclérites postérieures sont des pathologies rares qui peuvent se présenter sous forme diffuse, nodulaire ou nécrosante. Si toute sclérite postérieure est infectieuse jusqu'à preuve du contraire, l'incidence réelle de ce tableau particulier est inconnue. La recherche d'une sinusite infectieuse de contiguïté est systématique. L'examen du fond d'œil révèle souvent un décollement séreux de la rétine avec des poches de liquide sous-rétinien, principalement dans le pôle postérieur. La masse sous-rétinienne (surélévation brun-jaunâtre), les plis choroïdiens, l'œdème papillaire et la hyalite sont d'autres éléments évocateurs.
Éléments du bilan d'une sclérite potentiellement infectieuse
Bilan d'imagerie
L'échographie B-scan peut révéler un signe du « T» (accumulation de liquide en arrière de la sclère et autour du nerf optique), ou une masse sclérale qui peut révéler l'abcès (fig. 26-5
Fig. 26-5
Décollement choroïdien avec hyalite en regard et « signe du T» en échographie en mode B.
). Dans certains cas, seul un épaississement choroïdien diffus avec du liquide sous-ténonien peut être détecté. La présence d'une hyalite associée doit faire craindre l'étiologie infectieuse. Les autres techniques d'imagerie, telles que la tomographie par cohérence optique (OCT) et l'imagerie par résonance magnétique (IRM), peuvent nous aider à écarter les diagnostics différentiels ou associés.
Bilan biologique
Prélèvements locaux à visée étiologique
En cas de kératite adjacente ou de nodule scléral ulcéré, des échantillons pour examen microbiologique sont prélevés pour examen direct, y compris pour la détection des mycobactéries et des actinomycètes, et mise en culture.
Une biopsie sclérale ou sclérocornéenne est conseillée en cas de sclérite infectieuse présumée. Son rendement est supérieur aux simples grattages.
La biopsie est conseillée :
  • si les frottis et les cultures des prélèvements sont négatifs et qu'il n'y a pas de réponse clinique au traitement initial;
  • si une intervention chirurgicale est justifiée (débridement, mise à plat d'abcès, greffe lamellaire cornéosclérale ou patch scléral).
Du matériel supplémentaire peut également être envoyé pour un test de génétique infectieuse (par polymerase chain reaction [PCR]) pour la détection de virus, ou pour une détection panfongique et panbactérienne (dont les mycobactéries) en fonction du diagnostic suspecté et de la disponibilité de ces tests.
Prélèvements sanguins
La sclérite infectieuse endogène doit être exclue par la recherche du foyer primaire d'infection et doit inclure des tests sérologiques appropriés, des cultures de sang et d'urine ou d'autres tissus, le cas échéant (encadré 26-2
Encadré 26-2
Examens complémentaires pour bilan d'une sclérite infectieuse
  • Numération formule sanguine, protéine C réactive (CRP), vitesse de sédimentation (VS)

  • Sérologies HSV et VZV

  • TPHA-VDRL

  • Recherche de tuberculose (dont test de type Quantiferon®)

  • Radiographie de thorax

  • Imagerie des sinus (surtout pour sclérites postérieures)

TPHA : Treponema pallidum hemagglutinations assay; VDRL : venereal disease research laboratory.
).
Modalités du traitement
Traitement médical
Anti-infectieux
Dans l'attente des résultats microbiologiques, une thérapie antimicrobienne fortifiée à large spectre, couvrant à la fois les organismes à Gram positif et à Gram négatif, doit être mise en place initialement par collyres fortifiés (par exemple pénicilline, aminoside et vancomycine), et le traitement peut ensuite être modifié en fonction des résultats du frottis initial et des résultats ultérieurs de la culture et de la sensibilité.
Des antibiotiques à visée bactéricide sont introduits précocement, car l'étiologie la plus courante est bactérienne. La ciprofloxacine , orale et topique, a pour intérêt de couvrir Pseudomonas aeruginosa, les organismes à Gram positif et Nocardia sp. Une réponse clinique est attendue dans les 24 à 48 heures. Cependant, la libération d'endotoxines bactériennes peut entraîner une aggravation clinique initiale.
Certains auteurs préconisent l'instauration d'un traitement antifongique empirique (natamycine ou voriconazole par exemple) en cas de sclérite post-traumatique, en particulier s'il y a eu contact avec des matières organiques. Cependant, l'infection bactérienne étant de loin l'entité la plus courante dans cette indication, les antifongiques ne doivent être commencés qu'après un échec ou une aggravation de l'antibiothérapie, ou initialement en association avec des antibactériens.
Anti-inflammatoires
Dans le cadre des sclérites infectieuses, les corticoïdes peuvent être introduits dans certaines indications :
  • en l'absence de doute sur une infection fongique;
  • après un traitement anti-infectieux prolongé et adéquat, lorsque l'infection est bien maîtrisée, mais qu'il subsiste une inflammation importante;
  • en cas de sclérite par contiguïté d'une kératite amibienne, les corticoïdes par voie orale étant recommandés pour traiter la réaction inflammatoire à médiation immunitaire impliquée dans ce type de sclérite.
Traitement chirurgical
Si la nécrose sclérale est grave, si la progression est rapide ou si des abcès multifocaux ne répondent pas au traitement médical, il est classiquement recommandé de procéder à un débridement chirurgical de l'abcès scléral et à une irrigation avec une solution de Bétadine® à 2,5 %, ou avec des antibiotiques à large spectre ou des antifongiques tels que le voriconazole à 2 %. Ces mesures contribuent à réduire le tissu nécrotique et la charge infectieuse, et facilitent la pénétration des médicaments. La zone nécrosée se révèle souvent, en peropératoire, beaucoup plus étendue que ne le laisse supposer l'examen clinique à la lampe à fente. Des procédures à visée tectonique telles que la greffe de membrane amniotique ou la greffe d'autres tissus (de membrane de Tenon, de sclère et/ou de cornée par kératoplastie lamellaire ou pénétrante) peuvent être nécessaires dans les cas d'atteinte sclérale étendue menaçant l'intégrité du globe, notamment en cas de d'hypotonie oculaire.
Conclusion
Plusieurs indices cliniques permettent de différencier les sclérites infectieuses et auto-immunes. La coexistence d'une maladie inflammatoire systémique connue pour générer des sclérites rend le diagnostic étiologique très simple (fig. 26-6
Fig. 26-6
Sclérite antérieure dans un contexte de polyarthrite rhumatoïde (a, diffuse; b, nodulaire).
et fig. 26-7
Fig. 26-7
a, b. Sclérite antérieure diffuse avec infiltrat stromal cornéen dans un contexte de granulomatose avec polyangiite simulant une forme infectieuse.
), tandis que des antécédents récents de traumatisme ou d'intervention chirurgicale avant l'apparition d'une sclérite de type nodulaire et ulcéreuse évoquent fortement une origine infectieuse. Cependant, le dilemme diagnostique se pose parfois et, dans ces cas, une analyse sémiologique rigoureuse, des prélèvements adaptés et la réponse au traitement sont autant d'éléments pour parvenir à élucider l'origine réelle de la sclérite, et donc adapter le traitement au plus vite.
Points à retenir
  • Les sclérites infectieuses sont des pathologies dont le diagnostic est difficile car souvent confondu avec les sclérites inflammatoires.
  • Les facteurs de risque principaux sont les traumatismes oculaires, certaines chirurgies oculaires, etc.
  • Le bilan étiologique permet de ne pas méconnaître une pathologie infectieuse générale pouvant grever le pronostic vital.
  • Le traitement est celui de l'étiologie infectieuse (antibiothérapie, antiviraux, etc.), combiné avec un contrôle local de l'inflammation lorsque l'infection est contrôlée.
Bibliographie
[1]
Watson PG. Doyne Memorial Lecture, 1982. The nature and the treatment of scleral inflammation. Trans Ophthalmol Soc U K 1982 ; 102 : 257-81.
[2]
Sainz de la Maza M, Tauber J, Foster CS. The Sclera. New York : Springer-Verlag ; 2012.
[3]
Murthy SI, Sabhapandit S, Balamurugan S, et al. Scleritis : Differentiating infectious from non-infectious entities. Indian J Ophthalmol 2020 ; 68 : 1818-28.
[4]
Kafkala C, Daoud YJ, Foster CS. Masquerade scleritis. Ocul Immunol Inflamm 2005 ; 13(6) : 479-82.
[5]
Gonzalez LAG, Molina-Prat N, Doctor P, et al. Clinical features and presentation of infectious scleritis from herpes viruses : A report of 35 cases. Ophthalmology 2012 ; 119 : 1460-4.
[6]
Agarwal S, Dutta Majumder P. Pseudomonas aeruginosa scleritis initially presenting as idiopathic diffuse anterior scleritis. Oman J Ophthalmol 2020 ; 13(1) : 51-2.
[7]
Altman AJ, Cohen E J, Berger ST, Mondino BJ. Scleritis and Streptococcus pneumoniae. Cornea 1991 ; 10(4) : 341-5.
[8]
Feiz V, Redline DE. Infectious scleritis after pars plana vitrectomy because of methicillin-resistant Staphylococcus aureus resistant to fourth-generation fluoroquinolones. Cornea 2007 ; 26(2) : 238-40.
[9]
Decroos FC, Garg P, Reddy AK, et al. Hyderabad Endophthalmitis Research Group Optimizing diagnosis and management of nocardia keratitis, scleritis, and endophthalmitis : 11-year microbial and clinical overview. Ophthalmology 2011 ; 118 : 1193-200.
[10]
Wilhelmus KR, Yokoyama CM. Syphilitic episcleritis and scleritis. Am J Ophthalmol 1987 ; 104 : 595-7.
[11]
Moorthy RS, Valluri S, Rao NA. Nontuberculous mycobacterial ocular and adnexal infections. Surv Ophthalmol 2012 ; 57(3) : 202-35.
[12]
Lane J, Nyugen E, McCluskey PJ. Clinical features of scleritis across the Asia-Pacific region. Ocul Immunol Inflamm 2019 ; 27(6) : 920-6.
[13]
Gruener AM, Allen F, Stanford MR, Graham EM. Aspergillus fumigatus endophthalmitis with necrotizing scleritis following pars plana vitrectomy. Case Rep Ophthalmol Med 2016 ; 2016 : 9289532.
[14]
Bernauer W, Allan BDS, Dart JKG. Successful management of Aspergillus scleritis by medical and surgical treatment. Eye (Lond) 1998 ; 12 : 311-6.
[15]
Mannis MJ, Tamaru R, Roth AM, et al. Acanthamoeba sclerokeratitis. Determining diagnostic criteria. Arch Ophthalmol 1986 ; 104 : 1313-7.