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Chapitre 30
Syndrome oculoglandulaire de Parinaud

L. Ballonzoli

Introduction
Le syndrome oculoglandulaire de Parinaud (SOGP) est défini par la survenue unilatérale d'une conjonctivite folliculaire associée à une adénopathie locorégionale. Il porte le nom de l'ophtalmologue français Henri Parinaud qui décrivit trois cas en 1889, suspectant déjà une origine infectieuse transmise par l'animal [ 1]. Il s'agit d'une entité peu fréquente, dont la prévalence est difficile à déterminer avec exactitude étant donné l'hétérogénéité des présentations cliniques, souvent incomplètes, et l'évolution favorable sous traitement empirique.
Diagnostic clinique
L'atteinte conjonctivale survient entre 3 et 10 jours après l'inoculation. Elle est classiquement unilatérale, folliculaire, avec un œil très larmoyant, des sécrétions claires le plus souvent (rarement mucopurulentes), un chémosis et un œdème palpébral modéré. L'apparition d'un granulome conjonctival est la règle, siégeant en conjonctive inflammatoire, bulbaire ou palpébrale (le plus souvent), de couleur blanc crème. Unique (le plus souvent) ou multiple, sa taille est de l'ordre de quelques millimètres et il peut s'ulcérer. L'adénopathie apparaît en moyenne 1 à 2 semaines après la conjonctivite, du même côté, et touche préférentiellement les ganglions prétragien et sous-angulomandibulaire. La lymphadénite peut s'étendre à la chaîne ganglionnaire cervicale et à la parotide. Elle est souvent volumineuse, responsable d'une déformation de l'hémiface, bien visible dès l'inspection du patient. L'évolution vers la suppuration dépend de l'agent infectieux en cause. Des signes généraux (malaise, fatigue, fièvre) peuvent accompagner le syndrome oculoglandulaire. Des complications systémiques sévères ont été décrites (encéphalite, hépatite, atteinte splénique, purpura thrombopénique) chez des patients immunodéprimés [2], ou lorsque la maladie a été diagnostiquée tardivement.
En pratique, le SOGP est à suspecter devant une conjonctivite unilatérale ayant tendance à traîner sous traitement topique, accompagnée ou non d'une adénopathie régionale.
Bilan étiologique
Dès les premières publications, une origine infectieuse à partir d'un contact animal a été suspectée, puis confirmée [3 , 4]. Depuis, de nombreux agents infectieux ont été identifiés, soit sur des prélèvements issus de granulomes conjonctivaux et/ou de ponctions d'adénopathie, soit plus récemment par sérologie ou polymerase chain reaction (PCR) (tableau 30-1
Tableau 30-1
Liste des agents infectieux pathogènes rapportés dans la littérature comme responsables d'un syndrome oculoglandulaire de Parinaud (SOGP) *.
Agent infectieux/pathologieFréquence dans le SOGPContexte clinique
Bartonella henselae (maladie des griffes du chat, cat scratch disease) FréquentGriffures de chat ou de chaton
Francisella tularensis (tularémie)
Sporothrix (sporotrichose)
Rickettsia typhi (typhus)/Rickettsia conorii (fièvre méditerranéenne)
Peu fréquentsRongeurs, lapin, écureuil
Chat en zone d'endémie (Brésil)
Tiques, puces
Pasteurella multocida (pasteurellose)
Yersinia enterocolitica/ Y. pseudotuberculosis (yersinioses)
Rares (cas cliniques)Chien, chat
Haemophilus ducreyi (chancre mou)
Chlamydia trachomatis (lymphogranulomatose vénérienne)
HSV-1 (herpès)
Virus d'Epstein-Barr (mononucléose infectieuse)
Treponema pallidum (syphilis)
Exposition sexuelle
Nocardia braziliensis (nocardiose)
Mycobacterium tuberculosis (tuberculose)
Mycobacterium leprae (lèpre)
Listeria monocytogenes (listériose)
Paracoccidioides brasiliensis (paracoccidioidomycose)
Actinomyces israeli (actinomycose)
Blastomyces dermatitidis (blastomycose)
Contact tellurique
Zone d'endémie
*Une infection à Bartonella henselae est en cause dans plus de 90 % des cas. Des signes systémiques, ou une évolution atypique sous traitement bien conduit doivent faire évoquer d'autres causes.
).
Principales causes [6]
Maladie des griffes du chat (MGC)
Le SOGP est la principale manifestation oculaire de la MGC, survenant dans 5 % à 10 % des cas. La MGC se manifeste par un syndrome pseudogrippal (fatigue, fièvre, myalgie) et une lymphadénopathie régionale. Bartonella henselae est l'agent infectieux responsable de la MGC; il s'agit d'une bactérie intracellulaire à Gram négatif. Le chat constitue le réservoir de la bactérie, alors que la puce du chat est le vecteur qui assure la transmission de la bartonellose . La contamination humaine peut se faire selon différents modes, le plus souvent par inoculation directe (suite à une griffure), parfois par inhalation de matériel infecté, ou simplement par frottement des yeux après avoir caressé un animal infecté ( B. henselae pouvant survivre près de 3 jours dans les fèces des puces).
Les symptômes d'un SOGP lié à la MGC sont souvent modérés : rougeur oculaire unilatérale avec sensation de corps étranger et larmoiement clair. Le granulome conjonctival peut manquer initialement; il siège souvent en conjonctive tarsale et mesure entre 0,3 et 2 cm. L'œdème palpébral est modéré et indolore. La cornée peut être le siège d'une kératite ponctuée superficielle. Enfin, très rarement, une neurorétinite stellaire peut coexiste avec le SOGP. L'adénopathie est préauriculaire (le plus souvent), puis sous-angulomandibulaire, puis cervicale, parfois multiple. Elle est volumineuse, avec un œdème en regard, mais indolore et évolue rarement vers la suppuration.
Le diagnostic de bartonellose est fait par la positivité de la sérologie. Le traitement repose sur l'azithromycine par voie orale avec une dose de charge de 500 mg le premier jour, puis 250 mg/j pour totaliser 5 jours de traitement. En cas de neurorétinite, un traitement complémentaire et prolongé par doxycycline ou rifampicine est recommandé, associé à une corticothérapie orale. Le pronostic est plutôt bon, avec une guérison en 2 à 3 semaines (jusqu'à 2 mois dans de rares cas), sans séquelles oculaires le plus souvent.
Tularémie
Il s'agit de la deuxième infection la plus souvent retrouvée en cas de SOGP. Transmise par Francisella tularensis , c'est une zoonose affectant de nombreux animaux (lièvre, lapins, rat, souris, renard, écureuil) transmise à l'homme par piqûre de tique, moustique ou mouche (rarement par morsure ou aliment infecté). La tularémie oculoglandulaire est la manifestation la moins fréquente de tularémie (5 %). Elle se caractérise par une atteinte systémique plus marquée que la MGC (fièvre et frissons, mal de gorge, myalgies, ulcération cutanée, céphalées, anorexie et perte de poids) et une atteinte locorégionale également plus intense, œdémateuse, douloureuse, avec des ulcérations conjonctivales et des sécrétions volontiers purulentes. Les adénopathies sont plus nombreuses, douloureuses et ont une tendance plus marquée à la suppuration.
Le diagnostic est fait par la sérologie ou l'identification du bacille à Gram négatif sur un frottis conjonctival ou une ponction d'adénopathie. Le traitement repose sur la streptomycine en intramusculaire pendant une dizaine de jours. La ciprofloxacine est une alternative intéressante. Le pronostic après traitement est plutôt bon, avec une guérison en 2 à 4 semaines. Dans un peu plus de 20 % des cas, la fièvre persiste, les adénopathies grossissent ou suppurent, laissant suspecter une mauvaise réponse au traitement. L'exérèse chirurgicale des adénopathies permet alors la guérison sans séquelles.
Autres causes
La sporotrichose est une infection fongique transmise par contact avec un chat, essentiellement en région d'endémie (série brésilienne publiée). Le SOGP se caractérise par une conjonctivite granulomateuse avec des sécrétions mucopurulentes, des nodules conjonctivaux jaunes, une tendance à l'ulcération et une adénopathie préauriculaire indolore. L'agent Sporotrichix schenckii est identifié (souvent a posteriori) sur prélèvements des lésions. Le traitement de référence est l'itraconazole per os de 100 à 400 mg par jour selon la réponse clinique et pour une durée prolongée de 2 à 3 mois.
L'autre agent infectieux récemment mis en évidence est Rickettsia typhi , également dans un contexte de contact animal (chat, chien, petits rongeurs) en zone d'endémie. La doxycycline est le traitement de choix dans ce cas, à raison de 200 mg par jour pour 10 à 14 jours.
Pour les autres agents infectieux cités dans le tableau 30-1
Tableau 30-1
Liste des agents infectieux pathogènes rapportés dans la littérature comme responsables d'un syndrome oculoglandulaire de Parinaud (SOGP) *.
Agent infectieux/pathologieFréquence dans le SOGPContexte clinique
Bartonella henselae (maladie des griffes du chat, cat scratch disease) FréquentGriffures de chat ou de chaton
Francisella tularensis (tularémie)
Sporothrix (sporotrichose)
Rickettsia typhi (typhus)/Rickettsia conorii (fièvre méditerranéenne)
Peu fréquentsRongeurs, lapin, écureuil
Chat en zone d'endémie (Brésil)
Tiques, puces
Pasteurella multocida (pasteurellose)
Yersinia enterocolitica/ Y. pseudotuberculosis (yersinioses)
Rares (cas cliniques)Chien, chat
Haemophilus ducreyi (chancre mou)
Chlamydia trachomatis (lymphogranulomatose vénérienne)
HSV-1 (herpès)
Virus d'Epstein-Barr (mononucléose infectieuse)
Treponema pallidum (syphilis)
Exposition sexuelle
Nocardia braziliensis (nocardiose)
Mycobacterium tuberculosis (tuberculose)
Mycobacterium leprae (lèpre)
Listeria monocytogenes (listériose)
Paracoccidioides brasiliensis (paracoccidioidomycose)
Actinomyces israeli (actinomycose)
Blastomyces dermatitidis (blastomycose)
Contact tellurique
Zone d'endémie
*Une infection à Bartonella henselae est en cause dans plus de 90 % des cas. Des signes systémiques, ou une évolution atypique sous traitement bien conduit doivent faire évoquer d'autres causes.
, le traitement approprié est souvent débuté devant des signes extraoculaires.
Traitement
La difficulté thérapeutique réside dans la capacité à faire le diagnostic devant une banale conjonctivite. Lorsque celle-ci se complique d'un granulome et/ou d'une adénolymphite, le diagnostic en est simplifié, et permet d'orienter la démarche diagnostique et de démarrer un traitement antibiotique per os. Bartonella henselae étant en cause le plus souvent, un traitement initial par azithromycine est la règle. En cas de doute, le Bactrim® (triméthoprime-sulfaméthoxazole) ou la doxycycline sont efficaces sur un grand nombre d'agents infectieux potentiellement impliqués. Le traitement sera à adapter aux résultats des sérologies et prélèvements réalisés. L'intérêt des collyres et pommades antibiotiques locaux n'est pas démontré. Dans certains cas résistants, l'exérèse des ganglions permet soit l'identification de l'agent infectieux, soit la mise en évidence d'une cause non infectieuse (inflammatoire ou maligne) et souvent la guérison.
La figure 30-1
Fig. 30-1
Conduite à tenir devant une suspicion de syndrome oculoglandulaire de Parinaud.
détaille l'algorithme de prise en charge du SOGP [ 5].
Conclusion
Le syndrome oculoglandulaire de Parinaud est une entité clinique d'origine infectieuse qui nécessite une approche sémiologique fine afin d'orienter le diagnostic étiologique. La maladie des griffes du chat en est la principale cause, mais la rareté de l'affection ainsi que la multiplicité des présentations et des contextes cliniques nécessitent une démarche étiologique systématique afin de ne pas méconnaître une pathologie potentiellement grave sur le plan visuel ou général.
Bibliographie
[1]
Parinaud H. Conjonctivite infectieuse paraissant transmise à l’homme par les animaux. Recueil Ophtal 1889 ; 11 : 176.
[2]
Wong MT, Dolan MJ, Lattuada CP Jr, et al. Neuroretinitis, aseptic meningitis, and lymphadenitis associated with Bartonella (Rochalimaea) henselae infection in immunocompetent patients and patients infected with human immunodeficiency virus type 1. Clin Infect Dis 1995 ; 21(2) : 352-60.
[3]
Verhoeff FH, King MJ. Leptotrichosis conjunctivae (Parinaud’s Conjunctivitis) : artificial cultivation of the Leptotriches in three out of four cases. Trans Am Ophthalmol Soc 1932 ; 30 : 131-48.
[4]
Cassady JV, Culbertson CS. Cat scratch disease and Parinaud’s oculoglandular syndrome. Arch Ophthalmol 1953 ; 50 : 68-74.
[5]
Arjmand P, Yan P, O’Connor MD. Parinaud oculoglandular syndrome : review of the literature and update on diagnosis and management. J Clin Exp Ophthalmol 2015 ; 6 : 443.
[6]
Dixon MK, Dayton CL, Anstead GM. Parinaud’s oculo-glandular syndrome : a case in adult with flea-borne typhus and a review. Trop Med Infect Dis 2020 ; 5(3) : 126.