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Chapitre 45
Infections liées aux bulles de filtration

P. Bastelica, C. Baudouin, A. Labbé

Introduction
Le glaucome est une neuropathie optique progressive dont le seul traitement validé est de diminuer la pression intraoculaire (PIO). Lorsque le traitement médical ou le laser ne suffit plus, une prise en charge chirurgicale s'avère nécessaire. Celle-ci repose principalement sur la chirurgie filtrante conventionnelle (trabéculectomie et sclérectomie profonde non perforante), même si les techniques de chirurgie filtrante se sont étoffées avec le développement des implants de drainage de l'humeur aqueuse et des MIBS ( minimally invasive bleb surgery ) ou MIGS ( minimally invasive glaucoma surgery ) dits « avec bulle de filtration», actuellement représentés par le Xen Gel 45® et le Preserflo Microshunt®.
L'infection liée à la bulle de filtration, communément appelée « blébite » par francisation du néologisme anglais « blebitis» , est une complication redoutée des chirurgies filtrantes. Le terme de blébite a été introduit par Brown et al. en 1960 pour décrire une infection, le plus souvent bactérienne, limitée à la bulle de filtration [1]. Ces infections peuvent se développer de quelques jours à plusieurs années après la chirurgie. Ainsi, on distingue classiquement les blébites précoces, survenant durant le premier mois postopératoire, et les blébites tardives, pouvant apparaître jusqu'à plusieurs années après la chirurgie [2]. Leur incidence varie de 0,4 % à 1,3 % des chirurgies filtrantes [3]. Ces infections peuvent compromettre l'efficacité des chirurgies et augmentent le risque de baisse d'acuité visuelle postopératoire, principalement lié à la survenue d'une endophtalmie de contiguïté dite « endophtalmie liée à la blébite», tournant évolutif de la maladie de très mauvais pronostic. Les infections liées aux bulles de filtration regroupent donc la blébite et l'endophtalmie liée à la blébite.
Facteurs de risque
Le principal facteur de risque de blébite est une fuite d'humeur aqueuse au niveau de la bulle de filtration [4]. À chaque consultation postopératoire, ces fuites doivent être dépistées en recherchant un signe de Seidel conjonctival après instillation d'une goutte de fluorescéine. Les fuites précoces, survenant dans les trois premiers mois postopératoires, sont le plus souvent liées à une fermeture conjonctivale défectueuse. Elles doivent être traitées (pommade vitamine A, suture directe ou plus rarement lentille pansement de grand diamètre) afin de diminuer le risque infectieux qui demeure néanmoins rare avec les fuites précoces.
Les fuites tardives, au-delà des trois premiers mois postopératoires, sont plus à risque d'infection, car elles sont liées à une altération chronique de la paroi de la bulle de filtration, principalement due à l'utilisation peropératoire d'antimétabolites (mitomycine C et 5-fluoro-uracile). Utilisées afin de diminuer les risques d'échec chirurgical par fibrose conjonctivale, ces molécules induisent à terme un amincissement conjonctival, avec réduction de la cellularité et de l'immunité locale [5]. Ces antimétabolites contribuent ainsi à la formation de bulles fines, avasculaires, fragiles et poreuses, favorisant le passage d'agents microbiens dans l'espace sous-conjonctival (fig. 45-1
Fig. 45-1
Bulle de filtration kystique avec fuite tardive.
a. La bulle de filtration est fine et avasculaire. b. Notons la présence d'un signe de Seidel après instillation de fluorescéine.
). Le risque de fuite est plus important après application de mitomycine C (risque relatif [RR] à 2,48) par rapport à l'application de 5-fluoro-uracile (RR à 1,31) [6]. En cas de fuite tardive, il est rarement possible de tenter une suture conjonctivale simple, car cela nécessite des tissus conjonctivaux sains et une bulle encore bien vascularisée. En cas de conjonctive avasculaire, la pose d'une greffe de membrane amniotique serait efficace dans près de la moitié des cas [ 7]; une réfection de la bulle de filtration avec un abaissement conjonctival ou la réalisation d'un lambeau conjonctival est nécessaire le plus souvent. Les bulles de filtration induites par les MIGS et autres implants de drainage présentent les mêmes risques que les bulles de chirurgie conventionnelle, auxquels se surajoute le risque lié au matériel implanté et à son extériorisation. En effet, ces dispositifs peuvent provoquer une érosion conjonctivo-ténonienne, particulièrement lorsqu'ils sont en contact direct avec la conjonctive (bulle de filtration plate, enkystement avec bulle à paroi très fine, exérèse partielle de la Tenon) (fig. 45-2
Fig. 45-2
Extériorisation d'un dispositif à travers la bulle de filtration par érosion conjonctivale.
).
D'autres facteurs de risque d'infection des bulles de filtration ont été identifiés [4 , 6]. Les blébites sont ainsi plus fréquentes chez les sujets myopes, jeunes et de sexe masculin. La présence d'épisodes infectieux contemporains (conjonctivite, blépharite, infections des voies aériennes supérieures) et l'utilisation d'antibiotiques locaux constituent des facteurs favorisants majeurs. Les bulles de filtration nasales et inférieures, exposées au stress induit par le contact direct avec l'air ambiant, le frottement mécanique de la paupière inférieure et les bactéries du film lacrymal, sont plus à risque que les bulles supérieures. Par ailleurs, les abords conjonctivaux au limbe sont plus exposés au risque de blébite que les ouvertures au fornix, cette dernière modalité étant plus à risque de fibrose sous-conjonctivale. La présence d'une hypotonie oculaire ou d'un décollement choroïdien favorise également le développement d'infections liées aux bulles de filtration. Enfin, il a été montré que les chirurgies filtrantes combinées avec la chirurgie de la cataracte étaient moins exposées au risque de blébite, du fait d'une inflammation sous-conjonctivale accrue, contribuant à la formation de bulles de filtration plus résistantes [6].
Clinique
Les infections limitées aux bulles de filtration sont responsables d'un œil rouge douloureux avec photophobie, le plus souvent sans baisse d'acuité visuelle [ 8 , 9]. Les patients se plaignent fréquemment d'un larmoiement persistant qui précède les autres symptômes. Au stade d'endophtalmie liée à une blébite, les douleurs sont plus importantes et le tableau s'aggrave en quelques heures. Une baisse d'acuité visuelle modérée à sévère survient dès les premiers jours de la maladie. Les patients présentant une blébite sur bulle de filtration de tubes ou d'implants de drainage peuvent également se plaindre d'une sensation de corps étranger sous-palpébral.
À l'examen, la bulle de filtration paraît blanche, laiteuse, opacifiée, avec un aspect typique dit « blanc sur rouge» (fig. 45-3
Fig. 45-3
Blébite tardive avec abcès de la bulle de filtration sans inflammation de chambre antérieure.
). Un signe de Seidel est régulièrement constaté sur la bulle de filtration. En l'absence de Seidel conjonctival, le point de fuite est le plus souvent occlus par les sécrétions et les débris inflammatoires contenus dans la bulle de filtration. Les matériels de type tubes ou implants peuvent être extériorisés. Des sécrétions mucopurulentes abondantes sont fréquemment retrouvées. Une réaction de chambre antérieure plus ou moins associée à un hypopion peuvent être les premiers signes d'une endophtalmie (fig. 45-4
Fig. 45-4
Endophtalmie tardive liée à une blébite.
). En revanche, la présence d'une hyalite signe le diagnostic d'endophtalmie sur blébite (classification dans l' encadré 45-1
Encadré 45-1
Classification des infections liées aux bulles de filtration
  • Stade 1 : blébite isolée

  • Stade 2 : inflammation de chambre antérieure associée (hypopion, Tyndall cellulaire)

  • Stade 3 : endophtalmie associée à la blébite (atteinte vitréenne, infiltration cellulaire)

    • A : fond d'œil visible, absence d'opacité vitréenne en échographie B

    • B : fond d'œil inaccessible, présence d'opacités échographiques


) [1]. Une échographie B doit être systématiquement réalisée lorsque le fond d'œil est inaccessible.
Diagnostic microbiologique
Un bilan bactériologique et mycologique, avec examen direct, cultures sur milieux spécifiques et antibiogramme, doit toujours être réalisé afin d'adapter le traitement antibiotique à large spectre initialement introduit [10]. Dès la suspicion diagnostique, des prélèvements locaux conjonctivaux (frottis sur lame et écouvillonnages) sont réalisés. Dès lors qu'il existe une inflammation de chambre antérieure, il est recommandé de réaliser une ponction de chambre antérieure voire un prélèvement de vitré qui présente un meilleur rendement diagnostique. Lorsqu'un matériel doit être retiré (tube, implant), celui-ci doit toujours être analysé [11].
Les résultats des examens microbiologiques sont négatifs dans 21 % à 86 % des cas [10], une culture positive étant associée à un moins bon pronostic (car témoin d'une charge bactérienne plus importante). Les infections liées aux bulles de filtration sont presque toujours d'origine bactérienne, même si de rares cas de blébites mycotiques ont été publiés [ 12]. Les bactéries de la flore commensale de la surface oculaire et des paupières, principalement représentées par Staphylococcus epidermidis et S. aureus , sont responsables de la majorité des blébites isolées de bon pronostic, et des endophtalmies précoces. En cas de blébite tardive ou d'endophtalmie liée à la blébite, le pronostic visuel est particulièrement péjoratif, car ces infections sont causées par des germes plus virulents [ 2]. Les streptocoques en sont la cause principale ( S. pneumoniae et S. viridans principalement), devant les bacilles à Gram négatif ( Haemophilus influenzae B et Pseudomonas aeruginosa principalement) et les entérocoques . D'autres germes, plus rares, peuvent aussi être isolés.
Traitement
Il n'existe pas de schéma thérapeutique consensuel [ 13]. L'antibiothérapie doit être adaptée dès que possible aux résultats des analyses microbiologiques pour optimiser l'efficacité anti-infectieuse. En l'absence d'atteinte vitréenne, le traitement des blébites rejoint sensiblement celui des abcès de cornée présumés bactériens. Le pronostic visuel est alors bon si le traitement a été instauré de façon précoce. Une corticothérapie locale doit être instaurée 24 heures après le début de l'amélioration clinique afin de ne pas compromettre l'efficacité de la chirurgie. En cas de blébite en lien avec une MIGS ( minimally invasive glaucoma surgery ) ou un implant de drainage de l'humeur aqueuse, ces dispositifs doivent être retirés en urgence [11]. Lorsqu'une endophtalmie est associée, le traitement combine celui des endophtalmies postopératoires avec des antibiotiques topiques (pour traiter la blébite).
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