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Chapitre 46
Aspects médico-légaux des complications infectieuses liées à la chirurgie ophtalmologique

J.-C. Lepori

Introduction
Les infections postopératoires en ophtalmologie comme dans les autres disciplines chirurgicales sont susceptibles de laisser des séquelles plus ou moins lourdes générant très souvent de manière réactionnelle un sentiment d'injustice et de victimisation. Pour les patients, les responsables de l'infection postopératoire sont le praticien qui a pratiqué l'intervention et l'établissement hospitalier dans lequel s'est déroulée l'intervention. Ils estiment qu'ils n'ont pas rempli leur obligation de sécurité et, à ce titre, ils demandent réparation. Depuis la médiatisation du concept d'infection nosocomiale et la loi du 4 mars 2002, la survenue d'une infection postopératoire motive « les victimes» à solliciter une procédure de demande d'indemnisation. En matière médico-légale, sur le plan de la réparation d'un préjudice corporel, ce qui domine est le principe de causalité entre un dommage et un fait générateur. La réparation du dommage, qu'il y ait faute ou absence de faute, est régie par les textes législatifs et par les jurisprudences.
Définition de l'infection nosocomiale et son appréciation médico-légale [ 1–3]
Définition de l'infection nosocomiale
Les infections nosocomiales ont été initialement définies dans un objectif épidémiologique. La réduction des infections nosocomiales était devenue un enjeu majeur des politiques de santé publique. La définition d'une infection nosocomiale figure en effet dans le guide des 100 recommandations publiées en 1999 par le Comité technique national de lutte contre les infections nosocomiales (CTIN) : « Une infection est dite nosocomiale si elle apparaît au cours ou à la suite d'une hospitalisation et si elle était absente à l'admission à l'hôpital. Ce critère est applicable à toute infection. Lorsque la situation précise à l'admission n'est pas connue, un délai d'au moins 48 heures après l'admission (ou un délai supérieur à la période d'incubation lorsque celle-ci est connue) est communément accepté pour distinguer une infection d'acquisition nosocomiale d'une infection communautaire. Toutefois, il est recommandé d'apprécier, dans chaque cas douteux la plausibilité du lien causal entre hospitalisation et infection».
Dans la loi du 4 mars 2002 qui précise le dispositif d'indemnisation des accidents médicaux, des accidents iatrogènes et des infections nosocomiales, c'est cette définition qui sert de référence.
En 2004 apparaît la formulation d'« infections liées aux soins » (ILS) permettant d'inclure les soins donnés hors établissements hospitaliers. Le rapport du CTINILS (Comité technique des infections nosocomiales et des infections liées aux soins) de 2007 énonce : «Une infection est dite associée aux soins si elle survient au cours d'une prise en charge (diagnostique, thérapeutique, palliative, préventive ou éducative) d'un patient, et si elle n'était ni présente, ni en incubation au début de la prise en charge. Lorsque l'état infectieux au début de la prise en charge n'est pas connu précisément, un délai d'au moins 48 heures ou supérieur à la période d'incubation est couramment accepté pour définir une infection associée aux soins (IAS). Toutefois, il est recommandé d'apprécier dans chaque cas la plausibilité de l'association entre la prise en charge et l'infection. Pour les infections du site opératoire, on considère habituellement comme associés aux soins les infections survenant dans les 30 jours suivant l'intervention ou, s'il y a mise en place d'un implant, d'une prothèse ou d'un matériel prothétique dans l'année qui suit l'intervention. Toutefois, et quel que soit le délai de survenue, il est recommandé d'apprécier dans chaque cas la plausibilité de l'association entre la prise en charge et l'infection, notamment en prenant en compte les germes en cause».
En 2018, le Conseil d'État confirme et précise une définition de l'infection nosocomiale issue d'un attendu (21 juin 2013, n° 347450) qui se référait à l'article L. 1142-1 I alinéa 2 du Code de la santé publique (CSP) : l'infection est qualifiée de nosocomiale lorsqu'il s'agit d'une « infection survenant au cours ou au décours d'une prise en charge et qui n'était ni présente, ni en incubation au début de celle-ci, à moins que l'infection présente une autre origine que la prise en charge du patient ou qu'une cause étrangère, imprévisible ou irrésistible, soit rapportée».
Définition de l'appréciation médico-légale des infections postopératoires
L'appréciation médico-légale des infections postopératoires n'a cessé d'évoluer lors des 30 dernières années soit de manière jurisprudentielle, soit au moyen de textes législatifs.
Jusqu'en 1996, de manière jurisprudentielle, la responsabilité des professionnels de santé ou des établissements de santé n'était retenue qu'en cas de faute avérée. Il revenait au plaignant d'apporter la preuve d'une faute pour pouvoir prétendre à une indemnisation.
En mai 1996, la Cour de cassation inverse la charge de la preuve : le praticien et l'établissement hospitalier sont présumés responsables de l'infection postopératoire à moins de prouver l'absence de faute.
En 1999, la Cour de cassation impute la responsabilité de l'infection postopératoire au praticien et à l'établissement hospitalier à moins d'apporter la preuve d'une faute étrangère. De ce fait, malgré l'absence de faute, la responsabilité du praticien et de l'établissement hospitalier est systématiquement engagée. C'est le concept de responsabilité sans faute.
La loi du 4 mars 2002 [3], qui crée l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux (ONIAM), met en place pour les infections nosocomiales survenues après le 5 septembre 2001 un nouveau de régime de responsabilité : en l'absence de faute du praticien, ce sont les établissements de santé qui sont désormais responsables. En l'absence de faute avérée de l'établissement de santé, il revient à son assureur de prendre en charge la réparation des préjudices, sauf si le taux d'invalidité permanente est supérieur à 25 % ou si le patient décède, l'indemnisation étant alors prise en charge par l'ONIAM.
Importance des pièces sur le plan médico-légal
La procédure de demande d'indemnisation à la suite d'une infection postopératoire impose la pratique d'une expertise. La recherche de la vérité par l'expert nécessite le recueil de toutes les pièces de tous les intervenants. Des faits ou des notions entachés d'erreur ou d'inexactitude conduiraient à l'erreur. Aussi, les procédures de recours indemnitaire imposent que soient transmises à l'expert toutes les pièces des professionnels de santé et des établissements impliqués avant, pendant et après l'acte chirurgical compliqué d'une infection postopératoire, ce qui implique l'ensemble des acteurs de la chaîne de soins.
En droit commun, la charge de la preuve incombe au demandeur qui a déposé la plainte. L'article 1315 du Code civil stipule : « Celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation». Cela passe par la production des pièces par le demandeur.
Dans le domaine médical, la communication des pièces est encadrée par les dispositions relatives au secret médical.
En matière judiciaire civile et administrative, il revient au plaignant, par l'intermédiaire de son avocat, de communiquer son dossier médical à l'expert. Il revient également au plaignant de solliciter la direction de l'établissement hospitalier (et non le chef de service) pour obtenir la transmission de son entier dossier conformément aux obligations établies par la loi du 4 mars 2002. L'établissement de santé est autorisé à facturer des frais de transmission de dossier.
En matière de procédure de la commission de conciliation et d'indemnisation (CCI), la loi du 4 mars 2002 permet à l'expert de demander directement les dossiers aux praticiens et aux établissements de santé sans que puissent lui être opposés le secret professionnel et le secret médical. En raison du caractère contradictoire des procédures judiciaires civiles et administratives, les pièces doivent être communiquées non seulement à l'expert ou aux co-experts, mais aussi à toutes les parties mises en cause dans la procédure.
Lors des procédures pénales, les pièces sont saisies par un officier de police judiciaire (OPJ) sur commission rogatoire d'un juge d'instruction sur ordre du procureur et mises sous scellés. L'expertise en matière pénale n'est pas contradictoire.
Pour ce qui est de la traçabilité dans les dossiers, que ce soit en judiciaire ou en CCI, jusqu'à preuve du contraire, ce qui n'est pas tracé est considéré comme non fait. Si le dossier n'est pas correctement rempli et renseigné, le magistrat est en droit d'en déduire que les soins n'ont pas été conformes, ni éclairés.
La perte du dossier ou la non-production du dossier par un établissement de santé est considérée comme une présomption de faute (arrêt de la Cour de cassation du 26 septembre 2018).
L'ensemble des pièces d'importance sur le plan médico-légal sont détaillées dans le tableau 46-1
Tableau 46-1
Pièces d'intérêt médico-légal en cas d'infection postopératoire.
Médecin qui a pratiqué l'interventionLe dossier médical incluant les consultations préopératoires et les examens préopératoires
La traçabilité de l'information préopératoire
Le compte-rendu opératoire
Les courriers
Établissement hospitalier où a été pratiquée l'interventionLe protocole de préparation au bloc opératoire, en particulier le protocole de décontamination du foyer opératoire
Le compte-rendu opératoire
La traçabilité de la stérilisation des instruments et des dispositifs médicaux utilisés
Le dossier anesthésique
Le dossier infirmier
La traçabilité des prescriptions médicales
Le rapport du CLIN de l'établissement, en particulier le rapport concernant les infections du site opératoire au moins pour l'année en cours
Professionnel(s) de santé intervenu(s) dans la période postopératoireLe dossier de l'ophtalmologiste qui a assuré le suivi postopératoire
Lorsque l'infection survient après la sortie de l'établissement sont parfois intervenus un ou plusieurs professionnels de santé (pharmacien, médecin généraliste, urgentiste, etc.) qui ont prodigué des conseils ou délivré une prescription. Dans les cas d'infection de la surface oculaire, la traçabilité de la délivrance des médicaments prescrits par l'opérateur et délivrés par le pharmacien est indispensable, pour s'assurer que le patient a disposé des médicaments prescrits, pour s'assurer qu'il n'y a pas eu d'erreur lors d'une éventuelle substitution par le pharmacien, pour savoir si des prescriptions ont été faites par d'autres intervenants et enfin pour rechercher une automédication
Médecin(s) et établissement(s) qui a(ont) pris en charge l'infectionPrise en charge en secteur public : l'entier dossier de l'établissement incluant le dossier médical
Prise en charge en secteur libéral : le dossier du ou des médecins impliqués et le dossier de l'établissement hospitalier
Professionnel(s) de santé qui a (ont) pris en charge le traitement des séquelles Prise en charge en secteur public : l'entier dossier de l'établissement incluant le dossier médical
Prise en charge en secteur libéral : le dossier du ou des médecins impliqués et le dossier de l'établissement hospitalier
.
La mission d'expertise
La recherche de la conformité aux règles de l'art et aux données acquises de la science ne se limite pas à l'analyse de de la complication infectieuse. La mission d'expertise demande également :
  • de confirmer ou non le diagnostic de l'affection nécessitant l'intervention;
  • de préciser si l'intervention était justifiée et adaptée;
  • de dire si l'opérateur avait la compétence et disposait des moyens techniques pour pratiquer l'intervention;
  • d'évaluer le déroulement de l'intervention sur le plan technique en précisant si des incidents ou des complications sont survenus;
  • d'évaluer l'évolution postopératoire si l'infection n'était pas survenue. Ce point est très important pour l'évaluation des dommages imputables à l'infection postopératoire.
Cela ne pose guère de problèmes lorsqu'il s'agit d'une endophtalmie sur intervention de cataracte pour un œil ne présentant aucune pathologie associée. Cela devient beaucoup plus difficile lorsque le résultat postopératoire attendu est incertain et variable, comme dans les interventions pour décollement de rétine ou pour trou maculaire.
En cas d'expertise amiable, non judiciaire, quand l'assureur ne conteste pas la faute du praticien ou de l'établissement hospitalier, la mission d'expertise peut se limiter à préciser et à évaluer les différents préjudices.
Affirmer l'infection [ 4]
La qualification d'infection certaine nécessite l'existence d'un tableau clinique d'infection oculaire, et idéalement l'identification de l'agent infectieux responsable de l'infection.
Analyse du dossier
L'analyse du dossier nécessite une évaluation des moyens mis en œuvre à la recherche d'une infection.
Il est important de connaître les moyens cliniques, paracliniques et biologiques mis en œuvre pour rechercher une infection et d'en préciser le délai par rapport à l'acte opératoire incriminé afin de pouvoir qualifier l'infection postopératoire : exclue; certaine; ni certaine, ni exclue?
Agent infectieux
La très grande majorité des infections postopératoires qui font l'objet d'une demande d'indemnisation sont d'origine bactérienne; moins fréquentes sont les infections postopératoires provoquées par un champignon ou par un protozoaire. Si l'on considère les endophtalmies bactériennes, plus de 80 % des cas proviennent de cocci à Gram positif, staphylocoques et streptocoques. Moins souvent, sont retrouvés des entérocoques et des bactéries à Gram négatif comme les Pseudomonas , les Propionibacterium et les entérobactéries.
Des récurrences de kératites herpétiques peuvent survenir au décours d'interventions oculaires, très souvent favorisées par une corticothérapie locale par collyres. L'étude du dossier de l'opérateur est primordiale d'une part pour rechercher un antécédent de kératite herpétique, d'autre part pour s'assurer que l'opérateur, lors du bilan préopératoire, s'est enquis de l'absence d'antécédent d'herpès oculaire. Le risque de la récidive herpétique est d'aboutir à une cicatrice cornéenne pouvant nécessiter le recours à une greffe de cornée. Dans un litige récent, à la suite d'une injection intravitréenne d'Ozurdex® pour un œdème maculaire cystoïde postopératoire de cataracte, est apparue une récidive herpétique cornéenne rapidement compliquée d'une fonte purulente de la cornée. L'opérateur, qui avait été informé d'une kératite herpétique datant d'une vingtaine d'années, ignorait que le risque de récidive herpétique est d'autant plus élevé que le délai par rapport au dernier épisode de kératite est long.
Sur le plan médico-légal, si la preuve de l'identification d'un agent infectieux dans les prélèvements effectués représente un élément essentiel, encore faut-il que l'agent infectieux retrouvé soit compatible avec le délai d'incubation et avec le tableau clinique présenté.
Infection postopératoire sans germe identifié
L'appréciation du caractère infectieux s'avère parfois difficile lorsqu'aucun agent infectieux est retrouvé. Cette situation, qui est loin d'être rare, ne signifie pas ipso facto qu'il n'y a pas eu infection. On voit ainsi des globes oculaires avec un vitré rempli de pus sans germe retrouvé sur les prélèvements. Dans ce cas précis, la nature infectieuse ne fait aucun doute. Le problème est plus compliqué par exemple en cas de forte inflammation intraoculaire survenant dans les jours suivant une chirurgie intraoculaire, avec des prélèvements d'humeur aqueuse et/ou de vitré négatifs à toutes les méthodes de recherche d'un agent infectieux. Généralement, ces prélèvements sont suivis d'injections intravitréennes d'antibiotiques. S'agissait-il alors d'une infection postopératoire maîtrisée par le traitement antibiotique? S'agissait-il d'une forte réaction inflammatoire intraoculaire non infectieuse? S'agissait-il d'un syndrome toxique du segment antérieur? Il n'est pas toujours possible de répondre de manière certaine. Dans ces dossiers où le caractère infectieux ne peut pas être affirmé avec certitude, les défenseurs des établissements hospitaliers impliqués vont utiliser cet argument pour réfuter la responsabilité de la structure hospitalière.
Analyse du caractère postopératoire de l'infection
La démarche comporte trois étapes.
Recherche de l'absence d'infection avant l'intervention
En voici deux exemples.
Plaie perforante avec ou sans corps étranger intraoculaire
La plaie est provoquée soit par un agent vulnérant pénétrant, soit par une contusion provoquant un éclatement du globe oculaire. La symptomatologie infectieuse survient après un délai variable de quelques jours, parfois après une première intervention réparatrice. Cette circonstance élimine la qualification nosocomiale, l'infection étant considérée en incubation à l'entrée dans l'établissement hospitalier.
Antécédents d'herpès oculaire
Des antécédents d'herpès oculaire imposent la mise en route d'un traitement antiherpétique préventif systématique.
Préciser la source de l'infection et le mode de contamination, si l'infection est postérieure à l'hospitalisation
Avant la loi du 4 mars 2002, en matière judiciaire administrative, il était essentiel de préciser si l'infection était d'origine endogène ou exogène, car seules étaient indemnisées les infections d'origine exogène.
Une infection endogène est due à une auto-infection : les germes proviennent du patient qui s'infecte lors d'un acte invasif. Lors des infections sur chirurgie intraoculaire, la flore microbienne conjonctivale est plus souvent en cause que la flore cutanée [4].
L'infection est dite exogène lorsque la flore responsable de l'infection est étrangère au patient.
Hétéro-infection
Les germes sont transmis soit de manière manuportée, soit de manière aéroportée. Il est quasi impossible d'en faire la preuve dans le cas des infections postopératoires dans le domaine de l'ophtalmologie pour ce qui concerne les interventions intraoculaires du segment antérieur ou du segment postérieur. Pour ce qui concerne les interventions intéressant la surface oculaire, la contamination manuportée du foyer opératoire non cicatrisé est possible dans les jours suivant l'intervention, la source étant le patient ou un tiers. Ce type d'infection postopératoire peut être favorisé par le traitement prescrit, par la non-exécution du traitement prescrit ou par une automédication qu'il faut rechercher systématiquement.
Exo-infection
Il s'agit du dysfonctionnement technique d'un appareil, ou d'une faille dans l'exécution des procédures du traitement du matériel chirurgical. Les infections sérielles proviennent essentiellement de ce type de contamination.
Recherche des facteurs de vulnérabilité vis-à-vis de l'infection
Tous les patients ne sont pas égaux vis-à-vis de la qualité des moyens de défense personnels anti-infectieux. Outre des facteurs innés, interviennent des facteurs acquis : l'âge, l'état général, des maladies chroniques, certains traitements, notamment la corticothérapie générale, les immunodépresseurs et certains médicaments anticancéreux.
Évaluation des mesures préventives effectuées
S'il est utopique de penser que toutes les infections opératoires sont évitables, il est nécessaire que toutes les mesures préventives correspondant aux obligations prescrites en matière de sécurité soient mises en œuvre en gardant une traçabilité de celles-ci. Ces mesures de prévention de l'infection concernent la préparation de l'opéré, la salle d'opération, le personnel présent en salle d'opération, les instruments et matériels utilisés, les prothèses, la gestion du foyer opératoire, l'antibioprophylaxie pré-, per- ou postopératoire.
S'ajoutent à cela les rapports du comité de lutte contre les infections nosocomiales (CLIN) de l'établissement dans lesquels doivent figurer les infections du site opératoire pour chaque année, et les moyens d'analyse mis en œuvre par l'établissement lors de la survenue d'une ou de plusieurs infections postopératoires.
Évaluation du suivi postopératoire
Les progrès chirurgicaux dans le domaine de l'ophtalmologie font que la majeure partie des interventions sont réalisées en ambulatoire. En raison du grand nombre d'interventions et de la diminution de la fréquence des infections postopératoires, l'obligation du contrôle postopératoire du lendemain, dit à J1, a été remise en cause pour les interventions sans facteur de risque particulier et qui se sont déroulées sans incident opératoire. Pour ces cas, l'obligation de la consultation à J1 peut être levée sous certaines conditions :
  • la réalisation à J1 d'une consultation téléphonique par l'opérateur ou par un collaborateur délégué au moyen d'un questionnaire;
  • une information préalable de l'opéré sur les signes pouvant évoquer un début d'infection;
  • une mise à disposition de l'opéré d'un numéro de téléphone lui permettant de joindre en urgence l'opérateur ou le médecin assurant la continuité des soins dans l'établissement où il a été opéré. La réglementation concernant la continuité des soins impose que l'opéré puisse joindre à tout moment du jour et de la nuit l'ophtalmologiste qui l'a opéré ou l'ophtalmologiste assurant la continuité des soins.
En revanche, pour les yeux à risque particulier, ou si un incident ou une complication est survenu en cours d'intervention, l'absence de consultation présentielle peut être considérée comme une faute. L'avenir dira si les progrès de la télémédecine permettront de pratiquer ce contrôle à J1 dans tous les cas et avec une fiabilité suffisante.
Un défaut de suivi postopératoire constitue une faute génératrice d'un retard de diagnostic et d'un retard de traitement responsables d'une perte de chance. En matière d'infectiologie, un retard d'une journée aggrave considérablement le pronostic fonctionnel, notamment lorsqu'il s'agit d'une intervention endo-oculaire ou sur la cornée.
Connaître le déroulement de la prise en charge à partir du début de la symptomatologie de l'infection postopératoire est indispensable. En dehors de l'opérateur, il peut s'agir d'un ophtalmologiste, d'un urgentiste, d'un médecin généraliste, voire d'un pharmacien. Une prise en charge non adaptée de ces intervenants est susceptible de provoquer un retard de diagnostic et/ou un retard de traitement de l'infection postopératoire. Un manquement à l'obligation de moyens est invoqué dans ces cas.
La prise charge de l'infection postopératoire est réalisée soit par l'opérateur, soit par d'autres intervenants dans le même établissement de santé ou dans un établissement différent. La lecture du dossier de l'établissement de santé qui a assuré le traitement de l'infection postopératoire doit permettre d'affirmer si la prise en charge a été conforme aux règles de l'art et aux données acquises de la science médicale au moment où elle a été dispensée.
Imputabilité [5]
Le terme d'imputabilité est souvent confondu avec celui de causalité. L'imputabilité dans le domaine médical repose sur l'explication pathogénique relatée par l'expert dans le rapport d'expertise médicale. Il revient ensuite au juriste chargé du dossier d'établir ou non le lien de causalité en fonction des explications du rapport d'expertise.
Imputabilité de l'infection
S'il est habituellement possible d'imputer l'infection à l'intervention pratiquée, il est plus rarement possible d'imputer l'infection de manière certaine à l'équipe chirurgicale, ou au matériel utilisé ou à l'établissement de santé. Lorsqu'il s'agit d'infections sérielles, la découverte de la source de l'infection permet de répondre de manière plus précise à cette question de l'imputabilité.
Imputabilité des dommages [ 5, 6]
Ce point concerne également les fautes génératrices d'une perte de chance : retard de diagnostic, retard de traitement, traitement inadapté.
Importance de la connaissance de l'état antérieur
L'évaluation des dommages nécessite de connaître l'état antérieur sur le plan anatomique et fonctionnel. La pathologie séquellaire de l'infection postopératoire doit être dissociée des dommages d'une pathologie préexistante éventuellement toujours évolutive : maculopathie, rétinopathie diabétique, occlusions vasculaires, etc. L'existence d'une affection évolutive de l'œil adelphe est indispensable à connaître pour imputer les dommages liés à cette affection, à dissocier des dommages liés à l'infection postopératoire.
Préciser les éventuelles responsabilités
Évoquer une responsabilité suppose la présence d'au moins une faute, avec un lien de causalité entre la faute et le dommage. L'appréciation du lien de causalité est susceptible faire l'objet de débats entre le plaignant et les défenseurs, notamment en ce qui concerne la certitude et la présomption. Un faisceau de présomptions se définit par un ensemble d'éléments qui, pris isolément, seraient insuffisants pour affirmer un lien de causalité, mais qui, cumulés, permettent de déduire l'existence d'un lien de causalité. Toutefois, une concomitance ou une succession chronologique d'événements ne suffisent pas, à eux seuls, à constituer une preuve. Concernant la responsabilité du professionnel de santé, l'article L. 1142-1 du CSP dit : « Les professionnels de santé ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute».
Présence d'une faute
Il peut s'agir d'une faute à l'origine de la contamination, ou d'une faute concernant la prise en charge de l'infection postopératoire, mais il peut également s'agir d'une faute portant sur l'indication opératoire ou la technique utilisée.
Absence de faute
Dans une majorité des cas, aucune faute n'est retrouvée. À qui incombe alors la responsabilité de l'infection postopératoire? L'article L. 1142-1 I du CSP dit : « Les établissements sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère», ce qui correspond au régime de responsabilité sans faute.
Le problème de l'information préopératoire du risque d'infection
En référence à l'article R. 4127-35 du CSP, le médecin est tenu de donner au patient une information loyale, claire et appropriée sur son état et sur les risques graves afférents aux investigations et aux soins proposés, même si ces risques sont minimes ou exceptionnels. Depuis un arrêt de la Cour de cassation de 1997, la charge de la preuve de l'information incombe au médecin qui doit garder dans son dossier la traçabilité de la démarche d'information délivrée au patient. Actuellement, seule une information orale par un dialogue singulier est obligatoire. La traçabilité du contenu de l'information donnée de manière orale n'étant pas évidente à relater dans le dossier médical, les médecins, très souvent, la complètent par un document écrit avec éventuellement un schéma explicatif, informant le patient des bénéfices, des alternatives et des risques encourus. Cet élément matériel constitue une preuve importante, en plus des éventuels courriers dictés aux correspondants. Les textes actuels n'imposent pas que ce document soit signé par le patient. La traçabilité doit préciser la date où ce document a été remis au patient afin de pouvoir prouver que la durée du délai de réflexion a été suffisante par rapport à l'intervention proposée.
Hors urgence, un patient ne peut pas être opéré sans avoir donné son consentement par écrit avec sa signature. Le formulaire de consentement aux soins signé par le patient n'exonère pas de l'obligation de traçabilité de l'information préopératoire des risques. Le fait que le patient donne son consentement ne signifie pas ipso facto qu'une information loyale, claire et appropriée lui a été donnée.
En ce qui concerne les patients mineurs, l'information doit être délivrée aux titulaires de l'autorité parentale qui pourront formuler leur consentement. Seul ce consentement écrit, hors situations d'urgence médicale, peut autoriser l'intervention. Le consentement du mineur doit être recherché chaque fois que possible afin qu'il participe à la prise de décision médicale.
En cas d'infection postopératoire à la suite d'une intervention reconnue conforme aux règles de l'art à l'époque des faits, la responsabilité de l'opérateur peut être retenue de manière partielle s'il n'apporte pas la preuve d'une information préopératoire concernant ce risque. Le défaut d'information constitue une faute génératrice d'une perte de chance que le patient aurait eu d'éviter de courir tel ou tel risque [7].
La charge de l'établissement de la responsabilité
Cette charge dépend du système dans lequel a été faite la demande d'indemnisation. Prenons l'exemple d'une endophtalmie sur intervention de cataracte.
  • En procédure amiable, si le dossier et l'expertise ne révèlent aucune faute, l'assureur peut décider d'assumer la responsabilité et, dans ce cas, faire une proposition d'indemnisation.
  • En CCI, c'est la commission qui va proposer l'établissement de la responsabilité.
  • En judiciaire civil ou administratif, il revient au juge d'établir la responsabilité.
  • En arbitrage, il revient à l'expert arbitre d'établir la responsabilité.
  • En médiation, c'est le protocole d'accord entre les parties qui établit la responsabilité.
Évaluation des séquelles et des préjudices
Il revient à l'expert de pratiquer cette évaluation et de la proposer dans son rapport à l'autorité qui l'a missionné [5 , 6 , 8 , 9]. En cas d'infection postopératoire, tous les points suivants doivent être renseignés :
  • l'évaluation de l'état antérieur;
  • l'évolution prévisible en l'absence de la survenue de l'infection et/ou en l'absence d'un défaut de prise en charge de l'infection;
  • l'évaluation des postes de préjudice en référence à la nomenclature en cours.
La nomenclature actuelle est la nomenclature Dintilhac [ 6] qui permet de distinguer les postes de préjudice à caractère permanent et les postes de préjudice à caractère définitif. Sont ainsi déterminés : la date de consolidation, le déficit fonctionnel temporaire (DFT), le déficit fonctionnel permanent (DFP), correspondant à l'ancienne dénomination de taux d'IPP, et calculé en référence au barème en vigueur [9], les souffrances endurées, le préjudice esthétique avant et après consolidations, les soins post-consolidation, l'appareillage éventuel, les retentissements sur les conditions de vie, la perte d'autonomie et le recours à des aides humaines, le retentissement sur la scolarité ou sur les activités professionnelles, la compatibilité avec les aptitudes à la conduite automobile en référence au décret en vigueur.
Phase décisionnelle de l'indemnisation
Le principe général de l'indemnisation est la réparation intégrale des dommages. Les infections nosocomiales engagent systématiquement la responsabilité des établissements de santé auxquels il incombe d'apporter éventuellement la preuve d'une cause étrangère. Le ou les payeurs sont déterminés par le niveau de gravité de l'infection et de ses séquelles, et de l'existence ou non d'une éventuelle faute.
En fonction du contexte de la demande, l'affaire est plaidée par les avocats de chaque partie. Si l'expertise est un outil essentiel pour éclairer le juge sur le plan technique, l'avis de l'expert ne s'impose pas de facto au juge. La décision prise par l'autorité judiciaire est susceptible d'une action en recours par les parties, en appel pour le civil et l'administratif, puis en cassation pour le civil, et en Conseil d'État pour l'administratif.
Mais la voie judiciaire n'est pas la seule voie possible pour obtenir une indemnisation en rapport avec une infection postopératoire :
  • procédure amiable avec l'assureur ou les assureurs des parties mises en cause. C'est une voie habituelle par exemple dans les cas d'endophtalmie sans faute retrouvée. Après expertise, l'assureur établit une proposition d'indemnisation qui peut être négociée, acceptée ou refusée par le demandeur;
  • procédure par l'intermédiaire d'une CCI présidée par un juge issu droit administratif. La commission est composée à 50 % par des professionnels de la santé, et à 50 % par des représentants des usagers. La commission, après expertise et après avoir entendu les parties, émet un avis qui est en pratique accepté par les parties dans plus de 50 % des procédures. Les parties peuvent refuser l'avis de la CCI, auquel cas la procédure est poursuivie par les parties en judiciaire;
  • procédure de médiation. La médiation fait partie des modes alternatifs de règlement des différends (MARD). Les parties règlent le litige en faisant appel à un médiateur impartial et compétent qui va les aider à régler la demande indemnitaire par la négociation et le compromis en rapprochant leurs positions. Cette procédure nécessite au final l'homologation d'un juge qui vérifiera que l'accord obtenu respecte bien les intérêts des parties.
Conclusion
Malgré les mesures préventives qui ont fait diminuer de manière très importante le taux de survenue des infections postopératoires, il persiste toujours quelques cas d'infections postopératoires. La prise en charge sociétale des préjudices liés à ces infections s'est considérablement améliorée au cours des 20 dernières années, permettant une indemnisation plus juste et plus rapide.
Bibliographie
[1]
Stingre D, Verdeil X. Les infections nosocomiales. 2e éd. Paris : Les Études Hospitalières ; 2004.
[2]
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