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Chapitre 52
Rétinite nécrosante herpétique de l'immunodéprimé

A. Toutee, S. Touhami, V. Pourcher, B. Bodaghi

Introduction
La rétinite virale nécrosante est rare, mais engage dramatiquement le pronostic visuel. Les différentes entités de rétinites virales nécrosantes peuvent varier suivant le statut immunitaire du patient : la majorité des rétinites nécrosantes sont associées à une immunodépression, comme c'est le cas pour la rétinite à cytomégalovirus ou la nécrose progressive de la rétine externe ( progressive outer retinal necrosis [PORN]), tandis que la nécrose rétinienne aiguë ( acute retinal necrosis [ARN]) survient principalement chez les patients immunocompétents.
La rétinite virale est liée à certains virus de la famille des Herpesviridae . Ce sont des virus à ADN double brin qui restent latents dans les cellules de l'hôte après une primo-infection. Les Herpesviridae comprennent le virus de l'herpès simplex 1 et 2 (HSV), le virus de la varicelle et du zona (VZV), le cytomégalovirus (CMV) et éventuellement le virus d'Epstein-Barr (EBV). L'infection humaine aux Herpesviridae est omniprésente dans le monde entier, avec des taux de séropositivité variant de 60 % à 100 % [1 , 2]. Le cycle de latence-activation repose sur l'interaction complexe entre le virus pathogène, la fonction immunitaire de l'hôte et des facteurs externes. Une immunité affaiblie, en particulier l'immunité à médiation cellulaire, peut conduire à une réactivation virale, donc à une maladie clinique. La recherche d'une atteinte par le virus de l'immunodéficience humaine (VIH), ou d'autres facteurs d'immunodépression, est indispensable devant toute nécrose rétinienne virale.
Épidémiologie
Avant l'existence des antirétroviraux (ARV), les patients atteints du VIH avaient des infections opportunistes oculaires extensibles et bilatérales, qui étaient la principale cause de cécité irréversible. L'avènement des ARV dans les années 1990 a profondément modifié l'épidémiologie des manifestations oculaires du VIH. La rétinite à CMV reste la cause majeure de perte visuelle au stade sida [ 3]; les autres infections opportunistes sont devenues rares, sauf la syphilis [3 , 4]. De nouvelles entités apparaissent comme l'uvéite de reconstitution immunitaire (URI) [5] ou des toxicités rétiniennes liées aux médicaments [6].
Avec le développement des nouveaux traitements immunosuppresseurs (IS) ou du nombre de greffes, le nombre de patients immunodéprimés non VIH a augmenté depuis les 20 dernières années [7]. Ces patients sont aussi à risque de développer des rétinites virales.
Bilan d'immunodépression et d'extension
Une immunodépression doit être recherchée devant toute nécrose rétinienne virale, en particulier à médiation cellulaire (lymphocytes T). Le bilan comprend au minimum le dosage biologique de la numération formule sanguine (NFS) avec le phénotypage lymphocytaire (T CD4 +), une glycémie à jeun, une électrophorèse des protéines plasmatiques, la sérologie VIH-1 et 2, une recherche de déficit commun variable, et la recherche de néoplasie ou de facteurs de risque d'immunodépression (traitement IS, corticoïdes systémiques ou intraoculaires, etc.). Le bilan sanguin comprend aussi les sérologies HSV, VZV, CVM, syphilis (TPHA [ Treponema pallidum hemagglutinations assay ] ± venereal disease research laboratory [VDRL]), toxoplasmose et recherche de PCR ( polymerase chain reaction ) CMV dans le sang et les urines pour les rétinites à CMV.
Le diagnostic de la rétinite est clinique, mais la confirmation du type de virus sur les prélèvements oculaires est indispensable pour adapter le traitement, par une PCR HSV-1-2, VZV, CMV sur humeur aqueuse voire sur le vitré. La toxoplasmose doit être éliminée sur les prélèvements oculaires par PCR et coefficient de Desmonts. Certains cas difficiles peuvent demander d'analyser un NGS ( next-generation sequencing ) sur les prélèvements oculaires. Une imagerie par résonance magnétique (IRM) cérébrale est systématique pour rechercher une méningo-encéphalite associée, et éventuellement une ponction lombaire est réalisée.
Rétinites infectieuses et VIH
Le risque de rétinite infectieuse et le type de pathogène dépendent du taux de lymphocytes T CD4. Les agents responsables de rétinites infectieuses sont, par ordre de fréquence, le CMV, puis la tuberculose, le VZV, le toxoplasme, et d'autres sont plus rares. La co-infection par le bacille syphilitique est systématiquement recherchée (tableau 52-1
Tableau 52-1
Facteurs de risque d'uvéite postérieure infectieuse chez le patient atteint du VIH.
Taux de lymphocytes T CD4 Quel que soit le taux : syphilis, candidose
< 300/mm 3 : tuberculose (miliaire, tubercules de Bouchut)
< 200/mm 3 : pneumocystose
< 100/mm 3 : toxoplasmose (pas de cicatrice antérieure, pas d'inflammation antérieure ni postérieure)
< 50/mm 3 : CMV, VZV, lymphomes
TerrainToxicomanie associée : candidose
Facteur de risque d'infections sexuellement transmissibles : syphilis
Argument de fréquence CMV +++ > toxoplasmose > tuberculose > VZV
).
Rétinopathie au VIH
La rétinopathie liée au VIH est une microangiopathie ischémique rare, associée à un taux bas de lymphocytes T CD4 + et un taux élevé de charge virale ARN VIH [8]. Les signes sont aspécifiques. Le fond œil révèle des nodules cotonneux d'âges différents au pôle postérieur, des hémorragies rétiniennes et/ou des microanévrismes, parfois des occlusions vasculaires, des minimes défects du champ visuel et une très rare baisse visuelle (fig. 52-1
Fig. 52-1
a, b. Microangiopathie au VIH chez un patient au stade sida avec une virémie à CMV.
Présence de nodules cotonneux bilatéraux. La PCA PCR CMV est négative aux deux yeux.
). La rétinopathie au VIH est souvent associée à une altération de l'état général. Elle était présente dans 15 % à 30 % des cas avant l'ère des trithérapies [9]. Actuellement, elle est un indicateur d'échec thérapeutique et signale une résistance aux médicaments et/ou une adhésion suboptimale. L'amélioration est spontanée lorsqu'il y a une augmentation du nombre de T CD4 + . Cela reste un diagnostic d'élimination et la ponction de chambre antérieure (PCA) reste indispensable pour éliminer les Herpesviridae ou la toxoplasmose. La rétinopathie au VIH est un facteur de risque de développer une rétinite à CMV : les micro-ischémies rétiniennes permettraient au CMV de rentrer dans la rétine et de proliférer [10].
Les patients atteints de VIH peuvent avoir des désordres neurorétiniens entraînant des anomalies de champ visuel en périmétrie automatisée dans un tiers des cas, même avec un fond d'œil normal, ainsi que des anomalies de la vision des couleurs ou des contrastes. L'étiologie reste discutée : microangiopathie rétinienne, toxicité mitochondriale liée au VIH ou au traitement ARV [11].
Rétinite à CMV
Épidémiologie
La rétinite à CMV est l'infection opportuniste la plus fréquente chez les patients fortement immunodéprimés, notamment chez les patients VIH au stade du syndrome d'immunodéficience acquise (sida). Elle peut aussi survenir chez les patients ayant une transplantation d'organe solide ou de cellules souches hématopoïétiques, un traitement IS ou immunomodulateur au long cours (notamment le bélatacept prescrit pour les greffes rénales [ 12 , 13]) et, plus rarement, chez des patients diabétiques, des personnes âgées ou des enfants immunodéprimés [8 , 14]. Elle peut aussi survenir après une injection intravitréenne de corticoïdes. L'augmentation de l'utilisation des IS élargit la population à risque et peut poser un défi en matière de prévention et de diagnostic [ 13].
Avant l'apparition des ARV, la rétinite à CMV chez les patients atteints du sida était très fréquente (20–40 cas/100 personnes/an) [15] et la cause principale de cécité (90 %) dans cette population. Elle était alors un facteur prédictif indépendant de mortalité [16]. Depuis l'introduction des ARV en 1996, la prévalence actuelle de la rétinite à CMV a diminué de 80 %, avec un taux estimé de 5,6 cas/100 personnes/an [17 , 18]. Les ARV permettent de diminuer la charge virale du VIH, d'augmenter le nombre de lymphocytes T CD4 + , d'améliorer la survie et de diminuer le risque d'infection opportuniste [9]. La rétinite à CMV n'a pas complétement disparu chez les patients atteints du VIH; elle reste possible si le patient n'a pas encore eu les ARV ou s'il est en échec thérapeutique des ARV.
Dépistage
Comme la rétinite peut être asymptomatique, le dépistage est systématique chez les patients VIH avec un taux de CD4 < 50/mm 3 et/ou une virémie ou virurie à CMV, pendant les trois premiers mois de l'instauration des ARV, ou chez les patients immunodéprimés. Le dépistage est donc recommandé au minimum une fois par mois en cas de taux de CD4 < 50/mm 3 .
Signes cliniques
L'infection oculaire par le CMV peut se manifester par une uvéite antérieure, une endothélite cornéenne ou une rétinite potentiellement cécitante. La rétinite peut être asymptomatique lorsqu'elle débute en périphérie rétinienne.
Le facteur de risque principal de la rétinite à CMV est un taux de lymphocytes T CD4 + inférieur à 50/mm 3 .
L'atteinte est uni- ou bilatérale. Le patient présente ensuite une baisse visuelle avec des myodésopsies, et un œil le plus souvent blanc et indolore. L'œil est calme avec une uvéite antérieure et une hyalite minime voire inexistante à cause de l'immunodépression. Le fond œil retrouve un ou plusieurs foyers de rétinite adjacents aux vaisseaux rétiniens qui commencent préférentiellement en moyenne et extrême périphérie (zones 2 et 3 de Holland) dans 85 % des cas. L'atteinte exclusive du pôle postérieur est rare et isolée au niveau maculaire dans moins de 5 % des cas (fig. 52-2
Fig. 52-2
a, b. Rétinite à CMV maculaire chez une patiente de 40 ans au stade sida, confirmée par la ponction d'humeur aqueuse.
Destruction de toute l'épaisseur rétinienne au niveau du foyer.
). Les foyers de rétinites sont blanchâtres avec un bord granulaire, avec des hémorragies rétiniennes en quantité variable. Des petits foyers satellites ponctiformes témoignent de la progression en rétine saine. Au fur et à mesure de la progression de l'infection, les lésions peuvent atteindre le pôle postérieur, y compris la fovéa ou le nerf optique, entraînant une perte de vision importante et des taux élevés de cécité. Il existe trois formes de rétinite à CMV décrites dans le tableau 52-2
Tableau 52-2
Les différentes formes des rétinites à cytomégalovirus.
Une forme fulminante œdémateusePlages de nécrose rétinienne blanche-jaune inhomogènes, à bords assez nets, avec de nombreuses hémorragies rétiniennes (« mayo-ketchup» ou en « feu de broussaille») souvent centrées par un vaisseau. La nécrose évolue de façon centrifuge sur les bords de la lésion. Sans traitement, il y a une destruction de la rétine en quelques mois. Le vitré est clair, reflétant l'importance de l'immunodépression. Les deux complications sont la rechute et le décollement de rétine rhegmatogène
Une forme indolenteNécrose rétinienne isolée d'aspect granuleux et grisâtre, souvent périphérique, sans hémorragie ni atteinte vasculaire, de progression lente et évoluant vers l'atrophie rétinienne et de l'épithélium pigmentaire. Forme actuellement la plus fréquente (fig. 52-3)
Une forme périvasculaireRare. Rétinite périvasculaire diffuse nécrosante avec un aspect d'angéite givrée
.
Dans la rétinite à CMV non liée au VIH, la rétinite nécrosante reste un trait caractéristique, mais présente des occlusions vasculaires plus étendues et des inflammations intraoculaires plus sévères par rapport à l'étendue limitée de la rétinite [8] (fig. 52-4
Fig. 52-4
Rétinite à CMV indolente chez un patient sous bélatacept pour une greffe rénale.
La plage de nécrose a un aspect blanchâtre, granuleux, centré autour d'un vaisseau, avec des hémorragies rétiniennes et une hyalite.
). Le pronostic visuel et les complications sont comparables chez les patients séropositifs ou séronégatifs [19-20-21].
Traitement
Le traitement comprend deux points essentiels : le contrôle de la rétinite par des antiviraux spécifiques du CMV et la restauration de l'immunité. L'activation du CMV est directement liée à un état d'immunodépression systémique ou local et ne peut guérir que si l'immunodépression s'amende. Le traitement anti-CMV ne doit pas être retardé dans l'attente d'une confirmation microbiologique. En l'absence de traitement, on aboutit à une destruction quasi totale de la rétine avec décollement de rétine au bout de 4 à 6 mois. Chez les patients atteints du VIH, le traitement ARV est institué dans un délai de 2 semaines après l'initiation du traitement anti-CMV, afin de diminuer le risque de reconstitution immunitaire paradoxale si le patient n'a jamais été traité ou s'il était en rupture de traitement.
La thérapeutique est guidée par la localisation de la lésion :
  • les lésions comportant une menace imminente pour la fovéa ou la papille sont traitées par des injections intravitréennes d'antiviraux associées à un traitement systémique;
  • pour une lésion qui ne menace pas la vue, un traitement systémique peut suffire.
Dans tous les cas, même si la lésion est strictement unilatérale, l'injection intravitréenne seule n'est pas une option (risque plus élevé de mortalité, l'infection systémique étant non contrôlée). Le traitement systémique est indispensable pour empêcher l'atteinte extra-oculaire ainsi que l'atteinte de l'œil adelphe.
Le régime de choix recommandé historiquement consiste à administrer du ganciclovir par voie intraveineuse (5 mg/kg/12 h) comme traitement d'induction pendant 2 à 3 semaines, suivi d'une dose d'entretien. Le valganciclovir oral (900 mg × 2/j) est un promédicament ayant une bonne biodisponibilité orale. Le valganciclovir per os est tout aussi efficace pour les rétinites indolentes chez le patient atteint du VIH que le ganciclovir IV (5 mg/kg) ou que le foscarnet IV (90 mg/kg/12 h) [5].
Le traitement est poursuivi jusqu'à la cicatrisation complète des lésions et l'amélioration du statut immunitaire du patient, avec une augmentation du nombre de CD4 à plus de 100/mm 3 . Le foscarnet ou une thérapie combinée ont été tentés dans les cas de résistance aux médicaments. L'utilisation du cidofovir est limitée en raison du risque accru de néphrotoxicité et d'uvéite grave. Dans les cas de CMV résistants aux médicaments, le létermovir a été approuvé en 2017 chez les receveurs de greffe de cellules hématopoïétiques allogéniques séropositifs pour le CMV. Les injections intravitréennes bihebdomadaires de ganciclovir ou de foscarnet peuvent être envisagées en plus du ganciclovir systémique dans les cas de lésions menaçant la macula et/ou extensives [5]. Le risque de complications des injections intravitréennes est faible mais sévère (endophtalmie , hémorragie intravitréenne et décollement de la rétine).
En cas de restauration immunitaire, le traitement d'entretien peut être arrêté si la rétinite est inactive, le traitement ayant duré au moins 3 mois et la charge virale du VIH indétectable avec un taux de CD4 supérieur à 100/mm 3 depuis au moins 3 mois.
La majorité des patients dont l'immunité n'est pas restaurée sous ARV feront tôt ou tard une récidive de rétinite à CMV malgré le traitement d'entretien. Ce traitement d'entretien est le même que celui d'attaque, mais à demi-dose. Les récidives précoces peuvent être causées par une pénétration insuffisante des médicaments ou par un manque d'observance. Les récidives tardives (après au moins 3 mois de traitement d'entretien) doivent évoquer la possibilité d'une résistance du CMV aux antiviraux.
Pour les patients qui font une récidive de rétinite à CMV sous traitement d'entretien, il est recommandé de passer à une association ganciclovir (ou valganciclovir) en combinaison avec le foscarnet en systémique et/ou intravitréen. La durée de l'intervalle libre sans lésion active et l'état immunitaire sous traitement antirétroviral sont importants pour trancher entre progression ou récidive sous traitement d'entretien (tableau 52-3
Tableau 52-3
Traitements systémiques et intravitréens des rétinites nécrosantes herpétiques (d'après Sudharshan et al. [5]).
RétiniteTraitement recommandéAlternative thérapeutiqueEffets indésirables
Rétinite à CMVInduction : ganciclovir IV (5 mg/kg/12 h 14–21 jours) OU valganciclovir PO (900 mg × 2/jour)
Entretien : ganciclovir IV (5 mg/kg/j) OU valganciclovir PO (450 mg × 2/jour)
Injection intravitréenne de ganciclovir (2 mg/0,1 ml) :
– attaque : 2/semaine
– entretien : 1/semaine
Induction : foscarnet IV (90 mg/kg/12 h pendant 14 jours) ou cidofovir IV (5 mg/kg/15 jours)
Entretien :
– foscarnet IV (60 mg/kg/12 h)
– cidofovir IV (5 mg/kg/semaine pendant 21 jours)
Injection intravitréenne
Attaque :
– foscarnet 1,2–2,4 mg/0,1 ml 1 à 2/semaine OU
– cidofovir 20 μg 1 à 8 fois le temps d'obtenir la cicatrisation
Entretien :
– foscarnet 1,2 mg/0,1 ml 1/semaine OU
– cidofovir 20 μg toutes les 5-6 semaines
– (Val)Ganciclovir : myélosuppression
– Les mutations des gènes UL54 et UL97 peuvent entraîner une résistance au ganciclovir
– Foscarnet : néphrotoxicité, désordres hydroélectrolytiques, nausées, vomissements
– Cidofovir : néphrotoxicité (administrer en association du probénécide en prévention), uvéites graves
– Cidofovir IVT : uvéite antérieure, rétinotoxicité et hypotonie
ARN/PORNAttaque :
– foscarnet IV (90 mg/kg/12 h) pendant 21 jours
– OU aciclovir (10 mg/kg/8 h pendant 21 jours)
Entretien :
– valaciclovir oral 1 g × 3/jour
Injection intravitréenne de ganciclovir (2 mg/0,1 ml) ou de foscarnet (1,2-2,4 mg/0,1 ml) :
– attaque 2/semaine
– entretien 1/semaine
Néphrotoxicité

ARN : acute retinal necrosis (nécrose rétinienne aiguë); PORN : progressive outer retinal necrosis (nécrose rétinienne externe progressive).


).
Les corticoïdes locaux ou systémiques n'ont pas leur place en phase aiguë de la rétinite, avec un risque d'aggraver les lésions et l'immunosuppression. Chez la majorité des patients immunodéprimés, la réponse inflammatoire est légère et les corticoïdes peuvent donc être évités.
Uvéite de reconstitution immunitaire (URI)
Chez les patients atteints du VIH qui ont été traités pour une rétinite à CMV, la restauration d'une immunité efficace par les ARV se complique rarement d'une URI. L'incidence de l'URI est estimée actuellement à 0,04 par personne par an. Ces lésions sont dues à une immunité antivirale de nouveau fonctionnelle qui dépasserait les limites de son action. L'URI se présente avec une inflammation de chambre antérieure, une hyalite, un œdème maculaire cystoïde et une papillite. Il n'y a pas d'infection active du CMV, ni de récidive de rétinite. Les facteurs de risque sont des antécédents de nécrose rétinienne étendue et l'emploi de cidofovir intravitréen [22].
Son traitement est difficile, avec une réponse variable à la corticothérapie locale ou systémique, introduite pour réduire la réponse inflammatoire et éviter d'autres lésions oculaires. La corticothérapie est contre-indiquée en cas de suspicion de rétinite active. En cas d'œdème maculaire chronique, un traitement par interféron alpha est efficace. Le traitement chirurgical doit se discuter dans certaines situations : cataracte sous-capsulaire postérieure, membranes épirétiniennes et vitréorétinopathie proliférative.
Nécrose rétinienne externe progressive (PORN)
La nécrose rétinienne externe progressive ( progressive outer retinal necrosis [PORN]), décrite par Forster et al. en 1990, touche les sujets profondément immunodéprimés, en particulier les patients à un stade avancé du sida avec un taux effondré de lymphocytes T CD4. Cette atteinte nécrotique de la rétine est fulminante et de pronostic très péjoratif. Le virus le plus fréquent est le VZV et deux tiers des patients ont un antécédent de zona et/ou une suspicion de méningite virale concomitante. Le pronostic visuel est très réservé, malgré un traitement précoce et bien conduit, avec une acuité visuelle moyenne limitée à « VBLM».
Aspect clinique
L'atteinte du PORN est bilatérale dans 71 % des cas. L'œil peut rester blanc avec une baisse d'acuité visuelle indolore. Contrairement à l'ARN, le segment antérieur reste calme, avec un vitré peu ou non inflammatoire; les vascularites sont minimes ou absentes. Une nécrose de toute l'épaisseur rétinienne est présente au pôle postérieur. La rétinite s'étend progressivement vers l'extérieur et en périphérie, et les lésions deviennent confluentes. Les foyers rétiniens blanchâtres sont multiples et de différentes tailles (fig. 52-5
Fig. 52-5
Évolution à 72 heures d'une rétinite nécrosante progressive externe à VZV chez un patient VIH au stade sida.
Les zones de rétinites nécrosantes ont conflué en un large placard nécrotique périphérique, avec peu de hyalite et d'hémorragie. Le patient a évolué vers un décollement de rétine rhegmatogène.
). La maladie progresse rapidement vers la cécité (60 %) avec atrophie optique et rétinienne. La rétinite est parfois précédée d'une névrite optique rétrobulbaire, pouvant entraîner une baisse visuelle ou des déficits du champ visuel non liés aux atteintes rétiniennes. Le risque de bilatéralisation du PORN est beaucoup plus élevé (60–70 %) que pour l'ARN. Les complications grèvent le pronostic visuel; ce sont l'atrophie optique , la nécrose rétinienne du pôle postérieur, un décollement de rétine (70 %) lié aux multiples déchirures rétiniennes au sein de la nécrose.
Prise en charge
La plupart des auteurs recommandent un traitement plus agressif que dans l'ARN associant un traitement combiné par foscarnet ou aciclovir par voie IV avec des injections intravitréennes de ganciclovir ou de foscarnet bihebdomadaires. Les corticoïdes n'ont pas leur place dans la prise en charge initiale. Après le traitement d'attaque, qui dure classiquement 3 semaines, lorsque la nécrose a arrêté de progresser, le traitement d'entretien antiviral par voie orale, adapté au virus, doit être poursuivi au long cours, associé à l'obtention d'une reconstitution immunitaire. La chirurgie est proposée en cas de décollement de rétine.
Le suivi de la charge virale intraoculaire sous traitement est possible grâce aux ponctions itératives et montre un plateau assez important pendant plusieurs semaines, même si la clinique confirme la cicatrisation.
Nécrose rétinienne aiguë (ARN)
La nécrose rétinienne aiguë ( acute retinal necrosis [ARN]) est une rétinite nécrosante grave rapidement progressive et menaçant la vue. Elle se manifeste chez des personnes d'âge moyen (36–54 ans), immunocompétentes, ou avec un taux de CD4 supérieur à 500/mm 3 , ou avec un déficit immunitaire modéré. La nécrose rétinienne de l'ARN peut être liée au VZV , à l'HSV et plus occasionnellement au CMV .
L'ARN est caractérisée par les critères proposés par l'American Uveitis Society : des foyers bien délimités de nécrose rétinienne en périphérie, une extension rapide et circonférentielle de ces foyers, une vasculite artérielle occlusive, une inflammation du segment antérieur et des troubles vitréens importants. Chez les patients immunodéprimés, la réaction inflammatoire est moins importante (fig. 52-6
Fig. 52-6
a, b. Nécrose aiguë rétinienne bilatérale à VZV chez une patiente VIH au stade sida, ayant une acuité visuelle initiale à 8/10 aux deux yeux.
Toute la rétine périphérique est nécrosée avec des vascularites occlusives et des hémorragies rétiniennes. La hyalite est quasi absente du fait de l'immunodépression. La patiente a évolué vers un décollement de rétine rhegmatogène bilatéral malgré un traitement intensif intraveineux et intravitréen.
).
Rétinite à virus d'Epstein-Barr (EBV)
La pathogénicité et le rôle de l'EBV dans les rétinites virales ne sont pas élucidés. L'EBV reste latent dans les lymphocytes B mémoires. L'EBV est responsable de la mononucléose infectieuse , et parfois d'une maladie lymphoproliférative telle que le lymphome de Burkitt ou le carcinome nasopharyngé. L'EBV a été identifié par PCR dans les liquides oculaires au cours d'uvéite antérieure, de vitrite, de vascularite et de rétinite, ainsi que dans 70 % des yeux cadavériques normaux. Des rapports ont également identifié sa présence dans des yeux atteints d'ARN, le plus souvent concomitante avec la présence d'HSV ou de VZV [ 13]. Schaal et al. ont démontré la présence d'ADN d'EBV dans les cellules rétiniennes d'un patient atteint d'ARN, ce qui confirme son rôle dans la maladie plutôt que celui d'indicateur de la migration des lymphocytes [23].
Le tableau 52-4
Tableau 52-4
Comparaison des différentes rétinites nécrosantes herpétiques.
ARNPORNRétinite à CMV
TerrainSouvent immunocompétentsZona
Immunodéprimés ++
Immunodépression profonde et lymphopénie, stade sida, greffes
Critères diagnostiquesRétinite nécrosante
Début en périphérie
Extension circonférentielle et centripète vers le pôle postérieur
Progression rapide
Artérite occlusive
Uvéite antérieure
Hyalite majeure
Neuropathie optique
Décollement de rétine
Uvéite antérieure ± granulomateuse
Bilatérale 70 % des cas
Rétinite nécrosante
Nécrose multifocale au pôle postérieur et en périphérie
Nécrose de toutes les couches de la rétine
Progression très rapide
Artérite occlusive
Hyalite absente ou minime
Neuropathie optique
Décollement de rétine
Asymptomatique
Bilatérale
Nécrose rétinienne périphérique
Inflammation intraoculaire minime
Périphlébite occlusive
Progression lente vers le pôle postérieur de 0,5 diamètre papillaire par semaine
Récidive ou absence de guérison malgré le traitement antiviral si l'immunodépression/lymphopénie persistent
Caractéristiques associéesNeuropathie optique/atrophique
Sclérite
Douleur
Éliminer l'association avec une méningo-encéphalite :
– signes neurologiques, syndrome méningé
– ponction lombaire
– sérologie VIH, lymphocytes T CD4
Sérologie VIH, lymphocytes T CD4, sérologie CMV, PCR CMV sang/urine
PCAPCA PCR HSV-1, HSV-2, VZV et CMV
± PCA synthèse intracamérulaire d'anticorps herpès
VirusVZV (moins bon pronostic) > HSV-1 et 2
Plus rare CMV, EBV
VZV ++ > HSV-1 et 2, CMV CMV

ARN : acute retinal necrosis (nécrose rétinienne aiguë); CMV : cytomégalovirus; EBV : virus d'Epstein-Barr; HSV : herpes simplex virus; PCA : ponction de chambre antérieure; PCR : polymerase chain reaction; PORN : progressive outer retinal necrosis (nécrose rétinienne externe progressive); VZV : virus de la varicelle et du zona.


présente une comparaison des différentes rétinites nécrosantes herpétiques.
Diagnostics différentiels
Devant toute rétinite nécrosante, les diagnostics à évoquer sont les virus de la famille Herpesviridae , ainsi que la toxoplasmose, la syphilis [ 24], des maladies inflammatoires (sarcoïdose, maladie de Behçet), la tuberculose ou un lymphome vitréorétinien. Les patients immunodéprimés peuvent avoir des co-infections rétiniennes simultanées (fig. 52-7
Fig. 52-7
Patient VIH au stade sida ayant une co-infection rétinienne.
Présence d'un foyer choriorétinien lié à la toxoplasmose en nasal aux deux yeux (a, b) et une rétinite à CMV maculaire sur l'œil gauche (b) confirmés à la PCA. Évolution des rétinites à 3 mois (c, d) avec cicatrices pigmentées à bords nets.
). Le prélèvement d'humeur aqueuse est donc indispensable pour rechercher par PCR, HSV-1-2, VZV, CMV et toxoplasme, ainsi que la synthèse d'anticorps intraoculaires anti-toxoplasmiques (coefficient de Desmonts). Le coefficient de Desmonts peut être négatif chez les patients immunodéprimés.
Contrairement à ce que l'on observe chez les patients immunocompétents, la toxoplasmose dans le cadre du sida peut survenir de novo , être bilatérale, avec de multiples foyers sans anciennes cicatrices choriorétiniennes et avec une nécrose extensive.
Conclusion
Les rétinites nécrosantes herpétiques sont des urgences thérapeutiques. Le diagnostic clinique doit toujours être confirmé par des prélèvements oculaires, ce qui ne doit pas retarder le traitement. Les principales pathologies sont la rétinite à CMV, la rétinite externe nécrosante progressive, la nécrose rétinienne aiguë ou l'uvéite de restitution immunitaire. Les patients très immunodéprimés peuvent avoir des rétinites extensives ou bilatérales, des réactions inflammatoires quasi absentes et plusieurs infections simultanées (herpès, syphilis, toxoplasmose). Le traitement de la rétinite à CMV comprend le traitement spécifique anti-CMV et surtout la restitution de l'immunité, sans laquelle la cicatrisation est impossible. Le traitement antiviral est administré par voie systémique ± intravitréenne pour contrôler la rétinite, éviter la bilatéralisation et une atteinte systémique du virus.
Points à retenir
  • Rétinites nécrosantes : diagnostic clinique avec une prise en charge immédiate en urgence, mais toujours confirmer l'infection oculaire par une ponction d'humeur aqueuse.
  • Tableaux principaux : rétinite à CMV, rétinite externe nécrosante progressive, nécrose rétinienne aiguë ou uvéite de restitution immunitaire.
  • Le traitement de la rétinite à CMV comprend le traitement antiviral anti-CMV ainsi que la restitution de l'immunité.
  • Les patients très immunodéprimés peuvent avoir des rétinites extensives ou bilatérales, des réactions inflammatoires quasi absentes et plusieurs infections simultanées (herpès, syphilis, toxoplasmose).
  • Le traitement antiviral est administré par voie systémique ± intravitréenne pour contrôler la rétinite, éviter la bilatéralisation et une atteinte systémique du virus.
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