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Chapitre 57
Toxocarose oculaire

C. Fardeau

Définition
La toxocarose oculaire est l'infection parasitaire intraoculaire d'une larve d'un vers rond, Toxocara canis ou cati , nématode de la famille des ascarides , également responsable du syndrome de larva migrans viscérale [1-2-3].
Cycle parasitaire
Le syndrome de larva migrans représente une impasse parasitaire chez l'homme de larves de nématodes digestifs d'autres espèces.
Les hôtes habituels sont les chiens, les chats et les renards. Le nématode est un vers de 6 à 8 cm de long présent dans leur tube digestif. Il y produit des œufs éliminés dans les selles, en particulier des chiots. Ces œufs mettent 2 à 4 semaines à développer une larve et deviennent alors infestants, puis restent contaminants pendant plusieurs mois. La survie des œufs en milieu extérieur est facilitée par une température comprise entre 15 et 25 °C et en milieu humide.
La contamination est orale et se fait par ingestion d'aliments souillés par les selles de chiens ou de chats contenant des larves de Toxocara canis , et moins souvent T. cati . Elle peut se faire aussi par ingestion de viande peu cuite, comme celle du lapin ou du gibier infecté. La contamination se fait aussi classiquement à partir des bacs à sable souillés, exposant les enfants.
L'infestation humaine se fait à partir du tube digestif vers la veine porte, puis les larves migrent dans les veines pulmonaires et sont disséminées dans les tissus, en particulier hépatique, pulmonaire, musculaire, oculaire et du système nerveux central. Des granulomes à éosinophiles se constituent autour de la larve et survient ensuite une réaction inflammatoire antigénique.
Signes cliniques
Les signes systémiques regroupés en syndrome de larva migrans viscérale , syndrome de larva migrans oculaire ou neurologique , toxocarose masquée ou paucisymptomatique ou asymptomatique (migration larvaire).
Signes systémiques
Les signes systémiques regroupent :
  • des signes généraux de syndrome infectieux, inconstants – des signes digestifs avec douleurs abdominales parfois intenses, une hépatomégalie avec ou sans splénomégalie à laquelle s'associe une polyadénopathie;
  • des signes pulmonaires (toux, infiltrats pulmonaires, pseudo-asthme, crachats riches en éosinophiles (cristaux de Charcot-Leyden);
  • des signes neurologiques (syndrome méningé, crises convulsives), des signes cutanés allergiques à type d'urticaire, de prurit, et un angio-œdème.
Signes oculaires
L'âge médian est de 11,5 ans (1–66 ans) parmi 159 patients atteints de toxocarose oculaire [ 2]. Parmi eux, les deux tiers possédaient un chat ou un chien, un tiers n'avait pas de contacts directs avec ces animaux.
L'uvéite est en règle unilatérale, bien que la bilatéralité soit possible.
Les signes fonctionnels sont une photophobie, un œil rouge douloureux et des myodésopsies.
Les signes à la lampe à fente sont les suivants : le segment antérieur peut montrer une réaction inflammatoire de type granulomateux, volontiers synéchiante et hypertonisante.
Au fond d'œil, l'atteinte Toxocara , décrite initialement par Ashton comme une rétinochoroïdite unilatérale caractérisée par un granulome blanc inflammatoire du pôle postérieur, reste la présentation la plus fréquente [1].
Typiquement, le fond d'œil montre une choriorétinite unilatérale avec des granulomes rétiniens ou choriorétiniens, uniques ou multiples, sur lesquels adhèrent des travées épaisses de vitré tractionnelles (fig. 57-1
Fig. 57-1
a-e. Homme de 41 ans présentant une panuvéite unilatérale granulomateuse chronique, avec un foyer unique en temporal.
Des tractions vitréorétiniennes sont bien visibles en OCT (b), et de nombreuses vasculites rétiniennes sont actives en angiographie en fluorescéine (c-e). La toxocarose a été prouvée dans l'humeur aqueuse.
), plus ou moins ramifiées, qui sont très évocatrices du diagnostic.
Les granulomes apparaissent comme des masses petites, solides et blanches quand elles sont intrarétiniennes, et jaunes quand elles sont sous-rétiniennes.
Chez l'enfant, le ou les granulomes sont le plus souvent au pôle postérieur, alors que chez l'adulte ils sont volontiers en rétine périphérique. Des décollements rétiniens tractionnels plus ou moins localisés peuvent compliquer le tableau.
L'association concomitante de trois signes cliniques que sont des granulomes rétiniens, une densification organisée du vitré antérieur et des travées vitréennes ramifiées adhérentes aux granulomes rétiniens montre une sensibilité de 46 % et une spécificité de 100 %. La présence de deux de ces trois signes cliniques montre une sensibilité de 80 % et une spécificité de 94 %, une valeur prédictive positive de 95 % et une valeur prédictive négative de 75 % [4].
L'échographie B met bien en évidence les tractions rétinovitréennes adhérentes aux granulomes rétiniens. S'y associent un épaissement choroïdien local et parfois un décollement rétinien qui peut rester localisé [ 5].
Les formes atypiques sont associées à un retard diagnostique, et regroupent des uvéites intermédiaires sans granulomes rétiniens avec des condensations au niveau de la pars plana, des vasculites rétiniennes veineuses occlusives, une neurorétinite, une panuvéite et les cas bilatéraux. Un œdème maculaire cystoïde peut être associé de façon aspécifique [3-4-5].
Diagnostic biologique
Une éosinophilie sanguine est retrouvée dans la moitié des cas de toxocarose oculaire [5-6-7].
La sérologie se fait par ELISA ( enzyme-linked immunosorbent assay [ELISA]) avec la recherche d'anticorps spécifiques dans le sérum, l'humeur aqueuse et le vitré par technique immunoenzymatique. C'est la méthode la plus couramment utilisée, mais pour laquelle il existe des réactions croisées avec d'autres helminthiases. L'ELISA est très sensible, mais peu spécifique. Très rarement, l'ELISA peut être négatif en présence d'une toxocarose oculaire.
Sur les prélèvements oculaires (humeur aqueuse ou vitré), la mise en évidence d'anticorps immunoglobulines G (IgG) spécifiques se fait par deux méthodes :
  • l'ELISA, qui se pratique sur les prélèvements oculaires. En cas de positivité dans un prélèvement oculaire et dans le sérum, le coefficient de Goldmann-Witmer est alors calculé et est considéré positif s'il est supérieur à 3 chez le patient immunocompétent. Ce coefficient immunitaire correspond au rapport IgG spécifiques intraoculaires/IgG spécifiques du sérum/IgG totales intraoculaires/IgG totales intraoculaires;
  • le Western blot , qui permet un diagnostic semi-qualitatif, et qui est plus spécifique que l'ELISA. Les anticorps du prélèvement oculaire sont mis en évidence par des bandes de réaction anticorps-antigènes et le résultat positif peut montrer quatre bandes dans la zone de 24-35 kDa, spécifiques de toxocarose. Le résultat est considéré comme positif lorsqu'on a au moins deux bandes dans cette zone. Mais, pour parler de toxocarose intraoculaire, il faut procéder à la seconde étape qui consiste à comparer les anticorps dans le sérum, l'humeur aqueuse ou le vitré. La production locale (synthèse) d'IgG spécifiques anti- Toxocara est démontrée si le nombre de bandes spécifiques est supérieur dans l'humeur aqueuse ou le vitré par rapport au sérum, ou encore si la sérologie est positive dans l'humeur aqueuse et négative dans le sérum. Si les deux bandes sont comparables (même profil immuno-électrophorétique en Western blot ), on considère qu'il y a simple diffusion passive des IgG du sérum vers l'humeur aqueuse ou le vitré, ce qui ne rejette pas le diagnostic, mais ne peut pas l'affirmer.
Coupler la sérologie et le Western blot sur le prélèvement intraoculaire augmente la sensibilité et la spécificité [ 6 , 7].
Diagnostics différentiels
Les diagnostics différentiels incluent les autres causes de rétinite nécrosante toxoplasmique ou herpétique qui bénéficient également de diagnostic biologique sur prélèvements oculaires. La syphilis est systématiquement recherchée. Les diagnostics différentiels envisagés comprennent aussi la sarcoïdose et l'hypersensibilité retardée au Mycobacterium tuberculosis . Quant à la maladie de Behçet, elle est recherchée par les signes cutanéomuqueux, articulaires, veineux et neurologiques à l'interrogatoire et par l'examen systémique des internistes. Chez l'enfant, une masse blanchâtre peut évoquer un rétinoblastome.
Traitement
De l'albendazole 400 mg/jour pendant 15 jours est la première phase thérapeutique antihelminthique. Son association avec la corticothérapie est apparue prévenir davantage les récidives que la corticothérapie utilisée seule [3]. L'albendazole passe la barrière hématoméningée et probablement la barrière hémato-oculaire.
La corticothérapie systémique ou locale est systématiquement employée. Elle est efficace sur les densifications du vitré. La corticothérapie injectable par injections sous-ténoniennes de triamcinolone présente l'avantage de ne pas accentuer le risque de décollement de rétine déjà présent. La corticothérapie injectable localement se complique volontiers d'hypertonie oculaire. Une chirurgie filtrante est parfois nécessaire [5].
La vitrectomie est particulièrement intéressante dans cette étiologie particulière de toxocarose. Elle est indiquée en cas de complication par décollement de rétine, ou membrane épimaculaire tractionnelle. Elle est aussi souvent bénéfique lorsque l'uvéite chronique persiste sous traitement médical au long cours. Les suites de la vitrectomie montrent souvent l'absence de récidives au long cours, lui conférant un effet curatif, ce qui est exceptionnel en matière d'uvéite. L'ablation des antigènes larvaires du Toxocara lors de la vitrectomie est une hypothèse [5 , 8-9-10].
Le pronostic évalué montre une acuité visuelle > 20/63 (3,2/10 es) chez deux tiers des patients adultes, et est plus réservé chez l'enfant, où les atteintes du pôle postérieur, la séclusion pupillaire et l'hypertonie sont des éléments péjoratifs.
Conclusion
Le diagnostic de toxocarose oculaire est évoqué devant une uvéite postérieure unilatérale avec présence d'un ou de plusieurs granulomes du pôle postérieur ou de la périphérie, sur lesquels adhèrent des travées épaisses de vitré tractionnelles, plus ou moins ramifiées.
Typiquement, le début est brutal et suivi d'un passage à la chronicité de l'inflammation endo-oculaire.
Des formes atypiques regroupent des uvéites intermédiaires , des vasculites rétiniennes occlusives , une neurorétinite , ou un œdème maculaire chronique.
La toxocarose oculaire expose particulièrement à des complications inflammatoires à type d'exsudats maculaires, de fibrose sous-rétinienne et de décollement de rétine .
Les prélèvements oculaires sont d'un intérêt majeur pour confirmer le diagnostic suspecté cliniquement, par la technique du Western blot semi-quantitatif, associé à l'ELISA.
Le traitement antihelminthique associé à la corticothérapie est complété par une vitrectomie en cas de complications tractionnelles ou d'inflammation chronique, pour laquelle elle est souvent bénéfique au long cours.
Bibliographie
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