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Chapitre 58
Tréponématoses

P. Labalette

Définitions
Les tréponématoses correspondent à un ensemble d'infections provoquées par des bactéries du genre Treponema , aussi appelées tréponèmes, qui appartiennent à la famille des Spirochaetaceae ou spirochètes. Elles sont membres de l'ordre des Spirochaetales qui comprend également les genres Borrelia et Leptospira .
Différents types de tréponématoses sont définis selon leur mode de transmission et le pathogène impliqué. On distingue la tréponématose vénérienne ou syphilis , causée par Treponema pallidum pallidum , ou tréponème pâle, des tréponématoses endémiques non vénériennes regroupant le bejel , ou syphilis endémique non vénérienne, dû à Treponema pallidum endemicum , le pian , induit par Treponema pallidum pertenue , et la pinta ou caraté , liée quant à elle à Treponema pallidum carateum [ 1].
Une atteinte oculaire directe est possible au cours de la syphilis et du bejel, au contraire des autres tréponématoses non vénériennes. Ces dernières touchent principalement les enfants en zone forestière et tropicale d'Amérique du Sud et centrale, avec une expression cutanée exclusive pour les rares cas de pinta encore signalés, d'Afrique de l'Ouest et centrale ou d'Asie du Sud-Est pour le pian, plus répandu et plus grave avec ses lésions osseuses associées [ 1].
La syphilis est une infection sexuellement transmissible (IST) de répartition mondiale, avec cependant une prévalence constamment plus élevée en Afrique. Après la décrue globale de son incidence liée à la prévention de l'infection par le virus de l'immunodéficience humaine (VIH) au cours des années 1990, une importante recrudescence est observée dans toutes les populations depuis les années 2000, mais avec une prépondérance de cas groupés chez les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (d'autant plus qu'ils ont des comportements à haut risque), les travailleuses du sexe et leurs clients, et les personnes en situation de vulnérabilité. Durant la même période, le nombre de syphilis oculaire a lui aussi augmenté et on estime actuellement qu'environ 1 % à 2 % des patients infectés sont concernés [2]. Cette prévalence est fortement majorée chez les hommes infectés par le VIH [3]. La co-infection est fréquente et doit être systématiquement recherchée (modes de contamination similaires, contamination virale favorisée par le chancre). Elle est retrouvée chez près d'un tiers des patients présentant une syphilis oculaire [4].
Pathologie
En l'absence de réservoir animal, la transmission de la syphilis ne peut qu'être interhumaine. T. pallidum est capable d'infecter son hôte par de petites zones d'abrasions cutanées ou des brèches limitées, mais surtout en passant au travers d'une muqueuse intacte. De ce fait, la syphilis est principalement une IST, tandis que les autres modes de transmission sont rares (contamination cutanée, transfusionnelle ou congénitale). Le tréponème envahit ensuite rapidement les tissus locaux et se dissémine par voie sanguine et lymphatique. Il ne libère pas de toxine et n'a pas d'effet cytotoxique direct, mais induit une infiltration inflammatoire mononucléée importante qui provoque la lésion primaire. C'est le chancre d'inoculation qui va pouvoir s'ulcérer si l'atteinte vasculaire est marquée.
À mesure que les tréponèmes se multiplient et disséminent dans l'organisme, apparaissent les lésions profuses de la phase secondaire qui relèvent elles aussi du processus inflammatoire déjà décrit. Néanmoins, celui-ci ne permet pas une élimination bactérienne complète et n'entraîne pas d'immunité spécifique prolongée, laissant la place dans certains cas au développement de lésions tardives et à la possibilité de nouvelles infections. En l'absence de traitement, la survenue d'une syphilis tardive est donc assez fréquente, et si la détection de tréponèmes au sein de lésions tertiaires est rare, une origine infectieuse chronique plutôt qu'auto-immune reste privilégiée, puisque l'administration de pénicilline s'avère rapidement efficace.
Aspects cliniques
Syphilis
Manifestations générales de la syphilis
Différents types de syphilis sont distingués selon les modes de contamination. La syphilis acquise est de transmission principalement vénérienne à partir de lésions cutanées ou muqueuses, ou exceptionnellement d'origine transfusionnelle. La transmission verticale de l'infection d'une femme enceinte à son enfant peut compliquer la grossesse et induire une syphilis congénitale [5].
En l'absence de traitement, l'évolution naturelle de la maladie (fig. 58-1
Fig. 58-1
Évolution naturelle de la syphilis.
) passe par différentes phases symptomatiques successives qui sont spontanément régressives, mais peuvent se chevaucher.
Syphilis acquise
La syphilis primaire correspond au stade précoce de l'infection; c'est le stade du chancre . Celui-ci se développe en quelques jours à quelques semaines sur le site d'inoculation induit par une lésion contagieuse du partenaire infecté et s'accompagne d'une adénopathie satellite. La localisation du chancre est le plus souvent génitale, mais aussi anorectale ou buccopharyngée. Le chancre peut également siéger ailleurs dans le cadre de contaminations cutanées ou muqueuses atypiques, expliquant les rares cas d'atteinte palpébrale ou conjonctivale rapportés. Ces lésions primaires disparaissent rapidement en cas de traitement, ou spontanément en 1 à 2 mois.
La syphilis secondaire correspond à la phase de dissémination systémique qui survient en l'absence de traitement. Elle se manifeste principalement par des éruptions cutanées polymorphes non confluentes, indolores et non prurigineuses d'abord sous la forme d'une roséole syphilitique (macules érythémateuses) touchant préférentiellement le tronc et la racine des membres, puis sous celle de syphilides (papules plus sombres) dont la localisation aux régions palmo-plantaires est la plus caractéristique (fig. 58-2
Fig. 58-2
Syphilides plantaires chez un patient présentant une uvéite sur syphilis secondaire.
). Le tableau de la phase secondaire peut aussi comporter des plaques muqueuses et une atteinte des phanères comme une alopécie , s'accompagner de signes généraux avec de la fièvre et une polyadénopathie, et même intégrer des atteintes plus profondes périostées, hépatiques ou rénales. À ce stade, la sphère oculaire et le système nerveux central ne font pas exception et sont aussi les cibles de la propagation infectieuse.
La neurosyphilis précoce s'exprime le plus souvent sous forme d'une méningite qui parfois se complique d'atteintes de nerfs crâniens (II, III, IV, VII ou VIII). Chez les sujets infectés par le VIH, le risque de neurosyphilis ou de syphilis oculaire est accru, les modes de présentation de la syphilis sont plus atypiques, les manifestations globalement plus sévères et l'évolution clinique plus rapide [6].
La maladie entre ensuite progressivement dans une phase de latence. Elle est qualifiée de précoce pendant la première année d'infection et des récurrences cutanées atténuées sont alors possibles.
Après la première année, elle est qualifiée de tardive et devient asymptomatique pour donner à terme une syphilis tertiaire dans un quart à un tiers des cas si aucun traitement n'est instauré.
Les lésions de la syphilis tertiaire sont liées à l'apparition d'une réaction granulomateuse visant à éliminer les tréponèmes et à son évolution fibreuse cicatricielle. Tous les organes infectés peuvent être touchés par l'apparition de gommes syphilitiques, y compris l'œil et ses annexes. De localisations cutanéomuqueuses, osseuses, pulmonaires, hépatiques ou cérébrales, les gommes sont devenues rares avec l'avènement de la pénicillothérapie.
L'atteinte syphilitique cardiovasculaire tertiaire porte principalement sur l'aorte (aortite, anévrisme de l'aorte volontiers ascendante, insuffisance valvulaire aortique), mais parfois aussi sur les structures cardiaques (myocardite, coronarite) et plus rarement sur l'artère temporale.
La syphilis méningo-vasculaire survient en général plus de 5 ans après l'infection, mais aussi potentiellement plus tôt chez les patients immunodéprimés. Elle produit des occlusions vasculaires à l'origine d'accidents cérébraux et médullaires déficitaires ou de manifestations épileptiques. Ceux-ci touchent préférentiellement les artères cérébrales moyennes et donnent des déficits du champ visuel en rapport, ou plus rarement le système vertébrobasilaire, et provoquent alors une ophtalmoplégie internucléaire ou d'autres syndromes du tronc cérébral. Des atteintes vasculaires de la rétine ou du nerf optique sont également possibles.
La neurosyphilis parenchymateuse et son atrophie cérébrale sont plus tardives encore, survenant après une quinzaine d'années d'évolution ou plus. La paralysie générale (atrophie corticale) associe des troubles psychiatriques, des troubles de l'élocution, des tremblements et une démence progressive. Le tabès (atrophie des cordons postérieurs) associe une ataxie, des douleurs du bas du corps, une dysautomonie et une arthropathie nerveuse. Des anomalies pupillaires (atrophie périaqueducale) de type pupille d'Argyll-Robertson et une atrophie optique peuvent compléter le tableau.
Syphilis congénitale
Le passage transplacentaire de T. pallidum est possible tout au long de la grossesse, mais les conséquences pour l'enfant se majorent après le premier trimestre avec le développement du système immunitaire fœtal. La contamination in utero par la mère est d'autant plus fréquente que l'infection est récente (syphilis primaire et secondaire), mais survient aussi dans près d'un tiers des cas en phase de latence. La transmission directe durant l'accouchement est rare, mais va pouvoir donner des chancres cutanés chez le nouveau-né, y compris palpébraux.
Environ la moitié des enfants infectés décèdent avant ou peu après la naissance, tandis que la majorité des survivants atteints de syphilis congénitale sont initialement asymptomatiques.
Durant les deux premières années de vie, l'évolution de l'atteinte systémique entraîne l'apparition d'une syphilis congénitale précoce (équivalent d'une syphilis secondaire) associant des manifestations cutanéomuqueuses, osseuses et viscérales multiples (tableau 58-1
Tableau 58-1
Manifestions de la syphilis congénitale [10].
Syphilis congénitale précoce (< 2 ans) Syphilis congénitale tardive (> 2 ans)
Atteintes osseuses :
  • - ostéochondrite
  • - épiphysite
  • - périostite
  • Atteintes viscérales :
  • - hépatomégalie, ictère
  • - pneumonie
  • - pancréatite
  • - néphrose
Atteintes cutanéomuqueuses :
  • - région glutéale et hauts des jambes
  • - rhinite avec jetage nasal
  • Atteintes lymphatiques :
  • - lymphadénopathies
  • - splénomégalie
Atteintes cérébrales et oculaires :
  • - méningo-encéphalite
  • - choriorétinite, iridocyclite
Autres :
  • - faible poids de naissance
  • - anémie
Déformations :
  • - frontale : bosses frontales
  • - faciales : maxillaire court, nez en selle
  • - palatines et rhagades : fentes cutanées péri-orificielles
  • - dentaires : molaires muriformes, dents de Hutchinson
Triade de Hutchinson :
  • - kératite interstitielle
  • - incisives permanentes en tournevis avec encoches
  • - surdité
Autres :
  • - sclérose claviculaire
  • - déformation scapulaire
). Après l'âge de 2 ans apparaît la syphilis congénitale tardive (phénomènes inflammatoires et cicatriciels analogues à une syphilis tertiaire), avec la classique triade de Hutchinson , des déformations osseuses nombreuses et de possibles séquelles neurologiques (voir tableau 58-1
Tableau 58-1
Manifestions de la syphilis congénitale [10].
Syphilis congénitale précoce (< 2 ans) Syphilis congénitale tardive (> 2 ans)
Atteintes osseuses :
  • - ostéochondrite
  • - épiphysite
  • - périostite
  • Atteintes viscérales :
  • - hépatomégalie, ictère
  • - pneumonie
  • - pancréatite
  • - néphrose
Atteintes cutanéomuqueuses :
  • - région glutéale et hauts des jambes
  • - rhinite avec jetage nasal
  • Atteintes lymphatiques :
  • - lymphadénopathies
  • - splénomégalie
Atteintes cérébrales et oculaires :
  • - méningo-encéphalite
  • - choriorétinite, iridocyclite
Autres :
  • - faible poids de naissance
  • - anémie
Déformations :
  • - frontale : bosses frontales
  • - faciales : maxillaire court, nez en selle
  • - palatines et rhagades : fentes cutanées péri-orificielles
  • - dentaires : molaires muriformes, dents de Hutchinson
Triade de Hutchinson :
  • - kératite interstitielle
  • - incisives permanentes en tournevis avec encoches
  • - surdité
Autres :
  • - sclérose claviculaire
  • - déformation scapulaire
).
Parmi les lésions oculaires, seule la kératite interstitielle (fig. 58-3
Fig. 58-3
Kératite interstitielle sur syphilis congénitale avec vaisseaux stromaux déshabités caractéristiques et kératopathie en bandelette surajoutée.
) est fréquente, assez spécifique de l'atteinte congénitale et surtout rencontrée dans les atteintes tardives. Les autres types de lésions sont rares et globalement similaires à ceux de la syphilis acquise.
Pour tendre vers l'efficience, la prise en charge de la syphilis congénitale doit associer un dépistage anténatal systématique à un traitement efficace des mères infectées et des enfants. Pourtant, malgré les actions préventives menées par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) depuis 2007, le nombre global de cas recensés semble progresser et constitue toujours un important problème de santé publique [ 7].
Atteintes oculaires de la syphilis
L'infection d'une ou de plusieurs structures oculaires par le tréponème pâle définit la syphilis oculaire. Peu concernée par la phase primaire, cette dernière est surtout le fait des syphilis secondaire et tertiaire. De manière globale, les lésions de syphilis secondaire sont très inflammatoires et agressives pour les tissus alors que celles des phases tardives sont plus indolentes et granulomateuses. Qualifiée de grande simulatrice en raison de ses aspects multiples (tableau 58-2
Tableau 58-2
Manifestions oculaires de la syphilis acquise (d'après [8, 10, 14]).
Structure atteinteSyphilis précoceSyphilis tardive
PaupièresChancre, rash, ulcération marginale, madaroseGomme, tarsite
ConjonctiveChancre, conjonctivite, nodule ou érosionConjonctivite granulomateuse, gomme
OrbitePériostite, nodule ostéophytique, dacryoadéniteGomme (parois, muscles oculomoteurs, glande lacrymale)
CornéeKératite interstitielle, infiltrats marginauxKératite interstitielle, kératite ponctuée profonde
Sclère et épisclèreÉpisclérite, sclériteSclérite
CristallinComplication de l'uvéite, subluxation cristallinienne Inflammation corticale, luxation cristallinienne
Iris et corps ciliaireRoséole de l'iris ou papules, uvéite antérieurePanuvéiteGomme irienne ou ciliaire, nodules iriens, atrophie irienne
Vitré, rétine et choroïdeHyalite, précipités prérétiniens, uvéite intermédiaire, vascularite rétinienne, occlusion de l'artère ou de la veine centrale rétinienne, rétinite, rétinite nécrosante, décollement rétinien exsudatif, choriorétinite, choroïdite, uvéite postérieure Rétinite, vascularite rétinienne, occlusion de l'artère ou de la veine centrale de la rétine, décollement rétinien exsudatif, choriorétinite, choroïdite
Nerf optiquePapillite, neurorétinite, névrite optique antérieure, névrite optique rétrobulbaire, périnévrite optique, œdème papillaire + gomme du nerf optique, atrophie optique
Système nerveux centralPupillePupille d'Argyll-Robertson, syndrome de Claude Bernard-Horner + pupille tonique
Nerfs crâniensIII, IV, VI, VII+ névralgie du trijumeau, paralysies supranucléaires, nystagmus périodique alternant, crise oculogyre
Voies visuellesDéficits du champ visuel+ cécité corticale
), la syphilis oculaire doit être suspectée devant toute uvéite (quels que soient son type anatomique, son mode d'installation et ses modalités évolutives), mais aussi devant toute kératite ou sclérite sans cause évidente [ 8]. À cette fin, la recherche de facteurs de risque à l'interrogatoire et la recherche d'événements cutanéomuqueux sont donc des éléments cruciaux de l'enquête étiologique.
Atteintes des paupières, de la conjonctive et du segment antérieur
En cas de contamination locale, un chancre d'inoculation peut apparaître sur la peau des paupières et/ou au niveau de la conjonctive. Il en va de même pour les gommes , et le cortège inflammatoire de proximité d'abord œdémateux devient alors granulomateux, donnant parfois un syndrome oculoglandulaire de Parinaud . Les structures de voisinage comme la sclère ou le tarse peuvent aussi être impactées par la réaction inflammatoire.
Les lésions de kératite interstitielle caractérisent l'atteinte cornéenne de la syphilis [ 9]. Non ulcérantes, elles sont bilatérales dans les cas congénitaux et plus souvent unilatérales dans les formes acquises. Des infiltrats plus périphériques ou plus superficiels peuvent aussi résulter de lésions conjonctivales ou sclérales contiguës.
Les épisclérites et sclérites sont rares, de présentations disparates et non spécifiques.
En dehors des aspects de roséole de l'iris (lésion vascularisée de syphilis secondaire) (fig. 58-4
Fig. 58-4
Roséole irienne syphilitique.
) et de gomme irienne ou ciliaire (granulome de syphilis tertiaire), les uvéites antérieures syphilitiques offrent peu de caractères distinctifs. À la phase secondaire, il s'agit plus souvent d'une uvéite antérieure aiguë, présentant parfois un hypopion (fig. 58-5
Fig. 58-5
Uvéite antérieure aiguë syphilitique à hypopion.
), et volontiers associée à une atteinte postérieure qui oriente alors grandement le diagnostic. Plus tardivement, l'uvéite est chronique et granulomateuse, occasionnellement hypertensive et comporte couramment des nodules iriens [10].
Atteintes du segment postérieur et du nerf optique
Les atteintes du segment postérieur sont les manifestations les plus fréquentes de la syphilis oculaire [ 2]. Elles sont multiformes et s'intègrent régulièrement dans des tableaux de panuvéites [11], notamment chez les patients infectés par le VIH. L'existence de certaines lésions postérieures évoque d'emblée le diagnostic de syphilis. Il s'agit d'abord de choriorétinites et de rétinites à types de choriorétinite placoïde postérieure aiguë (fig. 58-6
Fig. 58-6
Choriorétinite aiguë placoïde postérieure syphilitique occupant l'ensemble du pôle postérieur avec foyer de rétinite et vascularite en son sein en temporal.
) [ 12], de foyers de rétinite externe ou en verre dépoli (fig. 58-7
Fig. 58-7
Foyers de rétinite maculaire syphilitique donnant un aspect plus flou et embrumé des zones atteintes (en verre dépoli).
), de rétinite miliaire [13] ou encore nécrosante de pleine épaisseur (fig. 58-8
Fig. 58-8
Large foyer de rétinite supérieure prenant par endroits un aspect miliaire (a).
L'image en OCT (b) montre l'atteinte de pleine épaisseur nécrosante et quelques dépôts inflammatoires rétro-hyaloïdiens.
), avec ou sans condensations inflammatoires prérétiniennes ou hyaloïdiennes en regard (fig. 58-9
Fig. 58-9
a. Zone de rétinite syphilitique avec condensations inflammatoires prérétiniennes. b. Dépôts inflammatoires rétro-hyaloïdiens (précipités).
). Témoins d'une évolution infectieuse en cours, ces lésions réagissent favorablement au traitement antibiotique et laissent place à des remaniements de l'épithélium pigmenté rétinien (aspect de fausse rétinopathie pigmentaire en cas d'atteinte étendue) (fig. 58-10
Fig. 58-10
a. Aspect final de remaniement pigmentaire (fausse rétinopathie pigmentaire). b. Aspect initial de la rétinite syphilitique et de la papillite contiguë.
).
À cela s'ajoute parfois une vascularite rétinienne d'intensité variable et pouvant devenir occlusive. En cas d'atteinte chronique, un tableau d'uvéite intermédiaire peut s'y associer, mais il n'y a pas de pars planite. De rares cas de rétinopathie aiguë externe occulte ( acute zonal occult outer retinopathy [AZOOR]) ont aussi été rapportés.
L'existence d'un décollement séreux rétinien exsudatif est parfois retrouvée dans le contexte d'une rétinite en foyer, d'une effusion uvéale ou d'une neurorétinite .
Un œdème inflammatoire de la papille peut aussi être la conséquence d'une périneurite optique , d'une névrite optique antérieure ou encore d'une gomme du nerf optique. Dans le cas d'une névrite optique rétrobulbaire , l'aspect papillaire n'est initialement pas modifié. Le constat d'une pâleur papillaire isolée témoigne quant à lui d'une atrophie optique.
Les examens d'imagerie multimodale sont utiles au diagnostic et à la prise en charge de la syphilis oculaire [ 14]. La précision anatomique de l'OCT permet notamment la détection et le suivi des anomalies fines de la neurorétine et de l'épithélium pigmentaire, nous offrant à la fois des nouveaux arguments diagnostiques et des éléments pronostiques pour guider le traitement.
Bejel
Le bejel est présent dans certaines régions sèches et arides d'Afrique de l'Est et du Moyen-Orient. Il se transmet par simple contact corporel interhumain. Les lésions primaires cutanéomuqueuses sont de disposition péri-orale et touchent volontiers les enfants, avec souvent plusieurs cas au sein d'une même famille. Les plaques muqueuses, les éruptions cutanées et les périostites sont l'apanage des formes secondaires et peuvent être confondues avec la syphilis au regard de sérologies positives. Les gommes cutanées et les atteintes osseuses, touchant notamment le tibia, surviennent progressivement en phase tertiaire, et les déformations de la face et du nez sont tardives.
Sur le plan des atteintes oculaires, des uvéites antérieures, des choroïdites ou des choriorétinites ainsi que différentes complications ont été rapportées [ 15].
La prévention repose sur l'éducation sanitaire et l'hygiène individuelle. Le traitement consiste en l'injection intramusculaire de benzathine benzylpénicilline en dose unique ou en la prise de doxycycline orale pendant 2 semaines en cas d'allergie avérée à la pénicilline.
Diagnostic de la syphilis
Le diagnostic biologique de la syphilis repose avant tout sur la sérologie et associe au besoin un test tréponémique à un test non tréponémique afin de combiner leurs avantages respectifs [16].
Tests tréponémiques (EIA, CMIA, TPHA, TPA)
Ces tests détectent les anticorps sériques spécifiques d'antigènes de T. pallidum . Ils offrent l'avantage d'être très sensibles et de se positiver précocement, mais cette positivité est définitive et le titre d'anticorps n'est pas corrélé à l'évolutivité de l'infection. Ils sont de plus sujets à des réactions croisées vis-à-vis d'autres infections (notamment les tréponématoses non vénériennes) ou de maladies systémiques.
Tests non tréponémiques (VDRL, RPR)
Ces tests détectent des anticorps dirigés contre des antigènes membranaires ubiquitaires provenant à la fois des bactéries et des cellules de l'hôte infecté. Ils sont donc non spécifiques et moins sensibles, mais permettent une quantification qui évolue de concert avec la maladie et sa réponse au traitement [17].
Depuis 2018, la stratégie fondée sur la réalisation obligatoire de deux tests complémentaires n'est plus recommandée en France. Actuellement, c'est donc le test tréponémique qui est réalisé en dépistage systématiquement et, en cas de positivité, le test non tréponémique est effectué secondairement. L'avantage de cette approche est de pouvoir mieux détecter les cas précoces, puisque les tests tréponémiques sont plus sensibles à cette phase de l'infection (tableau 58-3
Tableau 58-3
Interprétation de la sérologie syphilitique.
Test tréponémique (TT) (EIA/CMIA/TPHA)Test non tréponémique (TNT) (VDRL)Interprétation des résultats (en fonction de la clinique)
NégatifNon faitAbsence de tréponématose
Contamination récente → à contrôler
  • - soit phase d'incubation (pas de chancre)
  • - soit phase primaire trop précoce (chancre)
PositifPositif
  • - Syphilis (titre élevé si précoce et plus faible si tardive)
  • - Tréponématose non vénérienne si zone endémique
PositifNégatif
  • - Cicatrice sérologique (syphilis récente traitée ou tréponématose non vénérienne récente traitée)
  • - Syphilis primaire débutante (avant séroconversion du TNT)
  • - Syphilis ancienne
  • - Faux positif (réaction croisée TT)
). Chez les patients infectés par le VIH, le diagnostic biologique est plus délicat, puisqu'il existe des faux négatifs [ 18].
Le diagnostic de neurosyphilis est confirmé devant la conjugaison d'un test tréponémique sérique positif et d'un test non tréponémique positif pour le liquide céphalorachidien (LCR) . À cela peuvent s'ajouter une pléiocytose du LCR et une hyperprotéinorachie modérée. Une ponction lombaire avec analyse du LCR est indiquée en présence de signes neurologiques ou neuro-ophtalmologiques, mais pas en cas d'atteinte oculaire directe isolée [19].
Dans cette situation, le diagnostic de syphilis oculaire est généralement présumé chez un patient qui présente un tableau clinique compatible et une sérologie syphilitique positive. Quelques procédures de confirmation par PCR ou par immunoblot ont pu être pratiquées sur des échantillons de LCR ou d'humeur aqueuse [20].
Prises en charge
Le traitement recommandé pour la syphilis oculaire est celui de la neurosyphilis [21]. Le traitement de référence consiste à administrer 18 à 24 millions d'unités (MU) de pénicilline par jour répartis toutes les 4 heures ou en perfusion continue pendant 14 jours. L'injection intramusculaire quotidienne de 2,4 MU de benzathine pénicilline associée à la prise d'un comprimé de 500 mg de probénécide quatre fois par jour peut également être proposée durant 10 à 14 jours (tableau 58-4
Tableau 58-4
Traitement antibiotique de la syphilis chez l'adulte (d'après les recommandations des CDC, 2021).
Stade de la syphilisTraitement recommandé chez l'adulte ⁎ Traitement en cas d'allergie ⁎⁎
Syphilis primaire et secondaireBenzathine pénicilline G 2,4 MU au total
1 injection de 2,4 MU en IM en une dose
Doxycycline orale 100 mg 2 fois par jour pendant 14 jours
ou Tétracycline orale 500 mg 4 fois par jour pendant 14 jours
Ceftriaxone 1 g par jour IM ou IV pendant 10 jours
Syphilis latente précoce (< 1 an) Benzathine pénicilline G 2,4 MU au total
1 injection de 2,4 MU en IM en une dose
Doxycycline orale 100 mg 2 fois par jour pendant 28 jours
ou Tétracycline orale 500 mg 4 fois par jour pendant 28 jours
Syphilis latente tardive (> 1 an) Benzathine pénicilline G 7,2 MU au total
1 injection de 2,4 MU en IM par semaine durant 3 semaines
Doxycycline orale 100 mg 2 fois par jour pendant 28 jours
ou Tétracycline orale 500 mg 4 fois par jour pendant 28 jours
Syphilis tertiaire avec LCR normalBenzathine pénicilline G 7,2 MU au total
1 injection de 2,4 MU en IM par semaine durant 3 semaines
Décision prise avec un infectiologue (cyclines ou ceftriaxone)
Neurosyphilis et syphilis oculairePénicilline G sodique
18 à 24 MU par jour répartis toutes les 4 heures ou en perfusion continue pendant 14 jours
Ceftriaxone 1 à 2 g par jour IM ou IV pendant 10 à 14 jours
Proposer une désensibilisation en cas de risque avec la ceftriaxone
Alternative thérapeutique : procaïne pénicilline G, 1 injection de 2,4 MU en IM par jour
+ probénécide, 1 cp de 500 mg 4 fois par jour
L'ensemble durant 10 à 14 jours
*Chez l'enfant, la dose de benzathine pénicilline G préconisée pour les syphilis précoces est de 50000 U/kg de poids sans dépasser la dose adulte. **Les femmes enceintes allergiques à la pénicilline doivent être désensibilisées pour être traitées par la pénicilline G.

CDC : Centers for Disease Control and Prevention; IM : intramusculaire; IV : intraveineux; MU : million d'unités.


). En cas d'allergie à la pénicilline certifiée, une désensibilisation peut être mise en œuvre avant de prodiguer le traitement. Un traitement renforcé est parfois proposé chez l'immunodéprimé.
De façon plus limitée, la ceftriaxone [22], l'azithromycine , la doxycycline et même l'amoxicilline ont pu être utilisées comme traitement de la syphilis [ 7], parfois même oculaire.
La prise en charge de la syphilis primaire, secondaire et latente précoce ne nécessite qu'une seule injection intramusculaire de 2,4 MU de benzathine pénicilline, tandis que celle des formes latentes en requiert trois à raison d'une injection par semaine durant 3 semaines.
La corticothérapie locale est le traitement symptomatique essentiel de la kératite interstitielle.
Les corticoïdes généraux sont, eux, prescrits sous couvert d'une antibiothérapie efficace dans certains cas d'uvéites postérieures ou d'inflammations du nerf optique. Ils ont aussi leur place dans la prévention ou le traitement d'une réaction de Jarisch-Herxheimer .
Le traitement isolé d'une uvéite syphilitique avec des thérapeutiques immunosuppressives inappropriées favorise l'extension de l'infection et peut donc s'avérer réellement délétère [23].
Comme pour toute IST, la prévention repose avant tout sur l'utilisation systématique de préservatifs et le dépistage régulier [24].
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