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Chapitre 62
Maladie de Whipple

V. Touitou, F. Fénollar, M. Khairallah, B. Bodaghi, M. Drancourt

Introduction
La maladie de Whipple (MW) est responsable d'une uvéite rare s'intégrant dans le cadre d'une maladie chronique. Il s'agit d'une maladie infectieuse causée par un bacille à Gram positif appelé Tropheryma whipplei . L'infection peut atteindre n'importe quel organe du corps. Les symptômes les plus fréquents sont gastro-intestinaux, se manifestant en particulier par des douleurs abdominales, une diarrhée, une anorexie et une perte de poids. Une grande variabilité dans les tableaux cliniques caractérise cependant la MW.
Manifestations oculaires
Les manifestations oculaires les plus fréquentes sont celles secondaires à l'atteinte du système nerveux central (SNC) et incluent nystagmus, ophtalmoplégie ou ptosis, parmi d'autres manifestations [1]. Les manifestations intraoculaires avec ou sans atteinte du SNC représentent moins de 5 % des patients atteints de MW. Les patients peuvent développer une panuvéite bilatérale et des vasculites rétiniennes. Une inflammation antérieure associée à une hyalite modérée ou dense peut être constatée (fig. 62-1
Fig. 62-1
Hyalite dense à grandes cellules dans le cadre d'une maladie de Whipple.
Source : Bodaghi B, Dauga C, Cassoux N,et al. Whipple's syndrome (uveitis, B27-negative spondylarthropathy, meningitis, and lymphadenopathy) associated with Arthrobacter sp. infection. Ophthalmology 1998; 105(10) : 1891-6. Reproduit avec autorisation.
). Une inflammation diffuse choriorétinienne peut être observée avec un aspect de pseudo- birdshot rétinochoroïdopathie [ 2]. Les vasculites rétiniennes peuvent entraîner des hémorragies rétiniennes ou des occlusions vasculaires rétiniennes.
Les autres manifestations oculaires de la MW incluent l'œdème papillaire (fig. 62-2
Fig. 62-2
Cliché anérythre de l'œil droit d'un patient atteint de maladie de Whipple confirmée par PCR montrant un œdème papillaire entouré d'exsudats secs (a).
Clichés précoce (b) et tardif (c) d'angiographie à la fluorescéine montrant une diffusion à partir de capillaires télangiectasiques du nerf optique.
Source : Touitou V, Fenollar F, Cassoux N, et al. Ocular Whipple's disease : therapeutic strategy and long-term follow-up. Ophthalmology 2012; 119(7) : 1465-9. Reproduit avec autorisation.
) pouvant évoluer vers l'atrophie optique, des hémorragies intravitréennes, des kératites ou plus rarement des sclérites nodulaires [ 3].
Diagnostic microbiologique
Tropheryma whipplei est une bactérie à Gram positif se colorant mal à la coloration de Gram et faisant partie du groupe des Actinomycetes . Elle peut être détectée par biologie moléculaire dans l'environnement, principalement dans les effluents urbains [4]. Elle contamine probablement ses hôtes par voie digestive. Chez certaines personnes et dans certaines circonstances dont la biologie demeure globalement méconnue, peut-être en lien avec la génétique particulière de la personne [5 , 6], T. whipplei franchit la barrière digestive (translocation). La bactérie va alors être détectée dans le système lymphatique surveillant le tractus digestif [7] et dans les cellules mononuclées sanguines [8]. De là, elle va probablement pouvoir diffuser à l'ensemble des tissus et organes de l'organisme, y compris la rétine. Une localisation connexe est la localisation cérébrale, T. whipplei pouvant déterminer une encéphalite mortelle.
Cette histoire naturelle est compatible avec la description princeps de la MW en 1907 par le prix Nobel de médecine de 1934 George Whipple [ 9]. Cette description nécropsique initiale a été complétée presque un siècle plus tard par la détection de T. whipplei par immunodétection dans les biopsies analysées en 1907 par G. Whipple [10], alors que la bactérie elle-même n'a été isolée pour la première fois qu'en 2000 [11].
Le diagnostic de laboratoire d'une uvéite à T. whipplei , orienté par l'interrogatoire et l'examen ophtalmologique, peut être systématisé dans le cadre d'un kit uvéite avec une évaluation de la prévalence de T. whipplei à 10/1520 (6 pour 1000) épisodes d'uvéite [12]. Une circonstance particulière de diagnostic est celle d'une uvéite succédant à une chirurgie ophtalmologique telle que la chirurgie de la cataracte, au cours de laquelle l'immunodépression locale liée à la corticothérapie permet la réactivation locale de T. whipplei [13].
Le diagnostic de laboratoire repose sur la détection de fragments de l'ADN de T. whipplei sur un prélèvement de chambre antérieure, ou bien un prélèvement de vitrectomie, par polymerase chain reaction (PCR), ou encore par hybridation de sondes fluorescentes (FISH) [ 14]. L'immunodétection peut aussi être réalisée à partir d'un frottis du prélèvement endophthalmique, mais nécessite de disposer des anticorps spécifiques. L'isolement par culture est anecdotique pour le diagnostic [15] et la sérologie est d'interprétation difficile dans le contexte de manifestations opthalmologiques.
Traitement
Le traitement spécifique antibiotique des manifestations ophthalmologiques est guidé par la connaissance de la sensibilité de T. whipplei aux antibiotiques, la connaissance de sa localisation intracellulaire à l'intérieur d'une vacuole appelée lysosome, dont l'acidité altère l'activité antibactérienne de certains antibiotiques, et bien entendu par les séries cliniques rétrospectives indiquant les échecs et les rechutes [16]. C'est ainsi que le traitement de référence de première ligne comporte une association de doxycycline et d'hydroxychloroquine (rétablissant la neutralité de la vacuole lysosome, et ainsi l'activité anti- T. whipplei de la doxycycline) pendant un an [17]. Cette option thérapeutique est probablement préférée à l'association sulfaméthoxazole-triméthoprime et rifampicine pour une durée d'un an, qui est une alternative de deuxième ligne [ 18 , 19]. Une surveillance à vie est essentielle afin d'éviter des récidives de la maladie à l'issue du premier traitement antibiotique.
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