Imagerie des inflammations intraoculaires : échographie, UBM
A.-L. Remond, B. Bodaghi, M. Puech
Introduction
Lors des inflammations oculaires, l'examen clinique reste essentiel, mais l'exploration par imagerie constitue, souvent, un complément d'information très utile pour guider le diagnostic, orienter le bilan étiologique et suivre l'évolution.
Les explorations complémentaires intraoculaires sont fondées sur des systèmes optiques (tomographie par cohérence optique [OCT]), photographies, angiographie), sur l'imagerie radiologique (scanner, imagerie par résonance magnétique [IRM]), mais aussi sur l'exploration ultrasonore : échographie du segment postérieur et de l'orbite, échographie de très haute fréquence ( ultrasound biomicroscopy [UBM]) pour le segment antérieur et le segment postérieur [1-2-3].
Les pathologies oculaires inflammatoires entraînent très souvent une perte de transparence des milieux, limitant la visualisation du fond d'œil par les verres d'examen à la lampe à fente et par les systèmes optiques. L'exploration par échographie, qui n'est pas limitée par les opacités intraoculaires (cataracte, hémorragie intravitréenne, hyalite, etc.), est souvent un examen clé qui permet d'orienter rapidement la prise en charge, notamment en urgence.
Technique échographique
Segment postérieur
L'exploration échographique du segment postérieur peut se faire par l'échographie classique en mode B, avec les sondes de 10 à 12 MHz à focale longue, mais aussi par des sondes de très haute fréquence type UBM (supérieure à 20 MHz) mais à focale longue, avec une augmentation importante de la résolution d'analyse de la paroi.
Segment antérieur
L'exploration échographique du segment antérieur se fait à l'aide des sondes d'échographie à très haute fréquence (supérieure à 30 MHz) et à focale courte de 12 à 14 mm, appelées UBM, afin d'analyser l'angle iridocornéen, l'iris, les corps ciliaires, le cristallin, mais aussi la périphérie rétinienne, la pars plana et la sclère [4].
Complémentarité de l'exploration par échographie et par OCT
L'exploration oculaire par OCT est très utile en ophtalmologie, avec des images en coupe fines de très haute résolution, complétées par l'OCT-angiographie (OCT-A).
Cependant, l'exploration par OCT, fondée sur un balayage infrarouge, est limitée par les opacités intraoculaires, mais aussi limitée au niveau des régions maculaire et papillaire, avec cependant un élargissement récent des champs d'acquisition. La périphérie du globe oculaire reste néanmoins inaccessible. L'examen par échographie permet de dépasser toutes ces limites avec, en plus, la possibilité d'analyser l'orbite inaccessible à l'exploration par OCT. Le bilan orbitaire peut être complété par un examen radiologique (IRM ou scanner).
Examen échographique
Les meilleures images échographiques sont obtenues en positionnant la sonde perpendiculairement à la zone d'intérêt et en respectant la zone focale de la sonde.
L'examen doit être complet pour tous les quadrants du globe oculaire, le pôle postérieur, la papille et le nerf optique, mais aussi pour l'orbite antérieure.
L'examen par UBM est réalisé en pseudo-immersion en positionnant la sonde soit en regard de l'apex cornéen, pour obtenir une coupe de tout le segment antérieur, soit en regard du limbe, pour obtenir des coupes méridiennes ou des coupes de champ.
Apport clinique de l'exploration du segment postérieur par échographie
Macula
L'exploration maculaire peut mettre en évidence le retentissement maculaire des pathologies inflammatoires comme :
un œdème maculaire cystoïde (OMC) avec un épaississement maculaire et des ponctuations plutôt hyperéchogènes (fig. 65-1
Fig. 65-1Œdème maculaire cystoïde avec épaississement maculaire diffus moyennement échogène associé à plusieurs ponctuations hyperéchogènes correspondant aux logettes intrarétiniennes.
une membrane épirétinienne (MER) avec un fin dédoublement de la macula;
un décollement séreux rétinien (DSR) avec un léger bombement rétinien d'aspect plutôt hypoéchogène.
Papille
L'exploration de la papille peut montrer un comblement de l'excavation papillaire avec un œdème dépassant les bords de la papille, comme en cas de neuropathie optique inflammatoire antérieure aiguë (NOIAA) (fig. 65-2
Fig. 65-2Œdème de la papille. a. Aspect de relief papillaire et péripapillaire moyennement échogène sur œdème diffus et disparition de l'excavation papillaire. b. Calcification papillaire pathognomonique de druses de la papille.
).
Le diagnostic différentiel d'un œdème papillaire se fait, par échographie, avec des druses de la papille, par mise en évidence de ponctuations hyperéchogènes témoignant de la présence de calcifications papillaires caractéristiques.
Parfois, une excavation papillaire anormale peut être identifiée dans un contexte inflammatoire, pouvant témoigner d'une pathologie sous-jacente (glaucome, neuropathie optique, etc.) [6].
Vitré
L'exploration du vitré, dans un contexte d'uvéite, peut mettre en évidence soit de nombreux échos intravitréens diffus, soit une organisation intravitréenne.
Échos intravitréens diffus
Cet aspect échographique peut être lié :
soit à une hémorragie intravitréenne, parfois associée à une hémorragie rétro-hyaloïdienne, une déchirure ou un décollement de rétine;
soit à une hyalite sous forme de nombreux échos intravitréens de taille irrégulière avec des lacunes (zones anéchogènes), des cellules au sein de ces lacunes, témoins d'une inflammation active. L'examen échographique, qui est non invasif, permet de quantifier la réaction vitréenne et de réaliser un suivi évolutif en analysant la réduction du gain échographique de ces structures inflammatoires sous l'effet du temps ou des traitements (fig. 65-3
Fig. 65-3Aspect d'une hyalite diffuse sur panuvéite granulomateuse par sarcoïdose chez une femme de 22 ans, avec une baisse d'acuité visuelle brutale. Le fond d'œil est inaccessible en raison de synéchies iridocristalliniennes et d'une cataracte. L'échographie montre les échos diffus intravitréens avec un décollement postérieur du vitré et une hémorragie rétro-hyaloïdienne. L'examen échographique permet d'éliminer une déchirure ou un décollement de rétine.
Dans quelques cas, l'examen échographique met en évidence, au niveau du vitré antérieur, des ponctuations vitréennes assez denses, liées à la présence d'un aspect d'œufs de fourmis ( snow balls ) qui ont un intérêt étiologique (fig. 65-4
Fig. 65-4 a, b. Hyalite antérieure. Exemple de hyalite diffuse avec des échos intravitréens de tailles différentes, mais avec plusieurs ponctuations plus échogènes situées en périphérie du vitré caractérisant le phénomène d'œufs de fourmi.
Lorsque la réaction inflammatoire est explosive, l'analyse des structures du segment postérieur est impossible par l'examen clinique du fond d'œil qui apparaît blanc opaque; l'exploration échographique est alors indispensable.
Organisation intravitréenne
Pour certains patients, le vitré réagit avec une organisation sous forme de brides ou de membranes souvent uniquement intravitréennes (fig. 65-5
Fig. 65-5 a, b. Organisation intravitréenne. L'échographie montre une organisation intravitréenne très dense avec des membranes épaisses, très en faveur d'une infection à Candida, mais sans traction pariétale.
), mais entraînant parfois des phénomènes de traction pariétale avec différentes conséquences identifiées par l'échographie.
Analyse pariétale
Certaines brides vitréennes se dirigent vers un épaississement de la paroi assez localisé, comme en cas de foyer inflammatoire choriorétinien de toxoplasmose (fig. 65-6
Fig. 65-6 a, b. Traction sur épaississement pariétal. L'échographie montre plusieurs brides intravitréennes se dirigeant vers un épaississement pariétal avec une réflectivité moyenne et des calcifications. Il s'agit d'une infection à Toxoplasma gondii.
Le diagnostic de certitude d'une infection se fait sur une ponction de chambre antérieure, mais l'aspect échographique peut guider le diagnostic et la prise en charge.
L'inflammation vitréenne peut se compliquer d'une déchirure de rétine à clapet ou d'un décollement de rétine , souvent localisé, épais et peu mobile, mais parfois plus étendu et atteignant le pôle postérieur, avec un aspect de membrane ondulée qui se dirige vers la papille (fig. 65-7
Fig. 65-7Décollement de rétine. a. Exemple de traction vitréenne avec décollement rétinien tractionnel localisé. b. Exemple de décollement de rétine total se dirigeant vers la papille.
).
En cas de décollement choroïdien ou d'hématome choroïdien associé, l'échographie montre une membrane nettement plus épaisse que la rétine, avec un décollement de forme lenticulaire, peu mobile, n'atteignant pas le pôle postérieur, ni la papille. Les formes les plus évoluées montrent une réunion de quatre décollements choroïdiens au centre de la cavité vitréenne (fig. 65-8
Fig. 65-8Décollement choroïdien. a. Épaississement choroïdien diffus. b. Stade plus évolué avec quatre poches de décollement choroïdien hémorragique pouvant faire craindre une évolution vers une atrophie du globe.
).
Dans certains cas, l'examen échographique montre un épaississement pariétal diffus et étendu dans le cadre d'une hypotonie avec risque d'évolution vers une phtyse oculaire. Dans ce cas, la mesure de longueur axiale, en biométrie en mode B, est utile afin de surveiller l'évolution de la longueur axiale. La biométrie en mode B est aussi très utile pour le calcul d'implant devant une cataracte très dense qu'il faudra retirer (fig. 65-9
Fig. 65-9Biométrie mode B : exemple de deux situations de mesure de longueur axiale en biométrie en mode B. a. En cas de nombreuses opacités vitréennes. b. En cas de cataracte dense empêchant la mesure par biométrie optique.
Dans quelques cas, un vitré inflammatoire avec hyalite peut être associé à un épaississement pariétal tumoral que l'échographie met en évidence, avec une orientation diagnostique et la mesure des dimensions, notamment de l'épaisseur de la tumeur, afin de réaliser un suivi rapproché soit avant traitement, soit après un traitement conservateur.
Orbite
L'exploration échographique de l'orbite antérieure est possible et très utile à la recherche d'une sclérite postérieure dans un contexte d'inflammation oculaire douloureuse, avec mise en évidence d'une lame hypo-échogène en arrière de la sclère dont le signe caractéristique est retrouvé autour du nerf optique avec un aspect dit « en moustache de gendarme».
Une infiltration lymphomateuse orbitaire peut aussi se traduire par une plage hypo-échogène plus ou moins étendue en arrière du globe oculaire (fig. 65-10
Fig. 65-10Inflammation extrasclérale.En cas de sclérite postérieure ou d'infiltration lymphomateuse rétro-oculaire, l'examen échographique montre une plage très hypo-échogène rétrosclérale. Cet aspect peut atteindre le nerf optique en cas de sclérite postérieure.
).
L'échographie permet aussi d'identifier une dilatation des gaines du nerf optique en cas d'hypertension intracrânienne .
Parfois, l'examen met en évidence une myosite avec un épaississement des muscles oculomoteurs qui apparaissent plus échogènes que les muscles habituellement hypo-échogènes.
L'exploration échographique de l'orbite peut également mettre en évidence des lésions soit solides, soit vasculaires, qui peuvent alors bénéficier d'un complément d'exploration radiologique (scanner ou IRM) pour une visualisation plus complète de toute l'orbite et de la voie optique afin de mieux préciser l'étiologie. L'examen échographique est souvent un examen de dépistage très pertinent, notamment face à des délais de rendez-vous radiologiques assez longs, ou parfois non réalisables (prothèse, claustrophobie, obésité).
Le suivi évolutif est aussi plus facilement accessible à l'échographie.
Échographie du segment antérieur par UBM
L'échographie du segment antérieur par UBM est souvent plus contributive que l'exploration par OCT, notamment en cas de perte de transparence de la cornée, de Tyndall inflammatoire ou hémorragique (fig. 65-11
Fig. 65-11Opacités de la chambre antérieure. a. L'examen par UBM montre de nombreux échos dans la chambre antérieure liés à un hyphéma qui limite l'examen à la lampe à fente. L'examen permet d'éliminer la présence d'une lésion irienne, mais le corps ciliaire est engainé avec des limites peu visibles. b. L'examen montre un implant de chambre postérieure.
L'exploration par UBM de l'angle iridocornéen, en cas d'inflammation, peut montrer un risque de fermeture de l'angle, des synéchies périphériques antérieures ou d'autres modifications de l'angle (fig. 65-12
Fig. 65-12Analyse du segment antérieur par UBM chez un patient opéré de décollement de rétine avec silicone et inflammation chronique. a. L'examen montre des synéchies iridocristalliniennes avec un iris bombé et un important bloc pupillaire. b. Le corps ciliaire est engainé, avec plusieurs membranes dans le vitré antérieur.
Les coupes focalisées sur l'iris montrent parfois un épaississement localisé ou une modification de l'échogénicité irienne, parfois responsable de l'inflammation, comme en cas de sarcoïdose.
Analyse des structures en arrière de l'iris (cristallin, corps ciliaire et pars plana)
L'UBM apporte des arguments de diagnostic et analyse les complications [16] : engainement ou granulomes du corps ciliaire, décollement supraciliaire (effusion uvéale) [ 17], hyalite antérieure, etc. (fig. 65-13
Fig. 65-13L'angle est ouvert, mais il existe un décollement supraciliaire sur tous les quadrants, minime sur l'œil droit (a, b) et très important sur l'œil gauche (c, d). Il n'y a pas de lésion inflammatoire sur les corps ciliaires.
Tous ces éléments sont très utiles pour caractériser le type d'infection intraoculaire, orienter le diagnostic et guider la prise en charge thérapeutique ainsi que le suivi évolutif.
Conclusion
Dans les inflammations oculaires, l'échographie prend le relais des examens optiques inopérants en cas de perte de transparence des milieux ou de mauvaise coopération du patient, mais aussi pour l'exploration de la périphérie rétinienne. Le bilan échographique anatomique initial doit être complet, avec la possibilité de suivi de l'évolution sous traitement.
Le segment postérieur est exploré avec une sonde classique de 10 MHz, puis avec une sonde de 20 MHz pour une meilleure analyse des relations vitréorétiniennes et de la paroi (sclère, choroïde, rétine périphérique, papille, nerf optique, etc.). Une mesure de la longueur axiale en biométrie en mode B est utile pour le calcul d'implant et pour le suivi d'un risque de phtyse oculaire.
La visualisation de l'orbite antérieure permet un bilan d'approche des lésions, à compléter par un examen radiologique.
L'exploration par UBM (30 à 50 MHz) du segment antérieur montre l'état de l'angle, des procès ciliaires, de la pars plana, de la périphérie rétinienne et du vitré antérieur.
L'examen ultrasonore est donc indispensable en cas d'inflammation en complément de l'examen par les systèmes optiques.
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