La leptospirose est une zoonose bactérienne. Les leptospires sont des bactéries à Gram négatif qui appartiennent à l'ordre des spirochètes , spiralées et hélicoïdales. Phénotypiquement, deux espèces sont distinguées, Leptospira biflexa , regroupant les leptospires non pathogènes, saprophytes, et Leptospira interrogans , regroupant les leptospires pathogènes pour l'homme et les animaux. Ces deux espèces sont divisées en de nombreux sérotypes. Il existe également une classification génotypique plus récente fondée sur la biologie moléculaire. Cette classification décrit de nombreuses espèces classées en pathogènes, saprophytes et intermédiaires [ 1].
Au cours du cycle de transmission de la leptospirose, l'homme est un hôte occasionnel. Le réservoir animal est diversifié et comprend les rongeurs, notamment le rat, ainsi que les animaux d'élevage et sauvages. Cette bactérie résiste plusieurs mois dans le milieu extérieur humide, comme l'eau douce ou la boue. Les voies de transmission sont directes par contact avec un animal infecté (urines, organes, morsure), ou le plus souvent indirectes par contact avec l'eau ou les sols contaminés, avec de la peau lésée ou des muqueuses saines. Le cycle est entretenu par l'infection chronique d'animaux par l'intermédiaire des urines contaminées (fig. 66-1
Fig. 66-1Cycle de transmission de la leptospirose.
La leptospirose est de répartition mondiale. Néanmoins, les conditions climatiques des pays chauds et humides sont plus favorables au maintien dans l'environnement des leptospires. Son incidence réelle est difficile à préciser, car elle est grandement sous-déclarée du fait de signes cliniques polymorphes et de la difficulté d'obtenir un diagnostic microbiologique de certitude. Plus d'un million de cas et 58000 décès sont estimés [ 3]. Son incidence est estimée à 0,1 à 1 pour 100000 personnes en zones tempérées et à 10 ou plus pour 100000 habitants en zone tropicale [ 4] (fig. 66-2
Fig. 66-2Incidence annuelle de la leptospirose (nombre de cas pour 100000 habitants) : blanc (0–3), jaune (7–10), orange (20–25), rouge (> 100). Les triangles et les cercles indiquent les pays d'origine des patients en fonction des études.
Dessin de Cyrille Martinet. D'après Costa et al. [3].
). Les jeunes hommes sont le plus fréquemment touchés.
Dans les zones tempérées, les facteurs de risque sont les professions exposées (agriculteurs, employés des abattoirs, égoutiers, jardiniers, vétérinaires, etc.), la pratique de certains loisirs (baignades en eau douce, sports nautiques en rivière, pêche) et les voyages en zone tropicale. En zone tropicale, les sujets les plus à risque sont les travailleurs agricoles (rizières, bananeraies, élevages du bétail) et les sujets vivant dans des conditions précaires (bidonvilles, etc.).
Clinique
Manifestations systémiques
Après une incubation moyenne de 10 jours, l'évolution est décrite classiquement comme biphasique : la première phase est septicémique et la deuxième est immunologique. La distinction entre ces deux phases est néanmoins délicate [5]. La présentation clinique et la gravité sont extrêmement variables, du syndrome pseudogrippal anictérique dans 90 % des cas à la défaillance multiviscérale. Des formes asymptomatiques sont possibles.
Dans les formes non compliquées, le syndrome pseudogrippal anictérique non spécifique débute brutalement, comportant une fièvre élevée (39–40 °C), des frissons, des céphalées, des myalgies et des arthralgies, des douleurs abdominales, avec diarrhées, nausées, ou vomissements. Une méningite lymphocytaire, une éruption cutanée et une hépatomégalie sont possibles. Avec ou sans traitement, la symptomatologie régresse en 7 à 10 jours. Au stade initial, une hypotension, une oligoanurie, une détresse respiratoire ou un ictère doivent faire suspecter une forme compliquée [ 4].
Manifestations oculaires et uvéite secondaire
Les atteintes ophtalmologiques sont rapportées dans une proportion extrêmement variable, entre 2 % et 90 % des cas [ 6].
Au cours de la phase initiale, les patients présentent fréquemment une hyperhémie conjonctivale, un chémosis et parfois une hémorragie sous-conjonctivale [ 7]. Une dilatation des veines rétiniennes, une hyperhémie ou un œdème papillaire sont possibles, tout comme des nodules cotonneux ou des hémorragies rétiniennes (fig. 66-3
Fig. 66-3Hémorragie maculaire sous la membrane limitante interne de l'œil droit chez un patient de 27 ans hospitalisé en réanimation depuis 8 jours pour une leptospirose sévère compliquée de défaillance multiviscérale et d'une thrombopénie. Rétinographie (a) et aspect en OCT (b).
) [ 6 , 8]. Cependant, l'uvéite ne semble pas être retrouvée à ce stade [ 9].
L'uvéite est une manifestation tardive après une période de latence allant de 15 jours à 6 mois, parfois plus [ 10]. Des céphalées chroniques ou des arthralgies chroniques sont également décrites comme des manifestations tardives [ 7]. L'incidence est difficile à préciser. Une étude indienne de cohorte de 2007 rapporte que 18,4 % des 174 patients ont présenté une uvéite au cours de leur suivi; 65,6 % des patients présentaient une uvéite antérieure [11]. Ces uvéites tardives ne sont pas expliquées; elles pourraient faire intervenir à la fois des processus immunologiques et la persistance de la bactérie au niveau oculaire [ 5].
L'uvéite est le plus souvent non granulomateuse. Il s'agit d'uvéites antérieures ou de panuvéites, uni- ou bilatérales. La visualisation de précipités rétrocornéens blancs répartis sur l'ensemble de l'endothélium, comme ceux visualisés dans l'uvéite de Fuchs, est possible. À l'inverse de l'uvéite de Fuchs, il existe le plus souvent un cercle périkératique. L'hypopion est possible, survenant chez 12 % des 73 patients touchés d'après Rathinam et al. [12]. L'atteinte du segment postérieur comprend une hyalite, des voiles de vitré denses relativement spécifiques, des vascularites rarement occlusives, des périphlébites, un œdème maculaire, des foyers choriorétinitiens et/ou une papillite (fig. 66-4
Fig. 66-4Aspects cliniques de l'uvéite associée à la leptospirose. Réaction antérieure sévère fibrineuse lors d'une uvéite antérieure (a); d'évolution favorable sous traitement local et antibiothérapie (b). Uvéite postérieure associant une papillite et des foyers choriorétiniens bilatéraux (c, d); aspect angiographique après injection de fluorescéine (e, f).
Source : Gueudry J, Bodaghi B. Leptospirose. In : Bodaghi B, Le Hoang P (Eds). Uvéites. Atlas en Ophtalmologie. 2 e éd. Paris : Elsevier Masson; 2017. Avec l'aimable autorisation du Dr F. Oudart.
) [12-13-14]. La kératite interstitielle est une manifestation possible, tout comme les complications neuro-ophtalmologiques (paralysies oculomotrices et névrite optique) [10]. Dans la leptospirose, la cataracte a la particularité d'évoluer très rapidement.
Étant donné la relative non-spécificité clinique de l'uvéite, les diagnostics différentiels sont nombreux et le contexte épidémiologique doit faire évoquer le diagnostic.
Diagnostic biologique
Le manque de sensibilité des différentes techniques diagnostiques fait qu'elles doivent être multipliées pour essayer d'obtenir le diagnostic de certitude [ 7].
La biologie moléculaire permet désormais le diagnostic direct à la phase initiale (plasma, liquide céphalorachidien, urines) par amplification en chaîne par polymérase (PCR). Elle devient négative rapidement vers le 10 e jour. La recherche à l'examen direct des spirochètes au microscope à fond noir et la culture sur milieux spécifiques ne se font plus en pratique courante, car elles sont trop peu sensibles ou laborieuses.
Le diagnostic sérologique sur sérum est possible à partir du 5 e jour et constitue le moyen diagnostique le plus courant. Les techniques ELISA ( enzyme-linked immunosorbent assay ) sont plus simples.
Néanmoins, un test positif ou douteux doit être confirmé par le test de référence de microagglutination (MAT) , ancienne réaction d'agglutination de Martin et Pettit . Cette technique demande de maintenir en culture de très nombreuses souches, ce qui la réserve aux laboratoires de référence, sans pouvoir être exhaustive. Le MAT se positive à partir du 8 e jour. Une séroconversion ou une séroascension du titre par MAT entre deux prélèvements est nécessaire pour confirmer un cas en l'absence d'identification directe de la bactérie [5]. Le génome des leptospiroses est identifiable dans l'humeur aqueuse par biologie moléculaire, dont le séquençage haut débit [ 10 , 15].
Traitement
Le traitement repose sur une antibiothérapie et sur le traitement symptomatique. Les leptospires sont sensibles aux bêta-lactamines , macrolides, cyclines , fluoroquinolones et streptomycine [1]. Le traitement antibiotique est d'autant plus efficace qu'il est donné précocement. Il diminue la durée d'évolution et l'intensité des symptômes. En pratique, la doxycycline (200 mg/jour) ou l'amoxicilline (1 g per os 2 fois par jour), dans les formes peu sévères, peuvent être proposées pour une durée de 7 à 10 jours. En cas d'atteinte sévère systémique, la pénicilline G 1,5 million d'unités par voie intraveineuse 4 fois par jour ou la ceftriaxone par voie intraveineuse (1 g/jour) sont utilisées [16].
Certains auteurs proposent, en cas d'uvéite, d'associer une fluoroquinolone (excellente pénétration intraoculaire) et une cycline (très bonne pénétration intracellulaire) pour une période de 3 semaines [10]. La corticothérapie est utile par voie topique, péri-oculaire ou générale selon sa localisation et son intensité. Les patients ayant reçu une antibiothérapie à la phase aiguë semblent développer des uvéites moins sévères [11]. Le pronostic est relativement bon; ainsi, une large série indique une acuité visuelle finale de 10/10 dans plus de 50 % des cas [12].
Conclusion
La leptospirose est une zoonose de répartition mondiale dont le principal réservoir est le rat. La survenue de l'uvéite est décalée par rapport à la forme septicémique initiale, potentiellement sévère. La présentation clinique est polymorphe et non spécifique, ainsi la recherche à l'interrogatoire d'une exposition possible, par des voyages en zones d'endémie ou une pratique de loisirs ou de métiers à risque est essentielle pour pouvoir évoquer le diagnostic.
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