Nous venons de vivre une période un peu extraordinaire avec le Covid-19 que nous avons tous envie d'oublier. Souvenons-nous pourtant de mars 2020, lorsque le monde entier s'est progressivement confiné pour tenter de limiter la circulation d'un nouveau virus avec beaucoup d'incertitudes scientifiques! La science a fini par triompher avec l'arrivée très rapide des vaccins ARNm et de nouveaux antiviraux actifs, avec cependant une fraction minoritaire de nos concitoyens qui continue de douter de la notion même de progrès scientifique! La pandémie Covid-19 est arrivée après une longue série de nouvelles infections ou la réémergence d'infections déjà connues : VIH-sida (1983), hépatites C et B (1995), Chikungunya (2005), H1N1 (2009), MERS-CoV (2013), Ebola (2014), Zika (2015)… Une longue liste, non terminée (!), témoignant d'un changement global, d'un monde en mutation.
Trois grands facteurs sont en cause :
C'est ainsi que s'est conçue progressivement la notion de « santé globale».
Au cours de ces 30 dernières années, des progrès constants ont été réalisés dans ce nouveau domaine des maladies infectieuses; on est passé de la boîte de Petri à l'ingénierie moléculaire : séquençage; PCR; phylogénétique des variants, mécanismes de la transmission, résistance aux antibiotiques, nouveaux antiviraux, modèles de projection des épidémies… Nous savons tous qu'il y aura une nouvelle pandémie, mais probablement celle que l'on n'attend pas. Comment mieux s'y préparer? En investissant massivement dans la recherche fondamentale, ce que malheureusement notre pays ne s'est toujours pas décidé à faire!
Les progrès extraordinaires de la médecine ont eux-mêmes généré de nouvelles formes d'infections, comme les infections chez les immunodéprimés, dont le VIH-sida a été longtemps l'exemple typique, mais où le relais a été pris par les nouvelles formes d'immunothérapies, en particulier dans les maladies inflammatoires auto-immunes et chez les transplantés.
Pour les internistes, les infectiologues, les immunologistes, les transplanteurs, l'œil reste un peu mystérieux! Et pourtant les localisations oculaires des endocardites, de la toxoplasmose figuraient déjà dans mes questions d'internat! En fait, c'est avec le VIH-sida, les transplantations et les infections à cytomégalovirus que les différentes communautés ont appris à travailler ensemble de façon fructueuse.
D'une façon plus globale, les infections oculaires sont une cause importante de perte de vision dans le monde entier, en particulier dans le « Sud global».
Les patients atteints de ces infections sont couramment examinés par des acteurs de soins primaires, des internistes, des spécialistes de la médecine d'urgence, des hospitaliers et des ophtalmologistes. Chaque année, aux États-Unis, la conjonctivite est à l'origine de plus de 550000 consultations dans les services d'urgences et d'un nombre bien plus important de visites dans les cabinets médicaux; la kératite est diagnostiquée lors de plus d'un million de visites dans les cabinets et les services d'urgences; l'endophtalmie exogène complique jusqu'à 0,1 % des 7 millions d'opérations de la cataracte et d'injections intravitréennes réalisées, et des milliers de patients sont admis dans des hôpitaux généraux pour traiter des infections oculaires menaçant la vision, telles que l'endophtalmie endogène et l'uvéite infectieuse.
Ce rapport de la Société française d'ophtalmologie constitue un véritable traité sur les différentes infections oculaires et il fera date. Malgré les progrès majeurs des 30 dernières années, les défis à relever restent en effet considérables, en particulier dans la compréhension des mécanismes de la transmission, de la résistance, avec un nombre croissant de malades immunodéprimés induits par les traitements. La collaboration entre les différentes disciplines reste aussi un enjeu majeur.
Il est important de reconnaître précocement et de traiter les infections oculaires, et de nombreux cas peuvent être évités. Les mesures préventives comprennent des pratiques de contrôle des infections pour prévenir la propagation de la conjonctivite virale, l'entretien des lentilles de contact pour prévenir la kératite microbienne, l'utilisation de lunettes de sécurité pour prévenir les blessures oculaires et les infections associées, des antibiotiques prophylactiques pour prévenir l'endophtalmie après un traumatisme oculaire pénétrant, et la vaccination contre le zona pour prévenir l'herpès zoster ophtalmique.
Mais peut-être que l'essentiel dans le domaine de l'œil et des infections est maintenant de mettre en avant la multidisciplinarité des approches.
Jean-François Delfraissy
Ancien directeur de l'ANRS, et ancien Président du Conseil scientifique Covid-19, auprès du Président de la République, Président du Comité consultatif national d'éthique (CCNE)
Jean-francois.delfraissy@comite-ethique.fr
* Absence de liens d'intérêt