INFO-SFO : DÉVELOPPEMENT DURABLE


TECHNOLOGIE ET DÉVELOPPEMENT DURABLE
Dr Isabelle COCHEREAU

Conjuguer hypertechnologie de l’ophtalmologie avec développement durable peut paraître à première vue contradictoire, mais il n’en est rien parce que justement le défi de l’écologie planétaire ne pourra être relevé qu’avec l’aide de la technologie.
Nous vivons de plus en plus nombreux sur une planète dont les ressources sont limitées, alors que l’activité humaine la dégrade à vitesse croissante. Or le paradis, c’est ici et maintenant, sur cette terre où l’espèce humaine (actuellement Homo sapiens, seul survivant du genre Homo, famille des Hominidés, ordre des Primates, classe des Mammifères, règne Animal) a réussi à émerger récemment (300 000 ans) et à s’épanouir, puis à monopoliser les ressources, au point de mettre en péril aujourd’hui la diversité des autres êtres vivants et des milieux naturels.
On sait maintenant que les équilibres subtils qui régissent l’harmonie terrestre sont menacés. Bien que comme toute histoire, la nôtre aura une fin, aucun de nous n’est pressé de la connaître.
En 2019, il nous faut d’abord prendre conscience de l’état des lieux : il est grand temps de faire un arrêt sur image afin de constater les dangers qui menacent notre planète, de choisir les solutions adaptées parmi les nombreuses qui existent déjà, et d’en inventer d’autres si besoin. Chacun est acteur de cette transformation, surtout les jeunes, nos enfants, qui apprivoisent si bien les nouvelles technologies et orientent la recherche vers des innovations écoresponsables. La mise en œuvre de ces solutions dépend principalement de la volonté des hommes à les appliquer.
Ce n’est pas une mince affaire parce qu’il s’agit d’un changement radical de nos modes de vie, façons de penser, comportements et des interactions entre les hommes. Elle entre dans la dynamique d’une évolution sociétale majeure, au niveau planétaire. Ne devrait-on pas faire nôtre la devise : « tous pour une terre, une terre pour tous ! » ?
Certes la tâche est immense, mais comme les gouttes d’eau forment la mer, ce sont les initiatives individuelles isolées qui en la matière vont faire bouger les montagnes.
En effet, il revient à chacun d’imposer ces changements majeurs à nos dirigeants, nos politiques et nos financiers. Plus que jamais, chaque citoyen doit voter avec ses choix de vie et l’éducation de ses enfants. Et ce dans tous les actes et toutes les activités de sa vie personnelle, familiale, sociale mais aussi professionnelle.
Pour une première approche de prise de conscience professionnelle, le 125e Congrès de la SFO a programmé des exposés-flash sur le thème du développement durable en ophtalmologie. Ces exposés au cœur des sessions n’ont pas vocation à apporter des solutions standardisées mais à nous motiver pour analyser notre pratique quotidienne afin d’identifier les problèmes et de réfléchir aux solutions.
Le développement durable n’est pas un retour en arrière, c’est au contraire un grand bond en avant. A chacun de
le susciter à son niveau avec son ressenti, en laissant libre cours à sa créativité : laissez-vous aller, observez, réfléchissez, respirez … et bon congrès SFO 2019 !

Mais c koi le DD ?

LE DÉVELOPPEMENT DURABLE (DD) peut être défini de différentes manières, et on retiendra celle de l’ONU en 1987 : « développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs ». Cette définition est assez large et ouverte pour décliner toutes les facettes du DD, mais réaliste car elle englobe la notion de « développement » qui est inéluctable ne serait-ce qu’en raison de la démographie des humains sur la planète.
On est à un tournant qui met en jeu à terme l’organisation de l’espèce humaine sur terre. Il serait temps de tourner la page du développement à outrance du vingtième siècle, dont la vue à court terme risque de conduire la planète à l’apoplexie. Ce développement a permis de progresser très rapidement dans la technologie et d’améliorer globalement les conditions de vie des hommes. Mais nous avons maintenant conscience d’arriver aux limites des capacités terrestres et que ce mode de fonctionnement ne peut plus durer. Il est urgent que l’homme mette au service de la terre son intelligence, son savoir-faire, sa connaissance, ses compétences, son dynamisme et sa bienveillance afin de préserver l’espèce humaine mais aussi toute la vie animale et végétale.
Le DD implique un changement radical de nos modes de vie. Prenons le problème du plastique qui est théoriquement assez facile à résoudre dans la mesure où on peut le garder dans les objets où il demeure pour le moment indispensable, mais où on peut franchement le limiter dans ses emplois superflus. Trier les déchets pour recycler le plastique est certes indispensable et nous donne bonne conscience. C‘est bien, mais c’est largement insuffisant parce que seulement 10% des plastiques sont recyclés, et comme il s’altère au fil des recyclages, il n’est pas recyclable éternellement.
En conséquence, il est impératif de substituer le plastique dans notre vie quotidienne certes pour limiter nos déchets, mais surtout pour inciter les industriels à ne plus l’utiliser. En substitution, ils développeront le vrac, le tissu, le papier et le verre qui ont l’avantage d’être moins polluants et moins énergivores. Ils développeront également les circuits de distribution courts qui permettent de garder voire d’augmenter les emplois locaux, garants du maintien du tissu humain sur tout le territoire, de l’entretien des campagnes, de la paix sociale ainsi que de l’autonomie du pays pour les produits de base permettant sa survie.
Soyons acteur de notre société, puisqu’elle est hyperconsumériste, utilisons notre pouvoir d’achat pour infléchir les directions. En effet, la balle est clairement dans le camp des consommateurs qui doivent changer de philosophie de vie.
Nous avons encore le temps et les moyens de faire une belle planète durable, mais il y a urgence à changer de logiciel.


DÉVELOPPEMENT DURABLE EN OPTHALMOLOGIE

Le développement durable (DD) se décline dans tous les aspects de la vie, y compris … l’ophtalmologie !
Regarder d’un œil naïf, repenser, trouver des solutions, informer, motiver les équipes… Nous n’en sommes qu’au début, et pourtant en y réfléchissant bien, il y a franchement de quoi faire.
L’usage unique est-il durable ? Imaginez le parcours d’une pince à monofil jetable. Extrait du minerai, purification, fonte, alliage, façonnage précis et minutieux, vérification, emballage, stérilisation, mise en cartons, puis en containers, transports entre toutes les étapes réalisées dans des structures industrielles différentes hyperspécialisées éparpillées sur toute la planète, puis dans un centre de logistique, livraison à l’établissement hospitalier, stockage à la pharmacie, rangement dans les rayons. Ouf ! Tout
cela pour une utilisation en consultation pendant 10 secondes ou au bloc pendant 15 minutes, puis dépôt dans la boite à aiguilles, transport vers une structure spécialisée, destruction selon la procédure DASRI (déchets d’activité de soins à risques). Bilan : diminution de la ressource en minerai, consommation énorme d’énergie, émission de gaz à effet de serre et d’autres polluants, maintien d’un prolétariat à bas revenus dans les pays de production. Rien n’est parfait, mais le restérilisable s’il coûte plus cher en emplois, permet de générer des revenus pour nos concitoyens et nous-mêmes indirectement, d’économiser les minerais, de moins polluer la planète et de conserver une autonomie du pays.
Ceci s’applique à tous les instruments de chirurgie, consommables, pyjamas de bloc, casaques, champs opératoires, ….
Les packs uniques sont-ils durables ? Ils ont l’avantage d’être moins chers à l’achat puisqu’achetés en grandes quantités, et moins consommateurs de personnel puisque tout prêts à l’emploi. Néanmoins, ils sont pléthoriques afin de répondre à toutes les situations, ce qui implique que chacun jette une partie variable mais en cumulatif importante des éléments du pack. Pour limiter le gaspillage, il est indispensable que tous les utilisateurs trouvent un consensus sur le pack commun optimal et réfléchissent à la récupération des éléments non utilisés. Au bloc, 20% du matériel déstérilisé n’est pas employé.
Les emballages des médicaments et dispositifs médicaux sont-ils durables ? Il faut évidemment un minimum d’emballages, dont certains servent d’ailleurs de support à la notice d’utilisation du produit, mais peut-être les industriels pourraient-ils les réduire de façon astucieuse. Le conditionnement des comprimés et gélules pourrait être envisagé plus souvent en récipients en verre plutôt que sous blister qui combinent plastique et aluminium particulièrement difficiles à gérer. Concernant les collyres, il est certain que l’industriel qui trouvera le flacon biodégradable gagnera le gros lot.
Comment assurer une ophtalmologie de proximité durable ? Les transports de patients sont énergivores et posent la question de la répartition de l’offre de soins sur le territoire. Ce problème, qui n’est pas spécifique à l’ophtalmologie, trouvera des réponses partielles avec le développement du travail aidé, de la délégation d’actes, de la télémédecine et de l’intelligence artificielle.
La prise en compte vertueuse du DD perturbe nos pratiques, nos habitudes et nos croyances. Elle nécessite une remise en question, qui nous déboussole parfois quand elle nous fait prendre un virage à …180°. Une excellente illustration en est l’usage unique qui, il y a trente ans, a supplanté la stérilisation classique de par sa commodité d’utilisation, son économie d’emplois et son coût abordable lié à sa production industrielle. Trente ans plus tard, ayant pris conscience de l’impact carbone majeur de l’usage unique, la question du restérilisable est à nouveau d’actualité, comme quoi il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis !!!
Toutes ces petites questions bassement matérielles sont à résoudre rapidement afin de réguler l’impact écologique de notre activité de soins dans le cadre de la limitation du réchauffement climatique et de la pollution terrestre. Les solutions sont à trouver avec tous les acteurs professionnels de santé, les fabricants, les industriels et les politiques, sachant que si l’initiative individuelle reste importante, c’est au niveau des activités industrielles que le gain sera majeur.


... AU BLOC OPÉRATOIRE - DÉVELOPPEMENT DURABLE
Dr Jane MURET
Praticien Spécialiste des Centres de lutte Contre le Cancer, Institut Curie, Paris
Présidente du Groupe Développement Durable de la Société Française d’Anesthésie Réanimation (SFAR)

Depuis quelques années, des projets développement durable (DD) voient le jour au sein des blocs opératoires.
Dès 2012, la revue Anesthesia & Analgesia1 publiait un numéro spécial consacré à l’écoconception des soins avec différents articles comme la réduction des déchets, l’analyse du cycle de vie des masques laryngés, des drapages, ou encore le problème des gaz d’anesthésie qui sont des gaz à effet de serre.
Fin 2015, Vollmer2 publiait une étude confirmant l’accumulation inquiétante des gaz anesthésiques dans l’atmosphère à partir d’échantillons de gaz atmosphérique collectés depuis les années 2000 en Antarctique, au nord Pacifique et en Europe.
Depuis 2015, le programme du congrès annuel de la SFAR comporte une session consacrée au développement durable ainsi qu’un stand et une charte « green » pour les exposants et l’organisation du congrès4. En 2016 est créé au sein de la SFAR, un groupe de réflexion « développement durable » multidisciplinaire (Anesthésistes, Chirurgiens, IADE, IBODES, Pharmaciens) et en 2017 celui-ci co-édite un « guide Pratique Développement Durable Au Bloc Opératoire » avec le C2DS (Comité Développement Durable en Etablissement de Santé) téléchargeable en ligne6.
Fin 2017, une étude parait dans Lancet Planet Health comparant l’empreinte carbone des blocs opératoires de trois hôpitaux (Canada, USA et Grande Bretagne). Celle-ci s’élevait en moyenne à 184 kgCO2 eq par cas opératoire, soit un aller-retour Paris Lyon en voiture. Cet article avait été remarqué par le Figaro qui avait titré dans un article publié en mai 2018 : « Les blocs opératoires sont aussi des pollueurs silencieux ». Dans le domaine de l’ophtalmologie, la question de pratiques plus durables a été posée en particulier par le Dr Serge Zaluski9, qui en partenariat avec le C2DS a mesuré l’empreinte carbone d’une cataracte et a ainsi démontré que cette chirurgie de par sa fréquence est celle qui coûte le plus cher (400 fois le tour de la terre en avion).
La diminution de cet impact pourrait se faire en limitant l’utilisation de l’usage unique comme cela a été démontré en comparant les pratiques en Europe et en Inde où le coût carbone de chaque cataracte est 30 fois moindre et ne produit que 250 mg de déchets contre 2,670 Kg respectivement.

DÉVELOPPEMENT AU BLOC OPÉRATOIRE EN PRATIQUE EN 2019 :
Plusieurs établissements ont donc initié des projets DD dans les blocs opératoires. La démarche se veut multidisciplinaire et doit s’inscrire dans le cadre de la stratégie globale DD de l’établissement et être formalisée dans un plan avec objectifs et moyens. Les sujets DD qui peuvent être déclinés au sein du bloc et intégrés dans le projet d’établissement sont par exemple :
• Déchets : tri, recyclage, valorisation et réduction
• Lutte contre la pollution (gaz anesthésiants, perturbateurs endocriniens)
• Économies (eau, énergie, papiers, DMS…)
• Lutte contre le gaspillage (tenues, DMS, stérilisation …)
• Achats responsables orientés DD (lieux de production, matériaux, emballages…)
• Aspects sociétaux (qualité de vie au travail, lutte contre la pollution sonore, violence et conflits etc… Aussi pour reprendre les 3 piliers du DD, « Planet, Profit et People », un projet DD au bloc opératoire doit d’abord permettre de réduire nos émissions de gaz à effet de serre, puis de réduire les coûts et engendrer des bénéfices et enfin d’améliorer notre qualité de vie au travail ainsi que celle de nos patients. Ainsi un cercle vertueux peut être mis en place à travers un projet DD comme cela a été le cas au CHU de Rennes où depuis 2012 l’association « les Petits Doudous12 » récupère les métaux au bloc opératoire et les revend générant ainsi des revenus. Elle réduit ainsi les déchets pour l’hôpital en générant des économies et en diminuant le coût carbone des actes opératoires. Ce projet a créé une véritable cohésion et une motivation dans l’équipe améliorant ainsi la qualité de vie au travail. Les bénéfices sont réinvestis pour financer des projets visant à améliorer la prise en charge des enfants opérés. Dès lors, certains projets déclinés au bloc opératoire peuvent aussi entrer dans le registre du DD bien qu’ils n’aient pas été voulus comme tels au départ : on pense à l’hypnose et aussi au projet « patient debout13». Cela permet aussi des économies à l’hôpital car il y a ainsi une plus grande efficience. On comprend aussi l’importance de l’implication de chacun dans ces projets afin d’œuvrer à la réduction de notre impact environnemental et de laisser à nos descendants une planète vivante et vivable….