Introduction – tumeurs cornéoconjonctivales et
caronculaires
C. Levy-Gabriel
Introduction
Les tumeurs cornéoconjonctivales et caronculaires sont de types
histologiques très variés. Elles sont souvent classées en fonction de leur tissu
d'origine [ 1],
en différenciant les tumeurs congénitales des tumeurs acquises, et les tumeurs
bénignes des tumeurs précancéreuses ou malignes. Au niveau de la conjonctive, tous
les éléments constituant l'épithélium et le stroma peuvent être à l'origine d'un
processus tumoral. Au niveau de la caroncule, qui est une zone anatomique
particulière, constituée d'éléments muqueux mais aussi d'éléments cutanés et
glandulaires, les tumeurs peuvent se développer à partir des éléments constitutifs
de l'épithélium ou du stroma, mais aussi d'éléments d'origine cutanée ou glandulaire
[2-3-4].
Les tumeurs cornéoconjonctivales et caronculaires sont le plus souvent
bénignes, en particulier chez l'enfant où les tumeurs malignes sont extrêmement
rares, sauf si l'enfant présente un xeroderma pigmentosum (XP) (fig.
4-1,
Fig. 4-1Manifestations cutanées (poïkilodermie) et oculaires (carcinome in situ limbique, œil droit) d'hypersensibilité aux rayons ultraviolets chez un jeune homme présentant un xeroderma pigmentosum.
Fig. 4-3Volumineux carcinome épidermoïde de la cornée chez un garçon de 8 ans présentant un xeroderma pigmentosum. Aspect avant (a) et après traitement (b).
).
Xeroderma pigmentosum
Le XP est une affection génétique à transmission autosomique récessive
entraînant un défaut de la réparation de l'ADN. Cette maladie grave (deux tiers des
malades décèdent avant l'âge adulte) et invalidante est très rare en Europe et aux
États-Unis (prévalence 1/1 000 000), mais plus fréquente au Maghreb (1/10 000 en
Tunisie) et au Moyen-Orient.
Sur le plan clinique, les manifestations cutanées et oculaires
d'hypersensibilité au soleil sont au premier plan, avec apparition inéluctable de
cancers cutanéomuqueux (risque 1000 à 4800 fois plus élevé que dans la population
générale). Des néoplasies épithéliales de la surface oculaire apparaissent dans 10 à
70 % des cas selon les séries (dysplasie modérée à sévère, carcinome in situ et
carcinome invasif). Des tumeurs mélanocytaires malignes conjonctivales (mélanomes
conjonctival) ou d'origine glandulaire (carcinomes sébacés) peuvent aussi survenir
durant l'enfance dans ce contexte.
Sur le plan génétique, sept mutations germinales différentes (A, B, C, D,
E, F et G) ainsi qu'un XP dit « variant » ont été identifiés, sans pour autant qu'il
y ait une correspondance absolue entre les formes génétiques et le tableau clinique.
La prise en charge thérapeutique pose souvent des problèmes thérapeutiques
complexes, la radiothérapie étant déconseillée. Les mesures de prévention sont
essentielles, le but étant d'éviter au maximum l'apparition de carcinomes ou de
mélanomes invasifs [5
, 6].
Principaux diagnostics à évoquer
Au niveau de la surface oculaire et de la caroncule, les tumeurs bénignes
les plus fréquemment rencontrées sont le nævus et le papillome. Les tumeurs malignes
sont beaucoup plus rares et surviennent en général à l'âge adulte. Les plus
classiques sont les néoplasies de type épidermoïde, le lymphome et le mélanome.
Le diagnostic clinique est essentiel car il est nécessaire à une prise en
charge initiale adaptée. Il est fondé sur le terrain (âge, origine ethnique),
l'interrogatoire (ancienneté de la lésion, évolutivité), les antécédents
(médico-chirurgicaux, ophtalmologiques et carcinologiques) et sur l'aspect clinique
de la lésion. Les figures
4-4
), en fonction du terrain, de l'évolution et des caractéristiques cliniques de la
lésion.
Principes de la prise en charge
En fonction de la nature histologique de la tumeur évoquée cliniquement,
on adaptera le type d'exérèse chirurgicale (exérèse complète en bloc de la tumeur ou
simple biopsie), l'anesthésie (locale ou générale) et le degré d'urgence de la
chirurgie. Le lymphome, par exemple, ne nécessite que des prélèvements biopsiques
sans chercher à réaliser une exérèse complète, alors que le mélanome ou le carcinome
épidermoïde vont nécessiter rapidement une exérèse complète de la lésion, sous
anesthésie générale, avec une no touch technique (voir chapitre 2.2 ), en prenant soin de
réaliser avant la chirurgie des photographies de la tumeur en lampe à fente, et un
schéma de la tumeur. Ce schéma précisera la localisation tumorale par rapport au
limbe (horaires atteints), l'importance de l'envahissement cornéen (en millimètres)
et les dimensions tumorales (diamètres en millimètres). Ces précisions sont en effet
indispensables à la réalisation d'une irradiation complémentaire par faisceaux de
protons ou par disque d'iode, irradiation souvent indiquée en cas de mélanome ou
carcinome. Pour toutes les tumeurs malignes, la prise en charge thérapeutique est
discutée en réunion de concertation pluridisciplinaire.
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