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Chapitre 44
Diagnostic différentiel des endophtalmies postopératoires

C. Chiquet

Introduction
L'inflammation postopératoire peut être liée à une infection (endophtalmie) ou une inflammation non infectieuse. En cas d'inflammation postopératoire précoce, le diagnostic d'endophtalmie reste le diagnostic prioritaire à éliminer. Dans le doute, le patient doit être traité initialement comme pour une endophtalmie, afin d'éviter tout retard thérapeutique eu égard aux risques très faibles des injections intravitréennes d'antibiotiques.
Plusieurs entités peuvent mimer une endophtalmie aiguë ou subaiguë dans la période postopératoire : inflammation d'origine cristallinienne (uvéite phacoantigénique), inflammation d'origine mécanique liée à l'implant, un syndrome toxique ( toxic anterior segment syndrome [TASS] et toxic endothelial cell destruction syndrome [TECDS]), inflammation non spécifique ou inflammation favorisée par un terrain uvéitique.
Ce chapitre a pour but de guider le lecteur sur les signes cliniques et les investigations nécessaires pour réaliser le bon diagnostic.
Uvéite phacoantigénique
La persistance de fragments cristalliniens résiduels au niveau du sac capsulaire, dans l'humeur aqueuse ou au sein de la cavité vitréenne peut être à l'origine d'une réaction inflammatoire qui s'accompagne en général d'un hypopion et d'une hypertonie intraoculaire . Ce phénomène est proche des inflammations observées en cas de plaie cristallinienne traumatique ou de cataracte morganienne.
La physiopathologie exacte de ce phénomène est multiple mais mal connue (effet toxique des protéines cristalliniennes, auto-immunité, adjuvant immunologique bactérien [1]). Le degré d'inflammation est souvent proportionnel à la quantité de cortex résiduel, mais il existe une grande variabilité inter-individuelle (certains patients pouvant tolérer la présence de résidus cristalliniens sans aucun signe inflammatoire, même pendant plusieurs années).
Inflammation d'origine mécanique liée à l'implant
Les lentilles intraoculaires peuvent être à l'origine de microtraumatismes ciliaires répétés sources d'inflammation chronique ( iris chafing intraocular lens malposition et syndrome uvéite-glaucome-hyphéma ou uveitis-glaucoma-hyphema syndrome [UGH]) [2]. En cas d'implantation en chambre postérieure, l'inflammation peut résulter d'un frottement entre les haptiques et la face postérieure de l'iris ou le corps ciliaire lorsque l'implant est positionné dans le sulcus. L'UBM ( ultrasound biomicroscopy ) est alors utile pour objectiver le contact. Avec les premiers implants de chambre antérieure, le contact iridolenticulaire était fréquemment à l'origine du syndrome UGH qui combine une inflammation chronique (rupture de la barrière hémato-aqueuse), une dispersion pigmentaire source d'hypertonie intraoculaire (fig. 44-1,
Fig. 44-1
Imagerie UBM montrant le contact entre l'implant positionné dans le sulcus d'un implant et l'iris, dans le contexte d'un syndrome UGH (uvéite-glaucome-hyphéma).
fig. 44-2
Fig. 44-2
Imagerie UBM objectivant le contact d'une haptique de l'implant avec le corps ciliaire dans le sulcus (même patient que fig. 44-1).
) et des microtraumatismes vasculaires à l'origine de micro-hyphémas. Ce syndrome peut se compliquer (UGH Plus) d'hémorragie du vitré, de kératopathie bulleuse, d'œdème maculaire et/ou de néovascularisation irienne. Ce syndrome est devenu rare avec l'évolution de la forme des implants.
Syndrome toxique du segment antérieur
Le syndrome toxique du segment antérieur ( toxic anterior segment syndrome [TASS]) est une inflammation postopératoire stérile du segment antérieur causée par l'introduction dans le segment antérieur de substances non infectieuses mais toxiques pour les structures intraoculaires [3]. Si le tableau est marqué par une atteinte endothéliale exclusive, on parle plutôt de syndrome de destruction cellulaire endothéliale ou TECDS ( toxic endothelial cell destruction syndrome ) [ 4].
Physiopathologie
L'introduction de substances toxiques en chambre antérieure est source de nécrose cellulaire à l'origine d'une réaction immunitaire sévère. L'endothélium cornéen est particulièrement exposé. Une rupture des jonctions serrées endothéliales et une perte des fonctions de barrière sont à l'origine d'un œdème cornéen transitoire ou permanent.
Épidémiologie
Il n'existe pas de données concernant la prévalence et l'incidence du TASS, cette complication relativement rare étant probablement sous-diagnostiquée, car souvent prise pour une réaction inflammatoire banale postopératoire ou, à l'inverse, pour une réelle endophtalmie.
Signes cliniques
Le TASS survient en général précocement après la chirurgie (12 à 48 heures, parfois davantage), mais un début retardé est possible. Le tableau est proche de celui observé dans l'endophtalmie, avec douleur, rougeur et baisse d'acuité visuelle. Les signes physiques sont marqués par une inflammation postopératoire de segment antérieur inhabituelle et sévère (fig. 44-3
Fig. 44-3
a. Patient atteint de TASS avec endothélite et dépôts inflammatoires sur l'implant. b. Nette régression de l'inflammation de chambre antérieure après corticothérapie locale.
), avec hypopion , membrane cyclitique et œdème cornéen fréquents, contrastant avec le bon déroulement habituel de la chirurgie. L'œdème de cornée est souvent marqué, diffus (de limbe à limbe), secondaire à l'atteinte endothéliale (fig. 44-4
Fig. 44-4
TASS avec souffrance endothéliale, œdème cornéen et plis de la membrane de Descemet.
). Une atteinte irienne est aussi souvent observée (synéchies antérieures, membrane cyclitique pré-irienne, atrophie à terme avec mydriase séquellaire possible), ainsi qu'une atteinte trabéculaire (hypertonie à la phase aiguë, pouvant persister).
Les éléments permettant de différencier le syndrome toxique d'une endophtalmie sont résumés dans le tableau 44-1
Tableau 44-1
Comparaison des signes cliniques entre syndrome toxique du segment antérieur (TASS) et endophtalmie après chirurgie de la cataracte.
TASSEndophtalmie
Délai de survenue12–24 heures 3–7 jours
DouleursAbsentes ou très modestesModérées à sévères
Atteinte visuelleFaible à modéréeModérée à sévère
Œdème cornéenSévèreModéré
Fibrine en chambre antérieureSouvent absentePrésente
Atteinte vitréenneHabituellement absente, parfois inflammation très modeste du vitré antérieur Présente et variable (modérée à sévère)
HypopionRareVariable
. L'absence de hyalite est parmi les éléments majeurs pour différencier le TASS d'une endophtalmie, mais cet élément peut manquer si l'inflammation du segment antérieur ne permet pas d'examiner le segment postérieur en biomicroscopie (valeur de l'examen échographique dans ce cas). À noter que la survenue de cas groupés, sur un mode épidémique, est classique, comme dans les endophtalmies. L'évolution du TASS est caractérisée par sa corticosensibilité, et sa corticodépendance si l'origine persiste.
Signes paracliniques
L'échographie B permet de vérifier l'absence de hyalite en cas d'impossibilité d'examen du fond d'œil par trouble des milieux. À l'inverse, la positivité des prélèvements microbiologiques signe la présence d'une infection et élimine donc le diagnostic de TASS (tout en gardant à l'esprit la négativité des prélèvements dans 30 % des cas d'endophtalmie avérée).
Étiologies
Les étiologies de TASS sont multiples, et il est souvent nécessaire de réaliser une enquête minutieuse sur l'ensemble du parcours opératoire pour identifier l'agent causal.
Conservateurs
Tous les conservateurs présentent une toxicité majeure pour l'endothélium. Le chlorure de benzalkonium , dont les concentrations usuelles varient entre 0,005 % et 0,01 %, présente un seuil de concentration toxique pour l'endothélium du lapin de 0,0001 % avec une concentration maximale tolérable de 0,001 %, soit une concentration cinq fois inférieure aux concentrations habituelles dans les collyres [5 , 6]. Les produits normalement injectables dans l'œil ne contiennent pas de conservateurs.
Anesthésiques intracamérulaires sans conservateur
Ces anesthésiques engendrent une toxicité endothéliale variable selon le produit : la bupivicaïne 0,5 % et la lidocaïne 2 % sont à l'origine d'épaississements et d'opacifications cornéens postopératoires, alors que la lidocaïne 1 % (sans conservateur) est bien tolérée [7-8-9].
Colorants intraoculaires
Rarement, des injections intracamérulaires de bleu trypan (à de fortes concentrations ou avec impuretés) ou de vert d'indocyanine pour la coloration de la capsule antérieure du cristallin ont été incriminées dans la survenue d'un syndrome toxique [10].
Détergents utilisés en stérilisation
Les substances utilisées pour la stérilisation du matériel réutilisable peuvent être à l'origine de dépôts résiduels sur les instruments lorsque les principes actifs n'ont pas été rincés suffisamment, ni soumis à inactivation (températures supérieures à 140 °C [11 , 12]). L'effet peut être à l'origine d'une toxicité endothéliale élective dans le cadre d'un TECDS.
Endotoxines thermorésistantes
Certaines endotoxines provenant de bactéries à Gram négatif présentes dans les bains de décontaminations souillés ou contaminant des instruments réutilisables sont résistantes à la chaleur des procédures de stérilisation habituelles (les bactéries étant détruites par la chaleur, mais pas leurs liposaccharides). Une fois réintroduites dans l'œil, ces endotoxines peuvent être à l'origine d'effets toxiques [ 13].
Métaux oxydés
Des résidus métalliques oxydés peuvent être libérés à partir du métal composant la partie centrale des instruments dont la couche chromée est détériorée lors de stérilisation au gaz plasma. Des particules de zinc et de cuivre oxydé sont alors libérées dans l'œil à des concentrations toxiques [14]. Cet effet toxique peut exceptionnellement être lié à la présence de métaux dans la vapeur d'eau utilisée pour la stérilisation (en cas d'utilisation d'eau du robinet au lieu d'eau déionisée) [15]. Des résidus métalliques peuvent également se retrouver en chambre antérieure après contact entre la pièce à main et un micromanipulateur pendant la chirurgie (fig. 44-5
Fig. 44-5
a, b. Corps étranger métallique retrouvé au sein de l'iris et responsable d'une inflammation chronique postopératoire inexpliquée pendant plusieurs semaines.
L'inflammation liée au TASS était temporairement contrôlée par la corticothérapie locale.
).
Résidus de viscoélastique
La présence de substance viscoélastique dénaturée et séquestrée dans les embouts réutilisables des sondes d'irrigation-aspiration peut résulter d'un défaut de rinçage lors de la stérilisation. Ces résidus peuvent alors exercer une toxicité directe ou indirecte en servant de support au dépôt de détergents. La conservation des instruments en milieu humide entre la chirurgie et le processus de stérilisation limite ce type d'événement indésirable [16].
Implants intraoculaires
Les cas rapportés sont le plus souvent de survenue plus retardée qu'avec les autres étiologies précédentes. Les résidus de polissage ou de liquide de conservation ont été incriminés. Les effets toxiques sont en général réversibles sous traitement anti-inflammatoire à forte dose [17-18-19]. La persistance anormale de traces d'hydroxyde de sodium ou de métaux (aluminium, laiton, cuivre, fer, zinc, nickel) a aussi été rapportée [10].
Antibiotiques intracamérulaires
Toute injection intracamérulaire peropératoire ou postopératoire immédiate d'antibiotique à visée prophylactique est potentiellement susceptible de présenter des effets toxiques dont la sévérité est fonction du type de molécule et des doses utilisées. Aux concentrations usuelles postopératoires immédiates, la céfuroxime est très rarement responsable de rétinopathie toxique [ 20], mais de plus fortes doses, notamment par erreur de dilution, sont susceptibles d'induire un syndrome inflammatoire et/ou une rétinopathie toxique [21-22-23-24]. Le même type d'accident peut survenir avec les injections mal maîtrisées de céfazoline ou moxifloxacine (utilisées dans certains pays en postopératoire immédiat). L'injection accidentelle de gentamicine (20–40 mg/ml), autrefois utilisée dans le traitement des endophtalmies, peut aboutir à des hémorragies iriennes, un hyphéma et une atteinte endothéliale [10].
Traitement
Traitement préventif
La prévention repose sur :
  • l'éducation des personnels médicaux et paramédicaux;
  • l'utilisation d'instruments à usage unique;
  • la stérilisation des instruments réutilisables avec rinçage soigneux des parties creuses à l'eau stérile et déionisée, changement des bains tous les jours pour limiter les risques de prolifération bactérienne et d'endotoxination;
  • le respect des règles d'utilisation des produits injectés dans l'œil (absence de conservateurs, concentration adaptée, respect des doses recommandées); il est fortement déconseillé d’injecter dans l’œil des solutions artisanales issues de collyres ;
  • la déclaration à la pharmacovigilance de tout effet indésirable suspecté ou avéré.
Traitement curatif
La surveillance postopératoire systématique et conforme aux recommandations (au moins une visite entre 3 et 7 jours de la chirurgie), de même que l'éducation des patients sur les signes d'alerte permettent le dépistage précoce des TASS (les premiers signes peuvent apparaître très rapidement ou à distance, mais en général moins d'une semaine après).
En cas d'inflammation postopératoire inhabituelle, la règle de précaution impose de prendre en charge le patient comme pour une endophtalmie, et de réaliser une injection intravitréenne d'antibiotiques. En effet, le diagnostic de TASS est souvent réalisé a posteriori devant l'amélioration rapide sous traitement adapté, la négativité des examens microbiologiques et idéalement l'identification de la cause après enquête. La mise en place d'une corticothérapie locale intensive (dose initiale d'une goutte par heure) en association avec des injections sous-conjonctivales (bétaméthasone ou dexaméthasone) permet en règle d'obtenir une amélioration rapide en cas de TASS.
Évolution
L'évolution est fonction du type et de la concentration du principe toxique à l'origine du TASS ainsi que de la rapidité d'introduction du traitement anti-inflammatoire corticoïde. Dans les formes minimes, l'évolution est rapidement favorable sous quelques jours (voir fig. 44-3
Fig. 44-3
a. Patient atteint de TASS avec endothélite et dépôts inflammatoires sur l'implant. b. Nette régression de l'inflammation de chambre antérieure après corticothérapie locale.
), mais elle peut prendre plusieurs semaines, voire plusieurs mois, dans les formes modérées avec risque d'œdème cornéen résiduel et d'hypertonie intraoculaire chronique. Les formes sévères se caractérisent par la chronicisation de l'inflammation, qui s'accompagne alors d'œdème maculaire cystoïde, de mydriase aréactive, d'hypertonie intraoculaire réfractaire et d'œdème cornéen chronique.
Il convient donc d'exercer une surveillance au long cours en cas de TASS, même rapidement résolutif apparemment. Une hypertonie oculaire par trabéculite ou synéchies antérieures périphériques peut survenir à distance de la phase aiguë, et il est licite de surveiller le statut endothélial, avec un examen régulier au microscope spéculaire.
Cas particulier des inflammations non infectieuses après injection intravitréenne (IVT)
Deux types de complications d'allure inflammatoire peuvent survenir après injection intravitréenne (IVT) : l'endophtalmie infectieuse (traitée dans le chapitre 39 ) et l'inflammation non infectieuse. Lorsque l'acétonide de triamcinolone était injecté dans la cavité vitréenne (avant la commercialisation des implants de corticoïdes intravitréens), des pseudo-endophtalmies liées à la migration des cristaux de triamcinolone en chambre antérieure ont été décrites, dont la présence était à l'origine d'un effet Tyndall constitué de particules de tailles différentes en suspension sédimentant pour former un pseudo-hypopion blanc crayeux.
Fréquence et signes cliniques des inflammations après IVT d'anti-VEGF
Des inflammations non spécifiques après IVT d'anti-VEGF ( vascular endothelial growth factor ) ont aussi été décrites avec le bévacizumab , le ranibizumab (0,064 %) et l'aflibercept (0,1 %) [25 , 26]. Une méta-analyse ne rapporte pas de différence de risque entre ces trois molécules [ 27].
Les signes inflammatoires sont précoces; 85 % des cas sont détectés dans les 5 jours suivant l'IVT, avec un délai médian 1 à 2 jours [25 , 26]. Des douleurs sont présentes dans 46 % des cas, et une photophobie dans 19 %. L'inflammation oculaire peut être antérieure, postérieure (hyalite) ou mixte (le plus souvent). Une inflammation de la chambre antérieure (fig. 44-6
Fig. 44-6
Inflammation de chambre antérieure après IVT de bévacizumab (effet Tyndall et membrane cyclitique en regard du cristallin).
), isolée et parfois asymptomatique, a été rapportée au cours des 24 à 48 heures après IVT d'aflibercept ou de ranibizumab (fréquence de 2 % à 19 % selon les sources) [ 28]. Ce tableau clinique est théoriquement bien différent de celui qui associe hypopion, fibrine en chambre antérieure, œdème cornéen, précipités rétrocornéens et/ou hyalite [29], et qui doit évidemment faire redouter une endophtalmie, et donc faire instaurer en urgence un traitement antibiotique adapté (une IVT d'antibiotiques au minimum).
Cependant, différencier une inflammation d'une infection dans le contexte post-IVT est somme toute difficile; le tableau 44-2
Tableau 44-2
Comparaison entre inflammation non infectieuse et endophtalmie après injection intravitréenne d'anti-VEGF (d'après [32]).
Inflammation non infectieuse Endophtalmie
Incidence0,005–4,4 % 0,02–0,14 %
Délai de survenue (jours)2,6 (65 % < 2 jours) 4 (0–26)
Acuité visuelle initiale20/150 (soit 1,3/10)86 % < 1/20
Douleurs importantes6 % 74 %
Hypopion4 % 86 %
Hyperhémie conjonctivale10 % 82 %
Délai de résolution3–5 semaines Variable
PronosticBon (15 % de pertes de plus de 2 lignes d'AV) Variable
résume les principales caractéristiques respectives. L'absence de douleurs importantes, d'hypopion et d'hyperhémie conjonctivale est en faveur d'une simple inflammation [ 30].
Prise en charge des inflammations après IVT d'anti-VEGF
Hormis les cas avec inflammation antérieure isolée, il apparaît judicieux de traiter l'inflammation initiale comme une endophtalmie avec une IVT d'antibiotiques (vancomycine-ceftazidime) en urgence. Comme dans le TASS, le diagnostic d'inflammation non infectieuse n'est souvent évoqué voire confirmé qu'a posteriori grâce à une évolution rapidement favorable et à l'absence d'identification d'agent microbiologique dans le vitré.
Dans le cas où une simple inflammation non infectieuse est d'emblée évoquée après IVT, un traitement anti-inflammatoire local (dexaméthasone) permet typiquement d'observer une résolution de l'inflammation oculaire en 2 à 12 semaines en moyenne [31]. Le délai médian de résolution de l'inflammation est de 28 jours et l'acuité visuelle revient classiquement au niveau de celle observée avant l'inflammation. Cependant, une baisse de vision définitive peut aussi survenir, plus fréquemment si l'inflammation est apparue rapidement après l'IVT, si une baisse de vision importante est constatée d'emblée, si de la fibrine est observée en chambre antérieure et si l'âge du patient est avancé [31].
Mécanismes en jeu dans les inflammations après IVT d'anti-VEGF et cas particulier du brolucizumab
Les mécanismes de survenue de l'inflammation non infectieuse après IVT de ranibizumab, de bévacizumab ou d'aflibercept sont multiples [ 32]. Ils peuvent être liés au patient (auto-anticorps contre le médicament, atteinte chronique de la barrière hémato-aqueuse, antécédent d'uvéite ou de maladie auto-immune, traitement préalable par collyre aux prostaglandines), au médicament (présence d'endotoxine, notamment pour le bévacizumab préparé de façon artisanale, présence de la portion Fc de l'anticorps pour l'aflibercept et le bévacizumab) ou à son mode de délivrance (agrégation de protéines et changements de conformation induits par le silicone présent dans les seringues, température élevée et/ou exposition à la lumière du produit, agitation de la seringue favorisant la libération du silicone dans la solution).
Plus récemment, des IVT de brolucizumab, nouvel agent anti-VEGF se liant aux récepteurs VEGFR-1 et 2, ont été responsables, dans un délai de 2 à 8 semaines, de vascularites rétiniennes avec (67–85 %) ou sans (15–23 %) occlusion des petites ou grandes artères rétiniennes autour de la papille ou de la macula. Une inflammation de chambre antérieure peut coexister (35 % à 73 % des cas) [31]. L'examen du fond d'œil objective une hyalite d'importance variable, un engainement des artères rétiniennes, des nodules cotonneux, des hémorragies périvasculaires, des périphlébites. L'angiographie à la fluorescéine confirme l'atteinte vasculaire rétinienne et permet de quantifier les zones de non-perfusion [33]. Ces événements indésirables, nommés BARV pour Brolucizumab-associated retinal vasculitis , sont observés dans 2 à 3 % des cas [34]. Le délai de survenue peut être plus rapide pour les patients ayant déjà reçu une IVT de brolucizumab [33]. L'atteinte vasculaire est prédominante chez les femmes (88–100 %) et en cas d'antécédents cardiovasculaires (hypertension artérielle, arythmie cardiaque), de diabète ou d'uvéite. Un mécanisme d'hypersensibilité de type III et/ou IV serait impliqué. Un traitement anti-inflammatoire (implant de dexaméthasone et/ou traitement systémique par corticoïdes) améliore la situation des patients.
De façon plus générale, le risque d'inflammation intraoculaire après IVT de brolucizumab est estimé à 4,4 % des cas contre 0,8 % après IVT d'aflibercept [35]. L'atteinte vasculaire serait liée à un mécanisme d'hypersensibilité retardée avec formation de complexes immuns à la suite de la production d'anticorps spécifiques du médicament.
Conclusion
Si l'inflammation postopératoire peut aussi être d'origine non infectieuse et évoquée selon le contexte (période postopératoire immédiate, tableau clinique, absence d'infection du segment postérieur), l'implication d'un agent infectieux doit être systématiquement suspectée. La plus grande prudence s'impose dans la prise en charge thérapeutique, toujours urgente, et s'il existe une inflammation du vitré, le patient doit être traité comme ayant une endophtalmie. L'évolution, les examens microbiologiques et l'enquête étiologique permettent, le plus souvent a posteriori, d'évoquer un syndrome inflammatoire non infectieux post-chirurgical ou post-IVT.
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