Le glaucome pigmentaire : une maladie génétique ?

LE GLAUCOME PIGMENTAIRE : UNE MALADIE GENETIQUE ?


Le syndrome de dispersion pigmentaire (SDP) est caractérisé par une libération de pigment irien lié à un frottement entre la face postérieure de l’iris et la zonule. Il est le plus souvent lié à une concavité irienne et survient chez des adultes jeunes et souvent myopes. L’accumulation de pigment au niveau du trabéculum est responsable du glaucome pigmentaire (GP), qui se développe chez 15% des patients atteints de SDP après 15 ans d’évolution.1
Sur la base d’observations cliniques, plusieurs auteurs ont émis l’hypothèse que le SDP/GP pourrait être dans certains cas d’origine génétique. De grandes séries ont estimé la proportion de DP/GP héréditaire à environ 15% des cas, avec, dans une grande majorité des cas, une transmission autosomique dominante. Pour autant, aucun gène n’a jusqu’à présent été formellement identifié, même si une piste récente semble solide.
En effet l’équipe de Janey L. Wiggs (Ocular Genomics Institute de l’Eye and Ear Infirmary de Boston) avait initialement identifié deux loci potentiels (7q35-36 et 18q21),2,3 mais ces données n’avaient pas pu être confirmées par d’autres équipes. Très récemment, la même équipe a identifié par séquençage de l’exome entier (c’est à dire les parties potentiellement codantes de l’ADN) de familles de SDP/GP un sérieux candidat potentiel, codant pour les pré-mélanosomes, un composant essentiel des mélanosomes, impliqués dans la synthèse, le stockage et le transport de la mélanine, situé sur le chromosome 12.4

L’étude de Tandon et al., publiée en juin dans l’American Journal of Ophthalmology visait à décrire les modalités éventuelles de transmission des SDP/GP avec un phénotypage standardisé et « moderne » des patients et de leurs proches. Dans cette étude prospective monocentrique, 101 patients atteints de SDP bénéficiaient d’un examen ophtalmologique complet, avec classification des dépôts pigmentaires sur l’endothélium (faisceau de Krukenberg) et dans l’angle, mais également vidéographie infrarouge de l’iris pour détecter les altérations iriennes infracliniques. Une tonométrie, un OCT des fibres optiques et un champ visuel étaient également réalisés pour distinguer SDP isolé, SDP avec hypertonie oculaire (HTO) et GP. Les SDP secondaires (traumatismes, chirurgie oculaires…) étaient exclus. En outre, les auteurs ont également examiné 99 parents au premier degré de 44 patients, âgés de plus de 18 ans (les parents plus jeunes étaient exclus car le SDP/GP est rarement patent avant la deuxième décennie).
Parmi les patients, il y avait au total 4 SDP isolés, 6 avec HTO et 91 GP. A l’interrogatoire, un antécédent familial de glaucome était retrouvé dans 60% des cas, tandis qu’un antécédent familial de SDP/GP était retrouvé dans 7% des cas.
Parmi les 44 patients dont au moins un parent au premier degré était examiné, 7 (16%) avaient effectivement un parent au premier degré atteint. A l’inverse, parmi tous les 99 parents au premier degré examinés, 10 présentaient un SDP (1 SDP isolé, 2 SDP avec HTO et 4GP) et il y avait 7 familles avec plus de 2 membres atteints. Dans tous les cas, la distribution familiale était en faveur d’une transmission autosomique dominante, et globalement incompatible avec un autre mode de transmission.
Ces résultats montrent que si une majorité des SDP/GP est sporadique, ces patients ont un fort taux d’antécédent familial de glaucome, et dans 1 cas sur 7 un antécédent familial de SDP/GP. Ces données confortent bien la nature héréditaire de certains SDP/GP. Si les données concernant la potentielle implication des pré-mélanosomes étaient confirmées, de nouvelles pistes thérapeutiques pourraient être envisagées.


1) Siddiqui Y,…, Johnson DH. What is the risk of developing pigmentary glaucoma from pigment dispersion syndrome? Am J Ophthalmol. 2003 Jun;135(6):794-9.
2) Andersen, J.S.,…,Wiggs, J.L. (1997) A gene responsible for the pigment dispersion syndrome maps to chromosome 7q35-q36. Arch. Ophthalmol., 115, 384–388
3) Wagner, S.H., …, Wiggs, J.L. (2005) A Second Locus for Pigment Dispersion Syndrome Maps to Chromosome 18q21. Invest. Ophthalmol. Vis. Sci., 46, ARVO Abstract.
4) Lahola-Chomiak A.A.,…,Wiggs JL. Non-Synonymous variants in premelanosome protein (PMEL) cause ocular pigment dispersion and pigmentary glaucoma. Hum Mol Genet. 2019 Apr 15;28(8):1298-1311.
Tandon A, Zhang Z, Fingert JH, Kwon YH, Wang K, Alward WLM. The heritability of pigment dispersion syndrome and pigmentary glaucoma. Am J Ophthalmol. 2019 Jun;202:55-61.

Reviewer : Antoine Rousseau