Implants intraoculaires : avec ou sans lumière bleue ?

Le début des années 2000 a été marqué par la commercialisation des premiers implants intra-oculaire (IOL) intégrant un chromophore jaune afin de filtrer la lumière bleue. D’après des études in vitro de photo-toxicité mais aussi des données épidémiologiques de la Beaver Dam Eye Study, il était apparu que limiter les impacts de la lumière bleue pourrait avoir un rôle protecteur contre l’apparition ou la progression d’une DMLA. D’ailleurs le cristallin âgé filtrant fortement la lumière bleue, il semblait logique de ne pas augmenter outre mesure le flux de lumière bleue sur la région maculaire en post-opératoire.

Downie et col se sont livrés à une analyse assez intéressante d’une revue systématique selon la méthode Cochrane, d’ailleurs récemment publiée par Downie lui-même, et qui visait à répondre à deux questions : i) il y a-t-il une différence d’acuité visuelle post-opératoire entre les IOL filtrant la lumière bleue ou non. ii) La filtration de la lumière bleue est-elle intéressante pour la protection de l’intégrité maculaire ? 1

Sur une première sélection de plus de 800 publications, cette revue n’incluait au final que 51 essais randomisés et contrôlés, comparant les IOL avec et sans filtre bleu posés dans plus de 5000 yeux de 3325 patients issus de 17 pays. Les résultats de la comparaison des acuités visuelles post-opératoires étaient clairs : Il n’y a pas de différence significative entre les deux types d’implants (différence moyenne de -0,01 LogMAR ; p=0,48). La réponse à la deuxième question était en revanche à saisir, les auteurs ayant malheureusement beaucoup de mal à se positionner car selon eux, le lien entre filtre jaune et protection maculaire est incertain par manque de niveau de preuve.

Cependant, l’intérêt de cet article est d’indiquer des pistes pour des études ultérieures plus robustes, c’est-à-dire sans les limites observées dans les études précédentes. La première faiblesse état la durée de la période de suivi des patients, la plupart des essais avaient des durées de seulement quelques mois, ce qui est évidemment insuffisant pour mettre un évidence un effet sur l’anatomie ou la fonction maculaire. Une des autres failles des études antérieures était le manque de standardisation, et donc la difficulté à comparer les séries entre elles et à réaliser une méta-analyse. Pour résoudre cette difficulté, les auteurs recommandent de suivre la méthodologie publiée par Willamason et col (The COMET Handbook 1.0, Trials 2017, disponible en accès libre sur le lien cité en bas de ce paragraphe 2). La troisième remarque, relativement grave et surprenante, portait sur l’accès aux données, puisque seulement 4% des essais analysés avaient été préalablement déclarés dans un registre d’essai clinique et qu’aucun n’avait un protocole d’étude clairement décrit. Les essais avaient pourtant tous été publiés après 2004, date importante en ce qui concerne les règles de la recherche clinique.

Les auteurs soulignaient aussi que seuls 10% des essais étaient satisfaisants en terme de puissance, c’est-à-dire ayant une chance de montrer quelque chose, et à l’inverse, il manquait notamment en général le calcul de puissance a priori, (et donc celui aussi du nombre de patients à inclure, ce qui est indispensable pour limiter le risque de ne pas observer un effet qui existe vraiment. Il existait par ailleurs un risque de biais important pour plus de 80% des essais, qu’il s’agisse de biais de sélection de patient, de choix des résultats, ou de biais de performance. Au niveau des statistiques toujours, 24% des études incluaient les deux yeux des patients, donc sans utiliser les méthodes statistiques en cas de données non-indépendantes (les deux yeux d’un même patient ont toutes les chances de réagir de façon similaire). Enfin, les deux tiers des essais présentaient un fort risque de levée du double insu. Cette dernière critique pouvait d’ailleurs être liée, d’après les auteurs, au financement de ces études car cet élément important n’était pas indiqué dans 71% des publications. De même, 33% des auteurs de ces publications n’indiquaient pas leurs potentiels conflits d’intérêts.

Cet article de la revue JAMA Ophthalmology est donc un nouveau plaidoyer pour la réalisation d’essais cliniques à haut niveau de preuve, basés sur des méthodologies rigoureuses et conformes aux recommandations actuelles, surtout lorsque le sujet porte sur un volume aussi important de prescriptions que les implants dans la chirurgie de la cataracte. Les auteurs insistaient sur la nécessité des réaliser des suivis post-opératoire à long terme, en ciblant des populations de patients à haut risque de DMLA, afin d’augmenter la chance d’observer un effet, s’il existe, de la protection contre la lumière bleue sur la santé maculaire après chirurgie de la cataracte, question qui reste actuellement toujours irrésolue !

Downie LE, Wormald R, Evans J, Virgili G, Keller PR, Lawrenson JG, Li T. Analysis of a Systematic Review About Blue Light-Filtering Intraocular Lenses for Retinal Protection: Understanding the Limitations of the Evidence. JAMA Ophthalmol. 2019 Jun 1;137(6):694-697.

Downie LE, Busija L, Keller PR. Blue-light filtering intraocular lenses (IOLs) for protecting macular health (Review). Cochrane Database of Systematic Reviews 2018, Issue 5. Art. No.: CD011977. DOI: 10.1002/14651858.CD011977.pub2.

https://trialsjournal.biomedcentral.com/track/pdf/10.1186/s13063-017-1978-4)

Reviewer : Jean-Rémi Fénolland, thématique : cataracte