Arrivée des biosimilaires en ophtalmologie

Le ranibizumab (Lucentis, Novartis, Suisse) a marqué un tournant décisif dans la prise en charge des pathologies maculaires exsudatives (DMLA exsudative, œdème maculaire secondaire à une occlusion veineuse ou au diabète) et restera à jamais comme le premier traitement efficace de la classe des anti-VEGF qui eut une autorisation de mise sur le marché européenne en 2007 en usage ophtalmologique exclusif. Il supplanta immédiatement le pegabtanib (Macugen, Pfizer, USA), anti-VEGF commercialisé deux ans plus tôt dans la même indication, mais qui ne permettait malheureusement pas d’améliorer autant l’acuité visuelle que son jeune concurrent.
Ce traitement est une biothérapie synthétisée par une bactérie, en l’occurrence une E. coli modifiée génétiquement afin de produire un fragment d’anticorps humanisé qui lie les isoformes du VEGF-A.
Les médicaments conventionnels, autres que les biothérapies, sont assez simples à génériquer, car pour une production industrielle, il suffit d’en reproduire les étapes de synthèse organique point par point afin d’obtenir un principe actif identique au produit princeps. Dans ce cadre, la bioéquivalence doit être démontrée sur des volontaires sains, en général par des dosages plasmatiques, mais des études toxicologiques et cliniques ne sont pas nécessaires pour obtenir une AMM, les études antérieures de la molécule princeps étant considérées comme suffisantes du point de vue réglementaire.
Pour les génériques des biothérapies, souvent appelés « biosimilaires », les matières premières utilisées, les procédés de production, les modes de production et les procédures d’autorisation de mise sur le marché sont différents. Ils doivent notamment justifier d’une efficacité biologique et d’une tolérance, équivalentes à celles du médicament biologique de référence pour obtenir l’AMM.

Le premier essai clinique visant à comparer le ranibizumab à un candidat biosimilaire, le SB11 (Samsung Bioepis, Corée du Sud) vient d’être publié. Cet essai de phase 3 a été mené en groupes parallèles et en double insu et il a inclus un total de 705 patients recrutés dans 75 centres de 9 pays différents (Corée du Sud, République Tchèque, Hongrie, Pologne, Inde, Royaume Uni et USA) sur une période allant de mars 2018 à décembre 2019. Les patients devaient présenter un néovaisseau choroïdien actif dans le cadre d’une DMLA et étaient injectés soit par SB11 0,5 mg (n=351 patients inclus), soit par ranibizumab 0,5mg (n=354 patients inclus). Le protocole de l’étude était calqué sur celui des études pivotales initiales, c’est-à-dire avec une injection mensuelle, pour une durée de 48 semaines de suivi, soit un total de 13 IVT.

L’objectif primaire était de comparer l’efficacité des deux traitements, à la fois pour la fonction (gain d’acuité visuelle au bout de 8 semaines de traitement) et pour la structure (réduction d’épaisseur centrale maculaire -ECM- à 4 semaines du début du traitement). L’objectif secondaire était d’en évaluer l’efficacité à 24 semaines du début du traitement. Enfin bien sûr, les données de sécurité des deux produits étaient analysées sur toute la durée de l’essai. L’apparition dans le sérum des patients d’anticorps anti-SB11 ou anti-ranibizumab, ainsi leur caractère neutralisant (inhibiteur de l’action du produit) était évalué pendant la durée de l’étude. .

L’âge moyen des participants était de 74,1 ans dont 84,7% d’origine caucasienne et 57,2% étaient de sexe féminin. A l’inclusion, l’acuité visuelle moyenne était de 2/10ème (58,3 lettres ETDRS) et l’épaisseur centrale rétinienne de 408 µm. Les objectifs primaires montraient une équivalence avec un gain de 6,2±0,5 lettres pour SB11 contre 7±0,5 pour le ranibizumab (soit un écart de -0,8 lettre pour un intervalle de confiance allant de -1,8 à 0,3 lettres) et une réduction de 108±5 µm d’ECM pour SB11 et de 100±5 µm pour le ranibizumab (soit un écart de -8 microns pour un intervalle de confiance allant de -19 à 3 µm). En ce qui concerne les objectifs secondaires, l’équivalence était aussi établie, car les gains d’acuité visuelle et d’ECM étaient également comparables sur les 24 semaines de suivi. Les auteurs ne mettaient pas en évidence de différence entre les effets indésirables dans les deux groupes. Au niveau des dosages immunologiques, il n’y avait pas de différence significative entre les deux groupes pour l’apparition d’anticorps ciblant la molécule thérapeutique, ils étaient retrouvés pour quelques patients, et n’étaient d’ailleurs neutralisants que pour 10% des cas, pour SB11 comme pour ranibizumab.

Au total, les objectifs primaires et secondaires d’efficacité étaient donc remplis, avec une sécurité comparable. Le laboratoire promoteur de l’étude a donc considéré que le SB11 est bien un biosimilaire du ranibizumab dans l’indication du traitement de la DMLA exsudative, et dans la foulée de cette publication, il a déposé une demande pour obtenir une autorisation de mise sur le marché auprès de la FDA américaine. En France, à l’heure actuelle, de nombreux traitements utilisés en rhumatologie et en cancérologie ont déjà des biosimilaires, et il y a fort à parier qu’ils se développeront aussi en ophtalmologie, avec à terme une possible réduction des dépenses de santé publique, comme pour les génériques classiques. La lourdeur de la démonstration de la bioéquivalence, bien supérieure à celle exigée pour les molécules conventionnelles, devrait cependant limiter le nombre de candidats, et à l’inverse continuer de stimuler la recherche pharmaceutique réellement innovante, et non simplement opportuniste.

Woo SJ, Veith M, Hamouz J, Ernest J, Zalewski D, Studnicka J, Vajas A, Papp A, Gabor V, Luu J, Matuskova V, Yoon YH, Pregun T, Kim T, Shin D, Bressler NM. Efficacy and safety of a proposed ranibizumab biosimilar product vs a reference ranibizumab product for patients with neovascular age-related macular degeneration: a randomized clinical trial. JAMA Ophthalmol. 2020 Nov 19. doi: 10.1001/jamaophthalmol.2020.5053. Epub ahead of print.

 

Reviewer : Jean-Rémi Fénolland, thématique : rétine médicale, thérapeutique