Atteinte conjonctivale du Covid19 : quelle fréquence et quel risque ?

Covid - 19

Les premières données cliniques à notre disposition, issues de l’expérience chinoise, ont mis en évidence la possibilité d’atteintes conjonctivales associées à la maladie par le virus SRAS-CoV-2. L’étude de Guan et al. publiée dans le New England Journal of Medicine du 28 février est l’une des références en la matière1, car elle est actuellement la seule publication à avoir recensé les atteintes conjonctivales. Le groupe d’experts chinois du traitement médical du COVID-19 reprenait les données de cas confirmés biologiquement et pour lesquels il disposait de données cliniques exhaustives et complètes. Les résultats de cette étude ont été très largement relayés dans les médias. Avant de s’intéresser à la partie ophtalmologique, nous commencerons par quelques mots de la méthodologie et des résultats généraux de l’étude. Les données ont été recueillies du début de l’épidémie jusqu’au 29 janvier, dans 552 hôpitaux chinois. Les auteurs mesuraient la fréquence des cas sévères, (définis par les critères de l’American Thoracic Society and Infectious Disease Society of America2) ainsi que la survenue d’un critère composite associant admission en unité de soins intensifs, utilisation de ventilation mécanique ou décès. Ils ont colligé les données de 1099 patients (sur les 7736 patients hospitalisés, soit un échantillon de 14%). L’âge médian était de 47 ans, avec une discrète prépondérance masculine (58%). Les cas sévères représentaient 16% des patients. Le critère composite était atteint chez 6,1% des patients, avec 5% d’admission en réanimation, 2,3% de ventilation mécanique et 1,4% de mortalité. Les symptômes les plus fréquents étaient la fièvre (44% à l’admission et 89% lors de l’hospitalisation) et la toux (70%). Une lymphopénie était retrouvée chez 83% des patients. Venons-en maintenant à l’atteinte oculaire : une atteinte conjonctivale (sous la forme d’une hyperhémie conjonctivale) était présente chez 9 patients (0,8%) avec 5 cas dans le groupe non sévère (soit 0,5%) et 4 cas dans le groupe des patients sévères (soit 2,3%). Aucun de ces patients ne faisait partie de ceux ayant finalement validé le critère composite de l’étude (soins intensifs, ventilation mécanique ou décès).

Qu’en est-il maintenant de la physiopathologie de cette atteinte ?
C’est ce qu’ont essayé de définir Xia et al. dans une étude prospective dans laquelle ils réalisaient des prélèvements conjonctivaux chez 30 patients consécutifs atteints de pneumopathie liée au SRAS-CoV-2 admis dans le CHU Zhejiang de la ville de Hangzhou (10 millions d’habitants)3. Parmi ces patients, 9 cas étaient sévères, et un cas présentait un tableau de conjonctivite.

Les prélèvements étaient réalisés à l’aide d’écouvillons classiques dans le cul-de-sac inférieur, transportés dans du milieu UTM (Universal transport medium, habituellement utilisé dans ce cas), puis étudié par biologie moléculaire (PCR), avec des amorces spécifiques de l’ARN SRAS-CoV-2. Chaque patient était soumis à 2 prélèvements réalisés à 2 ou 3 jours d’intervalle.
Deux prélèvements seulement ont été positifs, mais il s’agissait bien de ceux réalisés sur le patient présentant un tableau de conjonctivite.
Ces résultats sont certes limités en termes d’effectifs, et on regrette que les auteurs n’aient pas pu cibler plus de patients avec conjonctivite, une atteinte somme toute rare chez les patients COVID, toutefois. Ces données prouvent le tropisme potentiel du SRAS-CoV-2 pour la conjonctive et donc la présence possible de virus dans les sécrétions conjonctivales et les larmes de patients COVID, et a priori, d’autant plus s’ils présentent une conjonctivite. Ils justifient donc totalement les recommandations récentes de la Société Française d’Ophtalmologie concernant les mesures de précautions à mettre en œuvre lors de l’examen ophtalmologique dans la période que nous traversons (https://www.sfo-online.fr/actualites/recommandations-covid-19-pour-les-ophtalmologistes).
 
Enfin, pour en finir avec les relations entre surface oculaire et COVID 19, rappelons qu’une transmission d’un sujet à l’autre par la conjonctive, même si non prouvée, a été évoquée par plusieurs auteurs (voir notre revue de presse de février 2020)4,5  et incite à porter, en plus d’un masque, des lunettes de protection (ou un écran de protection sur la lampe à fente) afin de limiter le risque de recevoir (ou  de transmettre) des gouttelettes contaminées au niveau de la surface oculaire. L’usage des instruments à usage unique est aussi recommandé dans ces conditions, de même que l’éviction des tonomètres à air en raison de l’aérosol qu’ils génèrent.

1) Guan WJ, Ni ZY, Hu Y, Liang WH, Ou CQ, He JX, Liu L, Shan H, Lei CL, Hui DSC, Du B, Li LJ, Zeng G, Yuen KY, Chen RC, Tang CL, Wang T, Chen PY, Xiang J, Li SY, Wang JL, Liang ZJ, Peng YX, Wei L, Liu Y, Hu YH, Peng P, Wang JM, Liu JY, Chen Z, Li G, Zheng ZJ, Qiu SQ, Luo J, Ye CJ, Zhu SY, Zhong NS; China Medical Treatment Expert Group for Covid-19. Clinical Characteristics of Coronavirus Disease 2019 in China. N Engl J Med. 2020 Feb 28.

2) Metlay JP, Waterer GW, Long AC, Anzueto A, Brozek J, Crothers K, Cooley LA,Dean NC, Fine MJ, Flanders SA, Griffin MR, Metersky ML, Musher DM, Restrepo MI,Whitney CG. Diagnosis and Treatment of Adults with Community-acquired Pneumonia. An Official Clinical Practice Guideline of the American Thoracic Society and Infectious Diseases Society of America. Am J Respir Crit Care Med. 2019 Oct 1;200(7):e45-e67. https://www.atsjournals.org/doi/full/10.1164/rccm.201908-1581ST)

3) Xia J, Tong J, Liu M, Shen Y, Guo D. Evaluation of coronavirus in tears and conjunctival secretions of patients with SARS-CoV-2 infection. J Med Virol. 2020 Feb 26. doi: 10.1002/jmv.25725. [Epub ahead of print]

4) Lu CW, Liu XF, Jia ZF. 2019-nCoV transmission through the ocular surface must not be ignored. Lancet. 2020 Feb 22;395(10224):e39. doi: 10.1016/S0140-6736(20)30313-5.

5) Li JO, Lam DSC, Chen Y, Ting DSW. Novel Coronavirus disease 2019 (COVID-19): The importance of recognising possible early ocular manifestation and using protective eyewear. Br J Ophthalmol. 2020;104(3):297–298.

 

Reviewers : Antoine Rousseau & Jean-Remi Fenolland, thématique : infectiologie