Comprendre les causes et prédire la myopie : le sujet de novembre 2019 !

Myopie

Des estimations épidémiologiques récentes ont évalué à 1,4 milliards le nombre de myopes en 2016, et prévoient 5 milliards de patients affectés par ce trouble réfractif en 2050, dont 20% de myopes fort…1 Les premières données sur le sujet ont été établies en Asie, et nous avons plusieurs fois évoqué ce sujet préoccupant dans nos colonnes. 

Dans ce contexte « épidémique », de nombreux articles de la presse du mois de novembre 2019 sont consacrés à ce sujet. Nous vous proposons ici une sélection d’articles portant sur l’épidémiologie descriptive et analytique de ce phénomène ainsi que 2 articles consacrés aux tests visant à prédire l’évolution de la myopie.

Commençons par l’épidémiologie à travers l’étude de Shapira et al., ces auteurs ont analysé l’évolution dans le temps de la prévalence de la myopie en Israël, et les facteurs de risque associés, grâce aux données - notamment réfractives - collectées lors de la visite médicale précédant le service militaire obligatoire dans ce pays. Ils ont accédé aux données de plus de 100 000 personnes nées entre 1971 et 1994, toutes âgées de 16 à 19 ans au moment de la visite. 
La prévalence de la myopie passait de 20,4% pour les personnes nées entre 1971 et 1982 à 26,2% pour celles nées entre 1983 et 1994, soit une augmentation de 30% en 12 ans, chez les femmes comme chez les hommes. Les facteurs significativement associés à la myopie étaient une naissance plus récente, le nombre d’années d’étude, et une vie en milieu urbain. De manière intéressante, les immigrés d’origine éthiopienne qui avaient passé une grande partie de leur enfance en Israël avaient une plus grande probabilité d’être myope que ceux arrivés dans ce pays comme jeunes adultes. Ces résultats constituent une illustration solidement documentée de l’augmentation de prévalence de la myopie dans la population générale, et pas seulement asiatique, et surtout de l’impact de notre mode de vie et de l’environnement sur cette dernière, quelles que soient les origines génétiques. 
 


Shapira Y, Mimouni M, Machluf Y, Chaiter Y, Saab H, Mezer E. The increasing burden of myopia in israel among young adults over a generation: analysis of predisposing factors. Ophthalmology. 2019 Jun 29. pii: S0161-6420(18)33179-8.
 

 

L’article de Yotsukura et al. (JAMA Ophthalmology) ajoute à l’épidémiologie des éléments plus physiopathologiques. Dans cette étude menée à Tokyo dans 2 écoles (élémentaire et collège), les auteurs mesuraient l’erreur réfractive par autoréfractomètre (sans cycloplégie), mais également la kératométrie, la longueur axiale et les aberrations de haut degré (HOA) d’enfants sans antécédent ophtalmologique, et n’ayant été traités ni par orthokératologie, ni par collyre à l’atropine (les deux méthodes actuellement de référence pour tenter de limiter la myopisation). 

Ils évaluaient ensuite les associations entre la longueur axiale (LA), l’équivalent sphérique (ES) ou le ratio longueur axiale / courbure cornéenne (RLC, utilisé dans d’autres études comme un marqueur de progression de la myopie) avec d’autres facteurs tels que l’âge, le genre, l’indice de masse corporelle, l’existence de symptômes de sècheresse oculaire, l’activité physique, le temps passé à l’extérieur, le temps passé aux activités nécessitant une vision de près (lecture, smartphone, télévision, jeux vidéo), la distance de lecture, l’existence d’une myopie chez les parents et les aberrations de haut degré (HOA). 

Sur les 1416 enfants inclus, âgés de 10,8±2,7 ans, la prévalence de la myopie (définie par un équivalent sphérique <-0,5δ) était de 76,5% pour les élèves en élémentaire et 94,9% pour les enfants au collège. Concernant la myopie forte (<-6δ), les prévalences étaient de 4% et 11,3%, respectivement. 

Chez les élèves en élémentaire, l’analyse multivariée retrouvait une association entre LA et âge et/ou antécédents parentaux. L’ES était associé à l’âge, aux symptômes de sècheresse, et aux HOA. Le RLC était associé avec l’âge, la sècheresse oculaire et les antécédents parentaux de myopie. 

Chez les collégiens, la LA était associée à l’âge, aux symptômes de sècheresse et aux antécédents parentaux. L’ES était associé avec la distance de lecture et les antécédents parentaux. Le RLC était associé avec le sexe (plus important chez les garçons), l’activité physique, la distance de lecture, les antécédents parentaux. Chez les myopes forts, l’analyse multivariée ne retrouvait aucune association significative avec les facteurs environnementaux étudiés. 


De manière surprenante, et en contradiction avec d’autres études, il n’y avait pas d’association entre myopie et le temps passé à l’extérieur, ou encore le temps passé aux activités de près. Les auteurs interprètent ces résultats négatifs comme la conséquence d’une trop faible variabilité de ces paramètres entre les individus dans la population étudiée, c’est-à-dire la conséquence d’un mode de vie sans doute trop homogène à ces égards. 

Une des informations nouvelles de cette étude est la relation entre myopie, sècheresse oculaire et HOA. Même s’il ne s’agit que de suppositions, les HOA, pourraient être causées par la sècheresse oculaire, générer un flou sur la rétine qui stimulerait le développement de la myopie. Bien que la mesure sans cycloplégie et le seuil de -0,5D pourraient être à l’origine d’une surestimation de la prévalence de la myopie, ces résultats donnent là aussi toute la mesure du phénomène « épidémique », en particulier dans ce contexte asiatique et urbain.


Yotsukura E, Torii H, Inokuchi M, Tokumura M, Uchino M, Nakamura K, Hyodo M,Mori K, Jiang X, Ikeda SI, Kondo S, Negishi K, Kurihara T, Tsubota K. Current prevalence of myopia and association of myopia with environmental factors among schoolchildren in Japan. JAMA Ophthalmol. 2019 Aug 15. 
 

Devant un tel problème de santé publique, on comprend mieux la démarche de certaines équipes de trouver les outils les plus puissants pour prédire le développement d’une myopie forte, source des complications que l’on connait. C’est dans cette perspective que Ghorbani Mojarrad et al. ont testé la valeur de l’analyse génétique dans cette application. Les effectifs analysés pour mettre au point leur stratégie donnent le vertige : ils ont réalisé une méta-analyse de 3 études de séquençage pangénomique regroupant pas moins de 711 984 individus pour développer un score de risque polygénique (SRP), basé sur une combinaison de polymorphismes mononucléotidiques (single nucleotid polymorphisms ou SNPs) associé à la myopie, dont ils testaient la valeur prédictive sur une cohorte de 1516 adultes âgés de 24 à 51 ans, suivis dans le cadre d’une étude longitudinale.

La valeur prédictive de ce type de tests peut être évaluée par l’aire sous la courbe ROC (AUC), dont la valeur idéale est de 1 (tous les patients et les contrôles sont classés correctement). Dans cette étude, l’AUC de ce SRP pour prédire la myopie en général (≤-0,75 D) était de de 0,67, contre 0,75 pour prédire la myopie modérée (≤-3,00 D) et 0,73 pour prédire la myopie forte (≤-5.00 D). Certes, les individus avec un SRP dans les 10% les plus élevés avaient un risque relatif de développer une myopie forte multiplié par 6, mais ce SRP apparait comme un facteur prédictif du risque de myopie moins robuste qu’une mesure de la réfraction sous cycloplégie à 6 ans (dont l’AUC est de 0,87)2. La question qui vient à l’esprit est évidemment celle d’une combinaison entre génétique et mesures cliniques, sujet développé dans l’article de Chen et al. 


Ghorbani Mojarrad N, Plotnikov D, Williams C, Guggenheim JA; UK Biobank Eyeand Vision Consortium. Association between polygenic risk score and risk of myopia. JAMA Ophthalmol. 2019 Oct 31
 

Chen et al. ont en effet utilisé les données issues de la Guangzhou Twins Eye Study (GTES) : une étude de cohorte comprenant près de 1200 paires de jumeaux, âgés de 7 à 15 ans à l’inclusion, suivis annuellement entre 2006 et 2015, et dont les données sont exploitées pour de nombreuses études ophtalmologiques. A chaque examen, les enfants de cette cohorte ont subi une mesure de la réfraction après cycloplégie (instillation de cyclopentolate). En outre, un séquençage complet de l’ADN pour l’étude d’association pangénomique a été réalisé à l’inclusion. Dans le cadre de cette publication, les données de 135 SNPs (voir ci-dessus) rapportées dans la littérature comme associées à la myopie, ont été extraites pour analyse. Pour cette étude sur la myopie (et qui n’avait pour le coup aucun rapport avec une étude de l’impact de la gémellité …), l’œil droit du premier né de chaque couple de jumeau a été arbitrairement sélectionné pour l’analyse. Le critère de jugement principal était la présence d’une myopie forte à l’âge de 18 ans. Afin de tester différents modèles prédictifs, les auteurs ont constitué un groupe dont les données servaient à « façonner » le modèle et un autre pour le valider avec un ratio de 3:2. 

Ils ont ainsi établi 5 modèles statistiques sophistiqués ayant l’ES comme variable de mesure, et différentes combinaisons de covariables explicatives dont l’âge, le carré de l’âge, le sexe, l’ES des parents, l’activité en extérieur, le temps d’activité en vision de près et un score de risque génétique basé sur l’analyse des SNPs. L’AUC de la courbe ROC évaluait leur capacité à prédire une myopie forte à l’âge de 18 ans. 

Un total de 1063 individus a été inclus, à un âge de 10,5±2,2 ans. Près de 60% des patients ont été examinés plus de 6 fois. Les différentes covariables étaient similaires dans les groupes de modélisation et de validation. De même, la prévalence de la myopie forte à 18 ans était comparable dans les 2 groupes (7,5%). 

Les performances de prédiction d’une myopie forte à 18 ans des 5 modèles étaient très bonnes et globalement similaires, avec une aire sous la courbe variant entre 0,95 et 0,98.
En comparant les modèles ne différant que par l’implémentation du score de risque génétique, les auteurs montraient que ce paramètre n’améliorait pas la capacité prédictive des modèles. 

 

Pour conclure, un modèle relativement simple, prenant en compte l’âge, le sexe, et des données réfractives fiables, permet de prédire de façon assez robuste le développement d’une myopie. En outre, l’analyse des données suggère que la prédiction de la réfraction qui sera réellement observée à 18 ans semble possible dès l’âge de 12-13 ans. Concernant le faible impact apparent des facteurs génétiques dans cette affection, on peut envisager 2 hypothèses : soit il est moindre que celui des facteurs environnementaux, soit on ne dispose pas encore des bons outils pour l’évaluer. Il ne reste plus qu’à espérer qu’un outil prédictif simple à utiliser en consultation voit le jour grâce à toutes ces études, et nous aide à cibler les patients ayant besoin de traitements optiques ou pharmacologiques visant à freiner l’évolution de leur myopie. 
 


Chen Y, Han X, Guo X, Li Y, Lee J, He M. Contribution of genome-wide significant single nucleotide polymorphisms in myopia prediction: findings from a 10-year cohort of chinese twin children. Ophthalmology. 2019 Jul 2. pii:S0161-6420(18)33379-7.

1) Holden BA, Fricke TR, Wilson DA, Jong M, Naidoo KS, Sankaridurg P, Wong TY, Naduvilath TJ, Resnikoff S. Global prevalence of myopia and high myopia and temporal trends from 2000 through 2050. Ophthalmology.2016 May;123(5):1036-42

2) Zadnik K, Sinnott LT,Cotter SA, et al. Collaborative Longitudinal Evaluation of Ethnicity and Refractive Error (CLEERE) Study Group. Prediction of juvenile-onset myopia. JAMA Ophthalmol. 2015;133(6):683-689.
 

Reviewer : Antoine Rousseau