Contrôle de la myopie par la lumière : rouge ou violet ?

Revue de la presse de mars 2023

 

Auteur : Antoine Rousseau
Coordination : Marc Labetoulle

Revues sélectionnées :
Ophthalmology, JAMA Ophthalmology, IOVS, Progress in Retinal and Eye Research, Current Opinion in Ophthalmology, Survey of Ophthalmology, Journal of Cataract and Refractive Surgery, American Journal of Ophthalmology, British Journal of Ophthalmology, Retina, Cornea, Nature, Lancet, NEJM, Science.

 

 

 

Contrôle de la myopie par la lumière : rouge ou violet ?

 

 

 

Nous avons déjà à plusieurs reprises évoqué dans ces colonnes la « pandémie » de myopie qui touche plus particulièrement l’Asie et certaines des stratégies mises en œuvre pour y faire face.

Une des hypothèses qui fait consensus pour expliquer ce phénomène est le changement d’environnement lumineux associé aux modes de vie contemporains.

Certaines longueurs d’onde spécifiques (violettes en l’occurrence) comprises dans le spectre de la lumière naturelle, auraient un effet protecteur contre le développement de la myopie, mais sont malheureusement bloquées par les filtres anti-UV désormais présents dans les vitrages de nos lieux de vie. A l’opposé, les longueurs d’ondes bleues, qui prédominent dans les sources de lumière LED des écrans, pourraient favoriser la progression de la myopie. La stratégie la plus logique et la plus simple pour corriger cette situation consiste donc à augmenter le temps passé par les écoliers à l’extérieur et à diminuer leur temps d’exposition aux écrans.

Mais cela est sans compter l’ingéniosité et l’engouement pour les nouvelles technologies de nos collègues asiatiques, qui n’ont pas tardé à mettre au point des thérapeutiques plus sophistiquées, basées sur l’exposition à des longueurs d’onde protectrices.

Deux stratégies concurrentes font l’objet de développements assez avancés et semblent prometteuses : une approche japonaise basée sur la lumière violette (LV), émanant de l’équipe de Kazuo Tsubota (Tokyo), et une approche mise en œuvre par des équipes chinoises, reposant sur la lumière rouge.

 

Lumière violette : des mécanismes biologiques qui commencent à être élucidés, mais des preuves cliniques encore limitées :

 

Les chercheurs de l’équipe de Kazuo Tsubota ont réalisé d’importants travaux expérimentaux sur les mécanismes biologiques qui sous-tendent les effets bénéfiques de la lumière violette (LV) sur la myopie. Ils ont pour cela mis au point un modèle murin de myopie induite par le port de verres sphériques de -30D (défocalisation de l’image en arrière de la rétine, ce qui génère à terme un allongement compensateur du globe oculaire). Ils ont d’abord démontré l’effet protecteur d’une exposition à la LV chez des souris équipés de verres myopes et mesuré l’impact de la transmission de la LV (modulé à l’aide de filtres sur les verres).1 Le shift myopique réfractif, l’élongation axiale et l’amincissement choroïdien (qui se développe parallèlement à la myopisation et joue ici le rôle d’un biomarqueur) étaient bien réduits (voir abolis dans certaines conditions) par l’exposition à la LV.


Ils ont ensuite émis l’hypothèse que c’est la neuropsine (codée par le gène OPN5), une protéine photoréceptrice sensible à la LV et présente dans certaines cellules ganglionnaires, qui intervient dans cette protection.2 Chez la souris, la neuropsine était jusqu’alors connue pour être impliquée dans la régulation des rythmes circadiens et aussi  dans le développement vasculaire de l’œil par l’intermédiaire la dopamine, un neuromédiateur largement incriminé dans la physiopathologie… du développement de la myopie !.


Après avoir vérifié la distribution des cellules ganglionnaires exprimant la neuropsine chez la souris à l’aide d’animaux exprimant une neuropsine fluorescente, les chercheurs ont bloqué son expression rétinienne sur des souris soumises au port de verres myopisants et exposés à la LV protectrice (380nm), selon différents protocoles. Les résultats - publiés dans la prestigieuse revue PNAS - sont sans appel2 : l’effet de la LV est bien dépendant de l’expression rétinienne de la neuropsine.


Ces résultats expérimentaux ont évidemment été rapidement utilisés pour passer à l’évaluation clinique. La même équipe a mis au point des lunettes avec des montures équipées de source de LV irradiant vers les globes.3 Ils ont évalué ce dispositif dans une étude pilote randomisée et menée en double insu au Japon. Les enfants inclus, âgés de 6 à 12 ans, avaient une réfraction sous cycloplégie comprise entre -1,50 et -4,50D, une anisométropie ≤ 1,50D, un astigmatisme ≤ 1,50D, et une acuité visuelle corrigée ≥ 10/10. Les critères d’exclusion comportaient entre autres les antécédents de chirurgie oculaire, de strabisme, une densité endothéliale < 2000/mm2, la prise de traitement modifiant les neurotransmetteurs (neuroleptiques, anti dépresseurs…) ou la croissance, et les autres traitements freinateurs de la myopie (orthokératologie, collyres à l‘atropine, verres multifocaux ou défocalisant).


Les deux groupes d’enfants portaient le dispositif 3 heures par jour, de 11h00 à 14h00 (pour limiter les potentiels effets sur le rythme circadien) pendant 6 mois. Pour maintenir « l’illusion » et donc la comparabilité des groupes, le dispositif du groupe contrôle émettait tout de même de la LV, mais en quantité minimale (irradiance <10 μW/cm2 contre 310 μW/cm2 dans le groupe traitement, valeur correspondant à l’irradiance moyenne annuelle de Tokyo). Par ailleurs, les durées quotidiennes moyennes d’exposition à la lumière naturelle, de lecture et de temps d’écran des enfants des 2 groupes étaient évaluées pour détecter d’éventuels biais. Enfin, un dispositif connecté quantifiait l’adhésion au protocole thérapeutique.


Les critères de jugements principaux exploraient la sécurité du dispositif : variation d’acuité visuelle, divers éléments de l’examen biomicroscopique, et densité endothéliale à 6 mois. Les critères de jugement secondaires évaluaient quant à eux son efficacité : changements de réfraction sous cycloplégie, de longueur axiale (LA) et d’épaisseur choroïdienne (évaluée en OCT) à 6 mois.


Quarante-trois enfants (21 dans le groupe traitement, 22 dans le groupe contrôle), étaient inclus. La sécurité du dispositif – au moins sur 6 mois – était établie : aucune anomalie n’était détectée sur les paramètres étudiés dans les 2 groupes.


Il n’y avait pas de différence statistiquement significative sur l’ensemble des enfants inclus, mais une analyse en sous-groupe suggérait un intérêt de la LV chez les enfants de 8 à 10 ans (N=10), chez lesquels elle réduisait de 0,1mm l’augmentation de LA par rapport au groupe contrôle, avec de façon connexe une augmentation de l’épaisseur choroïdienne de 10m dans le groupe traité (vs une diminution de 5m dans le groupe contrôle) et une myopisation moindre sur les 6 mois d’observation (diminution de l’équivalent sphérique de 0,18 D contre 0,67D dans le groupe contrôle).


Nous ne reviendrons pas dans cette rubrique sur les limites inhérentes aux analyses en sous-groupe quand le critère principal de jugement n’est pas atteint, pour à l’inverse signaler aux lecteurs les aspects prometteurs de ces résultats cliniques préliminaires. Ils semblent esquisser un exemple idéal de recherche translationnelle : de la preuve expérimentale avec compréhension des mécanismes biologiques jusqu’à l’application clinique. Toutefois, ces résultats observés chez un petit nombre d’enfant âgés de 8 à 10 ans devront bien sûr faire l’objets d’études de plus grande ampleur, pour confirmer l’efficacité et la sécurité d’un tel dispositif, et mieux caractériser les facteurs prédictifs de la réponse à l’exposition à la LV.

 

Lumière rouge : peu de données sur les mécanismes d’action, mais une efficacité clinique déjà bien documentée

 

Plusieurs équipes chinoises proposent quant à elles d’exposer la rétine avec une lumière monochromatique rouge (longueur d'onde de 650 nm) pendant de courtes séances de traitement (RLRL pour repeated low-level red-light). L’efficacité d’un tel traitement a été préalablement attestée sur des modèles animaux, mais les mécanismes d'action de la RLRL n’ont pas été étudiés comme ceux de la lumière violette.


Le numéro de février d’Ophthalmology rapporte les résultats de l’une des études randomisées contrôlées menées en Chine, en l’occurrence par Dong et al., sur le contrôle de la progression de la myopie par la RLRL.4


Cette étude incluait des enfants âgés de 7 à 12 ans, ayant une myopie ≥ -0,50 dioptrie (D), un astigmatisme ≤ 1,50 D et une anisométropie ≤ 1,50 D. Ils étaient randomisés pour recevoir soit le traitement par RLRL, soit une simulation avec le même dispositif, mais ne délivrant que 10% de l’intensité de la lumière rouge. En pratique, le traitement était réalisé à domicile par un appareil portable (prêté aux familles) tenant sur une petite table, muni de deux oculaires dans lequel l’enfant devait placer ses yeux, à raison de 2 séances de 3 minutes par jour, séparées d’un intervalle d'au moins 4 heures, 5 jours par semaine pendant 6 mois. Le dispositif permettait un enregistrement de l’observance.


La réfraction sous cycloplégie et la LA étaient mesurées à l’inclusion et à 6 mois. Le critère de jugement principal était double, il s’agissait de la différence de variation de l’équivalent sphérique (ES) sous cycloplégie et de la longueur axiale entre les groupes.


L’analyse finale a porté sur 111 enfants (56 dans le groupe RLRL et 55 dans le groupe contrôle). La moyenne des variations d’ES sur 6 mois était de +0,06 ± 0,30 D (absence de myopisation) dans le groupe RLRL et de -0,11 ± 0,33 D dans le groupe témoin (P = 0,003), avec des augmentations respectives de LA moyenne de 0,02 ± 0,11 mm et 0,13 ± 0,10 mm (P <0,001). L’analyse par équation d’estimation généralisée - qui donne des résultats plus robustes lorsque les variables sont corrélées, en l’occurrence LA et ES -, confirmait une moindre progression de la myopie et de la longueur axiale dans le groupe RLRL. Aucun effet indésirable n’était rapporté lors de l’étude.

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Ces résultats viennent confirmer ceux des premières études menées par Yu Jiang et al. parues en 2022, qui retrouvaient également des résultats significatifs de la RLRL, notamment sur l’évolution de l’épaisseur chorioïdienne.5,6 La force de l’étude de Dong et al. repose sur sa conception permettant une véritable étude en double insu. Concernant la place de la RLRL par rapport aux autres traitements, signalons que les résultats d’une étude récente suggèrent que cette technique serait plus efficace que le traitement par collyre à l’atropine.6 Cependant, comme avec les plus forts dosages des collyres à l’atropine proposés dans ce cadre préventif, un effet rebond a été observé à l’arrêt du traitement par RLRL7, ce qui pose la question de la durée optimale de cette nouvelle approche thérapeutique non-médicamenteuse, donc moins pourvoyeuse d’effets indésirables systémiques, mais reposant sur de nouvelles habitudes quotidiennes chez ces jeunes patients.

 

En guise de conclusion, nous vous proposons un résumé rapide de ce que nous avons retenu de ces deux stratégies de photothérapie anti-myopiques :

  • Pour la lumière violette : un rationnel scientifique étayé mais des résultats cliniques encore préliminaires, un dispositif qui permet de continuer une activité pendant le traitement mais nécessite de porter des lunettes thérapeutiques pendant 3 heures quotidiennement, a priori en milieu de journée, ce qui n’est vraiment pas simple pour les enfants…
  • Pour la lumière rouge : peu de données sur le mécanisme d’action mais des résultats cliniques probants et nombreux, un dispositif qui nécessite d’interrompre ses activités mais pendant seulement deux fois 3 minutes par jour.

Autant dire qu’un essai comparant les 2 techniques va devenir rapidement indispensable, et que le prochain challenge sera de construire l’algorithme thérapeutique permettant de positionner (voire de combiner ?) toutes les techniques de freination de la myopie désormais disponibles…

 

1) Jeong H, Kurihara T, Jiang X, Kondo S, Ueno Y, Hayashi Y, Lee D, Ikeda SI, Mori K, Torii H, Negishi K, Tsubota K. Suppressive effects of violet light transmission on myopia progression in a mouse model of lens-induced myopia. Exp Eye Res. 2023 Mar;228:109414.
2) Jiang X, Pardue MT, Mori K, Ikeda SI, Torii H, D'Souza S, Lang RA, Kurihara T, Tsubota K. Violet light suppresses lens-induced myopia via neuropsin (OPN5) in mice. Proc Natl Acad Sci U S A. 2021 Jun 1;118(22):e2018840118.
3) Torii H, Mori K, Okano T, Kondo S, Yang HY, Yotsukura E, Hanyuda A, Ogawa M, Negishi K, Kurihara T, Tsubota K. Short-Term Exposure to Violet Light Emitted from Eyeglass Frames in Myopic Children: A Randomized Pilot Clinical Trial. J Clin Med. 2022 Oct 11;11(20):6000.
4) Dong J, Zhu Z, Xu H, He M. Myopia control effect of repeated low-level red-light therapy in chinese children: a randomized, double-blind, controlled clinical trial. Ophthalmology. 2023 Feb;130(2):198-204.
5) Jiang Y, Zhu Z, Tan X, Kong X, Zhong H, Zhang J, Xiong R, Yuan Y, Zeng J, Morgan IG, He M. Effect of Repeated Low-Level Red-Light Therapy for Myopia Control in Children: A Multicenter Randomized Controlled Trial. Ophthalmology. 2022 May;129(5):509-519.
6) Chen Y, Xiong R, Chen X, Zhang J, Bulloch G, Lin X, Wu X, Li J. Efficacy Comparison of Repeated Low-Level Red Light and Low-Dose Atropine for Myopia Control: A Randomized Controlled Trial. Transl Vis Sci Technol. 2022 Oct 3;11(10):33.
7) Xiong R, Zhu Z, Jiang Y, Kong X, Zhang J, Wang W, Kiburg K, Yuan Y, Chen Y, Zhang S, Xuan M, Zeng J, Morgan IG, He M. Sustained and rebound effect of repeated low-level red-light therapy on myopia control: A 2-year post-trial follow-up study. Clin Exp Ophthalmol. 2022 Dec;50(9):1013-1024.

 

Reviewer: Antoine Rousseau, thématique : myopie