COVID 19 : les porteurs de lunettes moins malades ?

L’article de Zeng publié dans la revue JAMA Ophthtalmology mi-septembre a fait un énorme buzz dans les médias car il a postulé que le port de lunettes serait un facteur de prévention d’une infection par SARS-CoV-2.

Cette étude de cohorte, unicentrique, a été faite sur des patients hospitalisés à partir du 4 février 2020, soit au début de la pandémie en Chine, une époque où la transmission par voie ophtalmologique n’était que présumée. Les auteurs ont comparé la proportion de patients porteurs de lunette de l’échantillon inclus avec les données démographiques chinoises.

Cette étude a inclus 276 patients hospitalisés pour COVID-19 confirmée par une RT-PCR positive sur un écouvillonnage nasal. Le critère de port permanent de lunettes était défini par un port de plus de 8 heures par jour. L’âge moyen des patients était de 51 ans. Moins de 10% des patients (n=30) de cet échantillon étaient porteurs de lunettes en permanence, dont 16 myopes et 10 presbytes. Aucun patient de l’étude n’était porteur de lentilles de contact ou n’avait été opéré de chirurgie réfractive. Les auteurs faisaient référence à une étude descriptive sur l’incidence de la myopie faite 20 ans auparavant dans la province du Hubei chez les 7-22 ans qui retrouvait alors une incidence de 31,5%. Il s’agit d’un excellent choix méthodologique puisque cette génération d’il y a 20 ans représentait la classe d’âge principale de la population hospitalisée pour COVID-19 en 2020. L’incidence de la myopie en Chine a depuis considérablement augmenté et les dernières études retrouve une proportion de myopes pouvant aller jusqu’à 80% chez les jeunes (Chen M, Wu A, Zhang L, et al. The increasing prevalence of myopia and high myopia among high school students in Fenghua City, eastern China: a 15-year population-based survey. BMC Ophthalmol. 2018;18(1):159), mais l’utilisation de ces études comme références aurait introduit un biais majeur dans la comparaison.

Ainsi, les 10% de porteurs de lunettes retrouvé dans l’échantillon COVID-19 de cette publication semblait loin de ce qui aurait dû être attendu. Aussi émettaient-ils l’hypothèse d’un effet relatif protecteur du port permanent de lunette. En effet, selon eux, les patients porteurs de lunettes porteraient moins leurs mains vers l’orbite et le globe oculaire. Ils s’appuyaient sur une étude de 2015 qui retrouvait en moyenne 3 contacts par heure dans la région oculaire, sans toutefois qu’un lien avec le port de lunette n’ait été étudié (Kwok YL, Gralton J, McLaws ML. Face touching: a frequent habit that has implications for hand hygiene. Am J Infect Control. 2015;43(2):112-114). D’après ces résultats, les auteurs recommandaient aussi, et à juste titre, d’éviter de se toucher les yeux et de se laver les mains très fréquemment.

Cet article a eu l’honneur de faire l’objet d’un éditorial dans JAMA Ophthalmology rédigé par une spécialiste de santé publique qui rappelait qu’il n’était pas fondé, au moins du point de vue de la stricte méthodologie, de déduire une relation cause à effet, car dans cette publication, les données étaient très limitées et issues d’une simple étude observationnelle. Il faudrait confirmer cette hypothèse, intéressante au demeurant, sur une étude prospective de grande ampleur. Certes, mais l’idée est séduisante et l’explication potentielle est logique.

Quoi qu’il en soit, il est acquis que le port de lunettes (ou de visières) de protection lors de la prise en charge de patient COVID doit faire partie des équipements de protection individuels indispensable à porter pour les soignants exposés directement aux gouttelettes de Pflügge (par exemple lors d’une intubation ou de soins de bouche), en prévention d’une contamination par voie oculaire, qui est désormais clairement établie comme possible.

 

Zeng W, Wang X, Li J, et al. Association of daily wear of eyeglasses with susceptibility to coronavirus disease 2019 infection [published online ahead of print, 2020 Sep 16]. JAMA Ophthalmol.

 

Reviewer : Jean-Rémi Fénolland, thématique : COVID-19