Cross Linking pour les cornées de moins de 400 µm

Revue de la presse d'avril 2021

Auteurs : Jean-Rémi Fénolland, Antoine Rousseau
Coordination : Marc Labetoulle

Revues sélectionnées :
Ophthalmology, JAMA Ophthalmology, IOVS, Progress in Retinal and Eye Research, Current Opinion in Ophthalmology, Survey of Ophthalmology, Journal of Cataract and Refractive Surgery, American Journal of Ophthalmology, British Journal of Ophthalmology, Retina, Cornea, Nature, Lancet, NEJM, Science.


Cross Linking pour les cornées de moins de 400 µm

Le traitement par cross-linking cornéen (CXL) permet de limiter la progression des kératocônes et des autres ectasies cornéennes, comme la dégénérescence pellucide marginale et les ectasies secondaires à une chirurgie réfractive. Ce traitement, décrit en 2003 par Théo Seiler, consistait pour les premiers protocoles à désépithélialiser la cornée puis à l’imbiber de riboflavine (une molécule très photosensibilisante) avant d’irradier la cornée à l’aide d’une lampe à UVA (365 nm). En absorbant cette longueur d’onde, la riboflavine entraine une rigidification cornéenne, par pontage des fibres de collagène, tout en protégeant l’endothélium cornéen sous-jacent.

Dans les premiers temps du CXL, les pachymétries inférieures à 400 µm représentaient une contre-indication à ce type de traitement. Plus récemment, des alternatives ont permis le traitement des cornées plus fines, notamment grâce à l’usage de riboflavine hypotonique ou des méthodes assistées de lentilles de contact qui permettaient d’augmenter artificiellement l’épaisseur stromale.

Cependant, ces techniques étant peut standardisées, Hafezi et col. publient ce mois-ci dans l’American Journal of Ophthalmology un premier protocole dénommé « sub400 » dans le but d’améliorer la prise en charge des cornées les plus fines. Ainsi, ce protocole est issu d’une cohorte de patients pris en charge de mai 2016 à décembre 2018 à Zürich en Suisse. Les patients de cette étude rétrospective étaient tous porteur d’un kératocône évolutif avec une pachymétrie de moins de 400 µm. Les patients étaient traités par un CXL après désépithélialisation cornéenne puis application d’une solution de riboflavine hypotonique (Ricrolin+, Sooft, Italie) pendant 20 minutes. La pachymétrie était contrôlée toutes les 5 minutes à l’aide d’un pachymétrie ultrasonique et la pachymétrie minimale préopératoire était déterminée au bout des 20 minutes d’application de riboflavine dans la zone présumée la plus fine, d’après une cartographie cornéenne pré-opératoire en caméra Scheimpflug. Le but des auteurs était d’établir un nomogramme afin d’obtenir une ligne de démarcation à un mois post-opératoire qui soit localisée en OCT à 70 µm de l’endothélium, déjà jugée nécessaire pour limiter les conséquences potentielles de l’irradiation sur les cellules endothéliales. Le nomogramme proposé dans cette publication consiste à utiliser une fluence fixe à 3mW/cm2 et à faire varier la durée d’exposition à la lampe (de 29 min pour une pachymétrie de 400 µm à 1 min pour une pachymétrie à 200 µm).

 

Cette étude a inclus rétrospectivement 39 yeux de 32 patients d’âge moyen de 29,1±10,1 ans. La progression moyenne de la kératométrie antérieure était de 2,5±2 D sur les 12 mois préopératoires. Après traitement, il n’y avait pas de modification de la meilleure acuité visuelle à un an de traitement (p=0,611), ni de la sphère (p=0,77) ou du cylindre (p=0,915) et les auteurs ne retrouvaient pas de signe de décompensation endothéliale. La ligne de démarcation était toujours au-delà des 70 microns visés, ce qui est un excellent point pour la sécurité, mais les auteurs relevaient une assez grande déviation dans les profondeurs de traitements observés, qui pouvaient parfois sembler insuffisantes. Au niveau des épaisseurs cornéennes, la pachymétrie minimale intraopératoire était en moyenne de 343±46 µm (pour des valeurs allant de 214 à 398 µm). La kératométrie maximale restait stable pour 35 des 39 yeux traités et passait de 58,5±7,6 D en préopératoire à 56,4±7,8 D à 12 mois (p=0,001). La densitométrie cornéenne était significativement augmentée après le traitement sans toutefois qu’un aspect de haze stromal profond ou de cicatrice sévère ne soit observé.

 

Voici donc une publication visant à standardiser le CXL pour les patients qui présentent des pachymétries de moins de 400 µm. Même si de nombreuses équipes disposent déjà de nomogrammes propres pour ce type d’indication, il y a fort à parier que ce nouveau schéma thérapeutique suscitera l’attention des spécialistes de la cornée. Il faudra cependant un peu plus de recul pour juger pleinement de l’efficacité de ce protocole, et il sera extrêmement souhaitable que l’absence de risque pour l’endothélium soit confirmée après l’irradiation aux UVA.

 

Hafezi F, Kling S, Gilardoni F, Hafezi N, Hillen M, Abrishamchi R, Gomes JAP, Mazzotta C, Randleman JB, Torres-Netto EA. Individualized corneal cross-linking with riboflavin and UV-A in ultrathin corneas: The Sub400 Protocol. Am J Ophthalmol. 2021 Apr;224:133-142.

 

 

Reviewer : Jean-Rémi Fénolland, thématique : cornée