De nouveaux arguments en faveur d’une composante vasculaire dans le glaucome primitif à angle ouvert

Revue de la presse de mars 2022

Auteurs : Jean-Rémi Fénolland, Antoine Rousseau
Coordination : Marc Labetoulle

Revues sélectionnées :
Ophthalmology, JAMA Ophthalmology, IOVS, Progress in Retinal and Eye Research, Current Opinion in Ophthalmology, Survey of Ophthalmology, Journal of Cataract and Refractive Surgery, American Journal of Ophthalmology, British Journal of Ophthalmology, Retina, Cornea, Nature, Lancet, NEJM, Science.

 

De nouveaux arguments en faveur d’une composante vasculaire dans le glaucome primitif à angle ouvert :

La composante « vasculaire » de la physiopathologie de la neuropathie optique glaucomateuse est largement reconnue. Elle implique une perfusion inadéquate de la tête du nerf optique, qui peut être causée par une dysrégulation (pathologies vasospastiques), l’athérosclérose, ou encore l’hypotension (souvent iatrogène).

Toutefois, les autres composantes, en particulier mécanique et neurodégénérative, ainsi que les susceptibilités génétiques, rendent l’analyse de l’effet de la composante vasculaire très difficile, et ont conduit, dans le passé, à des résultats équivoques. Pour résumer et sans rentrer dans les détails, les grandes études portant sur le glaucome chronique à angle ouvert (GCAO), n’ont pas toutes identifiées les mêmes facteurs de risque « vasculaires ».

L’exploitation des bases de données des systèmes de soin et des cohortes longitudinales constitue un outil puissant pour répondre à ces questions.

Deux études publiées dans le dernier numéro d’Ophthalmology viennent conforter le rôle de la composante vasculaire dans la physiopathologie du glaucome, et proposent de nouvelles hypothèses pathogéniques.

La première est la plus classique. Lee et al. ont utilisé la base de données « All of us » du National Institute of Health des Etats-Unis. Ce programme de recherche vise à recueillir de façon longitudinale l’ensemble des données de santé d’un million d’américain âgés de plus de 18 ans, enrôlés sur la base du volontariat. Dans l’étude qui nous intéresse, les auteurs ont inclus les patients ayant consulté un ophtalmologiste, disposant d’un suivi de plus 15 mois, d’une mesure de la pression artérielle, et chez qui un diagnostic de GCAO a été porté pendant cette période de suivi (par conséquent, seuls les nouveaux cas étaient retenus). Au total, 20 815 patients étaient éligibles dans « All of us », parmi lesquels 462 développaient un GCAO.

En analyse multivariée, une pression artérielle basse (définie par une pression artérielle moyenne < 83mmHg), était significativement associée à la survenue du GCAO, avec un risque relatif de 1,3, de même que le diabète. Sans surprise, les patients âgés de plus de 80 ans, de même que les patients mélanodermes, hispaniques et asiatiques (selon la terminologie américaine) avaient un risque relatif de GCAO augmenté (respectivement 20,1 / 3,3 / 2, 5 et 2, 2). En revanche, l’hypertension artérielle, et le nombre de traitement anti-hypertenseurs n’étaient pas associés à une augmentation du risque de GCAO.

De leur côté, Nusinovici et al. ont exploité les données à l’inclusion de la Singapore Epidemiology of Eye Disease (SEED), une cohorte prospective multi-ethnique ayant inclus des sujets âgés de 40 à 80 ans d’origine chinoise, indienne et malaisienne (les 3 principaux groupes ethniques de la cité-État). Tous les participants de cette cohorte ont subi un examen général et ophtalmologique complet ; mais surtout des prélèvements sanguins avec une mesure de 130 paramètres du métabolisme lipidique (on est très loin des dosages de routine) à l’aide d’une plateforme de mesure métabolomique par résonnance magnétique nucléaire (la RMN est la technique de référence pour la quantification des lipides et des lipoprotéines en phase liquide).

La première phase de l’étude consistait à identifier les composant du métabolisme lipidique associés au GCAO à l’aide d’analyse multivariée et de modèles bayésiens. La seconde consistait à investiguer les relations de causalité potentielles entre les métabolites identifiés et le GCAO.
Parmi les 8503 participants, 175 (2.1%) étaient atteints de GCAO. La première étape de l’analyse des données montrait qu’un taux bas d’HDL3 était associé à la survenue de GCAO, indépendamment de l’âge, du genre, de la pression intraoculaire, de l’indice de masse corporelle et de la prise de statine.

Avant de passer à la seconde phase de l’analyse, revenons rapidement sur le rôle du HDL, et en particulier du HDL 3, un sous type de HDL. Les particules HDL (High density lipoprotein) transportent le cholestérol vers le foie et contribuent à leur excrétion via le transport rétrograde du cholestérol (TRC). L’HDL 3 est à ce titre très efficient pour promouvoir l’efflux du cholestérol par l’intermédiaire du transporteur ABCA1 (ATP-binding cassette transporter 1). Ce même ABCA1 est également très exprimé par les cellules rétiniennes et ganglionnaires, et certains polymorphismes de son gène ont été associés au GCAO. HDL3 est aussi connu pour son action protectrice de l’endothélium vasculaire via des effets anti-oxydants, anti-inflammatoires et antithrombotiques.

La seconde phase de l’analyse mettait en œuvre des techniques très complexes combinant étude d’association pangénomique et analyse mendélienne qui permettaient de confirmer solidement l’association entre les taux bas d’HDL3-cholestérol et la survenue de GCAO. Aucun lien de ce type n’était trouvé avec les autres métabolites lipidiques et donc certainement pas avec les éléments du bilan lipidique de routine (HDL-cholestérol, LDL-cholestérol, ou encore triglycérides).

Ces résultats suggèrent fortement un lien de causalité entre HDL3 et la survenue du GCAO. Une dysrégulation du transport du cholestérol pourrait jouer un rôle dans la physiopathologie du GCAO, au niveau plasmatique (athérosclérose) mais aussi au niveau des tissus périphériques comme la rétine, dont le cholestérol est un composant essentiel. Ces résultats soulèvent des questions sur le rôle spécifique d’HDL3, mettent en lumière la complexité du métabolisme lipidique (dont l’exploration et la compréhension ne font que débuter) et renforcent l’hypothèse métabolique et vasculaire de la neuropathie optique glaucomateuse.
 

2) Lee EB, Hu W, Singh K, Wang SY. The association among blood pressure, blood pressure medications, and glaucoma in a nationwide electronic health records database. Ophthalmology. 2022 Mar;129(3):276-284.

1) Nusinovici S, Li H, Thakur S, Baskaran M, Tham YC, Zhou L, Sabanayagam C, Aung T, Silver D, Fan Q, Wong TY, Crowston J, Cheng CY. High-density lipoprotein 3 cholesterol and primary open-angle glaucoma: metabolomics and mendelian randomization analyses. Ophthalmology. 2022 Mar;129(3):285-294.

Reviewer : Antoine Rousseau thématique : Glaucome