Des avancées significatives en onco-ophtalmologie

Revue de la presse d’octobre 2021

 

Auteurs : Jean-Rémi Fénolland, Antoine Rousseau

Coordination : Marc Labetoulle

 

Revues sélectionnées :                                                                        

Ophthalmology, JAMA Ophthalmology, IOVS, Progress in Retinal and Eye Research, Current Opinion in Ophthalmology, Survey of Ophthalmology, Journal of Cataract and Refractive Surgery, American Journal of Ophthalmology, British Journal of Ophthalmology, Retina, Cornea, Nature, Lancet, NEJM, Science.

 


 

Des avancées significatives en onco-ophtalmologie

 

Les cancers en ophtalmologie sont fort heureusement rares mais ils nécessitent des prises en charge dans des centres de référence très hautement spécialisés. Les traitements connaissent de nombreux progrès qui sont illustrés par deux publications récentes.

 

En premier lieu, une publication de l’Institut Curie dans la revue Ophthalmology Retina décrit les résultats favorables de la chimiothérapie intra-artérielle par Melphalan en première ligne de la prise en charge du rétinoblastome unilatéral de grade B à D, sur une classification allant du grade A pour une petite tumeur à distance du nerf optique et de la fovéola au grade E qui concerne les tumeurs au mauvais pronostic car à haut risque de dissémination 1. Le principe de cette technique de neuroradiologie interventionnelle est de cathétériser l’artère ophtalmique à l’aide d’une micro canule montée par un abord fémoral afin d’y injecter le traitement in situ, ce qui augmente la concentration locale de la chimiothérapie dans la région oculo-orbitaire vascularisée par cette artère et permet donc d’en réduire la toxicité systémique chez des enfants le plus souvent très jeunes. L’intérêt de cette publication est tout d’abord le nombre important de patients inclus (39 yeux de 39 patients) de 23,8 mois d’âge moyen et qui étaient tous naïfs de traitement. Le protocole d’injection était une dose de 0,4 mg/kg de Melphalan, capée à 5 mg, toutes les 4 semaines, avec un maximum de 6 injections. Des traitements adjuvants étaient proposés : cryoapplication de petites lésions antérieures, thermothérapie au laser diode sur les lésions postérieures ou curiethérapie pour les lésions antérieures les plus grandes. Par ailleurs, en cas de diffusion vitréenne, une injection intravitréenne de Melphalan était également possible.

Sur les 39 enfants inclus, 36 ont finalement été traités par chimiothérapie intra-artérielle pour des tumeurs de grade B (n=4), C (n=13), et D (n=19). Le nombre médian d’injections était de 4 et la médiane du produit dose surface, irradiation secondaire à la procédure de neuro-navigation interventionnelle était de 1,24 Gy.cm2, une dose modérée puisqu’un scanner cérébral donne des produit dose surface de plus de 10 Gy.cm2. Cette stratégie a permis de conserver l’œil traité dans 80,5% des cas à 18 mois et 69,3% à 36 mois. Aucun enfant de cette étude n’est décédé ou n’a présenté de métastase au cours du suivi, cependant une reprise locale de l’activité tumorale a nécessité une intensification du traitement pour 9 enfants, avec au final 6 énucléations. La tolérance systémique de la chimiothérapie était excellente, les effets indésirables étaient essentiellement loco-régionaux et en général modérés eu égard à la pathologie traitée, avec 6 enfants qui ont présenté des rashs cutanés palpébraux et 12 autres qui ont développé un œdème et des troubles oculomoteurs transitoires. Le traitement a néanmoins dû être arrêté pour deux enfants en raison d’un ptosis sévère, enfin 5 autres ont développé des complications ischémiques rétiniennes importantes (dont 2 ont conduit à l’arrêt du  protocole). Huit enfants avaient une acuité visuelle chiffrable à la fin de l’étude. Eu égard à l’ensemble des résultats, le traitement du rétinoblastome par chimiothérapie hypersélective dans l’artère ophtalmique apparait donc comme une option légitime en première intention.

La deuxième étude de notre sélection a été publiée dans le New England journal of Medicine et s’intéressait à une nouvelle ligne de traitement par Tebentafusp dans les mélanomes uvéaux métastatiques 2. L’intérêt majeur de cette publication est de décrire le Tebentafusp, un nouvel anticorps développé par la société Immunocore dont le principe est de cibler spécifiquement des protéines tumorales et d’y rediriger les lymphocytes T afin de créer une réponse immunitaire. Ainsi, cette molécule dénommé ImmTAC pour immune-mobilizing monoclonal T-cell receptors against cancer est une protéine de fusion qui comporte un domaine spécifique à la séquence YLEPGPVTA de la glycoprotéine 100, un peptide du complexe HLA (HLA-A*02:01 exprimé dans 50% des mélanomes uvéaux), tandis que son deuxième domaine est un fragment variable à chaîne unique anti-CD3 qui permet de recruter spécifiquement des lymphocytes T qui possèdent une action cytotoxique sur les cellules cancéreuses.

Cette étude de phase 3, multicentrique randomisée et contrôlée incluait 378 patients HLA-A*02:01-positifs, âgés de plus de 18 ans, avec un diagnostic confirmé de métastase d’un mélanome uvéal. Les patients étaient répartis selon un ratio 2:1 dans le groupe Tebentafusp (n=252) ou dans le groupe témoin (n=126) pour lequel le traitement était laissé au libre choix de l’investigateur parmi les thérapies usuellement utilisées (pembrolizumab, ipilimumab ou dacarbazine). Le Tebentafusp s’avérait supérieur au traitement de référence sur la durée de survie médiane, respectivement de 21,7 mois contre 16 mois. Le rapport de risque de décès était également en faveur du traitement par Tebentafusp contre le traitement de référence (HR=0,51 ;IC95% 0,37-0,71 :p<0,001). Les effets secondaires étaient constants avec une fréquence de 99% dans le groupe Tebentafusp contre 82% pour le bras de référence. Ils étaient jugés sévères, de grade supérieur à 3, pour 44 % des patients du bras Tebentafusp contre 17% du bras de référence. Un syndrome de relargage de cytokine par activation lymphocytaire était signalé pour 89% des patients. Il était à prédominance cutanée en raison de l’interaction avec les mélanocytes cutanés positifs à la glycoprotéine 100. Il se manifestait par de la fièvre, une asthénie et un rash cutané sévère pour 1% des patients. Les autres effets les plus fréquents étaient des nausées et vomissements (25% des cas traités), des céphalées (22%), des anomalies du bilan hépatique avec des diarrhées (moins de 20%) et des troubles de la pression artérielle (38% d’hypotension et 8% d’hypertension artérielle). Aucun patient n’est décédé d’événement indésirable secondaire au Tebentafusp.

 

Voici donc deux publications qui soulignent les progrès de la recherche en onco-ophtalmologie, tout d’abord via des modalités de délivrance des chimiothérapies qui permettent d’en limiter la toxicité générale tout en conservant une efficacité excellente sur les rétinoblastomes de grade B à D ou d’autre part, grâce au développement de nouvelles biothérapies particulièrement innovantes qui permettent de stimuler la réponse immunitaire pour le mélanome uvéal à un stade métastatique dont le pronostic reste malgré tout effroyable.

 

1 Lumbroso-Le Rouic L, Blanc R, Saint Martin C, et al. Selective ophthalmic artery chemotherapy with Melphalan in the management of unilateral retinoblastoma: A prospective study. Ophthalmol Retina. 2021 Aug;5(8):e30-e37.

 

2 Nathan P, Hassel JC, Rutkowski P, et al ; IMCgp100-202 Investigators. Overall survival benefit with Tebentafusp in metastatic uveal melanoma. N Engl J Med. 2021 Sep 23;385(13):1196-1206.

 

Reviewer : Jean-Rémi Fénolland, thématique : oncologie