Des critères consensuels pour classer les uvéites en recherche clinique

Revue de la presse d’octobre 2021

 

Auteurs : Jean-Rémi Fénolland, Antoine Rousseau

Coordination : Marc Labetoulle

 

Revues sélectionnées :                                                                        

Ophthalmology, JAMA Ophthalmology, IOVS, Progress in Retinal and Eye Research, Current Opinion in Ophthalmology, Survey of Ophthalmology, Journal of Cataract and Refractive Surgery, American Journal of Ophthalmology, British Journal of Ophthalmology, Retina, Cornea, Nature, Lancet, NEJM, Science.

 

 

Des critères consensuels pour classer les uvéites en recherche clinique 

 

Le sommaire du dernier numéro de l’American Journal of Ophthalmology risque de vous surprendre. Sur les 34 articles que comportent le fascicule, 26 sont consacrés aux résultats du travail du groupe sur la standardisation de la nomenclature des uvéites, (plus connu sous le nom de SUN pour standardization of uveitis nomenclature working group), sur la mise au point et la validation de critères de classification des formes d’uvéites les plus fréquentes. Ce travail titanesque, initié en 2009, est la suite logique du premier consensus du SUN, publié en 2005, sur la terminologie des éléments sémiologiques de base des uvéites, telle que la cotation du Tyndall de chambre antérieur ou du Tyndall vitréen.1 Cette dernière, citée plus de 1500 fois en une quinzaine d’années, semble avoir été largement adoptée.

Pour ce nouveau projet, le SUN est parti du constat suivant :  les uvéites regroupent plus de 30 pathologies distinctes pour lesquelles il n’existe pas de critères de classification consensuels, ce qui pose un gros problème de standardisation dans les essais thérapeutiques. Il est certain que la distinction entre certaines des entités ne pose aucun problème : à l’évidence, une cyclite de Fuchs et une rétinite à CMV ne peuvent pas être confondues, mais il n’en va pas de même pour des entités plus proches tels que les différents syndromes des taches blanches ou encore pour distinguer clairement les uvéites tuberculeuses et sarcoïdosiques.

Pour atteindre son objectif, le SUN a collecté dans un premier temps des cas d’uvéites parfaitement documentés (avec données cliniques, biologiques et imagerie) auprès d’un large panel de spécialistes du monde entier, pour établir un consensus sur les éléments présents dans les cas typiques et établir des critères de classifications basés sur ces derniers. La seconde étape consistait en une validation de ces critères en les testant sur d’autres cas à l’aide de techniques d’apprentissage automatique (machine learning). La finalité des critères validés est la standardisation des critères d’inclusion dans les futurs essais cliniques pour ces différentes pathologies.

Quelques chiffres rendent compte de l’ampleur du travail réalisé : 5 766 cas des 25 formes d’uvéites les plus fréquentes étaient collectés auprès de 76 spécialistes. Ces cas ont été  ensuite analysés par des comités de 9 experts par pathologie qui n’ont retenu que les cas consensuels (accord de > 75% des membres du comité). Au terme de cette phase de sélection 4046 cas ont été inclus dans une base de données, assortis de critères diagnostiques pour chaque pathologie. Les cas étaient divisés entre un set de données d’entrainement (85% des cas) et un set de données de validation (15% des cas).

La performance diagnostique des critères sur le set de validation était de 96,7% pour les uvéites antérieures, 99,3% pour les uvéites intermédiaires, 98% pour les uvéites postérieures et 94% pour les panuvéites (liste des pathologies et performances sur le set de validation données dans le tableau ci-dessous). Cette classification automatisée a été comparée à celle réalisée par des évaluateurs masqués pour qui les performances étaient similaires.

Les limites de l’approche, discutées dans l’excellent éditorial de Russel Van Gelder,2 tiennent dans certains détails : les définitions strictes de certains descriptifs utilisés dans les critères diagnostiques n’étaient pas toujours fournies : par exemple, la différence entre des PRD ronds ou en graisse de mouton. De même, les protocoles pour les examens biologiques ou d’imagerie n’étaient pas standardisés. Enfin, certains sets de critères semblent laisser une place aux classifications erronées. Van Gelder illustre cette éventualité avec l’exemple d’une rétinite nécrosante chez un patient VIH porteur d’un test tréponémique positif 2 : il peut tout à fait dans ce cas s’agir d’une rétinite virale, toxoplasmique ou syphilitique. Le diagnostic de certitude repose alors sur l’analyse microbiologique d’un prélèvement intraoculaire (humeur aqueuse ou vitré….). Or le résultat de cette analyse ne fait pas partie des critères nécessaires pour la classification dans l’un de ces 3 diagnostics.

En outre, près du tiers des cas proposés ne réunissaient pas l’accord de 75% des sous-comités d’expert, ce qui laisse penser que les cas sortant un tant soit peu des critères « canoniques » ne pourront pas être classés (et donc inclus dans des essais).

Enfin, on peut craindre d’une telle classification ayant fait l’objet de tant de travail, qu’elle ait du mal à évoluer avec les nouvelles connaissances et technologies diagnostiques qui pourraient apparaitre dans les années à venir.

Dans tous les cas, cette classification nosologique d’une ampleur inédite servira sans aucun doute à une meilleure conception des essais cliniques dans ce domaine où les traitements biologiques (ou anti infectieux) spécifiques se multiplient, et ciblent avec toujours plus de précision les mécanismes physiopathologiques sous-jacents et permettront d’adapter encore mieux les traitements aux besoins des patients.

 

 Les 25 types d’uvéites étudiées dans la nouvelle étude du SUN :

 

Forme clinique

Performance diagnostique des critères de classification dans le set de validation

1

Choriorétinite de Birdshot

98%

2

Uvéite intermédiaire associée à la sclérose en plaque

99,3%

3

Uvéite de la maladie de Behçet

94%

4

Uvéite antérieure à CMV

96,7%

5

Uvéite associée aux spondylarthropathies et HLA B27

96,7%

6

Choroïdite serpigineuse

98%

7

Rétinochoroïdite toxoplasmique

93,3%

8

Uvéite tuberculeuse

98,2%

9

Choroïdite multifocale avec panuvéite

98%

10

Uvéite intermédiaire, à l’exception des pars-planites

99,3%

11

Uvéite antérieure à VZV

96,7%

12

Epithéliopathie en plaques

98%

13

Uvéite syphilitique

100%

14

Uvéite associée à l’arthrite juvénile idiopathique

96,7%

15

Syndrome des taches blanches évanescentes

98%

16

Malkadie de Vogt Koyanagi Harada

94%

17

Ophtalmie sympathique

94%

18

Uvéite sarcoïdosique

99,7%

19

Uvéite antérieure à HSV

96,7%

20

Syndrome de nécrose rétinienne aigüe

93,3%

21

Rétinite à CMV

93,3%

22

Syndrome uvéite et néphrite tubulo-interstitielle

96,7%

23

Syndrome uvéitique (iridocyclite) de Fuchs

96,7%

24

Pars-planite

99,3%

25

Choroïdite ponctuée interne

98%

 

1) Jabs DA, Nussenblatt RB, Rosenbaum JT; Standardization of Uveitis Nomenclature (SUN) Working Group. Standardization of uveitis nomenclature for reporting clinical data. Results of the First International Workshop. Am J Ophthalmol. 2005 Sep;140(3):509-16.

 

2) Van Gelder RN, Sen HN, Tufail A, Lee AY. Here Comes the SUN (Part 2): Standardization of Uveitis Nomenclature for Disease Classification Criteria. Am J Ophthalmol. 2021 Aug;228:A2-A6.

 

Standardization of Uveitis Nomenclature (SUN) Working Group. Development of classification criteria for the uveitides. Am J Ophthalmol. 2021 Aug;228:96-105. 

 

Reviewer : Antoine Rousseau, thématique : uvéite