Des nouveaux filtres pour le daltonisme pourraient stimuler la plasticité corticale

Revue de la presse de septembre 2021

 

Auteurs : Jean-Rémi Fénolland, Antoine Rousseau

Coordination : Marc Labetoulle

 

Revues sélectionnées :                                                                        

Ophthalmology, JAMA Ophthalmology, IOVS, Progress in Retinal and Eye Research, Current Opinion in Ophthalmology, Survey of Ophthalmology, Journal of Cataract and Refractive Surgery, American Journal of Ophthalmology, British Journal of Ophthalmology, Retina, Cornea, Nature, Lancet, NEJM, Science.

 

Des nouveaux filtres pour le daltonisme pourraient stimuler la plasticité corticale

 

Le daltonisme rouge-vert non sévère (qui regroupe la deutéranomalie et la protanomalie) représente quatre formes de daltonisme sur cinq. Il correspond, du point de vue du patient, à une incapacité à discriminer les couleurs rouges et vertes. Cette particularité est secondaire à des anomalies génétiques des photorécepteurs. Dans le cas de la deutéranomalie (73 % des daltonismes) ce sont les cônes « M » sensibles aux longueurs d’onde moyennes (couleurs vertes) qui sont concernés. Dans le cas de la protanomalie (23% des daltonismes), ce sont les cônes « L », sensibles aux longueurs d’ondes longues (couleurs rouges) qui sont concernés. Cette pathologie liée à l’X concerne près de 6% des hommes et moins d’1% des femmes.  

Les solutions proposées aux patients étaient jusqu’à présent basées sur des filtres à large spectre, qui modifiaient principalement l’intensité lumineuse globale, avec des résultats très modestes sur la discrimination des couleurs.

Les verres Enchroma, mis au point en 2010, reposent sur un concept différent. Ces lunettes filtrent sélectivement certaines longueurs d'ondes pour amplifier les couleurs perçues par le patient. Le filtre fait des coupes précises dans le spectre de la lumière pour bloquer les couleurs qui ne sont pas primaires, et faciliter la discrimination, en diminuant le chevauchement des couleurs.

Cette technologie a fait l’objets d’études dont les résultats ne sont pas toujours probants1.Toutefois, des publications scientifiques récentes plaident en faveur de leur efficacité. Citons entre autres l’étude de Varikuti et al. publiée en juin 2020 dans le journal de l’association américaine d’ophtalmologie pédiatrique et de strabisme2. Les auteurs évaluaient les réponses de 19 patients daltoniens (13 porteurs de deutéranomalie et 6 de protanomalie) aux tests de Ishihara et de Farnsworth 15D. Les taux d’erreur étaient très significativement réduits par le port des verres Enchroma pour les deux tests, mais seulement chez les patients atteints de deutéranomalie.

De façon plus surprenante, l’étude de Werner, Marsh-Armstrong et Knoblauch, un trio international de scientifiques n’ayant apparemment aucun conflit d’intérêt avec la Société Enchroma, semble démontrer que l’effet positif de ces verres pourrait persister après arrêt de leur port.

Les auteurs utilisaient une méthode d’évaluation de la discrimination des couleurs et des contrastes très sophistiquée basée sur la projection de motifs colorés sur un écran (motifs de Gabor). Pour résumer très succinctement, les sujets testés devaient comparer un motif de luminance et de couleur standard à des motifs dont ces paramètres variaient, et indiquer lequel était le plus proche du standard.  Les tests étaient réalisés avec, et sans les verres Enchroma.

Le panel de sujets était composé de 10 volontaires (âgés de 18 à 36 ans) ayant une acuité visuelle corrigée et un examen ophtalmologique normaux.  Il y avait 5 patients atteints de deutéranomalie, 3 de protanomalie, et 2 sujets normaux. Les sujets étaient évalués au début de l’étude et devaient porter les verres autant que possible sur une période de 11 jours, en notant quotidiennement le nombre d’heure de port. Ils étaient ré-évaluées avec et sans les lunettes à J2, J4 et J11.

Les participants ont porté en moyenne les lunettes 7,7 ± 3.6 heures/jour. Les sujets testés, aussi bien atteints de deutéranomalie que de protanomalie, ont bénéficié d’une amélioration de la perception des contrastes chromatiques (ce qui n’était pas le cas des deux sujets sains) au cours de l’étude. De manière étonnante, ces améliorations persistaient après retrait des filtres. Cette observation suggère, selon les auteurs, que les modifications des signaux des photorécepteurs activent une certaine plasticité visuelle. Toutefois, précisons que la méthodologie de l’évaluation employée dans cette étude est extrêmement difficile à comprendre pour un clinicien, et on regrette que des tests cliniques simples ne soient pas venus compléter l’évaluation des sujets. En outre, pour des anomalies aussi fréquentes, on aurait souhaité un nombre plus important de sujets inclus. 

 

1) Bastien K, Mallet D, Saint-Amour D. Characterizing the Effects of Enchroma Glasses on Color Discrimination. Optom Vis Sci. 2020 Oct;97(10):903-910

 

2) Varikuti VNV, Zhang C, Clair B, Reynolds AL. Effect of EnChroma glasses on color vision screening using Ishihara and Farnsworth D-15 color vision tests. J AAPOS. 2020 Jun;24(3):157.e1-157.e5.

 

Werner JS, Marsh-Armstrong B, Knoblauch K. Adaptive changes in color vision from long-term filter usage in anomalous but not normal trichromacy. Curr Biol. 2020 Aug 3;30(15):3011-3015.e4

 

Reviewer : Antoine Rousseau, thématique : maladies génétiques