La gonioscopie est un élément de l’examen clinique aussi essentiel que difficile à maîtriser. C’est d’ailleurs pour cette raison que de nombreux outils d’imagerie ont été développés pour s’y substituer et rendre plus objectifs certains paramètres de l’angle irido-cornéen (AIC).
Toutefois, les clichés obtenus avec l’OCT de segment antérieur en domaine spectral manquent souvent de profondeur pour bien analyser l’angle. L’UBM est performant à cet égard, et permet aussi d’analyser la morphologie des procès ciliaires et du cristallin. Toutefois, l’examen est invasif (contact avec la surface oculaire), chronophage, et la résolution ne permet pas toujours d’être certain d’identifier correctement certains repères anatomiques essentiels comme l’éperon scléral. Enfin, la gonioscopie automatisée, qui réalise une photographie de l‘angle sur 360° nécessite elle aussi un contact cornéen, et ne permet pas l’analyse dynamique ou encore la visualisation des procès ciliaires.
L’OCT swept-source (ss) combine plusieurs atouts : l’examen est non-contact, l’acquisition est très rapide (environ 2 secondes), et la résolution spatiale permet le plus souvent un repérage fiable de l’éperon scléral, de même que la mesure de la flèche cristallinienne. En revanche, il ne permet pas de visualiser les procès ciliaires et fournit un nombre de coupes qui peut décourager en pratique quotidienne (128 avec le modèle utilisé dans l’étude ci-dessous).
Natalia Porporato et al. qui travaillent depuis quelques années sur l’imagerie du segment antérieur au sein de l’équipe de Tin Aung, au Singapore Eye Research Institute, et en particulier sur l’OCT-ss, ont voulu déterminer quelle coupe méridienne obtenue en OCT-ss est la plus utile pour diagnostiquer un angle étroit.
Dans cette étude observationnelle, 2027 patients consécutifs, tous phakes et âgés de plus de 50 ans, sans antécédent de glaucome ou de chirurgie ophtalmologique, vus en consultation dans un centre ophtalmologique de soins primaires, ont été à la fois examinés par gonioscopie au verre de Sussman (par le même glaucomatologue expérimenté) et par imagerie de l’angle en OCTss (par un opérateur masqué). Les 128 coupes méridiennes d’OCTss ont ainsi fourni 256 images de l’angle. Pour chacun des 2027 patients, seul l’œil droit étant inclus dans l’étude.
La référence retenue dans cette étude pour le diagnostic de fermeture de l’angle était basée sur la gonioscopie, effectuée en position primaire et sans indentation : l’angle était considéré comme fermé en cas de non-visibilité du trabéculum postérieur (pigmenté) sur plus de 180°. En OCTss, la fermeture était définie à l’échelle d’une coupe d’angle, comme un contact entre l’iris et l’angle en avant de l’éperon scléral (c’est-à-dire au moins sur le trabéculum pigmenté).
La valeur diagnostique de chaque coupe méridienne était ensuite calculée par rapport au diagnostic gonioscopique, et reportée sur un graphe. L’aire sous la courbe (ou AUC) reflétait la performance diagnostique de l’OCTss pour cette coupe par rapport à l’examen de référence (une valeur de 1 indiquant une équivalence parfaite entre les deux méthodes diagnostiques).
Au total, 139 AIC étaient fermés en gonioscopie (7,5%), sur une population constituée à 90% de patients d’origine chinoise, âgés de 61,8±6,7 ans.
L’AUC variait selon les coupes de 0,73 à 0,82. La coupe axée sur 80°–260° (quasi-verticale) avait la meilleure AUC. De manière générale, les coupes verticales (ou supéro-inférieures) avaient de meilleures performances que celles temporo-nasales. Les auteurs ont aussi analysé l’intérêt d’une analyse cumulée sur plusieurs coupes successives, mais même la combinaison de coupes situées entre 80 et 85° ne permettait pas de dépasser une AUC supérieure à 0,80, et l’ajout des coupes temporo-nasales n’améliorait pas non plus la performance diagnostique.
Ces résultats sont d’autant plus intéressants qu’ils égalent ceux obtenus par la même équipe avec des protocoles bien plus complexes. En effet, la valeur diagnostique obtenue par une seule coupe bien choisie (AUC de 0,82) est quasi-équivalente à celle retrouvée antérieurement avec une cotation manuelle des 128 coupes (0,84).1 Idem pour l’analyse automatisée de 16 coupes (32 angles) qui obtenait une AUC de 0,83.2 L’orientation de la coupe la plus performante n’est pas surprenante : l’angle supérieur est celui où est le plus souvent retrouvé la fermeture, que cela soit en gonioscopie, en OCT ou même en UBM.
Bien sûr, la population étudiée (essentiellement chinoise) limite pour l’instant l’application directe des résultats aux patients de phénotype caucasien, la même méthode sera sûrement testée rapidement sur un échantillon plus représentatif d’autres groupes ethniques, car on sait l’importance des facteurs génétiques pour l’anatomie de l’AIC. Dans tous les cas, cette étude, qui s’inscrit dans le travail de longue haleine du groupe de Tin Aung, ajoute un élément majeur vers une classification fiable, simple et reproductible des angles irido-cornéens.
1) Porporato N, Baskaran M, Tun TA, et al. Assessment of circumferential angle closure with Swept-Source optical coherence tomography: a community based study. Am J Ophthalmol 2019;199:133–9.
2) Baskaran M, Ho S-W, Tun TA, et al. Assessment of circumferential angle-closure by the iris-trabecular contact index with swept-source optical coherence tomography. Ophthalmology 2013;120:2226–31.
Porporato N, Baskaran M, Perera S, Tun TA, Sultana R, Tan M, Quah JH, Allen JC, Friedman D, Cheng CY, Aung T. Evaluation of meridional scans for angle closure assessment with anterior segment swept-source optical coherence tomography. Br J Ophthalmol. 2021 Jan;105(1):131-134.
Reviewer : Antoine Rousseau, thématique : glaucome.