Erreur médicale en ophtalmologie : leçons d’une étude américaine

L’ophtalmologie est une spécialité chirurgicale qui, comme toutes les autres, peut connaître un certain nombre de sinistres aux conséquences médico-légales parfois lourdes. Notre pratique concerne un organe pair, pour lequel la chirurgie de la cataracte domine très largement les indications opératoires, chirurgie pour laquelle les erreurs d’yeux ou d’implants sont une source possible et supplémentaire d’erreur.

Le but de cette étude américaine publiée dans la revue Ophthalmology était de collecter rétrospectivement les erreurs médicales survenues au bloc opératoire sur une période allant de 2006 à 2017 dans les bases de données d’une assurance spécialisée dans la chirurgie ophtalmologique (OMIC : Ophthalmic Medical Insurance Company) et dans les événements indésirables rapportés par le département de la santé de l’état de New York (NYPORTS : New York Patient Occurrence Reporting and Tracking). Ces événements étaient classés selon l’indice de sévérité de Kwann en 4 stades : (1) gravité non significative ou temporaire (i.e.. une cicatrice) (2) gravité non significative ou mineure (i.e. retard de récupération fonctionnelle, nouvelle chirurgie nécessaire, erreur réfractive de moins de 3 dioptries) (3) gravité modérée mais permanente (i.e. retard de récupération fonctionnelle modéré à sévère, erreur réfractive de plus de 3 dioptries) (4) gravité sévère, nécessité de soins permanents ou incapacité permanente sans correction possible.
Cette étude visait à savoir si ces erreurs médicales auraient potentiellement pu être évitées via l’usage conforme du « Universal Protocol », c’est-à-dire une check-list préopératoire telle que celle que nous utilisons en France à l’instar de la check-list de la Haute Autorité de Santé.

Les données collectées ont permis d’identifier 143 erreurs médicales au bloc opératoire, l’incidence finale n’était malheureusement pas déterminée car les auteurs n’avaient pas de recueil du nombre de procédures sur la période observée dans les établissements de santé, hôpitaux ou centres de chirurgie ambulatoire impliqués. Sur ces 143 événements, on recensait dans deux tiers des cas une erreur d’implant au cours d’une chirurgie de la cataracte avec 95 cas (66,4%), 20 cas (14%) étaient liés à une anesthésie loco-régionale du mauvais œil (dont un aboutissait malheureusement à la perte de toute vision en raison d’une plaie du globe), 10 cas (7%) étaient liés à une procédure sur le mauvais œil, 6 cas (4,2%) à une erreur de correction au cours d’une chirurgie réfractive, 5 cas (3,5%) une erreur de patient ou du type de chirurgie, 4 cas (2,8%) à une mauvais concentration de gaz intraoculaire, 3 cas (2,1%) à une erreur de médicament (à noter une injection sous conjonctivale de tobramycine probablement surdosée aboutissait à la perte fonctionnelle d’un œil via une toxicité rétinienne présumée).

Toute erreur médicale est bien entendue évitable et l’analyse de ces événements soulignait que dans 64,3% des cas, une bonne application de la check-list préopératoire aurait permis d’en prévenir la survenue. Tous les cas d’erreur de procédure, d’erreur de patient ou erreur de côté opéré auraient pu être dépistés via une application conforme de la procédure de sécurité. Un bon respect des procédures aurait permis d’éviter 85% des erreur de côté au cours de l’anesthésie locorégionale, cependant 15% sont de véritables erreurs humaines, c’est-à-dire que malgré une check-list bien faite, l’anesthésiste se trompait de côté. Une donnée importante de cette étude concernait les erreurs d’implant. En effet, seulement 34,7% des cas auraient pu être prévenues via la check-list, les sources d’erreurs étant au final le plus souvent en amont du bloc opératoire, au moment du calcul d’implant. Ainsi, les erreurs de longueur axiale, de kératométrie, de choix de cible réfractive ou de formule utilisée n’auraient pu être évitées malgré les procédures de vérification préopératoire. Concernant la gravité de ces erreurs médicales, 123 cas étaient classés sur le stade 1 ou 2, le coût moyen d’une erreur d’implant pour l’assureur (OMIC) était de 57 000 $, et pour les cas les plus graves, classés au niveau 4, la réparation pouvait atteindre au maximum 220 000 $.

Au total, la check-list préopératoire ne permet pas d’éliminer, dans la majorité des cas, les erreurs d’implant qui bien souvent proviennent d’erreurs en amont, et particulièrement au cours du calcul d’implant. Cependant le respect des procédures standardisées et d’un temps de vérification en début de chirurgie permet d’éviter les erreurs les plus graves qui concernent les erreurs de patients ou de procédures.

 

Parikh R, Palmer V, Kumar A, Simon JW. Surgical Confusions in Ophthalmology: Description, Analysis, and Prevention of Errors from 2006 through 2017. Ophthalmology. 2020;127(3):296‐302.

 

Reviewer : Jean-Rémi Fénolland, thématique : exercice médical