Fin de la vitréolyse pneumatique ?

Revue de la presse de juillet-aout 2021

Auteurs : Jean-Rémi Fénolland, Antoine Rousseau
Coordination : Marc Labetoulle

Revues sélectionnées :
Ophthalmology, JAMA Ophthalmology, IOVS, Progress in Retinal and Eye Research, Current Opinion in Ophthalmology, Survey of Ophthalmology, Journal of Cataract and Refractive Surgery, American Journal of Ophthalmology, British Journal of Ophthalmology, Retina, Cornea, Nature, Lancet, NEJM, Science.


Fin de la vitréolyse pneumatique ?

Les traitements des tractions vitréo-maculaires (TVM) symptomatiques sont multiples, allant de la simple surveillance (rappelons qu’un tiers des TVM se résorbent spontanément, sans conversion en trou maculaire, TM), à la vitrectomie, traitement plus radical mais extrêmement efficace dans cette indication. Une alternative repose sur la vitréolyse enzymatique par ocriplasmine, actuellement en perte de vitesse après de forts espoirs il y a quelques années. Les raisons en sont le reste à charge pour le patient (pas de remboursement en France), et surtout les effets indésirables, certes rares mais peu prévisibles. Si la toxicité rétinienne est souvent modérée et réversible, elle peut aussi être sévère et persistante… Une autre possibilité est la vitréolyse pneumatique (VP) par injection d’une bulle de gaz dans la cavité vitréenne, plutôt du SF6 en Europe et plus souvent du C3F8 aux États-Unis. C’est en 1995 que Chan1 proposa cette technique alternative à la vitrectomie et bon nombre d’auteurs ont publié des séries rétrospectives semblant donner un avantage à cette option chirurgicale, tout particulièrement pour des TVM de taille limitée ou pour la fermeture de TM stade 2. La bulle de gaz injectée en cavité vitréenne permet en effet d’induire un décollement postérieur du vitré (DPV) en quelques semaines avec un taux de complications faibles d’après ces différentes études.

 

Chan co-rapporte, en premier auteur, les résultats de deux nouvelles études qui visaient à évaluer l’efficacité de la technique qu’il a contribué à développer, avec cette fois un meilleur niveau de preuve. Malheureusement, les complications rétiniennes, à type de décollements de rétine et de déhiscence rétiniennes ont dû faire stopper l’étude avant son terme.

 

En effet, c’est le très influant réseau du DRCR Rétine (Diabetic Retina Clinical Research Network) qui a permis de mettre en évidence ce résultat inattendu grâce à deux protocoles de recherche : le protocole AG qui comparait la prise en charge des TVM par vitréolyse pneumatique (injection de 0,3 ml de C3F8) versus placebo (IVT simulée), et le protocole AH qui évaluait la vitréolyse pneumatique, mais sans comparateur, dans le cadre des TVM avec TM de moins de 250 µm. Ces deux études multicentriques (28 sites au total), dont seule AG était randomisé et en double aveugle, ont inclus 46 patients entre octobre 2018 et février 2020 pour le protocole AG, et 35 pour le protocole AH.

 

Pour le protocole AG, 46 yeux (un seul par patient) ont été inclus (soit 37% de la cible initiale d’inclusion, qui était de 124 yeux). Les patients devaient avoir une TVM focale de moins de 3000 µm sans aspect de trou lamellaire ou de trou maculaire en OCT. Le groupe traité par vitréolyse pneumatique a présenté une levée de la TVM dans 78% des yeux traités contre 9% dans le groupe placebo (p<0,001). Deux yeux du groupe VP ont dû être pris en charge pour un décollement de rétine sans qu’une telle complication ne surviennent dans le groupe placébo. Il n’y avait pas de différence significative d’acuité visuelle dans les deux groupes (p=0,77), bien qu’il y ait une tendance à une meilleure récupération d’acuité visuelle dans le groupe placébo, probablement car un œil du groupe VP avait perdu plus de 10 lettres contre aucun dans le groupe placebo (p=0,53).

Pour le protocole AH, les patients inclus devaient présenter un TM de moins de 250 µm et une TVM de moins de 3000 µm, associés à une acuité visuelle entre 1/20 et 8/10 à l’inclusion. Un œil par patient pouvait aussi être inclus dans cette étude en simple bras. La technique d’injection de gaz était identique à celle du protocole AG, mais en revanche un positionnement face vers le sol était demandé pendant 50% du temps au cours des 4 premiers jours post-opératoires. Une vitrectomie complémentaire pouvait être proposée en l’absence d’amélioration du TM, ou en cas de complication de la VP. Sur la cible initiale de 50 yeux à inclure, 35 yeux ont pu être étudiés avant la fin prématurée de l’étude. A 8 semaines du traitement, le TM était refermé pour 10 yeux (29%) avec une VP seule et 12 autres avaient dû subir une vitrectomie. A 24 semaines de l’injection, 24 yeux avaient dû être traités par vitrectomie, dont 21 procédures pour fermer le TM (20 yeux) et 5 pour décollement de rétine (4 yeux).

L’analyse combinée des données de sécurité des deux protocoles AG et AH a mis un terme à cette étude en raison du nombre important de décollements de rétine, 7 yeux sur 59 inclus, soit 12%, avec respectivement 8% dans le protocole AG et 14% dans le protocole AH.

 

Cette publication a un double mérite. D’une part elle rapporte un résultat négatif, ce qui est rare, a fortiori en matière d’interventions chirurgicales alors même que ce type d’information est cruciale pour faire avancer les connaissances de tous. Elle illustre d’autre part, la nécessité de réaliser des études au moins prospectives, et si possible contrôlées (ce qui n’est pas toujours aisé en chirurgie), car ce résultat défavorable par la fréquence des complications de la technique de vitréolyse pneumatique n’avait pas été mis en évidence aussi franchement par les équipes qui avaient rapporté des résultats de séries rétrospectives. Sur la base de ces premières publications, les auteurs de celles-ci avaient d’ailleurs anticipé un taux de 1% de décollement de rétine après VP, soit 10 fois moins que la réalité observée en prospectif. On note aussi que l’arrêt prématuré de l’étude, pour des raisons éthiques, fait perdre de facto de la puissance à l’ensemble des deux études puisque l’effectif global est réduit, ce qui pourrait être utilisé comme argument pour défendre la poursuite de cette pratique, en l’attente de résultats encore plus probants. Dans tous les cas, si le geste continue d’être proposé, l’information sur un risque de décollement de rétine entre 8 et 14 % mérite d’être dorénavant dans la liste de celles à délivrer au patient avant l’intervention.

 

Chan CK, Mein CE, Glassman AR et al; DRCR Retina Network. Pneumatic vitreolysis with perfluoropropane for vitreomacular traction with and without macular hole: DRCR retina network protocols AG and AH. Ophthalmology. 2021 May 12:S0161-6420(21)00353-5.

 

1 Chan CK, Wessels IF, Friedrichsen EJ. Treatment of idiopathic macular holes by induced posterior vitreous detachment. Ophthalmology. 1995 May;102(5):757-67.

 

Reviewer : Jean-Rémi Fénolland, thématique : rétine chirurgicale