Glaucome à pression normale et déclin cognitif : même combat ?

Revue de la presse de septembre 2022

 

Auteurs : Jean-Rémi Fénolland, Antoine Rousseau
Coordination : Marc Labetoulle

Revues sélectionnées : 
Ophthalmology, JAMA Ophthalmology, IOVS, Progress in Retinal and Eye Research, Current Opinion in Ophthalmology, Survey of Ophthalmology, Journal of Cataract and Refractive Surgery, American Journal of Ophthalmology, British Journal of Ophthalmology, Retina, Cornea, Nature, Lancet, NEJM, Science.


Glaucome à pression normale et déclin cognitif : même combat ?

On oublie parfois que le glaucome chronique à angle ouvert (GCAO) est avant tout une maladie neurodégénérative, et ce d’autant plus que nous nous concentrons sur le seul facteur de risque que nous sachions modifier : la pression intraoculaire. Dans le cas des glaucomes à pression normale (GPN), la dimension neurodégénérative semble plus évidente. Pour mieux appréhender la dimension potentiellement systémique des anomalies, il semble logique d’investiguer la relation entre GPN et troubles cognitifs, ce qu’ont fait Mullany et al. dans une étude passionnante parue dans le British Journal of Ophthalmology.


Les auteurs se sont appuyés sur une littérature existante, et notamment une méta-analyse récente qui retrouvait un lien faible mais significatif entre GCAO et démence (Risque relatif = 1,17, intervalle de confiance à 95% = 1,00-1,37),1 mais qui ne permettait pas de conclure sur le GPN en particulier.


Pour l’étude dont il est question ici, les auteurs utilisaient une base de données australienne et néo-zélandaise de plus 7 000 patients glaucomateux avec un phénotype ophtalmologique parfaitement documentée (Australian and New Zealand Registry of Advanced Glaucoma -ANZRAG-), ayant pour objectif princeps d’analyser les facteurs de risque cliniques et génétiques du glaucome. 


Ils ont sélectionné de façon aléatoire des patients âgés de plus de 65 ans, atteints de GPN (PIO observée maximale sans traitement < 21 mmHg) ou de GCAO à pression élevée -GPE- (PIO observée maximale sans traitement > 24 mmHg), puis les ont contactés pour réaliser un test de diagnostic global des troubles cognitifs validé et adapté à un entretien téléphonique (version téléphonique du Montreal Cognitive Assessment, ou T-MoCA). Cette approche présentait le gros avantage de ne pas reposer sur une interprétation visuelle, qui aurait pu être un facteur de confusion majeur dans le cadre de cette étude. A noter qu’avec le T-MoCA, un score <11/22 est associé à un diagnostic de démence. Les paramètres ophtalmologiques des patients, ainsi que les comorbidités systémiques, étaient disponibles et à jour dans la base de données de l’ANZRAG. Les patients incapables de réaliser le test en raison d’une surdité ou de troubles cognitifs trop avancés, de même que les GCAO secondaires, n’étaient pas retenus dans l’analyse finale. 


Au total, 144 patients GPN, et 146 GCAO appariés pour l’âge et le sexe ont complété l’évaluation cognitive (48% des patients initialement sélectionnés dans la base de données). Les deux groupes (GPN et GPE) ne présentaient pas de différence en termes de paramètres démographiques, systémiques (notamment antécédents vasculaires et diabète) ou oculaires (en dehors de la PIO maximale mesurée sans traitement). En analyse multivariée, le statut GPN était associé à une prévalence plus élevée de démence que le GPE (risque relatif = 2,2 ; IC 95% = 1,1 - 6,7, p = 0,03). Une analyse multivariée sur les possibles facteurs de confusion liés aux antécédents d’accident vasculaire cérébral, de tabagisme, d’hypertension artérielle ou de diabète, confirmait l’association entre démence et GPN (p = 0034 ; OR = 2,6 CI 95% = 1,1 – 6,7). Avec le même modèle, l’hypertension artérielle était également associée à la démence (p = 0,038 ; OR = 1,7 (95% CI = 1,0 - 2,8). 


Les biais et limites de l’étude sont très bien analysés par les auteurs, à savoir un biais de sélection possible (notamment par l’impossibilité de participer en cas de surdité ou déficit cognitif avancé, ou encore la liberté des patients sélectionnés de ne pas répondre), et l’absence de diagnostic étiologique de la démence (impossible avec le T-MoCA), ce qui limite la compréhension pathogénique des associations observées dans cette étude. 
Cette approche transversale du GPN, pour l’instant unique en son genre, nous semble d’un intérêt majeur : elle permet de faire une distinction nette, et assez intuitive - dans le domaine de l’association démence-glaucome - entre GPN et GPE, et ouvre des perspectives de recherches multi-disciplinaires sur les mécanismes en jeu, et donc à terme les traitements. 

 

1) Xu XH, Zou JY, Geng W, Wang AY. Association between glaucoma and the risk of Alzheimer's disease: A systematic review of observational studies. Acta Ophthalmol. 2019 Nov;97(7):665-671.

 

Mullany S, Xiao L, Qassim A, Marshall H, Gharahkhani P, MacGregor S, Hassall MM, Siggs OM, Souzeau E, Craig JE. Normal-tension glaucoma is associated with cognitive impairment. Br J Ophthalmol. 2022 Jul;106(7):952-956.

 

Reviewer : Antoine Rousseau, thématique : glaucome.