Inflammation et vascularite rétinienne après IVT de brolucizumab : à quoi doit-on s’attendre ?

L’autorisation de mise sur le marché (AMM) par l’Agence Européenne du Médicament (EMA) du brolucizumab est l’un des évènements les plus marquants de l’année 2020 en rétine médicale. Comme souvent, cette AMM survient avec quelques mois de retard sur celle de la Food and Drug Administration (FDA) américaine. En effet, le médicament a été approuvé (et donc utilisé), depuis octobre 2019 aux USA (où l’approbation et la commercialisation des médicaments sont quasi simultanées).  
Lors des 2 grandes études de phase 3 (HAWK et HARRIER), comparant cette molécule à l’aflibercept chez des patients atteints de DMLA exsudative et naïfs de tout traitement, 32 des 730 patients traités par brolucizumab (4,4%) avaient présenté des réactions inflammatoires intraoculaires. Parmi ces derniers, 6 (0,8%) avaient développé des occlusions artérielles rétiniennes associées à une inflammation intraoculaire avec, dans 4 cas, une baisse de vision supérieure à 15 lignes ETDRS. Cet effet indésirable sévère avait logiquement fait l’objet d’une attention particulière dans les rapports de la FDA et de l’EMA, d’autant plus qu’il n’avait pas été rapporté avec d’autres anti-VEGF.
Dès le mois de février 2020, la Société Américaine des Spécialistes de la Rétine (American Society of Retinal Specialists, ASRS) avait tiré la sonnette d’alarme en rapportant 14 cas de vascularite rétinienne survenues chez des patients traités par brolucizumab (secondairement élargie élargis à 26 cas en avril, assortis d’un appel à contribution auprès de tous ses membres, et d’une publication récente1). D’autres cas cliniques isolés ont par ailleurs été publiés au cours des derniers mois par nos collègues américains2,3,4. En juin dernier, ces informations ont conduit la FDA à modifier les résumés des caractéristiques du produit du médicament, pour qu’elles mentionnent spécifiquement le risque de vascularite et d’occlusion vasculaire rétinienne.
L’article de Baumal et al., soumis au mois de mars, mais tout juste publié dans Ophthalmology, donne une description très détaillée d’une série rétrospective de 15 yeux de 12 patients ayant développé des vascularites, après introduction du brolucizumab suite à une longue histoire d’IVT avec d’autres anti-VEGF pour une DMLA exsudative. Les cas provenaient de 10 centres spécialisés disséminés sur le territoire américain (académiques et libéraux).
Sur les yeux atteints, le nombre d’IVT d’anti VEGF ayant précédé l’introduction du brolucizumab variait de 2 à 80. Les vascularites survenaient le plus souvent après la première IVT et dans cette étude, au plus tard après 3 IVT de brolucizumab. Les cas bilatéraux étaient simultanés, à quelques jours près. La vascularite survenait en moyenne 35 jours après l’IVT de brolucizumab sur les 10 yeux atteints après une seule injection, et 20 jours après la dernière IVT sur les 5 yeux ayant reçu plus d’une IVT (cette tendance à un raccourcissement du délai n’était pas statistiquement significative).
Tous les patients atteints étaient symptomatiques (myodésopsies dans 8 cas, baisse de vision dans 7, scotome dans 4, douleur oculaire dans 2) et avaient consulté en urgence pour ces symptômes, sans attendre la visite de contrôle prévue. L’acuité visuelle moyenne avant l’évènement indésirable était d’environ 4/10 mais n’était plus que de   ≈ 1/10 au moment de la constatation de la vascularite (de VBLM à 8/10).
Les yeux atteints présentaient des tableaux assez variables avec en commun la présence constante d’une hyalite, souvent majeure et fréquemment associée à une réaction inflammatoire en chambre antérieure (11 yeux).
La sévérité de l’atteinte vasculaire rétinienne était très variable mais relativement symétrique chez les patients atteints de façon bilatérale. Les patients les plus sévèrement atteints (N=6) présentaient des occlusions artérielles proximales responsables de baisse de vision profonde (<1/10) sans amélioration significative au cours du suivi (d’une durée de 25 jours en moyenne, variant de 7 à 51 jours). Chez 5 patients de sévérité moindre, les occlusions artérielles survenaient à distance de la fovéa, avec des acuités comprises entre 4 et 8/10. Sur 3 yeux de 3 patients, ces atteintes artérielles occlusives étaient associées à des plaques artérielles de Kyrieleis.
Les zones de vascularites artérielles et veineuses présentaient des diffusions pariétales parfois subtiles en angiographie à la fluorescéine, possiblement en raison de l’effet de l’anti-VEGF sur la perméabilité vasculaire.
Le dernier patient présentait un tableau plus modéré ne comportant que des périphlébites non occlusives sans diffusion en angiographie à la fluorescéine et sans baisse de vision significative.
Des bilans d’uvéite exhaustifs ont été réalisés chez 5 patients (tous négatifs). Le patient avec le tableau de périphlébite était atteint d’une sclérose en plaque, mais les lésions étaient apparues en cours de traitement (l’imputabilité du brolucizumab, dans ce cas très différents des autres, semblait néanmoins moins probable).

Dans tous les cas, le brolucizumab a été arrêté, avec mise en route de traitements corticoïdes selon des modalités hétérogènes (collyre, injection sous-ténonienne, per os, injection intraveineuse). Une vitrectomie à visée diagnostique et optique était réalisée sur 3 yeux de 2 patients (avec des résultats microbiologiques tous négatifs, et aucune amélioration visuelle).  Une résolution de l’inflammation a été obtenue dans tous les cas, mais comme souligné ci-dessus, sans aucune amélioration visuelle dans les cas sévères associés à des occlusions artérielles proximales (certes, avec un suivi limité dans le temps).
Les hypothèses physiopathologiques de cet effet indésirable sévère sont abordées dans la discussion de l’article :
Le délai (2 à 8 semaines après la dernière IVT) est en faveur d’une réaction immuno-allergique (devant un tableau de panuvéite post-IVT, ce délai diminue aussi la probabilité du diagnostic d’endophtalmie aigüe par contamination bactérienne ou persistance d’un agent directement toxique). Le brolucizumab est un fragment d’anticorps monoclonal humanisé dépourvu de région constante, et qui ne peut théoriquement pas activer le complément ou déclencher des réactions de cytotoxicité médiées par les anticorps. En revanche, il peut déclencher la synthèse d’auto-anticorps dont la détection dans le sérum semblait associée à la survenue de réactions inflammatoires dans les études HAWK et HARRIER. Ces auto-anticorps pourraient former localement des complexes immuns et provoquer une vascularite par hypersensibilité retardée, telle que décrite dans les cas de vascularites rétiniennes après injection intracamérulaire de vancomycine.
Une autre hypothèse évoquée est la présence d’impuretés liées au processus de fabrication, comme pour l’abicipar pegol, dont l’amélioration des processus de fabrication semble permettre une diminution du taux de réaction inflammatoire post-IVT. Cependant, le délai de 3 semaines suggère un mécanisme autre qu’une simple toxicité.
En outre, l’action anti-VEGF puissante du brolucizumab, sur des yeux déjà traités depuis longtemps, pourrait avoir un impact sur le flux vasculaire, jusque-là sous-estimé dans les études n’ayant inclus que des yeux naïfs de traitement. Enfin, des facteurs intrinsèques au patient (athérosclérose, profil HLA…) pourraient jouer le rôle de co-facteurs, qui restent à étudier dans de plus grandes séries.   
En pratique, ces différents éléments soulignent la nécessité d’un examen de contrôle avant chaque nouvelle injection de broculizumab1 (contrairement aux protocoles que ce nouveau médicament laissait espérer), d’autant plus que dans cette série, certains patients ont d’abord consulté pour des signes liés à une uvéite antérieure apparemment isolée, mais ont développé ensuite une vascularite, malgré un traitement corticoïdes topique déjà initié. En outre, si l’origine immuno-allergique est confirmée, l’amplitude et/ou la fréquence des vascularites pourrait augmenter en cas de réexposition, et même poser, dans l’hypothèse la plus pessimiste, la question d’une sensibilisation croisée avec les autres anti-VEGF, qui pourrait placer les patients atteints de DMLA exsudative en situation d’impasse thérapeutique…
Ces effets indésirables, pris très au sérieux par la communauté ophtalmologique, les sociétés savantes, les autorités sanitaires, et le laboratoire pharmaceutique commercialisant le brolucizumab, font l’objet d’une surveillance très renforcée qui permettra, espérons-le, de mieux en définir l’origine, d’en prédire la survenue et d’en diminuer l’incidence… Et aussi d’éviter, comme le suggéraient Rosenfeld et Browning dans un éditorial récent5, un épisode comparable à celui du Boeing 737 Max …

1) Witkin AJ, Hahn P, Murray TG, Arevalo JF, Blinder KJ, Choudhry N, Emerson GG, Goldberg RA, Kim SJ, Pearlman J, Schneider EW, Tabandeh H, Wong RW. Occlusive Retinal Vasculitis Following Intravitreal Brolucizumab. J Vitreoretin Dis. 2020 Jul;4(4):269-279.
2) Haug SJ, Hien DL, Uludag G, et al. Retinal arterial vasculitis following intravitreal brolucizumab administration. AJO Case Reports. 2020; Mar 31;18:100680.
3) Jain A, Chea S, Matsumiya W, et al. Severe vision loss secondary to retinal arteriolar occlusions after multiple intravitreal brolucizumab administrations. AJO Case Reports. 2020;18:100687.
4) Kondapalli SSA. Retinal Vasculitis After Administration of Brolucizumab Resulting in Severe Loss of Visual Acuity. JAMA Ophthalmol. 2020 Aug 6. doi: 10.1001/jamaophthalmol.
5) Rosenfeld PJ, Browning DJ. Is This a 737 Max Moment for Brolucizumab? Am J Ophthalmol. 2020 Aug;216:A7-A8. doi: 10.1016/j.ajo.2020.05.012.

Baumal CR, Spaide RF, Vajzovic L, Freund KB, Walter SD, John V, Rich R, Chaudhry N, Lakhanpal RR, Oellers PR, Leveque TK, Rutledge BK, Chittum M, Bacci T, Enriquez AB, Sund NJ, Subong ENP, Albini TA. Retinal vasculitis and intraocular inflammation after intravitreal injection of brolucizumab. Ophthalmology. 2020 Oct;127(10):1345-1359

Reviewer : Antoine Rousseau, thématique : rétine / inflammation