La DSEK 10 ans plus tard

Revue de la presse de mars 2022

Auteurs : Jean-Rémi Fénolland, Antoine Rousseau
Coordination : Marc Labetoulle

Revues sélectionnées :
Ophthalmology, JAMA Ophthalmology, IOVS, Progress in Retinal and Eye Research, Current Opinion in Ophthalmology, Survey of Ophthalmology, Journal of Cataract and Refractive Surgery, American Journal of Ophthalmology, British Journal of Ophthalmology, Retina, Cornea, Nature, Lancet, NEJM, Science.

 

La DSEK 10 ans plus tard

La prise en charge des dysfonctionnements de l’endothélium cornéen a été considérablement améliorée par le développement des greffes endothéliales (ou kératoplastie lamellaires endothéliales) qui permettent une restauration visuelle rapide tout en limitant drastiquement les risques de rejet. La préparation du greffon et son injection en chambre antérieure sont néanmoins des temps qui engendrent une baisse de la densité endothéliale importante dans les mois qui suivent la greffe. Aussi l’article de Fu et Hollick apporte de nouvelles données avec un suivi long chez des patients greffés en DSEK, c’est-à-dire un greffon lamellaire postérieur comprenant à la fois l’endothélio-Descemet et une couche de stroma postérieur cornéen disséqué manuellement selon la technique décrite par Melles. Ces greffons sont maintenant moins utilisés en Europe que les greffons endothélio-descemetiques purs de la DMEK, cependant ils ont l’avantage de pouvoir être utilisés chez des patients complexes, notamment en cas de tube de drainage de l’humeur aqueuse en chambre antérieure ou de synéchies étendues, ou encore d’aphakie.

La bonne nouvelle de cette étude est que le taux de survie global de ce type de greffon lamellaire est de 79% à 10 ans.

Bien qu’il s’agisse d’une étude rétrospective et unicentrique, un total de 366 DSEK consécutives (de 263 patients opérés par 10 chirurgiens) ont été incluses dans l’analyse sur une période allant de janvier 2006 à mars 2021. Au total, 5 yeux de 4 patients ont été perdus de vue, 32 patients sont retournés dans un autre centre (40 yeux), 56 patients sont décédés (76 yeux) et 39 patients ont présenté un rejet (50 yeux). Au total, sur les 132 patients qui ont pu être suivis (185 yeux), seuls 41 l’ont été pendant au moins 10 ans (54 yeux).

L’âge moyen des donneurs était de 72±11 ans (de 35 à 95 ans) avec une densité endothéliale moyenne de 2580±180 cellules/mm2. Le suivi moyen de la greffe était de 4,9 ans (allant de 6 mois à 13,6 ans). L’acuité visuelle moyenne au moment de la greffe était de 1/10ème et 53% des yeux greffés avaient un faible pronostic visuel en raison de pathologies complexes notamment glaucomateuses. Sur les 54 yeux qui ont atteint 10 ans de suivi, 91% ont dépassé les 5/10 d’acuité visuelle. Dans cette cohorte, 50 yeux de 39 patients ont présenté un rejet définitif du greffon, parmi lesquels 30 yeux ont reçu une seconde greffe (en DSEK ou DMEK), les autres yeux n’ont pas été repris, en raison d’une phtyse (n=2 yeux), d’un refus de subir une nouvelle intervention (n=6 patients), d’un décès avant la nouvelle intervention (n=6 patients), ou parce que les patients étaient perdus de vue.

Les taux de survie cumulée des greffons à 1, 3, 5 et 10 ans étaient respectivement de 97%, 90%, 85% et 79% avec un comptage endothélial à respectivement 1378, 1168, 1054 et 692 cellules/mm2, soit une perte en cellule endothéliale moyenne de 73% à 10ans. Aux mêmes dates de recul, l pachymétrie moyenne était respectivement à 1, 3, 5 et 10 ans de 660±85 µm, 667±100 µm, 673±95 µm et 677±92 µm. Cette relative stabilité pachymétrique malgré la baisse endothéliale peut surprendre mais laisse supposer que les greffes endothéliales se comporteraient comme les kératoplasties transfixiantes pour lesquelles les décompensations de la pachymétrie ne s’observent que vers le seuil de 500 cellules/mm2 soit plus tardivement que sur une cornée non greffée1.


Pour les yeux greffés en raison d’une dystrophie de Fuchs, les résultats étaient meilleurs que pour les autres indications avec une survie déclinant de 100% (1 an) à 92% (10 ans) contre, par exemple, une survie de 87% seulement dès 1 an de suivi pour les yeux opérés de glaucome avec présence d’un tube en chambre antérieure avant la greffe, et même 35% à 10 ans. Logiquement, les yeux qui ont présenté un épisode de rejet résolu médicalement pendant le suivi (n=70) avaient un pronostic engagé (survie de 49% à 10 ans).

 

Voici donc une étude anglaise avec un suivi relativement long de DSEK, 10 ans, mais avec cependant relativement peu de patients ayant atteint cette échéance, contrairement à ce qu’annonce le titre de l’article. Malgré tout, il s’agit d’une des premières publications à rapporter le pronostic à long terme des DSEK, y compris sur les yeux pour lesquels le pronostic est le plus engagé. Les informations pratiques à en tirer sont donc d’importance, notamment pour donner une information plus éclairée aux candidats à ce type de chirurgie.

 

 

Fu L, Hollick EJ. Long-term outcomes of Descemet Stripping Endothelial Keratoplasty: Ten-year graft survival and endothelial cell loss. Am J Ophthalmol. 2022 Feb;234:215-222.

1 Kus MM, Seitz B, Langenbucher A, Naumann GO. Endothelium and pachymetry of clear corneal grafts 15 to 33 years after penetrating keratoplasty. Am J Ophthalmol. 1999;127(5):600–602.

 

Reviewer : Jean-Rémi Fénolland thématique : cornée