La méditation améliore aussi la pression intraoculaire !

Revue de la presse Juillet - Août 2022

Auteurs : Jean-Rémi Fénolland, Antoine Rousseau
Coordination : Marc Labetoulle

Revues sélectionnées :
Ophthalmology, JAMA Ophthalmology, IOVS, Progress in Retinal and Eye Research, Current Opinion in Ophthalmology, Survey of Ophthalmology, Journal of Cataract and Refractive Surgery, American Journal of Ophthalmology, British Journal of Ophthalmology, Retina, Cornea, Nature, Lancet, NEJM, Science.


La méditation améliore aussi la pression intraoculaire !

La pression intraoculaire (PIO) est aujourd’hui le seul facteur de risque de développement et de progression du glaucome sur lequel nous puissions intervenir. Pourtant de nombreux autres mécanismes (neurodégénératifs, vasculaires, mécaniques, mitochondriaux…) sont impliqués dans le processus glaucomateux, dont certains sont influencés par les conséquences biologiques du stress

Une pratique régulière de la méditation (une discipline du yoga, qui a ses origines en Inde où il est très largement pratiqué) a de nombreux effets bénéfiques, en particulier sur le stress, et de façon plus surprenante, est également capable de réduire la PIO chez des sujets sains.1 Cette diminution serait l’effet combiné d’une augmentation de l’efflux trabéculaire liée à une augmentation de l’oxyde nitrique (NO) circulant, d’une diminution du cortisol plasmatique, et de l’activation du système parasympathique.1

Dans l’étude qui nous intéresse, le Pr Dada et son équipe du Dr Rajendra Prasad Centre for Ophthalmic Sciences de New Delhi ont voulu évaluer le bénéfice potentiel de la méditation sur la PIO et d’autres paramètres sur des patients atteints d’hypertonie oculaire.
Les patients inclus avaient une PIO non traitée comprise entre 21 et 30mmHg, sans neuropathie optique glaucomateuse, un angle ouvert, une acuité visuelle > 5/10, pas de comorbidités oculaires ou systémiques ni prise médicamenteuse, et n’avaient jamais reçu de traitement de l’HTO, quels qu’ils soient. Dans le groupe traitement (N=60), les patients suivaient une heure quotidienne de cours de méditation pendant 2 semaines (principalement basée sur le rythme et la prise de conscience de la respiration, avec des expirations plus lentes que les inspirations, et des pauses entre chaque phase respiratoire). Après ces 2 semaines, ils devaient effectuer ces séances de façon autonome pendant 4 semaines, avec un appel téléphonique hebdomadaire pour s’assurer de la bonne réalisation des séances. Une courbe de PIO diurne était effectuée en début et en fin d’étude, de même que des mesures de la densité vasculaire et de la perfusion du disque optique en OCT-angiographie, une cortisolémie plasmatique, et une évaluation de la qualité de vie avec un questionnaire (WHOQOL-BREF) Les patients randomisés dans le groupe contrôle (N=60) bénéficiaient des mêmes évaluations à 6 semaines d’intervalle, mais sans les séances de méditation. Les évaluateurs ignoraient le groupe auquel appartenaient les patients.

Concernant la PIO et les mesures en OCT-A, l’analyse portait sur l’œil avec la PIO de base la plus élevée, ou l’œil droit, si les PIO étaient identiques.
A 6 semaines, une baisse significative de la PIO était observée dans le groupe méditation (passant de 23,1 à 19,2 mmHg en moyenne, soit une réduction de -3,9 ± 1,5 mmHg ; P = 0001, ou encore 17% de la PIO initiale), mais aucune modification significative n’était observée dans le groupe contrôle (passage de 22,5 à 22,4 mmHg ; soit 0,2 ± 0,6mmHg, P = 0,107). La comparaison des réductions de PIO pendant l’étude était donc largement en faveur de la méditation (P = 0,001). On observait même dans ce groupe une réduction de plus de 20% de la PIO initiale chez 7 des 60 patients (12%). En outre, la fluctuation diurne de PIO (écart entre la plus haute et la plus basse PIO de la journée), qui est un des facteurs de risque pour l’évolution vers un GAO devant une simple HTO, diminuait dans le groupe méditation (de 4,9 ± 1,1mmHg à 2,7 ± 0,9mmHg ; P = 0,001), mais pas dans le groupe contrôle. Enfin, la qualité de vie était globalement améliorée dans le groupe méditation, mais pas dans le groupe contrôle.

L’OCT-A a permis d’objectiver une amélioration significative de la densité vasculaire et de la perfusion du disque optique après la « cure » de méditation. Les variations des paramètres de l’OCT-A étaient modérément corrélées à la diminution de la PIO (selon les paramètres, coefficient de Pearson compris entre 0,4 et 0,6, P=0,001).
Enfin, la cortisolémie plasmatique diminuait significativement dans le groupe méditation mais pas chez les patients contrôles (de 12,2 ± 3,1 à 9,7 ± 2,9ng/ml ; P = 0,001). Une corrélation statistiquement significative était d’ailleurs retrouvée entre les variations de PIO et de cortisolémie (Pearson 0,73 ; P = 0,001), et aussi entre cette dernière et la variation diurne de la PIO, même si le coefficient de corrélation était un peu moins impressionnant (Pearson 0,56; P = 0,001). La variation de cortisolémie était aussi corrélée à l’amélioration des scores des scores de qualité de vie (Pearson 0,62 ; P = 0,001).

Ces résultats très impressionnants par leur cohérence, publiés dans l’une des plus grandes revues américaines, ouvrent de nouvelles perspectives passionnantes pour une prise en charge non-médicamenteuses des hypertonies oculaires sans neuropathie optique glaucomateuse, dont on sait qu’elles sont souvent sur-traitées, avec tout ce que cela implique en termes de stress et d’effets indésirables locaux à long terme, y compris une moins bonne réponse aux médicaments et chirurgies anti-glaucomateuses quand elles deviennent réellement indispensables. Cette approche thérapeutique pourrait recevoir un accueil très favorable dans les sociétés occidentales où la recherche de thérapeutiques alternatives est en pleine explosion. Les auteurs suggèrent, malheureusement sans pouvoir le démontrer, que les résultats d’OCT-A pourraient être en partie expliqués par une augmentation de synthèse d’oxyde nitrique, même si la baisse de PIO peut également expliquer une amélioration de la vascularisation de la tête du NO, de même que la baisse de la cortisolémie peut aussi expliquer la réduction du statut pro-inflammatoire global, statut dont on sait qu’il interagit avec les capacités de filtration trabéculaire.

Bien sûr, l’effet placebo peut expliquer une partie des résultats, sachant que les patients ne peuvent ignorer l’intervention thérapeutique, mais cela ouvre la question de l’analogie entre les conséquences biologiques de l’effet placebo (déjà démontré dans d’autres domaines, notamment cardiovasculaires) et celles induites par la relaxation, les deux ayant en commun de réduire le stress et ses conséquences tissulaires, tous organes confondus. On imagine déjà la prochaine étape : démontrer une amélioration fonctionnelle et/ou structurelle du nerf optique, ou même prouver l’effet préventif sur l’apparition d’un GAO, mais cet objectif nécessitera des études bien plus longues et bien plus coûteuses pour lesquelles les financements ne seront pas forcément simples à trouver, sinon par les autorités de santé si elles mesurent à leur juste valeur les économies de soins que cela pourrait représenter…

 

(1)Dada T, Gagrani M. Mindfulness meditation: can benefit glaucoma patients? J Curr Glaucoma Pract. 2019;13(1):1–2.

 

Dada T, Mondal S, Midha N, Mahalingam K, Sihota R, Gupta S, Angmo D, Yadav RK. Effect of mindfulness-based stress reduction on intraocular pressure in patients with ocular hypertension: a randomized control trial. Am J Ophthalmol. 2022 Jul;239:66-73.

 

Reviewer : Antoine Rousseau, thématique : glaucome