La revanche des inhibiteurs de complément dans l’atrophie géographique ?

Revue de la presse d'avril 2021

Auteurs : Jean-Rémi Fénolland, Antoine Rousseau
Coordination : Marc Labetoulle

Revues sélectionnées :
Ophthalmology, JAMA Ophthalmology, IOVS, Progress in Retinal and Eye Research, Current Opinion in Ophthalmology, Survey of Ophthalmology, Journal of Cataract and Refractive Surgery, American Journal of Ophthalmology, British Journal of Ophthalmology, Retina, Cornea, Nature, Lancet, NEJM, Science.


La revanche des inhibiteurs de complément dans l’atrophie géographique ?

Contrairement à la forme néovasculaire, la DMLA atrophique attend encore sa révolution thérapeutique. Et pourtant sa fréquence ne cesse d’augmenter, non seulement en raison du vieillissement de la population, mais aussi parce qu’elle constitue la forme évolutive finale des formes DMLA néovasculaires, mêmes traitées par anti-VEGF.

L’inhibition de la voie du complément nourrit beaucoup d’espoir pour le traitement de cette pathologie, où son rôle a d’abord été suspecté grâce aux analyses de liaisons génétiques, et aussi en raison de sa place physiologique : outre son rôle dans l’immunité innée, la voie du complément a un rôle essentiel dans l’homéostasie et la réparation tissulaire.

Nous avions évoqué dans ces colonnes une étude sur le pegcetacoplan, un inhibiteur de C3,1,2 efficace pour réduire la progression de l’atrophie, mais malheureusement associé à un sur-risque élevé de développement de néovaisseaux choroïdiens. Pour résumer, les auteurs formulaient l’hypothèse que si l’inhibition de C3 pouvait diminuer l’attaque des photorécepteurs et de l’épithélium pigmenté par l’immunité innée, elle pourrait aussi libérer la chorio-capillaire de contraintes similaires, permettant la croissance néovasculaire.

Ce mois-ci, ce sont les résultats de l’évaluation en phase 2-3 de l’avacincaptad, un inhibiteur du C5, qui sont publiés dans Ophthalmology. Reprenons d’abord rapidement le who’s who du complément pour re-situer le C5 et le C3 du complément. Le C5 se situe en aval du C3 dans la voie du complément. Trois voies d’activation  (dépendante des anticorps, indépendante des anticorps et lectines), aboutissent à la formation d’une C3 convertase, clivant C3, qui active ensuite la C5 convertase, clivant à son tour C5 en C5a et C5b, les 2 effecteurs finaux de la cascade, puisqu’ils induisent la mort des cellules cibles, directement ou via le complexe d’attaque membranaire, constitué du fragment C5b associé à C6, C7, C8 et un polymère de C9, qui forme des pores dans les membranes des cellules cibles.

L’avacincaptad (un nom tout aussi exotique que le pegcetacoplan), est un aptamer d’ARN pégylé. Pour rappel, les aptamers sont des petits oligonucléotides ou peptides qui se fixent spécifiquement à une cible et en inhibent ainsi l’activité. La pégylation permet d’en augmenter la demi-vie.

L’étude rapporté par Jaffe et al. a tout pour plaire : multicentrique, randomisé, en double insu et composé de 2 phases composant ensemble un essai de phase 2/3 combiné:  

- Dans la première phase exploratoire, les patients étaient randomisés en 3 groupes équivalents qui recevaient un traitement mensuel pendant 12 mois : un groupe sham (simulacre d’injection), un groupe avacincaptad 1mg (dans 100µl) et un groupe avacincaptad 2mg (dans 100µl). Cette première phase, dont les résultats ne sont pas du tout détaillés dans la publication, retrouvait une efficacité significative de l’avacincaptad 2mg tandis qu’il n’y avait pas d’effet du médicament dosé à 1mg.

- La seconde phase, sur 12 mois également, comparait à nouveaux 3 groupes : contrôle, avacincaptad 2mg, et avacincaptad 4mg. A noter que la dose de 4mg nécessitait 2 injections de 100µl en raison de la viscosité du produit (un volume d’injection qui pose clairement problème en cas de glaucome et/ou d’HTO pré-existante). De ce fait, pour préserver l’insu, tous les patients et contrôles avaient en tout 2 « injections » : 2 injections réelles dans le groupe 4mg, une réelle et une simulée dans les autres groupes.  

Les principaux critères d’inclusion (1 œil inclus par patient) étaient :

- un âge supérieur à 50 ans et une acuité visuelle comprise entre 1/20 et 8/10,

- une atrophie maculaire non centrée sur la fovéa, mais située dans les 1500µm centraux,

- une surface d’atrophie comprise entre 1 et 7 diamètre papillaire (entre 2,5 et 17mm2),

- pour les yeux atteints de formes multifocales, au moins une des lésions devait avoir une surface supérieure à 0,5 diamètre papillaire.

Les antécédents de traitements intra-vitréens (quelques soient leur indication ou leur nature) ou l’existence d’une atrophie maculaire d’une autre origine que l’atrophie géographique étaient les principaux critères de non-inclusion.

Le critère de jugement principal était un critère morphologique : la diminution de la progression de la surface d’atrophie, évaluée sur les clichés en auto-fluorescence, analysés dans un centre de lecture indépendant.

Comme dans l’étude sur le pegcetacoplan, aucun critère fonctionnel n’était évalué dans cette étude. Au total, en rassemblant les 2 études, 67 patients avaient été inclus dans le groupe 2mg, 83 dans le groupe 4mg et 110 dans le groupe contrôle.

A un an, les 2 groupes traités (2mg et 4mg) présentaient une progression de la surface d’atrophie significativement réduite par rapport au groupe contrôle, dans des proportions de de 27,4 et 27,8%, respectivement (analyse en intention de traiter). Le nombre de patients sortis de l’étude était de 14/110 (13%) dans le groupe contrôle, 13/67 (19%) dans le groupe 2mg, et 25/83 (30%) dans le groupe 4mg. Il n’y avait aucune endophtalmie ni inflammation et la proportion de transformation néovasculaire était similaire dans les yeux traités, les yeux controlatéraux des yeux traités, et les contrôles (3 à 5 %).

Ces résultats anatomiques prometteurs amènent toutefois plusieurs questions :

1) Les autorités de santé seront-elles prêtes à valider l’efficacité d’un traitement uniquement sur des critères morphologiques et non fonctionnels ?

2) Ces médicaments seront-ils efficaces sur l’atrophie secondaire aux DMLA néovasculaire ?

3) Dans l’hypothèse où l’on reste sur la posologie à 2mg, et où l’on combinerait l’avacincaptad aux anti-VEGF pour prévenir ou traiter l’atrophie, les patients accepteront ils 2 injections intravitréennes ? Sur ce dernier point, la proportion de patients ayant arrêté l’étude dans le groupe 4mg semble donner un premier élément de réponse. En effet, si la simulation reproduit la préparation de l’injection, elle ne reproduit pas la douleur au moment de la piqûre et éventuellement post-opératoire qui ont pu contribuer les patients à quitter l’étude.

Dans tous les cas, on ne peut que souhaiter aux inhibiteurs de complément, qui illustrent parfaitement la puissance des analyses de liaison génétique, de poursuivre leur voie pour enfin apporter une solution à la DMLA atrophique.

1) Liao DS, Grossi FV, El Mehdi D, et al. Complement C3 inhibitor pegcetacoplan for geographic atrophy secondary to age-related macular degeneration. Ophthalmology. 2020;127:186e195.

2) Revue de presse SSFO online de février 2020.

Jaffe GJ, Westby K, Csaky KG, Monés J, Pearlman JA, Patel SS, Joondeph BC, Randolph J, Masonson H, Rezaei KA. C5 inhibitor avacincaptad pegol for geographic atrophy due to age-related macular degeneration: a randomized pivotal phase 2/3 trial. Ophthalmology. 2021 Apr;128(4):576-586.

 

Reviewer : Antoine Rousseau, thématique : rétine