Le facteur de croissance neuronale : « LARME ABSOLUE » dans l’œil sec ?

On l’aura compris à la lecture des résultats précédemment rapportés en ce qui concerne l’efficacité du rhNGF dans les kératites neurotrophiques, toute pathologie générant un déficit neuronal est susceptible d’être traitée par ce type de médicament, et c’est bien entendu le cas de la sécheresse oculaire pathologique (DED pour Dry Eye Disease, selon l’acronyme désormais consacré). On sait en effet qu’une des conséquences majeures avec le temps du DED est l’altération du réseau neuronal intracornéen, générant une perte de sensibilité, donc une diminution du reflexe lacrymal, ce qui aggrave la sécheresse. De nombreux ophtalmologistes attendaient donc avec impatience une première évaluation des effets du rhNGF dans le syndrome sec.  C’est désormais chose faite grâce à une partie de l’équipe italienne ayant publié les premiers essais sur le NGF dans les années 2000.
Dans cette étude, italiano-allemande en l’occurrence, 40 patients consécutifs, atteints de DED modéré à sévère, ont été inclus dans un essai de phase IIa. En pratique, deux concentrations de rhNGF ont été proposées (20 μg/ml pour 20 patients, et 4 μg/ml pour 20 patients), sans bras contrôle et sans masquage des investigateurs, à raison de 2 instillations par jour pendant 4 semaines. Les patients étaient ensuite suivis pendant 4 semaines supplémentaires. Les 4 principaux critères de jugement étaient le niveau de plainte subjective (échelle SANDE et OSDI), les tests de coloration de la surface oculaire et de Schirmer I, et l’éventuelle survenue d’effets adverses. Trente-neuf patients ont terminé l’étude, sans effet adverse majeur, même si 29 patients ont présenté au moins un effet indésirable, jugé comme mineur dans tous les cas sauf un. Seuls 15% de ces effets indésirables, essentiellement oculaires, ont été considérés comme liés au traitement, mais on regrette forcément l’absence de bras contrôle qui aurait permis de mieux circonscrire la tolérance réelle du médicament (on sait la fréquence de l’effet nocebo, c’est-à-dire la survenue d’effet indésirable du fait même de prendre un traitement, contre-point de l’effet placebo).

Ces premiers résultats du rhNGF dans la maladie de la sécheresse oculaire sont assez impressionnants : amélioration significative et persistante après l’arrêt du traitement de la fréquence et de la sévérité des signes fonctionnels, de la coloration de la surface oculaire à la fluorescéine, et même du test de Schirmer I, plus quelle que soit la concentration testée. Ce dernier résultat est d’autant marquant que le réflexe lacrymal est probablement un des critères les moins sensibles aux divers traitements conventionnels de la sécheresse oculaire.
En outre, la concentration à 20 μg/ml permettait aussi de voir le temps de rupture des larmes (break-up-time) s’améliorer de façon significative et persistante, tandis que l’osmolarité des larmes (témoin indirect de l’inflammation) diminuait significativement.
Cerise sur le gâteau pour les investigateurs, même la sensibilité cornéenne à la pression (testée par l’esthésiomètre de Cochet-Bonnet) était significativement augmentée au terme du suivi dans les deux groupes, avec respectivement un passage de 5,6 cm de fil perçu à 5,88 cm, et de 5,43 à 5,93 cm. On peut toutefois remarquer que ces différences ne sont pas forcément cliniquement significatives, et en outre, l’absence de groupe contrôle et de masquage des investigateurs peut aussi avoir biaisé les résultats dans le sens d’une surévaluation des effets bénéfiques.
Il eut très clairement été idéal de coupler cette étude pilote à une analyse en microscopie confocale du réseau neuronal intracornéen, car on sait que sa restauration est observable dans l’œil sec correctement traité, comme cela a été démontré avec la cyclosporine topique.
Faire la preuve de l’amélioration clinique, mais aussi pathogénique, permet en général d’assoir définitivement les opinions concernant l’efficacité réelle d’un nouveau traitement, surtout lorsqu’il s’agit d’un médicament couteux comme c’est le car pour le collyre au rhNGF. De nouvelles études vont forcément venir nourrir la discussion sur le rapport coût/efficacité de ce nouveau traitement, mais ces résultats permettent déjà de confirmer que la maladie de l’œil sec peut être considérée comme une réelle neuropathie périphérique, primitive ou secondaire, et que tout traitement visant à protéger les nerfs est potentiellement efficace.

Sacchetti M, Lambiase A, Schmidl D, Schmetterer L, Ferrari M, Mantelli F, Allegretti M, Garhoefer G:  Effect of recombinant human nerve growth factor eye drops in patients with dry eye: a phase IIa, open label, multiple-dose study. Br J Ophthalmol 2020;104:127–135.

 

Reviewer : Marc Labetoulle