L’effrayante corrélation entre la malvoyance et l’accès aux ophtalmologistes…

Revue de la presse de juin 2022

Auteurs : Jean-Rémi Fénolland, Antoine Rousseau
Coordination : Marc Labetoulle

Revues sélectionnées :
Ophthalmology, JAMA Ophthalmology, IOVS, Progress in Retinal and Eye Research, Current Opinion in Ophthalmology, Survey of Ophthalmology, Journal of Cataract and Refractive Surgery, American Journal of Ophthalmology, British Journal of Ophthalmology, Retina, Cornea, Nature, Lancet, NEJM, Science.


L’effrayante corrélation entre la malvoyance et l’accès aux ophtalmologistes…

Le numéro de juin de JAMA Ophthalmology nous livre un article qui incite à méditer sur l’association entre les distributions géographiques de la malvoyance et des professionnels de santé de la filière visuelle (ophtalmologistes et optométristes) en Californie (USA). La méthodologie repose sur le croisement des données :  
1) de l’Académie Américaine d’Ophtalmologie (à laquelle 92% des ophtalmologistes américains sont affiliés) et de l’annuaire des optométristes (Optometrist blue book),
2) du Service de Santé Publique de Californie, qui recense les spécialistes à l’échelle des comtés et des secteurs géographiques dénommés Medical Service Study Areas (MSSA), et
3) des résultats 2014 à 2018 d’un sondage institutionnel panaméricain (American Community Survey ou ACS) qui recueille un large panel de données démographiques et de santé sur un échantillon de 3 millions de personnes majeures chaque année.
Les données des 2 premières sources permettaient d’établir une carte précise de la répartition des ophtalmologistes et optométristes sur le territoire californien, à l’échelle des comtés et des MSSA.  
Les données de l’ACS, qui incluent le lieu de résidence, permettaient de localiser les répondeurs, et d’établir une prévalence de la malvoyance par MSSA, puisque l’ACS comportait un volet sur la vue. A cet égard, un participant  était considéré comme malvoyant s’il répondait qu’il était « aveugle » ou bien qu’il avait «de sérieuses difficultés pour voir, y compris avec une correction optique ». L’ACS recueille beaucoup d’autres données, médicales, mais également sur l’ethnie (au sens américain du terme), le niveau d’éducation et les revenus.
Cette étude recoupait les données de 58 comtés, comprenant 542 MSSA, soit pas moins de 30 millions de californiens âgés de plus de 18 ans. Parmi eux, 14% étaient classés comme « asiatiques », 5% « noirs », 39% « latino » et 38% « blancs », avec 50,7% de femmes en moyenne. Environ 10% n’avaient pas d’assurance sociale, 23% étaient considérés comme ayant de faibles revenus, 33% avaient un niveau d’éducation supérieur au lycée, et 87% vivaient en zone urbaine. Une fois ces caractéristiques socio-démographiques essentielles données, et qui ont permis d’ajuster les co-variables, voyons de plus près les réponses aux questions principales de l’étude :
Si 53% des MSSA comptaient des ophtalmologistes et des optométristes, 2% ne comptaient que des ophtalmologistes, 22% que des optométristes, et 23% étaient dépourvus des deux. Ces premiers résultats illustrent le fait que l’inhomogénéité de la répartition en offre de soins oculaires n’est pas une spécificité hexagonale…  
Après ajustement pour toutes les covariables, il existait bel et bien une corrélation inverse entre la prévalence de la malvoyance et la densité de professionnels de santé de la filière visuelle. Le modèle statistique prévoyait une diminution de la prévalence de la malvoyance de 4/100 000 pour chaque professionnel (ophtalmologiste ou optométriste) supplémentaire. Sachant qu’il n’y avait que très peu de MSSA ne comptant que des ophtalmologistes, une comparaison des prévalences de malvoyance dans les MSSA avec uniquement des ophtalmologistes ou à l’inverse des optométristes n’a pas pu être réalisée.
Les autres facteurs significativement associés à une augmentation de la prévalence de la malvoyance étaient l’âge, le sexe masculin et un faible revenu. A noter que l’absence de couverture sociale étant fortement corrélée au fait d’avoir un revenu faible, seul ce dernier élément était pris en compte pour ajuster le modèle de relation entre densité de professionnels et malvoyance. On note toutefois que le groupe ethnique « Latino » et un niveau d’éducation élevé étaient associés à une moindre prévalence de la malvoyance.
Bien sûr, le système de santé américain est bien différent du nôtre à maints égards. Mais ces conclusions, apparemment évidentes, portent en elles la démonstration d’éléments universels qui font cruellement écho à la situation française, et nous rappellent à quel point il est urgent d’améliorer l’homogénéité de l’accès aux soins visuels sur l’ensemble du territoire national.

 

Wang KM, Tseng VL, Liu X, Pan D, Yu F, Baker R, Mondino BJ, Coleman AL. Association between geographic distribution of eye care clinicians and visual impairment in California. JAMA Ophthalmol. 2022 Jun 1;140(6):577-584.

Reviewer : Antoine Rousseau, thématique : épidémiologie