L’intelligence artificielle pour prédire l’évolution de la DMLA

La description et la compréhension des éléments prédictifs de l’évolution des lésions de maculopathie liée à l’âge (MLA) vers la DMLA (atrophique ou néovasculaire) constituent des enjeux de santé majeur. En effet, dans notre population vieillissante, ils permettraient d’optimiser le suivi et de diminuer les risques d’évolution vers des formes avancées, responsables de baisse visuelle et de perte d’autonomie.
C’était déjà l’objectif de la classification de l’AREDS (Age-Related Eye Disease Study), reposant sur 9 stades photographiques, prenant en compte les drusens et altérations de l’épithélium pigmenté (AEP). Ces stades étaient associés à un risque d’évolution vers la DMLA augmentant progressivement de 1 à 50%.1
Waldstein et al. nous proposent dans le numéro de juillet de JAMA Ophthalmology une démarche plus actuelle utilisant des paramètres OCT avec analyse automatisée des images reposant sur l’intelligence artificielle (IA).
Les auteurs avaient pour objectifs de caractériser des profils combinant distribution spatiale / volume et évolution dans le temps des drusens et des foci hyper-réflectifs (FH, qui représentent la traduction OCT des AEP), associés à la conversion des MLA en DMLA atrophique (DMLAa) ou néovasculaire (DMLAn). Pour se faire, ils ont recueilli les données d’acquisitions volumétriques en OCT en domaine spectral des yeux adelphes des patients atteints de DMLAn unilatérale inclus dans l’étude HARBOR (comparant les injections mensuelles, versus pro renata, de ranibizumab dans la DMLAn, avec suivi mensuel sur 24 mois). Les scans des OCT des yeux inclus ont ensuite été tous re-alignés sur les repères vasculaires rétiniens pour  mieux les comparer, puis ont été intégrés dans un « atlas spatio-temporel », permettant l’étude de l’évolution dans le temps et l’espace des drusens et des FH.
A l’aide d’algorithmes d’IA validés préalablement, les auteurs ont segmenté de façon automatisée les drusens et les FH, permettant ainsi un calcul de leur volume total et de leur topographie, analysés dans plusieurs zones concentriques de la rétine, centrées par la fovéa (0 à 0,5mm, 0,5 à 1,5mm et 1,5 à 3mm). Les yeux étaient divisés en 3 catégories : i) évolution vers une DMLAa, ii) évolution vers une DMLAn, iii) absence d’évolution.
Au total, sur les 1097 patients inclus dans HARBOR, 518 étaient au stade MLA dans l’œil adelphe au moment de l’inclusion. Pendant la période d’étude, 135 ont développé une DMLAn, 50 une DMLAa et 333 sont restés au stade de MLA.

Dans un premier temps, les auteurs se sont basés uniquement sur les scans précédant immédiatement la transformation de MLA en DMLA. L’épaisseur des drusens, maximale au niveau fovéal (0 à 0,5mm) dans tous les groupes, était plus importante dans le groupe des yeux ayant progressé vers une DMLAn que dans les autres groupes (29,6 μm versus 17,2 μm dans le groupe progressant vers l’atrophie et 17,1 μm dans le groupe n’ayant pas progressé).

A l’inverse, les FH étudiés dans la zone 0,5-1,5mm où leur épaisseur était plus importante étaient globalement plus épais dans les yeux ayant progressé vers une DMLAa, (0,23 μm) que dans ceux ayant progressé vers une DMLAn (0,16 μm) ou n’ayant pas progressé (0,08 μm).  
Dans un second temps, ils ont analysé l’évolution du volume total des drusens et des FH dans les 3 groupes, dans la période qui précédaient le développement (ou non) de la DMLA. Le volume des drusens augmentait au cours du temps dans les 3 groupes, mais de façon plus marquée dans les yeux ayant évolué vers une DMLAn (2,1 × 106 μm3 par mois) que ceux ayant évolué vers une DMLAa (0,7 × 106 μm3 par mois) ou ceux n’ayant pas progressé (0,6 × 106 μm3 par mois). L’évolution des FH n’était pas aussi marquée, mais elle semblait également plus importante dans les yeux ayant progressé vers une DMLAn.
Enfin, les auteurs ont comparé les aires sous les courbes ROC (AUC) des différents paramètres pour prédire l’évolution vers une forme ou l’autre. Pour l’évolution vers une DMLAn, l’AUC maximale était obtenue avec l’épaisseur des drusens dans la zone 0,5-1,5mm, mais elle n’était que de 0,66 (une prédictibilité parfaite se rapprocherait de 1). Pour prédire l’évolution vers une DMLAa, c’était l’AUC des FH dans la zone 0,5-1,5mm qui était optimale, sans atteindre cependant une valeur très satisfaisante (0,73).
On comprend à la lecture de cet article qu’on est encore loin d’une prédiction du risque personnalisée en routine. Toutefois, la technique présentée par ces auteurs est très innovante. L’analyse d’autres éléments des scans OCT tels que la forme des drusens ou leur hyper réflectivité permettra sans doute de mieux caractériser l’histoire naturelle et peut être la physiopathologie encore largement méconnue de la DMLA, et d’affiner ces outils de prédiction, afin qu’ils puissent dans le futur équiper nos machines de consultation.

1) Davis MD, Gangnon RE, Lee LY,  et al. Age-Related Eye Disease Study Group.  The Age-Related Eye Disease Study severity scale for age-related macular degeneration: AREDS report No. 17.   Arch Ophthalmol. 2005;123(11):1484-1498.

Waldstein SM, Vogl WD, Bogunovic H, Sadeghipour A, Riedl S, Schmidt-Erfurth U. Characterization of Drusen and Hyperreflective Foci as Biomarkers for Disease Progression in Age-Related Macular Degeneration Using Artificial Intelligence in Optical Coherence Tomography. JAMA Ophthalmol. 2020;138(7):740-747.

 

Reviewer : Antoine Rousseau, thématique : rétine médicale.