Manifestations oculaires de la variole du singe…

Revue de la presse de septembre 2022

 

Auteurs : Jean-Rémi Fénolland, Antoine Rousseau
Coordination : Marc Labetoulle

 

Revues sélectionnées : 
Ophthalmology, JAMA Ophthalmology, IOVS, Progress in Retinal and Eye Research, Current Opinion in Ophthalmology, Survey of Ophthalmology, Journal of Cataract and Refractive Surgery, American Journal of Ophthalmology, British Journal of Ophthalmology, Retina, Cornea, Nature, Lancet, NEJM, Science.

 


Manifestations oculaires de la variole du singe…

 

La variole du singe (ou monkeypox) est causée par un orthopoxvirus, responsable d’un tableau clinique assez proche de celui de la variole humaine, mais en moins sévère. Cette zoonose décrite pour la première fois dans les années 50 chez des macaques crabiers (d’où son nom) était jusque-là responsable d’épidémies limitées, le plus souvent en Afrique centrale ou de l’Ouest. L’épidémie actuelle est singulière à plus d’un titre : 

  • par son ampleur :  à ce jour, près de 80 000 cas ont été signalés sur les tous les continents,
  • par le faible taux de mortalité de l’infection par la souche actuelle (souche III) : 36 décès signalés, soit environ 5/10 000, alors que la mortalité des précédentes épidémies était plutôt de l’ordre de 1 à 10%,
  • par la population atteinte : en grande majorité des hommes homosexuels et bisexuels, et des travailleurs du sexe. 


De façon très résumée, la maladie associe un syndrome pseudo-grippal, des adénopathies et une éruption vésiculeuse généralisée dont la particularité est le caractère synchrone des lésions. 


La transmission se fait le plus souvent par contact rapproché avec les lésions cutanéo-muqueuses (contagieuses), mais également par les autres fluides biologiques, et notamment par le liquide séminal, ce qui en fait une authentique maladie sexuellement transmissible. 


Comme les autres infections causées par des orthopoxvirus (variole, vaccine), la variole du singe s’accompagne volontiers dans sa forme humaine d’atteintes oculaires, touchant principalement la surface oculaire (conjonctivites et kérato-conjonctivites, avec potentielles opacités cornéennes séquellaires)
Alors que les atteintes oculaires concernaient 20 à 30% des malades atteints lors des précédentes épidémies de variole du singe, les conjonctivites n’émaillent que 5% des cas de l’épidémie actuelle, ce qui explique en partie le faible nombre de cas rapportés dans la littérature récente, qui semblent tous avoir été publiés en ce mois d’octobre. 


Meduri et al. rapportent un cas de conjonctivite folliculaire unilatérale inaugurale d’une variole du singe.1 Le patient a consulté d’abord pour un œil rouge et prurigineux, puis a développé des signes cutanés qui ont conduit au diagnostic, confirmé par PCR sur les vésicules cutanées. Un prélèvement conjonctival réalisé secondairement (5 jours après le début des signes) mettait lui aussi en évidence de l’ADN viral (en quantité équivalente à celle retrouvée sur le prélèvement cutanée) faisant craindre une contagiosité via les larmes. L’évolution générale et oculaire était très bonne dans ce cas. 


Ly-Yang et al. rapportent quant à eux un cas plus sévère de conjonctivite purulente et pseudomembraneuse associée à des vésicules palpébrales chez un patient séropositif pour le VIH (sans précision sur son statut immunitaire). Là encore, les manifestations oculaires inauguraient la présentation. Le malade était traité à la fois par un nouveau traitement antiviral (tecovirimat) inhibant la fonction d’une protéine de l’enveloppe virale impliquée dans la synthèse de la membrane et l’excrétion des virions, par trifluridine topique (efficace pour inhiber l’ADN polymérase des poxvirus), et enfin débridement des fausses membranes. L’atteinte oculaire a fini par guérir sans séquelles, avec une normalisation de l’examen après 4 semaines. 


Enfin, Foos et al. décrivent un nodule sous-conjonctival para-limbique circonscrit, hyperhémique et faiblement en relief, avec prise de fluorescéine à sa surface chez un patient de 36 ans, apparemment immunocompétent et présentant par ailleurs des vésicules palpébrales ombiliquées typiques, dans le contexte d’une infection par la variole du singe documentée.3 On regrette l’absence de prélèvement local qui aurait pu aider à trancher entre un mécanisme essentiellement viral et réplicatif ou bien immunitaire prédominant. Dans tous les cas, l’atteinte était résolutive avec un traitement par collyre aux AINS. 


Enfin, et pour faire la synthèse de ces atteintes, Milligan et al. proposent dans le British journal of Ophthalmology une revue assez complète sur les implications ophtalmologiques de la variole du singe.4 On en aura compris les principales, à savoir : i) le rôle potentiel de l’ophtalmologiste pour faire le diagnostic dans les cas où l’atteinte oculaire est inaugurale, ii) l’implication de l’ophtalmologiste dans la prise en charge pluridisciplinaire des cas les plus sévères, notamment en cas d’immunodépression sous-jacente, et iii) les précautions à prendre lors de la consultation pour éviter toute contamination des autres patients par le biais de matériel contaminé pas les larmes, et même de l’ophtalmologiste pour les même raisons. 

 

1) Meduri E, Malclès A, Kecik M. Conjunctivitis with monkeypox virus positive conjunctival swabs. Ophthalmology. 2022 Oct;129(10):1095.
2) Ly-Yang F, Miranda-Sánchez A, Burgos-Blasco B, Fernández-Vigo JI, Gegúndez-Fernández JA, Díaz-Valle D. Conjunctivitis in an individual with monkeypox. JAMA Ophthalmol. 2022 Sep 7.
3) Foos W, Wroblewski K, Ittoop S. Subconjunctival nodule in a patient with acute Monkeypox. JAMA Ophthalmol. 2022 Oct 1;140(10):e223742.
4) Milligan AL, Koay SY, Dunning J. Monkeypox as an emerging infectious disease: the ophthalmic implications. Br J Ophthalmol. 2022 Oct 10:bjo-2022-322268.

 

Reviewer : Antoine Rousseau, infection, surface oculaire. 

 


Monitoring de l’adalimumab dans les uvéites non infectieuses

 

Les études VISUAL 1 et 2, publiées en 2016, montraient la nette supériorité de l’adjonction d’adalimumab (un anticorps anti-TNFɑ humanisé) par voie sous-cutanée, versus placebo, à la la corticothérapie conventionnelle chez des patients atteints d’uvéite non-infectieuse chronique (UNIC) actives (VISUAL 1) ou quiescentes (VISUAL 2). Ces études ont eu un impact absolument majeur sur la prise en charge de ces pathologies. Les quelques années d’expérience qui se sont écoulées depuis ont permis aux cliniciens de mieux comprendre les causes d’échec des traitements, et de mettre en place des stratégies pour les contourner. 
Parmi ces dernières, le monitoring thérapeutique est l’une des options les plus élégantes. Il consiste, en l’occurrence, à doser la concentration plasmatique de l’adalimumab (CPA), et à rechercher de façon concomitante des anticorps dirigés contre ce médicament (anticorps anti-adalimumab, ou AAA). Cette pratique est largement adoptée dans d’autres spécialités ayant recours aux anticorps anti-TNFɑ, telle que la gastro-entérologie ou la rhumatologie.


Les résultats des rares études ayant évalué le bénéfice du monitoring de l’adalimumab dans la prise en charge des UNIC ont suggéré 1) qu’un dosage plus élevé « dans la vallée » (c’est-à-dire juste avant l’injection suivante) était associé à une meilleure réponse clinique, 2) que l’apparition d’AAA était associée à une diminution de la CPA et de l’efficacité du médicament3, et enfin 3) qu’un traitement concomitant par immunosuppresseur conventionnel (tel que le méthotrexate), diminuait le risque d’apparition des AAA. Toutefois, la robustesse de ces études est encore limitée par taille des effectifs, et l’analyse des conséquences pratiques de ces dosages, notamment médico-économiques. 


Le duo de services de médecine interne et d’ophtalmologie du CHU de la Croix Rousse à Lyon rapporte dans le dernier numéro du British Journal of Ophthalmology une étude rétrospective monocentrique visant justement à compléter les données d’évaluation sur la pertinence de ce monitoring thérapeutique dans la prise en charge des UNIC, en incluant notamment une analyse des modifications thérapeutiques induites par ces dosages.  
Tous les sujets atteints d’UNIC, ayant bénéficié d’au moins un monitoring thérapeutique entre 2003 et 2019, ont été inclus, soit 44 patients pour un total de 79 monitorings. Ces derniers avaient été réalisés dans 61% des cas de façon systématique sur des patients dits « répondeurs » aux traitements et dans 39 % des cas chez des « non-répondeurs » (soit primaires - n’ayant jamais répondu-, ou secondaires).


Les résultats de l’étude analysent en détail tous les scénarios, et nous proposons ici un résumé très succinct : 1) les répondeurs présentaient des CPA à la vallée plus élevés que les non-répondeurs, et 2) des AAA ont été détectés chez 6 patients : 2 non-répondeurs primaires, 3 non-répondeurs secondaires, et un seul répondeur. 


Parmi les cas de non-réponse avec CPA inférieure au seuil attendu (4 μg/mL, 31 dosages), 5 prélèvements étaient associés à des AAA, motivant systématiquement un changement d’anti-TNFɑ associé à la prescription de méthotrexate, pour diminuer le risque d’immunisation. 


En cas de non-réponse avec sous-dosage mais sans AAA (N=17), la fréquence des injections a été augmentée dans 10 cas (58%), le traitement remplacé dans 2 cas (12%), la dose augmentée dans 1 cas (6%), et le traitement non modifié dans 4 cas (24%). 


Parmi les cas de non-réponse avec CPA supérieure au seuil (N=9), la fréquence des injections était augmentée dans 2 cas (22%), le traitement remplacé dans 4 cas (44%), tandis qu’aucune modification n’était apportée dans 3 cas (33%). 


En combinant les 24 cas d’ajustement thérapeutique chez des non-répondeurs, une amélioration était notée dans 87% des cas.
A l’opposé, parmi les répondeurs avec dosage supérieur au seuil thérapeutique théorique, la fréquence des injections a été diminuée dans 48% des cas, sans incidence sur la fréquence des rechutes dans 80% des cas.


Ces résultats confirment la pertinence biologique et clinique du monitoring thérapeutique pour optimiser le traitement, mais ils révèlent aussi l’hétérogénéité des modifications mises en œuvre par les cliniciens. Cette analyse a posteriori des pratiques réelles et de leur conséquences immédiates sur l’évolution de la maladie a permis aux auteurs de proposer un algorithme thérapeutique simple et pragmatique prenant en considération deux éléments, la réponse clinique et les résultats du monitoring thérapeutique. 


Vu le coût potentiel d’une généralisation de ces dosages, une étude prospective multicentrique serait idéale pour confirmer la validité de cette stratégie. En attendant, ce guide sera sans doute très utile aux ophtalmologistes prescripteurs d’anti-TNFɑ et aux internistes qui les aident très utilement dans la cadre d’une prise en charge multidisciplinaire.


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1) Jaffe GJ, Dick AD, Brézin AP, Nguyen QD, Thorne JE, Kestelyn P, Barisani-Asenbauer T, Franco P, Heiligenhaus A, Scales D, Chu DS, Camez A, Kwatra NV, Song AP, Kron M, Tari S, Suhler EB. Adalimumab in patients with active noninfectious uveitis. N Engl J Med. 2016 Sep 8;375(10):932-43. 
2) Nguyen QD, Merrill PT, Jaffe GJ, Dick AD, Kurup SK, Sheppard J, Schlaen A, Pavesio C, Cimino L, Van Calster J, Camez AA, Kwatra NV, Song AP, Kron M, Tari S, Brézin AP. Adalimumab for prevention of uveitic flare in patients with inactive non-infectious uveitis controlled by corticosteroids (VISUAL II): a multicentre, double-masked, randomised, placebo-controlled phase 3 trial. Lancet. 2016 Sep 17;388(10050):1183-92.
3) Cordero-Coma M, Calleja-Antolín S, Garzo-García I, Nuñez-Garnés AM, Álvarez-Castro C, Franco-Benito M, Ruiz de Morales JG. Adalimumab for Treatment of Noninfectious Uveitis: Immunogenicity and Clinical Relevance of Measuring Serum Drug Levels and Antidrug Antibodies. Ophthalmology. 2016 Dec;123(12):2618-2625. 

 

Sejournet L, Kerever S, Mathis T, Kodjikian L, Jamilloux Y, Seve P. Therapeutic drug monitoring guides the management of patients with chronic non-infectious uveitis treated with adalimumab: a retrospective study. Br J Ophthalmol. 2022 Oct;106(10):1380-1386.

 

Reviewer : Antoine Rousseau, thématique : inflammation