Monitoring de l’adalimumab dans les uvéites non infectieuses

Revue de la presse de septembre 2022

 

Auteurs : Jean-Rémi Fénolland, Antoine Rousseau
Coordination : Marc Labetoulle

 

Revues sélectionnées : 
Ophthalmology, JAMA Ophthalmology, IOVS, Progress in Retinal and Eye Research, Current Opinion in Ophthalmology, Survey of Ophthalmology, Journal of Cataract and Refractive Surgery, American Journal of Ophthalmology, British Journal of Ophthalmology, Retina, Cornea, Nature, Lancet, NEJM, Science.

Monitoring de l’adalimumab dans les uvéites non infectieuses

 

Les études VISUAL 1 et 2, publiées en 2016, montraient la nette supériorité de l’adjonction d’adalimumab (un anticorps anti-TNFɑ humanisé) par voie sous-cutanée, versus placebo, à la la corticothérapie conventionnelle chez des patients atteints d’uvéite non-infectieuse chronique (UNIC) actives (VISUAL 1) ou quiescentes (VISUAL 2). Ces études ont eu un impact absolument majeur sur la prise en charge de ces pathologies. Les quelques années d’expérience qui se sont écoulées depuis ont permis aux cliniciens de mieux comprendre les causes d’échec des traitements, et de mettre en place des stratégies pour les contourner. 
Parmi ces dernières, le monitoring thérapeutique est l’une des options les plus élégantes. Il consiste, en l’occurrence, à doser la concentration plasmatique de l’adalimumab (CPA), et à rechercher de façon concomitante des anticorps dirigés contre ce médicament (anticorps anti-adalimumab, ou AAA). Cette pratique est largement adoptée dans d’autres spécialités ayant recours aux anticorps anti-TNFɑ, telle que la gastro-entérologie ou la rhumatologie.


Les résultats des rares études ayant évalué le bénéfice du monitoring de l’adalimumab dans la prise en charge des UNIC ont suggéré 1) qu’un dosage plus élevé « dans la vallée » (c’est-à-dire juste avant l’injection suivante) était associé à une meilleure réponse clinique, 2) que l’apparition d’AAA était associée à une diminution de la CPA et de l’efficacité du médicament3, et enfin 3) qu’un traitement concomitant par immunosuppresseur conventionnel (tel que le méthotrexate), diminuait le risque d’apparition des AAA. Toutefois, la robustesse de ces études est encore limitée par taille des effectifs, et l’analyse des conséquences pratiques de ces dosages, notamment médico-économiques. 


Le duo de services de médecine interne et d’ophtalmologie du CHU de la Croix Rousse à Lyon rapporte dans le dernier numéro du British Journal of Ophthalmology une étude rétrospective monocentrique visant justement à compléter les données d’évaluation sur la pertinence de ce monitoring thérapeutique dans la prise en charge des UNIC, en incluant notamment une analyse des modifications thérapeutiques induites par ces dosages.  
Tous les sujets atteints d’UNIC, ayant bénéficié d’au moins un monitoring thérapeutique entre 2003 et 2019, ont été inclus, soit 44 patients pour un total de 79 monitorings. Ces derniers avaient été réalisés dans 61% des cas de façon systématique sur des patients dits « répondeurs » aux traitements et dans 39 % des cas chez des « non-répondeurs » (soit primaires - n’ayant jamais répondu-, ou secondaires).


Les résultats de l’étude analysent en détail tous les scénarios, et nous proposons ici un résumé très succinct : 1) les répondeurs présentaient des CPA à la vallée plus élevés que les non-répondeurs, et 2) des AAA ont été détectés chez 6 patients : 2 non-répondeurs primaires, 3 non-répondeurs secondaires, et un seul répondeur. 


Parmi les cas de non-réponse avec CPA inférieure au seuil attendu (4 μg/mL, 31 dosages), 5 prélèvements étaient associés à des AAA, motivant systématiquement un changement d’anti-TNFɑ associé à la prescription de méthotrexate, pour diminuer le risque d’immunisation. 


En cas de non-réponse avec sous-dosage mais sans AAA (N=17), la fréquence des injections a été augmentée dans 10 cas (58%), le traitement remplacé dans 2 cas (12%), la dose augmentée dans 1 cas (6%), et le traitement non modifié dans 4 cas (24%). 


Parmi les cas de non-réponse avec CPA supérieure au seuil (N=9), la fréquence des injections était augmentée dans 2 cas (22%), le traitement remplacé dans 4 cas (44%), tandis qu’aucune modification n’était apportée dans 3 cas (33%). 


En combinant les 24 cas d’ajustement thérapeutique chez des non-répondeurs, une amélioration était notée dans 87% des cas.
A l’opposé, parmi les répondeurs avec dosage supérieur au seuil thérapeutique théorique, la fréquence des injections a été diminuée dans 48% des cas, sans incidence sur la fréquence des rechutes dans 80% des cas.


Ces résultats confirment la pertinence biologique et clinique du monitoring thérapeutique pour optimiser le traitement, mais ils révèlent aussi l’hétérogénéité des modifications mises en œuvre par les cliniciens. Cette analyse a posteriori des pratiques réelles et de leur conséquences immédiates sur l’évolution de la maladie a permis aux auteurs de proposer un algorithme thérapeutique simple et pragmatique prenant en considération deux éléments, la réponse clinique et les résultats du monitoring thérapeutique. 


Vu le coût potentiel d’une généralisation de ces dosages, une étude prospective multicentrique serait idéale pour confirmer la validité de cette stratégie. En attendant, ce guide sera sans doute très utile aux ophtalmologistes prescripteurs d’anti-TNFɑ et aux internistes qui les aident très utilement dans la cadre d’une prise en charge multidisciplinaire.


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1) Jaffe GJ, Dick AD, Brézin AP, Nguyen QD, Thorne JE, Kestelyn P, Barisani-Asenbauer T, Franco P, Heiligenhaus A, Scales D, Chu DS, Camez A, Kwatra NV, Song AP, Kron M, Tari S, Suhler EB. Adalimumab in patients with active noninfectious uveitis. N Engl J Med. 2016 Sep 8;375(10):932-43. 
2) Nguyen QD, Merrill PT, Jaffe GJ, Dick AD, Kurup SK, Sheppard J, Schlaen A, Pavesio C, Cimino L, Van Calster J, Camez AA, Kwatra NV, Song AP, Kron M, Tari S, Brézin AP. Adalimumab for prevention of uveitic flare in patients with inactive non-infectious uveitis controlled by corticosteroids (VISUAL II): a multicentre, double-masked, randomised, placebo-controlled phase 3 trial. Lancet. 2016 Sep 17;388(10050):1183-92.
3) Cordero-Coma M, Calleja-Antolín S, Garzo-García I, Nuñez-Garnés AM, Álvarez-Castro C, Franco-Benito M, Ruiz de Morales JG. Adalimumab for Treatment of Noninfectious Uveitis: Immunogenicity and Clinical Relevance of Measuring Serum Drug Levels and Antidrug Antibodies. Ophthalmology. 2016 Dec;123(12):2618-2625. 

 

Sejournet L, Kerever S, Mathis T, Kodjikian L, Jamilloux Y, Seve P. Therapeutic drug monitoring guides the management of patients with chronic non-infectious uveitis treated with adalimumab: a retrospective study. Br J Ophthalmol. 2022 Oct;106(10):1380-1386.

 

Reviewer : Antoine Rousseau, thématique : inflammation